mercredi 24 décembre 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
cliquez sur l'image pour faire un donspot_img
Accueil Blog Page 224

Ça cartonne !

0
© Fabienne Rappeneau

Les gros patinent bien est un titre en forme de clin d’œil au Théâtre du Rond-Point à Paris, qui fut une patinoire avant d’être transformée en théâtre. C’est Jean-Michel Ribbes, alors directeur de ce théâtre, qui a proposé au duo formé par Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan de participer en septembre 2020 au petit festival en plein air gratuit qu’il organisait, « Le Rond-Point dans le jardin ». Essai transformé en décembre 2021 par la création du spectacle, couronné en mai 2022 par le Molière du Meilleur Spectacle de théâtre public. Depuis, c’est carton plein, des centaines de représentations, sur les scènes des théâtres publics et privés, et c’est loin d’être fini !

Burlesque 

On n’est pas loin de Laurel et Hardy : Pierre Guillois en Stan Laurel, grand échalas muet s’agitant dans tous les sens pour répondre à temps aux injonctions du déroulement du spectacle, et à la mécanique du burlesque. Olivier Martin-Salvan en Olivier Hardy, rondelet, braillard et hautain, statique, assis tout du long sur un trône dérisoire, tabouret sommaire dessiné au feutre sur un cube de carton. Dispositif depuis lequel ils vont partager avec le public une odyssée déjantée et poétique. Ce qui est déjanté, c’est le récit : road-movie délirant, à la poursuite d’une sirène amoureuse, partant de Norvège jusqu’à l’Espagne, en patins à glace, avion, bateau, trottinette, vélo, baudet. Ce qui est « poétique », et bluffant, c’est la capacité à produire cette « épopée » avec de simples mots écrits au feutre sur des bouts de carton. Certes, on peut en écrire et en faire des choses sur et avec le carton : découpages de tout acabit, volumes de tous formats. Mais à ce point -là ! Signalons que l’équipe comprend une ingénieure carton : Charlotte Rodière. Pierre Guillois excelle en gestuelles, chorégraphies, et mimiques tordantes pour planter les différents décors, du haut du ciel jusqu’au fond de l’océan, représenter la multitude de créatures qui lui sont assignées (sirène, marmotte, tour de contrôle, Helmut, macareux, chamois, …). Quant à Olivier Martin-Salvan, il se déchaine, depuis son trône-tabouret et son gromelot d’anglais vaguement shakespearien, petit roi autocentré à l’arrogance infecte, devant faire face tant bien que mal à des situations délirantes qui le dépassent. Alors rendons-nous à l’évidence : se faire embarquer de la sorte dans leurs délires, alors qu’on était prévenu : chapeau !

M.V.

24 et 25 avril
Théâtre Molière, scène nationale archipel de Thau, Sète
26 et 27 avril
Scène de Bayssan, Béziers

Lancement de la saison touristique : du sport avant toute chose ? 

0
De gauche à droite. Maxime Tissot, Laurent Lhardit et Marc Thépot pendant la conférence de presse au Café Joyeux

Pour la saison 2024, l’une des préoccupations principales de l’Office de Tourisme de la Ville de Marseille concerne la durabilité de l’activité économique. « 40% de l’impact sur l’environnement provient du mode de transport que le touriste utilise pour venir », indique à ce titre le président de l’Office Laurent Lhardit. Pour minimiser cette pollution, des pactes avec la SNCF seraient envisagés. De plus, pour l’adjoint en charge du dynamisme économique et de l’emploi, le tourisme durable passe par la considération du « développement touristique comme une politique publique ». Pour le reste, les Jeux olympiques occupent logiquement tous les esprits, Marseille en étant une des principales villes hôtes. Les questions au sujet de l’arrivée du Belem avec la flamme olympique, de l’accueil des touristes, du nombre de chambres et de lits disponibles (9000 chambres et 36000 lits) ainsi que les potentielles conditions à remplir par les commerçants sont posées.  

Et la culture ? 

