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MONTPELLIER : Rock your body

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Rrriight now © Leo Vuoso

« Quelle performance ! », se dit-on à voix basse en sortant du Théâtre la Vignette où a été présenté ce lundi 13 novembre le spectacle Rrrrright now. Ce n’est pas que l’affirmer à voix haute aurait été gênant. Au contraire. Le spectateur émerge du spectacle présenté par Paola Stella Mini et Konstantinos Rizos avec un rapport nouveau à ce qui est codifié, normatif, harmonieux. Issus du master exerce ICI-CCN de Montpellier, où ils ont fondé la Cie Futur Immoral, les deux artistes ont une nouvelle fois misé sur leur appétence pour l’expérimental, faisant de l’audace leur contrainte, la créativité leur champ de bataille scénique.

Quatre corps pour un punk 

Pourquoi quatre interprètes ? Sans doute parce qu’il fallait bien quatre corps pour se glisser dans celui de Johnny Rotten, le chanteur des Sex Pistols, emblème absolue du mouvement punk qui a pulvérisé la scène artistique à la fin des années 70. S’immerger dans un espace-temps de liberté absolue, sa radicalité décoiffante, sa créativité alternative, ses excès dévastateurs. Difficile de ne pas être rétif, au début du spectacle, devant ces interprètes en caleçon, chaussettes… et veste d’époque aux relents shakespeariens se mouvant maladroitement sur des airs de Frank Sinatra. Vient la musique rock, forte, répétitive, électrisante. Les gestes sont excessifs, éminemment caricaturaux, souvent très drôles. On se laisse prendre au jeu, acceptant de nouvelles règles scéniques, une approximation volontaire en regard de normes esthétiques que l’on oublie si on ne les confronte pas. Les interprètes eux aussi sont pris dans un engrenage de liberté, leur corps hors de contrôle. Un paroxysme semblent atteint dans une scène de rock performatif mémorable des plus rageuse, suivie d’une overdose d’images, de sons, de révolte gestuelle. Vient l’après. La phase planante, les corps pris entre liberté exultante et contraintes fantasques des substances psychotiques. La chute aussi, dont on ne réchappe pas toujours, du moins pas complètement. Comme on n’échappe jamais vraiment au My Way de Sinatra, punk ou pas. 

ALICE ROLLAND

Rrrrright now, Paola Stella Mini et Konstantinos Rizos a été présenté le 13 novembre au Théâtre de la Vignette, Montpellier, dans le cadre de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée.

Les vieux amants

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Elle est sans conteste une des artistes dramatiques les plus importantes, émouvantes, singulières de la scène européenne. Le principe de son Tango est d’une extrême simplicité. Une femme, vieille, allume les lumières, rejoue le théâtre de sa vie, fait surgir d’une malle ses souvenirs et d’une autre celle du souvenir de son amant, son amour, le compagnon de sa vie. 

Guidés par la musique, variété italienne des années 60 et 70 qui a su être pop sans passer par l’anglais, les deux amants retournent en arrière, vers des souvenirs anciens et précieux. Ceux de leur rencontre, de leur déclaration d’amour, de la naissance de leur enfant, de soirées de fête et d’ivresse. Des gestes de désir, de plaisir, d’amour, passionné, de quotidien aussi, de scènes de disputes taquines, la plupart du temps muettes et dansées, parfois dialoguées, comme le très beau moment où il déclare son amour sur la plage qu’on devine. 

Entre chacun de ces souvenirs la vieillesse resurgit, le corps de la femme (Manuella Lo Sicco) se plie, celui de l’homme (Sabino Civilleri) se raidit, et les scènes extraites des malles du souvenir s’enfouissent dans l’épaisseur du temps. Les accès de toux irrépressibles, la boite de pilules à laquelle ils s’accrochent, le geste compulsif d’une jambe qui s’agite, le mouchoir dans laquelle elle se mouche puis qu’elle ouvre pour montrer à son amant ce qu’elle vient d’expulser, tout cela se décline, à chaque fois, comme un rappel de la fin de la vie qui approche, drôle et tragique en même temps.

