vendredi 18 avril 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 224

À Gap, la culture à l’air libre 

0
Burning Scarlett © Yassine Lemonnier

Chaque premier week-end de juin, la scène nationale de La Passerelle sort de ses gonds avec le festival Tous dehors (enfin !). En 10 ans, le festival s’est assis comme un rendez-vous incontournable de l’espace public à échelle de la région Sud, cultivant ses singularités : une programmation exigeante et populaire, une appétence pour les fantaisies paysagères, et désormais des coproductions. L’intérêt que nourrit Philippe Ariagno, son directeur, pour la création hors les murs, s’exprime aussi tout au long de la saison, notamment via le dispositif Curieux de nature, qui offre aux artistes un terrain de jeu dans les Hautes-Alpes environnantes. Durant le festival, c’est le Domaine de Charance qui est investi, cette année avec une balade magique à arpenter à la lampe torche, le soir venu. Dans les rues de Gap et au coeur de son verdoyant parc de la Pépinière, place à un soulèvement poétique d’envergure, la reconstitution live d’un film de haute montagne, du cirque et des parades nuptiales, mais aussi des micro conférences irrésistibles sur le grand tout et surtout le petit rien… Allez ouste, tous dehors ! 

Zébuline. Comment s’aborde cette date anniversaire ? 

Philippe Ariagno. Le festival arrive à sa phase adulte, avec un succès public au rendez-vous. Cette première grande ligne droite a été accomplie brillamment, on ne peut que s’en féliciter ! Mais l’avenir n’est pas aisé à imaginer : c’est une sacrée lutte d’organiser un festival des arts de la rue sans recettes, une gageure de maintenir des propositions gratuites. Il devient vraiment compliqué de continuer à imaginer une saison et un festival de cette ampleur avec des moyens qui stagnent. Or, un festival rural et de montagne, dans une région essentiellement dotée culturellement sur son littoral, ce n’est pas anodin ! Les spectateurs affluent désormais de tous les départements voisins : Bouches-du-Rhône, Drôme, Isère, Savoie… Mais je ne regrette pas d’être sorti de mes murs, le festival s’est installé dans les esprits et sur le territoire, c’est une belle récompense. Depuis deux ans, nous programmons aussi des créations de spectacles que nous co-produisons, dont certains ont été accueillis en résidence : cette année, La Méandre, Le Thyase et Micro Focus. Je vais essayer de le faire systématiquement chaque année, au moins sur une création. 

Quels sont les temps forts de cette édition ? 

La Méandre constitue la grande forme fédératrice : un ciné concert grand format, dont les spectateurs peuvent arpenter les décors ! En piste, deux musiciens et un dessinateur – Arthur Delaval, qui proposait sa petite forme Avion papier en 2019. Nous accueillons aussi des compagnies locales : dans le Domaine de Charance, Micro Focus propose une excursion nocturne sensitive et magique, tandis que la compagnie Erdo pose son adaptation des Liaisons dangereuses sur un terrain de sport. Parmi les autres propositions croustillantes : Mythogénie, la création de Maëlle Malys, qui avait présenté en 2021 Les leçons impertinentes de Zou. Cette nouvelle forme de « théâtre imprévisible » explore un registre totalement différent ! Ou encore Taroo de la Compagnie Zid : une petite forme de théâtre quasi invisible qui oscille entre parkour et acrobaties, dans lequel l’artiste franco-marocain Saïd Mouhssine endosse le bleu de travail du balayeur, à qui on demande de laisser la place ! Xavier Machault, leader du groupe Pelouse, propose pour sa part le savoureux entresort Only you : une chanson d’amour chantée droit dans les yeux d’un seul spectateur, en tête à tête dans une boîte ! Cette année, nous tenons aussi une guinguette, autour du kiosque du parc de la Pépinière.

JULIE BORDENAVE

Tous dehors (enfin !)
Du 2 au 4 juin
Divers lieux, Gap
theatre-la-passerelle.eu

Voir les enfermés

0
Vis A Vis, Projet Baumettes © DR

Le monde carcéral et les artistes qui ont eu l’occasion d’y travailler le savent : être acteur, pour des détenus, est une expérience irremplaçable qui les rend à nouveau visibles et, certains le disent, « vivants ». Olivier Py à Avignon, Joël Pommerat à Arles, mais aussi les compagnies Sur le Fil ou Lieux Fictifs ont, dans la région, porté des projets remarquables mais Valérie Dassonville, directrice et créatrice du festival Vis-à-Vis en Île de France, en explique la spécificité : il s’agit de créer des spectacles et des films dans tous les établissements pénitentiaires de la région Sud et de la Corse, du centre pénitentiaire de Borgo à la maison centrale d’Arles, réservée aux longues peines. Et de les montrer en public au théâtre, dans le cadre sublime de Châteauvallon, comme d’autres créations théâtrales. Avec billetterie et réservation (5 euros).