Avant l’été il y aura l’ouverture de la Citadelle, prévue pour le 4 mai, qui annonce de nombreux concerts, visites théâtralisées et escape games à l’année. En été, les traditionnels Jazz des Cinq Continents, l’Eté Marseillais et le Delta Festival rythmeront musicalement la vie de la ville. A noter que le Delta a été déplacé en septembre pour ne pas coïncider avec les dates des Jeux. Or face au constat que la saison touristique s’étale de plus en plus sur l’année, le développement de l’attractivité culturelle hors période estivale devient un enjeu. Le directeur général de l’Office de Tourisme Maxime Tissot et le président délégué Marc Thépot saluent l’efficacité de la communication « Marseille en hiver » qui invite les touristes à découvrir la cité phocéenne en dehors de la haute saison. Cependant ce sont des arguments relatifs aux paysages, et à la gastronomie de Marseille qui sont mis en avant dans cette campagne. Peut-être manque-t-il davantage d’articulation entre le tourisme et les propositions culturelles ?

RENAUD GUISSANI 

La conférence de presse de présentation de la saison touristique par la Ville de Marseille et l’Office de Tourisme s’est tenu au Café Joyeux le 11 avril 

Des cartes et des paysages

0
© M.V.

Les petits morceaux de paysages peints à l’acrylique et à l’encre de Camille Meyer sont disposés sur le mur de gauche, à l’entrée de Fotokino. Petits rectangles de papier aux bords délicatement déchirés, présentés en ensembles de 2, 3, 4, 5, 6,7 sous le titre Petite nature. On lit dans « le Fotokino illustré », brochure disponible gratuitement sur place, que l’illustratrice, diplômée de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg en 2020, souhaite rendre compte, à travers ces peintures, de ses multiples balades, trois années durant, entre campagne, forêt et littoral. Des images peintes sur le motif, prises sur le vif, des instantanés picturaux. Tout à la fois extraits de paysages et de temps, en taches de couleurs profondes, se diffusant dans le grain du papier, naviguant entre figuration et abstraction. Restituant la sensation, malgré les petits formats, d’une immersion totale dans le paysage.

La cartographie par les sens

Une autre immersion dans la salle d’exposition : au sein des cartes géographiques. Une multitude de cartes, de toutes sortes, multiples formats, différentes époques, accrochées aux murs dans tous les sens, disposées au centre de la salle sur des tables ou en accordéon sur des plateaux suspendus, pliées, dépliées. Un foisonnement présenté sous le titre Toute latitude, sous-titré : « La cartographie, c’est du graphisme ». Qui invite donc à regarder la cartographie autrement, en délaissant sa fonction utilitaire, pour se laisser porter par l’esthétique. Qui n’a jamais accroché une carte géographique pour décorer son intérieur domestique ? À la manœuvre, Guillaume Monsaingeon, chercheur, fondateur de l’Oucarpo (ouvroir de cartographie potentielle), version oulipienne de la cartographie, et commissaire d’exposition, notamment de « Mappamundi » à l’Hôtel des Arts de Toulon en 2013, « Le temps de l’île » au Mucem en 2019, « Des marches, démarches » au Frac Paca en 2020. Accompagné pour cette exposition à Fotokino de David Poulard, designer graphique, professeur d’édition imprimée à l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence.

Dans quel état j’erre ?

Profusion de cartes géographiques (c’est la collection personnelle de Guillaume Monsaingeon) mais l’ensemble est néanmoins rigoureusement organisé. En 5 sections : en entrant dans la salle d’exposition, sur le mur de gauche, « Haut en couleurs » (mise en valeur des couleurs des cartes, et des affects qu’elles suscitent). Sur le mur de droite « Des lignes peu alignées » (des lignes de différentes cartes mises en prolongement les unes des autres). Sur le mur du fond à gauche Lettres-images (les multiples façons de « mise en carte » des mots). Et au centre, sur des tables ou des plateaux suspendus, Centres, cercles et autres nombrils (cartes choisissant le centre et le cercle pour représenter les espaces géographiques), et Plis et replis (astuces pour faire tenir des objets géographiques dans des formats contraints, telles des cartes de fleuves, présentées ici en accordéon). Posés sur des tables, de grands albums et des livrets sont mis à disposition, en consultation. 