Dernier acte

« Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste, on jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. », écrivait Pascal dans une de ses Pensées les plus tragiques. La comédie a été belle, même si on ne sait pas très bien à quel moment exact de leur amour l’homme a disparu, jusqu’où ils ont été un couple réel, et quand elle a commencé à imaginer sa présence auprès d’elle, à allumer les lumières, à rouvrir les malles. Une scène où, encore jeune, elle le soigne, le rassérène, le porte comme un enfant vers un lit d’inconscience, suggère qu’il est peut-être mort depuis longtemps, et que depuis longtemps seul son fantôme raide se déplace à ses côtés. Mais avant d’éteindre les lumières et même si la mort est proche, elle sait et rappelle que la vie a été belle, l’amour a été là, nourri de chansons populaires, de bal, de plage et de liberté.

AGNÈS FRESCHEL

Il tango delle capinere d'Emma Dante
Les 9 et 10 janvier
Le ZEF, Scène Nationale de Marseille
www.lezef.org

Parade + Fabulous Sheep 

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Parade © X-DR

Guitare, basse, batterie et chant, un son brut et énergique et des mélodies accrocheuses, la formule est connue et particulièrement efficace mise en œuvre par Parade, groupe originaire de Marseille. Une musique qui tient du rock garage, du post punk, nourrie de la voix sépulcrale de son guitariste chanteur Julien Henriel, accompagné d’une section rythmique puissante et énergique. Leur deuxième EP It All Went Bad Somehow est sorti en mai dernier, sept titres aux tonalités sombres et urgentes, qu’ils viennent présenter en live au Cargo de Nuit ce 18 novembre. Suivis de Fabulous Sheep, groupe post-punk de Béziers, cinq musiciens bêtes de scène dont le dernier album, Social Violence, sorti en 2022, aligne dans une ambiance post-apocalyptique onze titres de deux ou trois minutes chacun, punk, new wave et garage. M.V.

18 novembre
Cargo de Nuit, Arles
cargodenuit.com

SÈTE et MONTPELLIER : La Biennale en fête

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© Simon Wolf

Une dernière rencontre, sept rendez-vous spectacles et deux fêtes de clôture sont à l’affiche du 18 au 25 novembre de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, manifestation initiée par le Théâtre des 13 vents CDN Montpellier, et portée par un ensemble de partenaires culturels à Montpellier et alentours.

C’est d’ailleurs l’un de ces partenaires culturels, le Théâtre Molière de Sète, qui accueillera, le 25, la Fête de Clôture de la Biennale. Le collectif montpelliérain Maison Lieu invite de 16 h à minuit les musiciens Grégory Dargent, Wassim Halal, Anil Eraslan et les chorégraphes Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos pour une sieste acoustique, des lectures, une installation sonore, un concert de piano et de musique et photos. Pour finir par une grande fête « psychédélique orientale », proposée par tous les musiciens et artistes : Quart de ton & Mur du son. Ça promet !

À l’affiche

Mais d’ici là il reste de très belles choses à aller voir et écouter. Notamment, le 18 à partir de 16 h, une autre fête, sous le titre Qui Vive ! pour la clôture de la semaine de Rencontres au Théâtre des 13 vents. Au programme : séminaire d’Olivier Neveux, rencontre avec la réalisatrice Simone Bitton et projection de son film Conversation Nord-Sud : Daney / Sanbar, la performance The Waterproofed artist du marocain Younès Atbane, et un DJ set du Libanais Ziad Moukarzel

Quant aux spectacles proprement dits, la semaine commencera le 20 à l’école de cirque Zepetra, à Castelnau-le-Lez, avec À chaque pas que je fais je laisse une empreinte dans le paysage de Nadine O’Garra, amalgame de chapitres performatifs discontinus, dont le thème est le béton ! Le lendemain Runa de la Lali Ayguadé Company, au Chai du Terral à Saint-Jean-de-Védas, une femme et un homme qui évoluent dans les ruines de leurs paysages intimes. La Truelle de Fabrice Melquiot, avec Olivier Nadin, texte vibrant autour de l’histoire de la mafia est présenté le 22 à la Bulle Bleue à Montpellier, et le 23 au Théâtre Jacques Cœur à Lattes. Le 22, le Théâtre Jean Vilar accueille la reprise du solo de Christian Rizzo écrit pour le danseur Kerem Gelebek Sakinan göze çöp batar (C’est l’œil que tu protèges qui sera perforé). 

