lundi 25 novembre 2024
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Vive le blues de la rentrée à Meyreuil

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Natalia MKing © Philip Ducap

Le Blues Roots Festival retrouve le chemin du domaine communal de Valbrillant avec une programmation toujours aussi pertinente et relevée réunissant en trois jours, six concerts éblouissants. En ouverture (le 8) Big Dez – allusion potache entre la finale du nom de famille du chanteur du groupe « Fernandez » et l’allusion à sa haute taille – fête ses vingt-cinq ans en interprétant ses propres compositions. On peut sans doute imaginer quelques retours aux origines, dont, celle incontournable dans le milieu qu’est B.B. King. Très connu dans la région car professeur à l’IMFP depuis 1987, Michel Zenino hante les scènes du monde avec sa contrebasse. On l’a souvent entendu en duo avec le pianiste Mario Canonge pour « revisiter le répertoire » avec quelle inventivité et géniale complicité ! Je sens déjà le regard ironique du lecteur zébulinesque se remémorant la pastille « pas de femmes » de Zibeline, désespérément ajoutée à tant d’annonces et de retours (le monde des musiques actuelles et du jazz bien trop fréquemment épinglé). Eh bien, la tendance est aujourd’hui inversée ! Quatre autres fabuleuses formations invitées au Blues Roots Festival sont construites autour de femmes.

Là où brille le blues

Il y a d’abord Natalia M. King qui a signé l’an dernier un septième album, Woman Mind of My Own, qui la fait entrer au Panthéon des grandes chanteuses et musiciennes de deep blues. Sa voix arpente pour la première fois, après avoir longtemps enchanté les univers alternatifs, les terres du blues et du rhythm’n’blues à travers des compositions originales et quelques reprises. Pas de nostalgie rétro, mais une musique juste intégrée dans notre temps. D’origine nord-irlandaise mais résolument américaine par le style de ses chansons (soul, gospel, rhythm’n’blues), Kaz Hawkins évoque des fragments tragiques de sa vie et nous subjugue par la puissance de son timbre. Ses qualités de conteuse savent prendre la distance de l’art face aux turbulences de l’existence. Ana Popović, née en Yougoslavie, devenue pilier de la scène du blues néerlandaise, impulse des rythmes pêchus à un blues illuminé de cuivres. Nommée aux Living Blues Awards 2022, elle joue aussi magnifiquement de la guitare jazz. Autre géniale interprète, Grainne Duffy unit un jeu vivifiant à la guitare et des chants qui mâtinent soul, blues, americana, country et pop. Elle compose et réinterprète des pièces du répertoire avec le même bonheur (allez juste écouter son Voodoo Blues !).  Époustouflante à la guitare slide, Joanna Connor pratique un mélange de blues, jazz, funk, pop qui est qualifié de « blues brut ». Ce « son nouveau, rapide et agressif » obéit à des pulsations qui vous rendent vivants. I feel so good est l’un de ses morceaux et en effet c’est ce que l’on ressent après l’avoir écouté !

MARYVONNE COLOMBANI

Blues Roots Festival
Du 8 au 10 septembre
Domaine communal de Valbrillant, Meyreuil
04 42 65 90 60 festival-ville.meyreuil.fr

Arabesques : un bel endroit pour une rencontre

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Lemma Womex © Jacob Crawfurd

L’association UniSons, qui fête ses 20 ans cette année, ne cesse d’insuffler initiatives et actions remarquables dans le tissu socio-urbain de la ville. Implantée dans un des « quartiers » de la métropole, elle a su au cours du temps garder son identité de territoire. Celui de la Mosson, ville dans la ville, aux tours et barres caractéristiques de ces lieux ghettoïsés – même si la Ville et le Département sont soucieux de rapprocher les habitants entre eux grâce aux transports et équipements publics. Elle sait aussi franchir les enclaves, et aujourd’hui elle existe bel et bien comme l’une des plus influentes structures culturelles de la ville, vectrice de cohésion sociale et d’insertion. Il y a le travail quotidien, de plus en plus développé et innovant, et celui mené depuis maintenant 17 ans : l’aventure Arabesques, devenue le festival le plus important en Europe dédié aux arts du monde arabe. Tout le monde s’y croise, les artistes peu connus et les têtes d’affiche, le public néophyte et les spécialistes, les jeunes et les plus mûrs, et tout Montpellier (et bien plus) s’y rencontre, autour de sa programmation pluridisciplinaire qui mêle la musique (le cœur du festival), le théâtre, le cinéma, la calligraphie, la danse, les contes. Avec toujours la volonté de mettre sur le même plan les expressions artistiques traditionnelles et les langages contemporains.