« La France par la croix de Lorraine »

On s’étonne et on s’amuse des fantaisies graphiques logées dans ces cartes, révélant pour certaines, ayant fait leur temps, des visions politiques de territoires géographiques à la fois consternantes et amusantes : ainsi, dans la section « Lettres-Images », un bout de carte repliée, montrant un bout du littoral de la Côte d’Azur, avec une flèche indiquant « la Corse est à gauche, sous la légende ». Ou encore, une carte de la Corse, au littoral détaillé, mais dont « l’arrière-pays » est barré d’un « Sans informations ». Dans la même section, une carte du Sud-Ouest de la France, « Tracé rapide » de la marque « Tableau-Noir (déposé) », lignes et mots blanc sur fond noir, indiquant par un schéma discret en bas de carte le « canevas général de la France », démontrant que le dessin de la croix de Lorraine structure spatialement l’hexagone. Dans « Centres, cercles et autres nombrils », une carte de l’Europe se propose de montrer comment, à travers de jolies ondes de couleurs, les « civilisations anglaise, française, italienne, germanique, ibérique, hollandaise, musulmane » sont présentes dans les différents pays du continent. Cartes muettes ou fourmillantes d’une profusion de détails, couleurs pétantes ou discrètes, ternes ou lumineuses, cartes démographiques, géologiques, de la direction et de la force des vents, de lieux de pêche du germon au mois de juin, carte du front et de ses environs, etc… , il y a Toute latitude pour aller regarder-arpenter leurs tours et leurs détours jusqu’au 25 mai. 

MARC VOIRY

Petite nature de Camille Meyer 
Toute latitude de Guillaume Monsaingeon et David Poulard
Jusqu’au 25 mai
Fotokino, Marseille

La pulsion hip-hop revient à Aubagne 

0
Festival Impulsion © InYourFace

Le festival Impulsion d’Aubagne qui se désigne comme « le rendez-vous de la culture hip-hop » est de retour pour sa huitième édition. L’angle d’approche est très large, mais à propos, puisque la programmation englobe l’ensemble des disciplines de ce vaste champ du hip-hop. Du 20 au 28 avril les festivaliers auront droit entre autres choses à du cinéma, avec la série de films Entropico entre Marseille, Fort-de-France et La Havane (le 24 avril au cinéma Le Pagnol), à des battles de danse, à des concerts de rap ou encore à de l’open-mic (le 22 avril). Un festival qui se démarque aussi via les quelques « Focus » qu’il s’est attribué, à l’instar de celui contre les Violences et Harcèlements Sexistes et Sexuels (VHSS). Cette sensibilisation passe par la création d’affiches, par le déploiement d’une équipe de psychologues ainsi que par la formation de l’équipe dirigeante à ces sujets. Un focus plus que bienvenu compte tenu de la multiplication des VHSS dans les festivals, y compris de hip-hop, malgré les valeurs égalitaires qu’il entend promouvoir.

© InYourFace

Apprendre en faisant  
Miguel Nosibor, le directeur artistique de la Compagnie En phase, pense « qu’il est nécessaire de proposer au public la possibilité de donner à voir (un spectacle) et de donner à faire (un atelier) » et organise Impulsion dans la même logique. Durand le festival il y aura donc à la fois des moments pour voir et des moments pour faire. Du 22 au 26 avril, de nombreux stages de beatbox, de rap, de breaking, de danse et de popping sont organisés par des spécialistes de ces différents piliers du hip-hop. Les plus petits festivaliers, de 3 à 6 ans, pourront aussi se former aux bases et aux valeurs de la culture hip-hop lors d’un cours d’éveil (le 21 avril). 

RENAUD GUISSANI 

Festival Impulsion
Du 20 au 28 avril
Aubagne

Magie intime

0
© Baptiste Le Quiniou

C’est lors d’un moment de détente que Thierry Collet, qui avait laissé tomber la prestidigitation pour devenir comédien professionnel, a trouvé son chemin artistique. En tournée, après une journée de répétitions, les comédiens de la troupe ayant appris son passé d’illusionniste, lui demandent un tour. Il les bluffe, jouant le magicien maladroit, déconfit, puis triomphant. Il en est ravi. Et sent que l’alliance de ses deux passions, la magie et l’art dramatique, ce sera son truc ! Contribuant ainsi à la reconnaissance de la magie en tant que discipline artistique, accueillie de plus en plus fréquemment sur les scènes du théâtre public.