Les 22 et 23 sera également présenté, au Théâtre des 13 vents, Ordalie de Chrystèle Khodr, actrice, autrice et metteuse en scène basée à Beyrouth, qui sonde avec humour et colère le rapport d’hommes de sa génération à l’héritage historique du Liban. Au Domaine d’O, le 24, Pixelated revolution, conférence-spectacle de Rabih Mroué, qui interroge « de façon non-académique » la circulation d’images filmées en Syrie. Tandis qu’au Théâtre Molière, on pourra assister, le 24 également, au concert des Las Migas, quatre musiciennes qui brisent les codes du flamenco traditionnel pour y ajouter des sonorités jazz, classiques, bossa et tziganes.

MARC VOIRY

Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée
Jusqu’au 25 novembre
Divers lieux, Montpellier, Sète
13vents.fr

Écrire à l’italienne

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Jean-Baptiste Andrea © DR

Le nom de Jean-Baptiste Andrea, déjà primé par différentes institutions célébrant la littérature exigeante et grand public – le Femina des lycéens, le Grand Prix RTL-Lire – se faisait déjà familier ces dernières années. Et ce même si la carrière de romancier de cet auteur touche-à-tout demeure assez récente : quatre romans parus entre 2017 et 2023, tous aux très réputées éditions de l’Iconoclaste. Repéré par la fondatrice et directrice de la maison, Sophie de Sivry, décédée au printemps dernier, il était devenu le premier et ultime primo-romancier consacré par ses soins. Mais avant de se lancer en littérature, l’ex-diplômé de Sciences Po et de l’ESCP aura pris son temps. Né en 1971, il abandonne tout au tournant de la vingtaine pour des petits boulots de traduction aux éditions Harlequin, avant de se dédier à l’écriture de scénarios et à la réalisation de films proches du cinéma de genre. Voire même de l’horreur, ou du moins le fantastique, au cœur de son premier film Dead End, qu’il tourne en 2002 à Los Angeles. Il explore également les ressorts de la comédie policière, versant noir, dans Big Nothing, sorti en 2006 et comptant notamment David Schwimmer à son casting. Suivront en France la comédie horrifique très « teen » Hellphone réalisée par James Huth en 2007, avec un Jean-Baptiste Maunier à peine sorti de l’enfance, puis La Confrérie des larmes en 2013, thriller paranoïaque porté par Jérémie Rénier et Audrey Fleurot. C’est toujours la solidité de l’écriture que l’on salue, et l’efficacité d’un dispositif fait de rebondissements et révélations tenant le spectateur en haleine, à défaut de le convaincre complètement. 

Poser le décor

Dans chacun de ces récits, c’est également le goût cinématographique du décor et le penchant pour l’immersion qui emportent. Cette Italie et ses palais génois tant admirés par le jeune et désargenté Mimo, personnage central de Veiller sur elle, en constitue plus que le cadre : le centre, l’identité même. Celle de ces ancêtres, qui ont si bien connue l’Italie où « orangers, citronniers et bigaradiers s’étendaient à perte de vue. […] Impossible de ne pas s’arrêter, frappé par le paysage coloré, pointilliste, un feu d’artifice mandarine, melon, abricot, mimosa, fleur de soufre, qui ne s’éteignait jamais. » Le goût du style et de la langue passe, pour Andrea, avant tout par l’image. Saturé de paysages aussi somptueux que l’histoire qui se dessine se fera tortueuse, Veiller sur elle se traverse comme autant de scènes de reconstitution soignées. Les personnages s’y font eux aussi hauts en couleur : Mimo Vitaliano, sculpteur en herbe à peine haut d’1 mètre 40 et né sans le sou, croisera le chemin de Viola Orsini, riche héritière à qui l’on aura que trop rappelé que son genre l’assigne au silence. La petite histoire, celle d’un amour d’enfance trop pur et trop à rebours des conventions sociales pour triompher, est sans doute ce qui marquera le plus durablement dans Veiller sur elle, plus encore que la grande accompagnant l’Italie de l’entre-deux-guerres aux années 1980, un peu plus convenue. Depuis Ma Reine, c’est encore et toujours de ces liens inaltérables d’amour et d’amitié que veut nous parler Jean-Baptiste Andrea, lui qui a à cœur de « parler de la beauté du monde », y compris en se frottant à l’histoire du fascisme.