Encadrés par des metteurs en scène, réalisateurs ou chorégraphes professionnels, les détenus proposent des œuvres d’une grande ambition, qu’ils ont écrites ou adaptées.

Ainsi le 31 mai le centre pénitentiaire de Borgo accompagné par la Cie Premier acte s’interroge sur la culpabilité du loup dans les contes, tandis que la maison centrale d’Arles parle d’une tempête qui a emporté les visages. 

Évasion sensible

Le 1er juin les femmes des Baumettes montent sur scène pour partager leurs histoires en musique, accompagnées par les musiciennes et comédiennes du Fitorio théâtre, puis les détenus de la maison d’arrêt de Digne-les-Bains jouent une adaptation du roman d’André Chédid, L’autre, ou l’histoire d’un sauvetage après un tremblement de terre (Cie Totem) ; la soirée se conclut par la projection d’un film où les détenus de Gap et de Digne-les-Bains s’expriment sur leur sentiment d’exister.

Le 2 juin, la maison d’arrêt de Draguignan livre ses slams et ses danses hip-hop, improvisations travaillées et encadrées par le Théâtre du Lézard ; enfin la maison d’arrêt de Nice, accompagnée par la Compagnie Humaine, présentera une création sonore et chorégraphique qui veut rendre sensible, par les corps et les sons, les vécus personnels. 

Autant d’incursions vers des univers qui permettent aux détenus d’échapper au réel carcéral, de s’évader en esprit. Et aux spectateurs d’approcher de la réalité sensible de l’enfermement.

AGNÈS FRESCHEL

Vis-à-Vis
Du 31 mai au 2 juin
Divers lieux, Région Sud et Corse
chateauvallon-liberte.fr

La révolution douce des couleurs

0
Ma couleur preferee © Arnaud Bertereau

David Bobée, actuel directeur du Centre dramatique national de Lille, est cofondateur du collectif Décoloniser les arts et a toujours veillé à la visibilité des personnes racisées sur les scènes de théâtre. Aussi, quand il annonce la création, avec son complice Ronan Chéneau à l’écriture, d’un spectacle intitulé Ma couleur préférée, on sait que son spectacle sera politique. Et qu’il aura du sens a une époque où l’extrême droite et le racisme sont de plus en plus ancrés dans une part importante de la population.

L’énergie, la générosité et la beauté de Ma couleur préférée font visiblement sauter tous les verrous. Le public, populaire, de tous les âges, applaudit debout et crie son enthousiasme, parfois bruyamment pendant le spectacle. Comment en serait-il autrement ? 

Bousculer les préjugés

Grâce aux vidéos projetées et au décor qui déplie habilement ses pop-up, l’expérience sensorielle vécue par le public est stupéfiante. Par tous les publics, puisque la représentation était adaptée en langue des signes française, avec une intégration inédite de la traductrice sur scène, comme un personnage muet mais très dansant. Les trois acteurs Steven Lohick Madiele NgondoShade Hardy Garvey Moungondo et Orlande Nataeli Zola, d’origine congolaise, passent du gris pollué de Paris au blanc de la lune, et surtout aux décors merveilleux empruntés à van Gogh ou Klein, aux Voyelles de Rimbaud, aux matières pures, aux couleurs déclinées. 

Ils dansent, bougent, chantent, jouent, avec enthousiasme, et bousculent sans insistance les préjugés liés aux couleurs : le bleu indigo était produit par des esclaves, le rose était pour les grecs une couleur plutôt virile, le jaune, couleur des gilets et des cocus, était la cœur de la noblesse romaine, le rouge, couleur de la révolution, fait véritablement accélérer les battements du cœur et des paupières, le vert dit aujourd’hui nos inquiétudes pour la vie future… On apprend, on admire, mais on entend aussi que préférer une couleur, loin d’être un choix subjectif, est une construction historique et sociétale. 