Miracle
Thierry Collet partage d’autres moments intimes de sa vie dans ce spectacle, créé en 2017. Sa volonté de devenir magicien à l’âge de 7 ans, c’est-à-dire, apprend-t-il plus tard, au même âge que la plupart des magiciens. Le machisme au sein des congrès et compétitions de magie, les achats de tours, sa façon de s’entraîner au close-up, les remarques sur son style aux gestes « efféminés », son homosexualité… Les épisodes sont mêlés à des séquences de prestidigitation, dont il dévoile les trucs avec malice. 

Ou pas, et là on en reste comme deux ronds de flan ! Parmi lesquels « Le barman du diable » où, avec une seule et même canette, il sert à la demande, en se déplaçant parmi les spectateurs, du jus d’orange, du whisky, du thé, du café, du champagne, du porto… encore plus fort que l’eau changée en vin ! Ou la séquence finale : tout en décrivant les multiples poches des costumes des prestidigitateurs pour les tours de cartes, le magicien, bientôt sexagénaire, se déshabille intégralement. Et fait apparaître et disparaître des cartes de nulle part, dans une sorte de danse cérémonielle. Nu comme un enfant venant de naître, réunissant vérité crue et illusion virtuose, fin et origine, comme dans un rêve.

MARC VOIRY

Dans la peau d’un magicien a été présenté du 9 au 13 avril au Théâtre des Bernardines

Prendre le temps

0
© X-DR

Les directeurs de la salle du Petit Duc, Myriam Daups et Gérard Dahan savent repérer les talents ! Rencontré sur un quai de gare,  Max Atger est ensuite entendu au conservatoire d’Aix, lors d’une master classe, puis les directeurs du Petit Duc attendent que le projet du jeune saxophoniste se construise. La sortie de Refuge ne pouvait avoir lieu que chez eux !

Aux côtés de ses complices, Sébastien Lalisse au piano et Pierre-François Maurin à la contrebasse, le saxophoniste déploie un univers en suspension. La soirée débute par le dernier titre de l’album, Un peu de neige : les premiers accords au pian semblent comme fascinés par leurs propres vibrations sonores, avant que d’amples vagues viennent accorder leur houle fluide aux premiers phrasés du saxophone. 

On reste parfois aux frontières entre la respiration humaine et sa métamorphose. Le souffle se matérialise en notes, puis s’enivre de modulations tantôt voilées, tantôt éblouies de clartés nouvelles. On sourit à 5.03, numéro d’une chambre d’hôtel dans lequel les musiciens furent hébergés lors d’une résidence. On se retrouve dans un road-movie, promenade aux scansions entrecoupées qui s’étirent en discours facétieux où naissent des éclats de rire tandis que se dessine un paysage mouvant aux multiples facettes. Une série de tableaux s’ourle de clins d’œil à Thelonious Monk. 

Le saxophone, sotto voce, répond aux méditations du piano et aux accents de la contrebasse. L’inventivité des thèmes s’amuse à de sublimes unissons qui s’ouvrent à de savants tissages à l’apparence improvisée. La musique éclot, libre, vivante. Une histoire sous-tend chaque titre, anecdotes, figures d’êtres aimés… Essentiel est alors le temps de rêver, d’accepter une écriture minimaliste et profonde, d’écouter le monde et ses résonances musicales. Rêveries délicates…

MARYVONNE COLOMBANI

Le 12 avril, Petit Duc, Aix-en-Provence 
Refuge, label Free Monkey Records

18 avril 
Cinéma Le Royal, Toulon

Se (dé)mêler de l’Histoire

0
Poupées persanes © Alejandro Guerrero

Les Poupées persanes nous entraînent dans les méandres de récits enchâssés dans les strates de l’histoire de l’Iran. La dramaturge tisse la trame de son œuvre sur celle du poème de Ferdowsi (Xe siècle) narrant les amours tragiques de Bijan et Manijeh, issus de deux pays ennemis. 