Une œuvre sans auteur ?

C’est au grand bonheur du président du jury Didier Lecoin, qui lui aura accordé son double vote, que le prix Goncourt s’est vu attribuer à cet auteur dont le goût du romanesque et de la fresque tranche quelque peu avec l’autofiction intime et âpre primée l’an dernier – Vivre vite, qui consacrait l’autrice Brigitte Giraud. Quitte à faire grincer quelques dents : devrait-on y voir le triomphe d’un académisme suranné, au détriment du style, de l’expérimentation, en bref, de tout ce qui fait la littérature ? Quelques phrases lâchées çà et là par Andrea desservent allègrement sa cause : « Ce qui m’intéresse, c’est de disparaître de mes livres. Des anecdotes que je distille dans la narration jusqu’au style : il ne faut pas qu’on me sente écrire. » À moins qu’on y lise avant tout des gages de pudeur et de modestie : deux qualités bien trop rares pour qu’on les disqualifie d’un revers de la manche.

SUZANNE CANESSA

Jean-Baptiste Andrea était présent à la librairie Un Point Un Trait à Lodève le jeudi 16 novembre.

SPÉCIAL AVERROÈS, L’ÉDITO : L’empire de Schrödinger 

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© TnK1PrD - image réalisée à l'aide d'Adobe Firefly

Pour l’essayiste Pâcome Thiellement, l’empire n’a jamais pris fin. Pour l’historien Jean-Baptiste Duroselle, tout empire périt et périra. Les deux visions se défendent et si on effectue un exercice de pensée, l’empire est à la fois mort et vivant. Comme le fameux chat de Schrödinger. Sauf que l’empire peut réellement être intact et désintégré, puisqu’il s’agit d’un concept aux définitions multiples. Le chat lui, est soit mort, soit vivant, et Schrödinger le saurait s’il mettait fin à son expérience de pensée. S’il le considérait non comme une idée de chat, mais comme un chat.

C’est l’erreur qu’il ne faut pas commettre avec l’empire. Qu’importe qu’on le croie mort ou vivant, l’empire renvoie à des phénomènes de violences et de contraintes bien réels et actuels, à des mémoires déchirées, à des exils anciens, à des rancoeurs ineffaçables. Pour que les Césars, les Kaiser, les Napoléons, les Duce, les Führer et autres petits pères du peuple ne reviennent pas, il faut acter leur déroute en les combattant sous toutes leurs formes. 

L’information et le débat ne détruiront pas les élans impérialistes qui traversent notre histoire contemporaine, mais ils permettent de surveiller leurs évolutions. C’est en cela que la réflexion sur l’histoire des empires, sur le colonialisme, la résistance, les situations actuelles en Arménie, au Liban ou à Gaza, est absolument essentielle.

Renaud Guissani

RENCONTRES D’AVERROÈS : Déterrer l’Empire 

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© X-DR

Les guides du routard ne sont pas dépourvus de sites archéologiques antiques et médiévaux sur la scène méditerranéenne. L’occasion de contempler la marque encore décelable des grands empires, en Afrique, en Europe ou en Asie. Les vestiges du phare antique d’Alexandrie en Egypte, le Colisée à Rome ou encore la découverte d’un chaland de trente mètres de longueur dans le port d’Arles, surnommé « petite Rome des Gaule », témoignent à leur manière d’un passé impérial.

Istanbul, capitale d’Empires

Comment évoquer les influences architecturales impériales toujours présentes sans parler de la métropole culturelle turque ? Istanbul, anciennement Byzance puis Constantinople, cœur à la fois des empires byzantin et ottoman. Quels mystères demeurent enfouis dans cette ville majestueuse et emblématique de la Turquie ? Que révèlent ses monuments sur les multiples récits qui ont traversé les siècles de l’histoire de la ville ?