Plus que bien

Le concert d’ouverture se fera à l’Opéra Comédie, qui accueille le maître du oud traditionnel constantinois, Salim Fergani. Ariana Vafadari (chant) et Driss El Maloumi (oud) occuperont cette même scène avec Rana Gorgani, danseuse « derviche tourneur ». Oud encore, tenu cette fois par Anouar Brahem dans l’immense amphi d’O, avec un nouveau programme qui traverse les sonorités et sensibilités les plus diverses. La nouvelle scène arabe sera incarnée par Samah Mustafa (chant classique oriental et musique folklorique), Ÿuma (rock tunisien solaire et militant), l’atmosphère hypnotique dispensée par le duo Samifati, et l’underground Bédouin Burger, sonorités nomades sur rythmes de transe.

Avec son tabouret comme seul accessoire, AZ déploie son stand up à la fois politique et mélancolique, et tout le monde en prend pour son grade ; c’est bon pour le moral. Sa majesté Le comte de Bouderbala revient pour la troisième édition de son spectacle, qui s’annonce plus improvisé, plus actuel, plus personnel : plus que bien alors. Le transfuge Djamil le Schlag, tout droit arrivé de la quotidienne humoristique Par Jupiter sur France Inter, a décidé de remporter le trophée du « plus gros punchliner » ; pour son Premier round, il va nous mettre tous KO. Et à la Halle Tropisme, Arabesque Sound System, rendez-vous électro du festival, invite la scène casablancaise ; des beats sans frontières.

ANNA ZISMAN

Arabesques
Du 6 au 18 septembre
Divers lieux, Montpellier
festivalarabesques.fr

3 bis f : Sofa, so good

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Sergio Verastegui © Jean-Christophe Lett

Un nouveau Centre d’art contemporain d’interêt national donc (le 4e dans la région), label qui consolide les engagements du 3 bis f dans une « démarche prospective et respectueuse tant de la diversité́ des pratiques et des parcours artistiques, que des principes d’égalité́ de représentation et de la rémunération du travail des artistes ». Le 3 bis f fête également, en cette année 2022, les 30 ans d’ouverture au public de son projet artistique, et 2023 marquera les quarante ans de sa fondation. Jardin, arts visuels, danse, cirque, musique, disciplines se déclinant en expositions, spectacles, étapes de création, résidences de recherche, « rendez-vous insensés », transmissions et sessions sont au programme 2022.

C’est à l’issue d’un appel international à candidatures qu’ont été sélectionnés les Sofa poems de Sergio Verastegui, artiste né à Lima en 1981, qui vit et travaille à Paris depuis plusieurs années. Un artiste qui est loin d’être un inconnu dans la région : il s’est formé à l’école nationale supérieure d’art de la Villa Arson à Nice, d’où il est sorti diplômé en 2010. En 2014 il était l’artiste invité d’Art-o-rama à Marseille, où il était présent également en 2018 avec le projet Notes for a Shell #2, mené dans les cabanons de la plage de la Verrerie. Et en 2019, avec Toomanyrecordss, invitation faite à des artistes à intervenir sur des disques 33 tours, projet que l’on retrouvera de nouveau, à la fin du mois d’août, dans l’édition 2022 du Salon international d’art contemporain. Entre temps, il a aussi exposé ailleurs : de Madrid à Mexico, en passant par Prague et Zurich.

Des canapés convertibles

Pour ses Sofa poems Sergio Verastegui a porté son attention sur le canapé, figure centrale et énigmatique de l’espace domestique, autour de laquelle la vie s’orchestre, et à partir de laquelle il a créé une série de formes hybrides, entre mobilier et sculpture, déployées dans l’espace d’exposition du centre d’art. Une exposition qui s’accompagnera de performances et d’une bande-son, issue d’un album vinyle de poèmes et de créations musicales qu’il a enregistrés. Ambiance :

« Un canapé comme une entité́ sculpturale, une image fantomatique de quelqu’un potentiellement
absent, peut-être là, peut-être pas
là, une forme de musique ambient ou la construction d’une ambiance, un espace mental, un poème, un espace qui se construit tard le soir, avec les ombres et les lumières qui traversent les fenêtres, un espace domestique, une présence avec
un poids : le problème mathématique de comment le déplacer dans
un espace étroit. La question de l’habitation et de l’encombrement, une sculpture mais aussi un bloc
de mousse dans l’esprit. »
Sergio Verastegui

MARC VOIRY

Sofa poems de Sergio Verastegui
Jusqu’au 28 août 2022
3 bis f, Aix-en-Provence
04 42 16 17 75 3bisf.com

Dress Code : le vêtement s’expose

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MROfoundation©NOYE_Frederic_Ekifire