Tout commence par « il était une fois » en langue persane ou farsi. Il était une fois des êtres dans la tourmente politique, qui voulaient changer l’histoire ; il était une fois une histoire qui change mais pas comme ils l’auraient voulu… 

Deux amis de fac rencontrent leur âme-sœur, s’aiment, s’engagent dans la lutte contre le shah, qui, dans les années 70, déconnecté de son peuple, appuie son pouvoir sur la police secrète et la répression. Les deux couples d’étudiants, Bijan et Manijeh, et Haroun et Niloofar, luttent, animés par le rêve d’une révolution apportant la justice… mais c’est l’exil, la mort, les séparations qui les attendent, tandis que se met en place le système liberticide instauré par les captateurs de la révolution, Khomeiny et les sbires de l’état islamique. 

On passe avec fluidité d’une scène à l’autre, d’un pays à l’autre, Iran, France, chambre, station de ski, gare : un accessoire, une démarche, une intonation permettent aux acteurs, d’une poignante justesse, d’endosser plusieurs rôles, brossant une humanité foisonnante dont les secrets peu à peu se dévoilent dans la mise en scène efficace de Régis Vallée. « Qu’avons-nous fait ? » se disent les révolutionnaires devant la dictature qu’ils ont contribué à installer malgré eux. Le temps humain et le temps théâtral se catapultent et éclairent de sens les mécanismes de l’Histoire. 

MARYVONNE COLOMBANI

Les poupées persanes ont été jouées du 9 au 13 avril au Jeu de Paume, Aix-en-Provence 

Negar : la mort à trois

0
Negar © OONM

Tout commence sur la scène de l’Opéra Comédie, où les spectateurs sont invités à devenir foule, assistant aux retrouvailles entre trois amis d’enfance : Shirin, Negar et Aziz, tous les deux sœur et frère. On est à Téhéran en 2013. La date importe peu. La rencontre, oui. Cela fait plus de trente ans qu’ils ne se sont pas revus, la famille de Shirin s’étant exilée en France au moment de la Révolution islamique. Autant dire que cela replonge nos trois protagonistes dans une nostalgie au goût doux-amer qui n’a rien d’une partie de plaisir. Quoique… Dans un pays où la révolution est un mot qui a perdu sa révolte, la jeunesse iranienne tente de conserver en secret le goût de la danse, de la musique et de l’amour. Et pour une femme, tout ceci est bien risqué. Surtout si elle aime une autre femme. Alors que les souvenirs troublent les relations de la fratrie de ses amis d’enfance, une attirance mutuelle rapproche Shirin, enfermée dans les souvenirs de sa terre maternelle, et Negar, musicienne en cage dans un pays où la femme est condamnée au silence. 

Strates mélodiques

Les corps s’enflamment tandis que leur futur part en cendres. Aziz, pris en tenailles entre son amour pour Shirin et son désir de contrôle de sa sœur, les filme en secret. Ce qui va les conduire à leur perte. Depuis le début, Aziz filme tout, c’est une obsession. Pour documenter, témoigner, à défaut de changer les choses. Ce parti-pris audacieux fait de ce théâtre musical, oscillant entre fiction et documentaire, un spectacle en mouvement qui se regarde sur la scène comme sur de grands écrans où se mêlent des images filmées en live et des scènes enregistrées. Le tout dans un clair-obscur qui suggère les émotions et flatte les corps. Dans cet imaginaire cinématographique affiché, la musique de Keyvan Chemirani se fait bande originale aux multiples strates mélodiques, entre orient et occident, grâce à des voix sensibles aux riches tessitures et un bel équilibre entre instruments classiques et traditionnels. Il n’en fallait pas moins pour faire revivre la beauté d’un monde perdu. Celui de l’exil. Et des amours mortes. 