Istanbul, joyau de l’empire Byzantin, sert de modèle à toutes les capitales du Proche-Orient médiéval. Aujourd’hui resplendit toujours le plus illustre de ses monuments, la cathédrale Sainte-Sophie. Ses coupoles et mosaïques en font une merveille architecturale, qu’elle soit une basilique chrétienne, mosquée ou musée. Elle incarne le symbole du mélange des cultures entre Orient et Occident, et des transformations de la ville au travers du temps.

Après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, la ville prend le nom d’Istanbul, affirmation du triomphe islamique. Elle conserve sa richesse cosmopolite tout en subissant des transformations notables, marquées par la construction de nombreuses mosquées, bibliothèques, mausolées, bains, fontaines, châteaux forts, et palais. La Mosquée Bleue et le palais Topkapi, contribuent par exemple à faire d’Istanbul une des plus riches cités du monde musulman. 

L’histoire des empires se révèle à travers les vestiges archéologiques, qui agissent comme source primaire de l’historien, une mémoire, témoignant des grands moments de notre passé.

APOLLINE RICHARD

RENCONTRES D’AVERROÈS : « Périsse la réalité, pourvu que les principes survivent »

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Gabriel Martinez-Gros © DR

Zébuline. Étant donné le thème de cette 30e édition des Rencontres d’Averroès, et de la thèse développée dans votre dernier livre, peut-on dire que « tout empire périra, mais continuera sous forme de religion » ?

Gabriel Martinez-Gros. Voilà c’est bien ça ! L’empire de dieu est la conséquence de l’empire des hommes et c’est là que les choses deviennent complexes. Dans le sens où les valeurs sont les mêmes. Les deux grandes valeurs de l’empire sont la paix – à laquelle nous avons donné depuis 2000 ans une connotation religieuse, mais qui a une origine impériale avec la pax romana – et l’universalisme. Avant que les religions ne s’adressent à tous sans distinction, les empires font de même. 

Comment est-ce que vous interprétez le lien entre la Méditerranée et les empires?

La Méditerranée est très intéressante. Car il y a dans l’histoire, depuis 2000 ans, fondamentalement deux empires. Il y a l’empire de l’est qui est la Chine, de façon constante. Puis il y a l’empire de l’ouest qui est en revanche beaucoup plus incertain dans ses limites géographiques. La grande nouveauté qu’introduit l’empire romain c’est de déplacer le centre de l’empire achéménide, en lui ajoutant la Méditerranée occidentale. C’est l’Empire romain qui fait la Méditerranée. 

Vous parlez dans votre dernier livre d’une « nouvelle émergence religieuse », à quoi s’apparente-t-elle ? Pourriez-vous donner un autre exemple que celui de l’antiracisme ?

C’est ce qu’on appelle le wokisme, c’est-à-dire l’entrée dans le royaume de l’anathème en contrepartie de l’impuissance réelle. Le système de valeurs se sépare alors de la réalité de l’action. Les actes ne comptent plus, seuls les mots ont de l’importance. La religion pendant 2000 ans n’a presque jamais évité la moindre guerre, et ce n’était pas l’important. Les guerres peuvent avoir lieu mais l’essentiel c’est que les ONG aient le droit de les condamner et d’appeler à la paix. Que cette paix soit impossible, ça n’a aucune importance ! Périsse la réalité pourvu que les principes survivent. Si je parle de l’antiracisme c’est parce que c’en est un exemple central. Devant l’échec politique de l’antiracisme, celui-ci a changé de nature. On est passé d’un programme politique pour combattre le racisme à un problème éternel. Cela devient donc par définition un problème religieux, que le gouvernement des hommes ne peut pas résoudre, pas plus que le christianisme ne peut résoudre le mal. Dès lors que vous avez accepté cela, vous êtes beaucoup mieux car vous avez accepté qu’on ne peut rien faire ! C’est la solution que l’Occident a adopté pendant quinze siècles. Il a adopté le christianisme en se disant que les choses essentielles n’étaient pas dans l’ordre du monde tel que l’imposait l’empire, mais dans le salut individuel. Il est évident que nous allons vers les mêmes échelles de valeurs, le salut de l’individu sera le plus important. La cité sera très largement abandonnée aux violents. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RENAUD GUISSANI