Au terme de ce voyage, on atteint le noir. La peur du noir, la négativité, les monstres fantasmés. Très légèrement la couleur de peau des acteurs est évoquée.  C’est alors que la conclusion surgit, aux couleurs de l’arc en ciel, des LGBTQIA+ mais aussi des préférences de tous, et de l’égalité. Vécue en musique, en danse et en enthousiasme !

AGNÈS FRESCHEL

Ma couleur préférée
Du 5 au 7 décembre
La Criée, théâtre national de Marseille

Tous Les Printemps du Monde

0
Gashca Orkestar © TheatreDuLezard

On ne présente plus Le Chantier, le centre de création dédié aux nouvelles musiques traditionnelles et musiques dites du monde, situé à Correns, premier village bio de France, dans cette partie centrale du Var que l’on nomme Provence verte. On ne présente pas davantage Les Printemps du Monde, anciennement Joutes musicales, son festival « vitrine » qui donne à voir, entendre et comprendre non seulement les actions menées localement tout au long de l’année mais également le pouls du monde à travers ses artistes, musicien·nes, poètes, danseur·euses… Et leur soif de rencontres, de croisements culturels, leurs messages de résistance et d’espoir, de nous permettre de porter un regard apaisant et apaisé sur la planète. Cette 28e édition ne fait pas exception, levant le voile sur des projets qui nous mèneront des pays d’Oc aux rives du Nil, du Brésil aux Balkans, de la Perse à l’Irlande, des tavernes grecques aux pistes de danse africaine…

Voyages musicaux

Commençons par ce qui pourrait faire figure de tête d’affiche, Les Égarés, ou la réunion de quatre pointures musicales qui transcendent les esthétiques (27 mai). À l’initiative de cette aventure, Vincent Ségal, improvisateur réputé pour son appétence pour les collaborations. Le violoncelliste a formé un quatuor lumineux en invitant son complice depuis plusieurs années, le joueur de kora malien Ballaké Cissoko, le saxophoniste Émilien Parisien et l’accordéoniste star Vincent Peirani, les deux derniers partageant eux aussi de nombreuses scènes jazz. Une conversation libérée des genres, dont le cours varie au gré des cordes et du vent. En prélude puis en épilogue, la chanteuse percussionniste Leila Négrau nous entraîne sur les rythmes de l’océan Indien. D’abord avec Ek marmaille, une création sous influence du maloya issue d’ateliers avec cent élèves des écoles de Garéoult et Tourves. En dernière partie de soirée, elle offre la primeur de son nouveau répertoire, façonné par un séjour à La Réunion.  

Ils sont également quatre et portent un patronyme enchanteur : le Quartet Chemirani (28 mai) présente Hâl, le voyage amoureux. Keyvan (zarb, percussions, santur), Bijan (zarb, percussions, luth saz) et Maryam Chemirani (chant), rejoints par Sylvain Barou (flûtes celtiques, bansouri, duduk, neyanban), offrent un programme à la croisée des musiques iraniennes, indiennes et irlandaises sur des poèmes chantés en anglais et persan. Changement de continent avec une incursion parmi les musiques populaires brésiliennes à travers un hommage aux grands compositeurs de ce pays orchestré par Cristiano Nascimento et Wim Welker (27 mai). La libération des corps viendra compléter celle de l’esprit avec deux bals. Le premier aux accents occitans avec Castanha é Vinovèl (26 mai, La Fraternelle), le second sous la houlette de Jocelyn Balu & Borumba pour transpirer au rythme de la rumba congolaise (28 mai). Trobar, tarab, taraf et rebetiko viennent étoffer le programme. Et quel programme !

LUDOVIC TOMAS

Les Printemps du Monde
Du 26 au 28 mai
Divers lieux, Correns
le-chantier.com

Jazz in Arles tisse le monde

0

Pour trois soirées l’exposition Combas et Parant cède sa place au jazz, avant de quitter définitivement les murs pour les récitals classiques et les lectures de juin. Comédiens, musiciens et plasticiens se succèdent dans cette chapelle exceptionnelle qui jouxte les éditions Actes Sud. Un lieu où l’histoire immémoriale arlésienne s’adoucit d’intimité, et d’une très belle acoustique. 