ALICE ROLLAND

Negar a été présenté à l’Opéra Comédie les 5,6, 9 et 10 avril, une programmation de l’Opéra Orchestre National Montpellier

OCCITANIE : Le « je » de la dame 

0
Dissection d'une chute de neige © Geraldine Aresteanu

Une femme est là, devant nos yeux, enfermée dans une cage de verre dans laquelle plane une neige légère comme une plume. Prison ou refuge, difficile à dire. Les portes se verrouillent de l’intérieur et non de l’extérieur tandis que le monde s’y reflète sans pour autant l’atteindre. On sait peu de choses d’elle, mise à part que cette « fille roi » aime les mots, les étoiles et réfléchir. Mais pas se marier, ni enfanter, encore moins faire la guerre. Elle refuse tout en bloc : les exigences du pouvoir comme les règles que la société inflige à son genre. Elle voudrait faire ce qu’elle veut, aimer qui elle veut, homme ou femme (notamment cette Belle qui fait vibrer son corps), comme elle l’entend. On pourrait y voir une belle leçon de féminisme. C’est là que la dissection nous glace. Et nous replonge dans l’Histoire comme dans les combats de notre temps. 

Caligula au féminin

La pièce de Sara Stridsberg est librement inspirée de la vie sulfureuse du mythique « roi » Christine de Suède qui régna de 1632 à 1654. De manière aussi intelligente que poétique, l’auteure suédoise nous donne à voir l’introspection d’une femme qui en prenant le titre de roi ne fait que perpétuer les stéréotypes d’une société patriarcale sans pitié. La mise en scène très réussie de Christophe Rauck renforce la sensation que cette reine d’un autre genre est prise au piège de son propre jeu. Car jamais elle n’en maîtrise les règles. Pas plus que ses pulsions qui la transforment peu à peu en Caligula au féminin, tenté de sombrer dans une folie morbide par idéalisme. Face à elle : un amoureux transi, une amante malmenée, un conseiller qui tient les comptes, une mère devenue folle à force de mépris, un père fantôme… Et un philosophe qui pose les bonnes questions l’air de rien, l’entraînant malgré elle dans une maïeutique socratique salvatrice. Les douleurs traversées finissent par la faire accoucher de son propre destin. Parfois, combattre c’est renoncer. 

ALICE ROLLAND

Dissection d'une chute de neige a été présenté du 3 au 5 avril au Domaine d’O, Montpellier

DIASPORIK : Se former, pour lutter contre les discriminations

0
Plaque "Stationnement interdit aux nomades et forains ambulants". Collection Sasha Zanko courtoisie de Sacha Zanko © Yves Inchierma, Mucem

Zébuline. Vous organisez trois jours de formation sur les discriminations en direction des tsiganes. Pourquoi avoir eu envie de commencer par ce sujet ? 

Samia Chabani. L’entrée principale de cette formation est la prise en compte des discriminations dans les pratiques professionnelles. Il est essentiel de préciser qu’elle est soutenue par la Fondation de France. Au sein de l’enjeu de lutte contre les discriminations, l’antitsiganisme demeure l’un des « angles morts ». À Marseille, le contexte de rejet autour de la possible création d’un village d’insertion pour populations romanis [projet finalement reporté par la préfecture, ndlr], illustre l’enjeu d’une meilleure connaissance des parcours résidentiels, migratoires et des conditions de vie de ces populations.

À qui s’adresse cette formation ? 

À une mixité de publics : des professionnels, agents de service public qui sont en charge de ces questions, mais aussi à des intervenants bénévoles ou en service civique, intervenant dans le cadre de l’accompagnement social ou culturel, l’hébergement d’urgence, l’accès aux droits et aux soins. Des personnes qui interviennent, sans avoir nécessairement bénéficié d’une formation initiale ou continue sur la prévention des discriminations. Sophie Latraverse, juriste experte en RSE rappelle que 82% des employeurs déclarent n’avoir reçu aucune formation sur les discriminations. 

En quoi cette discrimination se distingue-t-elle des autres formes de racisme ? 

Il y a chez les populations tsiganes, un cumul de représentations péjorées qui font d’eux une « classe dangereuse » : suspicion de traite humaine, de vol, de délinquance, criminalisation du nomadisme… Autant de stigmates liés à un mode de vie singulier autant qu’à l’assignation sociale produite par la catégorisation administrative et plus largement à l’exclusion. Beaucoup de gens associent romanis, tsiganes, gens du voyage… alors que l’on parle de groupes sociaux différents. C’est intéressant aussi de voir qu’aujourd’hui combien on promeut la mobilité comme une compétence à haute valeur ajoutée, alors que le nomadisme apparaît toujours comme un mode de vie marginal et déprécié. 