AU PROGRAMME
À l’occasion de la première table ronde animée par Jean Christophe Ploquin, intitulée « Empires de Dieu contre empires des hommes », Claire Sotinel, Arietta Papaconstantinou, Annliese Nef et Gabriel Martinez-Gros, débattront de la Méditerranée au prisme de son histoire longue. 

Les Rencontres d’Averroès, 30 ans pour p(a)nser la Méditerranée

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11 novembre. C’est une journée automnale où la pluie tombe dans les ruelles de Marseille. Une effervescence inhabituelle s’échappe du théâtre des Bernardines. Les Marseillaises et les Marseillais s’entassent devant l’entrée pour tenter de s’y engouffrer et écouter les débats passionnés qui jaillissent de la salle. Une imposante affiche se distingue fièrement avec pour inscription :  « Les Rencontres d’Averroès – 1994 ».

Une première dans la Cité Phocéenne et un pari fou que Thierry Fabre s’était lancé : organiser un événement, un lieu de rencontres pour penser la Méditerranée des deux rives. Ainsi naissent les Rencontres d’Averroès. « A ma grande surprise, c’était plein à craquer. C’était une véritable université populaire ! », se remémore avec nostalgie le fondateur. Par manque de place, l’évènement se délocalise vers le théâtre de la Criée l’année suivante, preuve de sa réussite.

Trente ans plus tard, il est l’heure pour lui de laisser sa place. A 63 ans, Thierry Fabre, a décidé de quitter la présidence des Rencontres pour se diriger vers d’autres « salves d’avenir » loin de l’effervescence marseillaise. Le trentième anniversaire des Rencontres, placées sous le signe des empires, est l’occasion de dire au revoir à ce « sacré pionnier » à en croire Fabienne Pavia, co-directrice de Des Livres comme des Idées, association qui reprend l’organisation de l’événement. 

L’emblème Averroès, héritage des Rencontres

Encore aujourd’hui, le succès ne faiblit pas. Au total, plus de 350 intervenantes et intervenants ont participé à ces rencontres qui ont débattu devant plus de 800 personnes réunies à chaque débat. Les Rencontres d’Averroès, ce sont quatre tables rondes réunissant chercheuses et chercheurs, penseuses et penseurs, historiennes et historiens autour d’une grande thématique. Avec une seule consigne : ne pas lire ses notes. Véritable « agora contemporaine » selon les mots de Thierry Fabre, le débat est alors ouvert autant entre spécialistes qu’avec le public, jamais à court de questions. Même les plus polémiques.

Si cet évènement a eu autant de retentissement, c’est parce qu’il traitait d’un héritage impensé, celui des sources arabes de la culture européenne. Il y a trente ans, seules les origines romaines, grecques et judéo-chrétiennes étaient valorisées, comme fondatrices des valeurs de l’Europe.  « L’héritage andalou », premier thème des Rencontres, vient poser la question de cette Andalousie au pluriel, une région espagnole au carrefour des civilisations latines, arabes et juive. La tâche est grande : réévaluer le poids des héritages culturels et démystifier le terme « arabe », chargé de pathos.

Une Andalousie également symbolisée par la figure emblématique des Rencontres : Averroès, ou Ibn Rochd. Philosophe et juriste andalou éminent, il a joué un rôle significatif dans l’évolution de la pensée critique au sein de l’islam bien que sa contribution ait été négligée dans la philosophie européenne. C’est lors d’un entretien avec Alain de Libera, et son ouvrage Penser au Moyen-Âge (1991) que Thierry Fabre choisit Averroès comme emblème. Un choix qui prend tout son sens. 