Le jeudi 25 mai, après un set du Néo Clerc Trio (accordéon, contrebasse, batterie), place au duo Mathilde & Salomon, pour un répertoire qui mêle des chansons des années 1970 des rives sud et orientales de la Méditerranée. Chansons d’amour, chansons politiques, de libération. Le piano lancinant d’Alexandre Saada (piano) les mélismes et orientalismes susurrés de Clotilde Rullaud (voix) tissent un jazz oriental très contemporain, et très personnel… 

Carnet de notes

Le vendredi 26 mai : Tissé, c’est le titre de l’album de Marion Rampal. L’art de la chanteuse, un des très grands talents jazz de notre région, repose depuis le début de sa carrière sur sa voix grave qui sait monter, et des métissages assumés, cajun, africains, méditerranéens. Elle chante en français, accompagnée au millimètre attentif par son trio (guitare, contrebasse, percussions), des chansons personnelles qui semblent ouvrir les parties du monde. 

Le samedi 27 mai : Yaron Herman tisse lui ses idées musicales. Le pianiste compositeur star s’adonne à l’improvisation comme on respire : il suffit de le mettre au piano semble-t-il, et toutes les « petites idées » qu’il a notées et développées dans son carnet ou au bout de ses doigts prennent vie, contraste, souffle. Souvent émouvantes, parfois un peu ennuyeuses, ses longues plages improvisées sont clairement étonnantes… et toujours inédites !

AGNÈS FRESCHEL

Jazz in Arles
Du 25 au 27 mai
Chapelle du Méjan, Arles
lemejan.com

Échappée pianistique au Conservatoire Darius Milhaud

0
© X-D.R.

Donné dès la fin du mois de juillet depuis de nombreuses années, le festival des Nuits Pianistiques propose désormais également des temps forts en dehors de sa faste période, accompagné, chose saluable, d’échanges avec le public. Le bord de scène donné après le concert a permis notamment à de jeunes concertistes et possibles recrues d’échanger autour du concert, des œuvres choisies, et de maintes autres questions liées au métier et surtout à l’instrument. Après Mathis Catignol en décembre dernier et une soirée de musique de chambre en mars, c’est finalement le fondateur du festival Michel Bourdoncle qui s’est attelé à l’exercice, avec un programme particulièrement ambitieux, dont il a su faire entendre les différentes facettes avec aisance et générosité. Les morceaux de bravoure techniques s’y enchaînaient : la très casse-gueule Vallée d’Obermann de Franz Liszt, pleine de désespoir et chantante sur la moindre de ses échappées thématiques. L’échevelée version pour piano solo de la Rhapsodie in Blue de Gershwin, dansante et enjouée à souhait. La poésie des Intermezzi opus 118 de Brahms, la mélancolie des Nocturnes de Chopin choisis sur le volet, l’étrangeté et la densité de la Sonate n°7 de Prokofiev … Rien ne fut laissé au hasard, jusqu’au choix d’intentions et d’intensités jumelles sur les pages, plus impressionnistes, et modales, de Debussy, Déodat de Séverac ou encore du Yan quan san die écrit par un compositeur anonyme chinois. De quoi se souvenir que le musicien, programmateur chevronné, pédagogue à l’initiative de nombreuses masterclasses, demeure un concertiste hors pair. Et attendre de pied ferme l’alléchante programmation estivale qui s’annonce !

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 5 mai, au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence

Avec les Voyageurs

0
Magorzata Mirga-Tas, Out of Egypt, Pologne 2021. Textiles 230 x 277cm, inv. 2021241. Mucem © Marianne Kuhn/Mucem

Barvalo : en langue romani, le mot signifie « riche ». Matériellement, certes, mais aussi culturellement, voire spirituellement. Il prend également le sens de « fier » dans de nombreux dialectes romanis contemporains, d’après le comité d’experts de la nouvelle exposition du Mucem. Et c’est exactement le sentiment qu’éprouve le visiteur, lorsqu’il émerge, légèrement ébouriffé, de ce parcours empreint d’une vitalité détonante. Deux cents œuvres et documents, issus des fonds du musée, étoffés par une recherche-collecte conséquente, complétés par les prêts de nombreuses institutions à travers l’Europe, cela ne s’avale pas en trois-quarts d’heure. Prévoyez une demi-journée pour rendre honneur au fruit du travail, sept ans durant, de ses concepteurs.