Vous invitez Ilsen About, un historien qui s’intéresse à l’histoire des politiques antitsiganes au XXe siècle. Comment cette discrimination d’État s’est elle matérialisée ?

De différentes manières : l’enfermement des tsiganes, mais aussi par la création du carnet anthropométrique [document administratif créé en 1912 pour surveiller les déplacements des populations nomades, ndlr]. On peut dire que les tsiganes ont subi une forme de contrôle social et administratif (fichage) extrêmement puissant – qui a pu concerner d’autres populations – mais qui perdure encore, et participe à cette représentation de « classe dangereuse ». Sans oublier que les tsiganes ont également été déportés pendant la Seconde Guerre mondiale.  

Comment peut-on analyser, ou quantifier, le racisme dont sont victimes les populations tsiganes aujourd’hui ?

L’objet du cycle en trois sessions est d’invoquer différentes formes de discriminations, mais aussi d’introduire des concepts qui nous permettent de les penser. L’approche pluridisciplinaire et l’alternance d’interventions entre chercheurs et professionnels y contribuent. Si les discriminations sont réelles, on a une difficulté à les documenter et à les prendre en compte, car on n’a pas le droit de faire des statistiques ethniques mais également à faire valoir le droit pour aboutir à de véritable recours juridique. Il y a quelques années, la Cnil a autorisé la création d’une enquête qui s’appelle Trajectoires et origines, qui a permis de quantifier les discriminations et de les distinguer [sous la direction de Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon, qui intervient dans la session de juillet, ndlr]. L’enquête statistique réalisée conjointement par l’Ined et l’Insee éclaire la question des inégalités et des discriminations. Elle illustre l’impact systémique des discriminations en France, notamment celles des discriminations liées à l’origine. L’assignation raciale est un concept qu’on a du mal à penser en France. La reconnaissance de l’absence de race ne suffit pas à résoudre la question du racisme. Tout l’enjeu de cette formation est de montrer comment la construction sociale de la « race » permet d’identifier les processus de racialisation. Le cycle de formation mobilise les experts du sujet, comme la sociologue Sarah Mazouz, autrice de Race aux éditions Anamosa, ouvrage qui propose une approche critique de la notion de race. Nous nous faisons également l’écho des actions du réseau local ou du Défenseur du Droit. La formation se tient à la Maison départementale de lutte contre les discriminations.

Le champ culturel joue-t-il suffisamment son rôle dans la lutte contre les discriminations envers les tsiganes ? 

C’est paradoxal. Le champ culturel a pu contribuer à lutter contre l’antitsiganisme, en valorisant ces cultures (on pense à des artistes comme Django Reinhardt), tout en renforçant des stéréotypes, tels que la figure hyper sexualisée de la « gitane ». Récemment, on peut saluer la scénographie de l’exposition Barvalo au Mucem, qui a été une très belle réussite. Le projet a été pensé avec les peuples romanis, qui ont pu apporter le regard des concernés… Le musée du Gadjo de l’artiste Gabi Jimenez était une forme innovante de retournement du stigmate. Cette méthode participative devrait être la règle, pas l’exception. La commissaire de l’exposition Julia Ferloni et William Acker seront présents pour partager leur expérience. Enfin l’institut Calam sera présent pour évoquer l’articulation entre les identités religieuses et LGBTQ+. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR N.S.

Approche multifactorielle des discriminations 
Du 14 au 16 mai : La question des discriminations en direction des tsiganes, romanis. 
Du 9 au 11 juillet : Introduction à l’enquête Teo2 et approche juridique des discriminations 
Du 7 au 9 octobre : Introduction à la sociologie de la race et articulation des discriminations  Lgbtophobie.
S’inscrire auprès de formation@ancrages.org
Lieu: Maison départementale de lutte contre les discriminations 
67 av de Toulon 13006 Marseille