Depuis cette première édition, les Rencontres ont parcouru du chemin. Son acmé reste 2013, année où Marseille devient capitale de la culture. Après ce paroxysme, Thierry Fabre est envahi d’un doute. A-t-il fait le tour ? S’il a pensé ne plus pouvoir se renouveler, le président a compris, lors des attentats de 2015, que l’événement est d’autant plus utile dans une période d’incertitude, où l’hérésie triompherait de la raison. Face à tant de doutes de la part du public marseillais, il est primordial de garder les Rencontres pour continuer à donner des clés de compréhension d’un monde méditerranéen en perpétuel mouvement.

A chaque obstacle, sa solution. Suite aux attentats, Thierry Fabre agit et s’associe avec l’association Des livres comme des idées en 2016 pour donner un nouveau souffle aux Rencontres. Rebelote face à la crise du Covid. L’idée d’un podcast émerge pour faire vivre en ligne ce qui n’a pas pu être tenu en présentiel. Après autant d’années, le lieu reste pourtant le même : la cité phocéenne.

« La Méditerranée ne se conjugue pas au passé »

Et quand on demande à Thierry pourquoi Marseille ? Il n’en démord pas : c’était comme une évidence. « Si on doit le faire quelque part, ce sera à Marseille », se souvient-il. Il était important pour lui, natif du sud de la France, de créer un « lieu de retrouvailles, de trait d’union » dans cette ville oh combien importante dans l’espace méditerranéen.

C’est dans un contexte d’« horizon de paix » que Thierry Fabre lance les Rencontres d’Averroès en 1994. Un an plus tôt, les accords d’Oslo entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin viennent d’être signés. Un espoir grandit dans le Moyen-Orient pour une paix durable entre Israël et Palestine. Trente ans plus tard, la tragédie humaine qui se joue dans la bande de Gaza plonge à nouveau cette région du monde, et le monde, dans l’incertitude. Thierry Fabre déplore désormais la prééminence d’un « horizon de guerre ».

En résistance à  l’actualité anxiogène, la paix s’affirme comme une valeur centrale des Rencontres. Mais ce n’est pas la seule. Le gai-savoir et le vivre ensemble en font également partie. Sans oublier le sous-titre de cet évènement : « Penser la Méditerranée des deux rives ». Il ne faut plus considérer la Méditerranée seulement comme un tombeau des anciens empires. Car pour lui, la grande bleue « ne se conjugue pas au passé ». Au contraire, tout l’enjeu est de penser l’avenir. 

Les Rencontres au futur

Quant aux Rencontres, son futur s’écrit désormais avec l’association Des Livres comme des idées qui co-porte déjà le projet depuis 2016. « Thierry s’en va mais ça continue ! » annonce joyeusement Fabienne Pavia, sa co-directrice aux côtés de Nadia Champesme. De la continuité, certes, mais de la nouveauté également !

Le changement vient d’abord du fonctionnement interne. Exit la présidence solitaire, place à une direction collective de 3 à 4 personnes aux profils variés. La parité est aussi un objectif tout à fait réalisable dans la mesure où « de plus en plus de femmes accèdent à des postes à responsabilité dans les universités ». Les personnes qui feront partie de cette direction ne sont pas encore connues mais Fabienne Pavia et Nadia Champesme admettentqu’elles resteront proches du noyau décisionnel de ces Nouvelles Rencontres d’Averroès.

Parmi les nouveautés, Fabienne Pavia évoque la volonté de relancer le Collège de Méditerranée. Abandonné lors de la pandémie de Covid-19, il s’agissait d’une université populaire avec des conférences et des projections cinématographiques toute l’année et dans toute la région. De Nice à Avignon ou de Toulon à Gap, les Rencontres d’Averroès vont à nouveau sortir de leur périmètre marseillais.

Des masterclasses sont également à l’étude dans le but d’atteindre un public plus jeune, véritable axe de développement des Nouvelles Rencontres. Averroès Junior, partie de l’événement construit avec des classes de collège et de lycée, s’inscrit déjà dans ce dessein. Il est même prévu de créer des formes live de concerts et des émissions de radio pour attirer ce public si volatile. « Le jour où il y a un de ces jeunes qui dit à ses parents : « venez, on va dimanche à la conférence », c’est gagné », confie Nadia Champesme. 