Pas de représentation sans représentés

Dans le sillage de l’exposition VIH/Sida, qui avait marqué les esprits en 2021, la méthode muséale s’est faite collaborative, faisant appel à la participation des personnes concernées. « Trop souvent, ceux qui étaient représentés étaient exclus du processus de représentation, explique Jonah Steinberg, co-commissaire de Barvalo avec Julia Ferloni et Anna Mirga-Kruszelnicka. On a voulu réparer cela. » C’est ainsi que le processus de création a été développé avec l’Eriac (European institute for arts and culture), organisation transnationale œuvrant pour la reconnaissance de la culture et des arts romanis. Une équipe de 19 femmes et hommes, Roms, Sinti, Manouches, Gitans ou Voyageurs ont contribué à l’entreprise.
Et le résultat est là. La scénographie est faite pour impliquer émotionnellement le public, invité à suivre quatre « guides », vraies personnes issues de communautés romanis, dont le propos filmé ponctue le parcours. Il s’agit de faire éprouver la force nécessaire pour faire face aux stéréotypes pesant sur les gens du voyage depuis leur arrivée sur le continent européen, après avoir quitté l’Inde, il y a plus de sept siècles. Dès l’entrée, un bel arbre réalisé par une plasticienne, Marina Rosselle, symbolise ce qui unit les différentes populations romanis, de l’Atlantique à la mer Noire : leur langue. Des racines communes jusqu’à un bourgeonnement contemporain éclatant, représenté par les mots de la poétesse Papusza (1908-1987) inscrits sur ses feuilles.
Le choix des œuvres met en évidence la fascination/répulsion dont le mode de vie nomade a fait l’objet dans les pays de culture sédentaire où les roulottes des « Bohémiens » circulaient. D’une petite estampe sur papier, L’Oriental et sa femme, signée Albrecht Dürer en 1496, au détournement, par l’étoile montante de l’art contemporain Małgorzata Mirga-Tas, de celles d’un peintre et graveur français, Jacques Callot (1592-1635), empreintes de stéréotypes. Son patchwork monumental, Out of Egypt, a été acquis à raison par le Mucem : cousu à partir de tissus récupérés auprès de familles Roms, il représente en féérie le cliché du peuple voyageur, trop souvent dépeint comme voleur de poules ou d’enfants.

Retourner les préjugés

L’humour est un moyen efficace de se révolter contre l’ostracisme, mais il est rare que les cimaises lui fassent une place importante. Ce n’est pas le cas de Barvalo : l’un des clous de l’exposition est le Musée du Gadjo conçu spécifiquement par Gabi Jimenez. Une pièce dédiée à l’évolution de l’ « Homo Gadjo », des origines à nos jours, calquée sur les préjugés des musées d’ethnographie du XXe siècle, en les renversant. On y trouve par exemple des boules de pétanques préhistoriques, une figurine de Rahan (blond, bien-sûr), et l’on y apprend que vers 7 520 avant notre ère, il se sédentarise, substitue l’échange monétaire au troc, pour acquérir des biens (nourriture, armes, partenaires sexuels, territoires…), devenant ainsi radin, misogyne et capitaliste.
Indéniablement, la grande réussite du propos, à mettre au crédit d’un musée de société tel que le Mucem, est l’accent mis sur l’histoire. Les peuples romanis ont subi siècle après siècle des persécutions, qui ont culminé avec l’Holocauste. Samudaripen, le « meurtre de tous » commis par les nazis, entraîna la disparition quasi-totale des communautés dans certains pays sous leur coupe. Une carte pointe les camps d’extermination (un demi-million de disparus, selon les estimations des historiens) et la trentaine de camps d’internement de gens du voyage disséminés sur le seul territoire français. Leur engagement dans la Résistance est souligné, à travers notamment le récit de Sylvie Debart, dont le grand-père s’engagea. Une capacité de contestation face à l’oppresseur qui se poursuit aujourd’hui : en témoigne une grande banderole rouge, réalisée par des femmes vivant sur une aire d’accueil insalubre, exposée aux pires pollutions industrielles, comme c’est bien trop souvent le cas : « On bouffe de la poussière, nos poumons sont du béton ».
Pour prolonger et approfondir l’effet de la visite, le catalogue de l’exposition est à recommander. Bilingue français / romani, il explicite chaque angle de ce travail collectif, sa méthodologie, met en lumière le détail des œuvres, et permet d’emporter chez soi un peu de Barvalo.