Les fondamentaux des Rencontres sont, évidemment, conservés : des conférences à la programmation culturelle le soir en passant par Averroès Junior. L’esprit aussi reste. Et à Thierry Fabre de le résumer ainsi : « On se grandit à partir de belles rencontres. »

Liza Cossard & Garis Gentet

RENCONTRES D’AVERROÈS : « Le poète est l’infini conservateur du visage des vivants »

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René Char © CC

Zébuline. « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience », disait René Char. Est-ce que cette phrase pourrait résumer sa pensée poétique et politique ?

Olivier Belin. C’est vrai que c’est une phrase très significative. Je dirais que l’œuvre de Char  est située au cœur des grands enjeux du XXe siècle parce qu’il a connu les mouvements d’avant-gardes comme le surréalisme, évidemment la Seconde Guerre mondiale dans laquelle il a combattu en tant que résistant. Il s’est affronté à la question du totalitarisme. Il est aussi précurseur dans les combats écologiques car il a pris très tôt conscience de la fragilité des milieux dans lesquels nous vivons. Sa poésie est une volonté de résister à toutes les formes d’obscurantisme et de toujours affirmer la vie. Il a cette phrase qui le résume bien : « le poète est l’infini conservateur du visage des vivants ».

« Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la  Beauté»

René Char

Vous avez écrit « l’actualité tragique de l’histoire rend insupportable toutemanifestation littéraire et impose le silence au poète » ; Pourtant Char n’a jamais cessé d’écrire,n’est-ce pas un peu contradictoire?

Effectivement, lorsqu’il s’engage dans le maquis, il ne cessera pas d’écrire. En réalité, il écrira   des poèmes, en particulier le recueil Seul demeure paru en 1945. C’est un recueil qui, par certains aspects, est un peu testamentaire. Il veut élever un monument à la poésie au cas  où il viendrait à mourir. Au début des années 1940, il hésite encore à publier mais va peu à peu   renoncer parce qu’il faut, premièrement, passer la censure de Vichy et il ne veut surtout pas faire ça. Il ne veut pas non plus écrire dans les revues de la Résistance parce qu’il ne se reconnaît pas dans la poésie qui s’y publie. C’est là qu’intervient son silence. Finalement, la période est tellement ignoble qu’il se dit que seul le combat compte et que s’il doit publier, ce  sera une fois libéré. Une fois que la parole sera véritablement libre.

« Obéissez à vos porcs qui existent, je me soumets à mes dieux qui n’existent pas ».

René Char

Est-ce une forme de résistance, pour lui, que d’avoir voulu s’affranchir de l’image de  « poète résistant » et de la légitimité qu’elle confère?

Quand il publie ses recueils, Seul demeure en 1945 et Feuillets d’Hypnos en 1946, il ne veut  pas apparaître comme un poète de la Résistance de la même manière que Louis Aragon ou Paul Éluard.  De fait, c’est un poète résistant, il appartient à la Résistance. Cela lui donne une légitimité et un écho qui va le faire connaître. Mais il dira qu’avec Feuilletsd’Hypnosil n’a pas voulu faire un  papier du type cocardier, patriotique ou même résistant. Il ne veut pas non plus d’une poésie  qui soit trop versifiée comme Aragon. Il a donc une forme de résistance à être assimilé à la Résistance. Pour lui, la poésie est résistance dans tous les  temps, dans tous les lieux, dans toutes les périodes historiques.

LAURY CAPLAT ET RENAUD GUISSANI

AU PROGRAMME
Le 17 novembre à 20h30 au théâtre de La Criée, l’actrice Anne Alvaro fera vivre l’expérience de sa lecture singulière du poète. En hommage à René Char, elle portera la voix et la volonté d’une liberté. Celle pour laquelle René Char, par les armes comme par les mots, s’est battu tout au long de sa vie. De sa résistance « en vers » et contre tout, la poésie de Char dit la division et l’indicible, à travers des lignes où la guerre et l’horreur sont choses fragiles. Quelle place pour la poésie en temps de résistance ? Retour sur l’histoire du  poète.