GAËLLE CLOAREC

Barvalo
Jusqu’au 4 septembre
Mucem, Marseille
04 84 35 13 13
mucem.org
À lire
Barvalo Roms, Sinti, Gitans, Manouches, Voyageurs...
Coordonné par Françoise Dallemagne, Julia Ferloni, Alina Maggiore, Anna Mirga-Kruszelnicka, Jonah Steinberg
Éditions Mucem/Anamosa, 35 €

Le Calms à la rescousse

0
SOS Mediterranee / Medescins sans frontieres; Search and Rescue Operation mediterranean sea offshore the libyan coast; MV Aquarius; January 2018;

Il aura fallu un certain temps pour que germe le projet Sans frontières fixes. Élaboré à un partir du recueil de poèmes de Jean-Pierre Siméon, destiné au jeune public, la pièce composée par le marseillais Lionel Ginoux visait elle aussi cette « clarté précieuse, sans fard »qui a tant touché Mikhael Piccone. Dès les débuts de son association, à forte ambition humanitaire, monter ce cycle de mélodies demeure une de ses préoccupations principales. Motivation qui se heurte à des restrictions repoussant le projet. Celui-ci « demeure, malheureusement plus que jamais, d’une terrible actualité. La thématique de l’exil est au cœur des préoccupations du Calms, que nous avions fondé suite aux effondrements de la rue d’Aubagne. Lorsque nous nous y sommes intéressés de plus près, contacter SOS Méditerranée semblait aller de soi : cette association marseillaise, qui sauve tant de vies, était à mon sens indispensable pour créer un spectacle autour de ce cycle de mélodies. Ce spectacle pouvait, grâce à cette association, parler de façon juste et documentée non seulement des personnes qui traversent la Méditerranée, mais aussi de celles qui vont à leur secours et les recueillent. » 

Poésie, musique et danse

Les récits récoltés à bord de ces bateaux ont nourri la dramaturgie de ce spectacle, pensé par le baryton. S’alterneront sur scène les textes recueillis, interprétés par le comédien Corentin Cuvelier, et les poésies mises en musique par Lionel Ginoux et chantées par Mikhael Piccone. Ce dialogue entre les arts s’enrichira par ailleurs des chorégraphies conçues par David Llari sur les musiques composées par Lionel Ginoux pour la pianiste Marion Liotard et la violoncelliste Marine Rodallec.« C’est un spectacle hybride entre chant, danse, musique instrumentale… Mais aussi du point de vue de la parole, qui sera à la fois littéraire, poétique, mais aussi portée par la force brute du témoignage. La danse est souvent là pour prendre le relais quand le récit devient trop dur. »Les danseurs sollicités sont « tous, de près ou de loin, concernés par cette histoire douloureuse de migration contrainte. Thomas Barbarisi, Mélanie Ramirez, Samy Mendy… et surtout Doumbouya Talaouri, que nous avons rencontré via la Cimade. Il était important, pour nous, de leur donner la parole. » 

SUZANNE CANESSA

Sans frontières fixes
26 mai 
Théâtre Toursky, Marseille

« Faire tomber la littérature de son piédestal »

0
Nadia Champesme et Fabienne Pavia ©Frédéric Lecloux

Zébuline. Nadia Champesme et Fabienne Pavia, vous êtes à la tête de ce grand rendez-vous. Quel a été votre parcours ?

Nadia Champesme. Formée dans les métiers du livre, j’ai ouvert ma librairie Histoire de l’oeil en 2005.

Fabienne Pavia. Je suis autodidacte. J’ai créé les Éditions Le bec en l’air en 1999 à Manosque, en même temps que naissaient les Correspondances. Très vite, on a publié des livres sur la photographie, en rapport avec des textes. Cela est en rapport avec ce que l’on fait dans le festival, ce côté hybride et mélangé auquel on tient. 

Comment est née votre collaboration ?

F.P. Il se trouve que la Ville de Marseille a mis en place un audit pour analyser la triste situation du livre à Marseille, les initiatives précédentes n’ayant pas vraiment réussi. Notre projet a été accepté.

Quelles formes a pris ce projet ?

F.P : Il fallait mettre en place une vraie politique du livre et non seulement un événement annuel, structurer les bibliothèques, les centres sociaux. Pour cela il fallait des moyens ; la Région, la Drac, puis des fondations se sont associées. On a réuni les Rencontres d’Averroès et le festival. De ce fait, les deux structures se complètent : sciences humaines à l’automne et littérature au printemps, avec une programmation attirante.

Quelle est la composition de l’équipe ?

F.P. et N.C. Nous sommes huit à l’année, dont quatre qui se consacrent à l’action culturelle auprès des établissements scolaires pour plusieurs séances dans chaque établissement sur l’année. Nous sommes en lien avec le Rectorat pour le choix des établissements avec la volonté de toucher tous les publics dont les publics empêchés.

Comment expliquez-vous la belle réussite de cette opération ?

F.P. et N.C. D’abord par les relations avec le territoire : Mucem, Drac, Conservatoire, CIPM. Puis le mélange des horizons, le brassage des genres et le travail sur le terrain à l’année. Et on ne reste pas dans l’actu, on parle aussi de livres moins récents et d’auteurs décédés comme cette année avec Calvino et Pessoa.

Ces expériences ont-elles changé votre regard sur le rôle de la littérature auprès des publics ?

F.P. Cette expérience achève de me convaincre que le livre peut toucher au-delà d’un public d’érudits lorsqu’on l’accompagne de manière généreuse pour faire tomber la littérature de son piédestal. Et s’intéresser aux préoccupations quotidiennes, aux thèmes qui secouent notre société. 

CHRIS BOURGUE

Oh les beaux jours ! 
Du 24 au 29 mai
Divers lieux, Marseille
06 13 76 77 05
ohlesbeauxjours.fr 

« Le train des infinités froides », cosmiques alchimies

0
Le train des infinités froides de Bruno Geneste © Plaine Page

Tout juste édité aux éditions Plaine Page, le dernier opus de Bruno GenesteLe train des infinités froides, nous entraîne dans un irrésistible road trip poétique. Le rythme des mots posés de manière lapidaire sur la page, traçant leur chemin « sans fin ». Les illustrations en noir et blanc de Loran Jacob, semées au fil de l’ouvrage, rendent la vitesse du mouvement, se concentrant sur l’idée des roues, et aboutissent au symbole de l’infini. Quel voyage ! On place nos pieds dans les pas de Jack Kerouac auquel le poète a consacré un livre, La route selon Kerouac : « il fallait prendre la route pour quelque chose de plus grand que soi, fouler l’asphalte, s’agripper à ses sinuosités, ses courbes, mirages et formes criblées de hasard ». 

Miroir brisé

Cet art poétique se décline ici, rejoint la Nadja de Breton et ses errances qui la mènent à une gare qui peut-être n’existe pas, effleure les principes de l’absurde, multiplie les miroirs et les transparences jusqu’à l’effacement qui fait du train lui-même « un mirage ». L’observation concrète du voyage avec les visages qui se reflètent dans les vitres du train conduit insensiblement à une parabole de la condition humaine, emportée dans le flux incessant d’une course haletante et infinie. Parfois le miroir se brise, ses éclats multiplient les échos, les mots se répondent en une répétition incantatoire qui tisse solidement la toile du poème. Les couleurs peu à peu se dessinent, le rouge vient éclairer un univers en noir et blanc, puis les « bleuîtés du sang des voies » qui deviendra celui des mots. L’être tout entier se révèle dans ce mouvement au point de devenir ce train lui-même : « et tu roules/ sous la braise d’horizon / dans l’embrasement des astres » … 

Une cosmogonie se déploie, mêle les éléments, revient sur « Terraqué », cet assemblage de terre et d’eau originel qui est aussi un hommage à la Bretagne et au poète Guillevic, puis repart vers les fondations avec le « grand dragon rouge et la femme vêtue de soleil » de William Blake avant de se colorer des accents de Johnny Lee Hooker ou de Bob Dylan et son Highway 61 (titre du sixième album du prix Nobel, qui évoque l’autoroute entre la New Orleans et le Canada). En cinq textes aux subtiles fulgurances le mythe s’installe, prend des nuances chamaniques, esquisse des gestes d’alchimistes et transmutent la matière. Le langage devient l’or pur d’une pensée arcboutée à la matière, entre les « palpitations invisibles » et le « réel » où se « (griffent) les contours ». Chaque lecture de ce texte dévoile une nouvelle strate. Somptueux ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Le train des infinités froides, de Bruno Geneste

Éditions Plaine Page – 10 €

Ce livre a été présenté lors de la quinzième édition des Eauditives