Un thème en or, tant la photographie a partie liée avec la mode, devenue aujourd’hui phénomène mondial et globalisant. Tant aussi la complexité des liens qui relient les êtres humains à leur façon de s’habiller est truffée de codes, de normes, de volonté d’intégration, d’émancipation, de revendication, dont l’exploration ne peut que susciter la curiosité. Par exemple, Benoît Feron, qui parcourt le monde entier, est, dans Sense of identity, captivé aussi bien par la diversité des pratiques vestimentaires, que par les éléments abstraits circulant sur les peaux et les chevelures : bijoux des peuples d’Afrique de l’Est, gestuelles yogi, scarifications du Sud-Soudan, tatouages primitifs Nagaland ou parures des transgenres indiens. Delphine Blast, qui est allée photographier au Sud du Mexique les puissantes femmes zapotèques, les fait poser, pour Fleurs de l’isthme, dans leur jupons, hauts et coiffes, tenue traditionnelle sertie de fleurs, complétée par des bijoux en or, transmise de génération en génération, symboles de leur pureté et de leur force.

Harmonie et identité

Avec Land of Ibeji, Sanne de Wilde et Benedicte Kurzen s’intéressent à la mythologie des jumeaux (métaphore puissante pour la dualité au sein d’un être humain) au Nigeria. « Ibeji » qui signifie à la fois «double naissance» et «les deux inséparables» en yoruba, désigne l’harmonie ultime entre deux personnes. De son côté, Manon Boyer, dans Under your skin, s’immerge au sein de l’univers des drag queens de New York, qui désacralisent l’entité du féminin et du masculin, en portant un nouveau regard sur le corps, oscillant constamment entre plusieurs personnalités. Ou bien encore Liza Ambrossio, qui, dans Blood Orange, poursuit ses démons intérieurs : des images comme des convulsions, autour du changement, du mal, du maudit, de la maladie mentale, de la solitude, de la liberté et du destin.

Cette exposition sur l’identité et le vêtement est « amplifiée » par deux autres propositions au sein de la Fondation : l’exposition Fotohaus, par ParisBerlin>fotogroup, qui met en avant la scène photographique franco-allemande autour d’un thème commun, en l’occurrence ici « L’être et le paraître ». Et Fragile du collectif Tendance Floue, seize photographes pour « un projet choral habité par les secousses qui traversent notre époque ».

MARC VOIRY

Dress Code
Jusqu'au 25 septembre
Fondation Manuel Rivera-Ortiz, Arles
mrofoundation.org

Bruce Liu : une révélation à La Roque

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Bruce Liu © Pierre Morales

Certes, le Festival international de piano de la Roque-d’Anthéron nous rend familiers avec les meilleurs pianistes du monde au point de nous conduire à chipoter entre les excellences. Jauger de la pertinence de tel ou tel passage virtuose, nous demander si l’accord entre les stridulations des cigales et les volutes élégantes des pianos est bien synchrone, bref, le côtoiement des grands incite parfois à la petitesse. Tout le monde est mis d’accord par le récent premier prix du 18e Concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie (2021), Bruce Liu.

Pour la petite histoire, le piano sur lequel il joue ce soir-là sous la conque du parc de Florans est celui sur lequel il remporta son prix à Varsovie. L’accordeur en titre du festival, Denijs de Winter, a, pour ce faire, appelé la maison mère des pianos Fazioli en Italie, muni du numéro de l’instrument qui fut ainsi acheminé à La Roque pour le concert du jeune impétrant.

Sans doute, il y a quelque chose d’émouvant dans ces retrouvailles entre l’artiste et l’instrument, une familiarité complice, liée à des souvenirs décisifs. Attaques sûres, phrasés aériens, irréprochable technique, tout y est, mais on sait bien que cela ne suffit pas toujours. Ici, le musicien passe la rampe, vit et donne à vivre les pièces qu’il interprète. Tout devient langage, voix incarnée. Les intentions des compositeurs soudain prennent une tournure d’évidence.

Des touches au sublime

On suit le cheminement des pensées, vagabondages oniriques de Chopin, avec les envolées et les ruptures abruptes de la Ballade n° 2 en fa majeur opus 38 que le compositeur dédie à Schumann, ou la poésie mêlée d’éclairs de sa Ballade n° 3 en la bémol majeur opus 47. Les Variations de Frédéric Chopin sur Là ci darem la mano nous font entrer dans les mystères de l’improvisation. S’emparant du thème du duo chanté par Don Giovanni et Zerlina dans l’acte I de l’opéra Don Giovanni de Mozart, Chopin brode, s’amuse, paraphrase, s’exclame, sourit, livre sa lecture de l’œuvre mozartienne. Il y ajoute une vision amusée voire espiègle. Le morceau a les allures d’une conversation légère, la fluidité du jeu de Bruce Liu fait oublier les difficultés techniques. Que ce soit une note ou une série d’accords arpégés, un rythme simple ou des tempi différents selon main gauche et main droite, peu importe, on est emportés au-dessus de tout cela.

Bruce Liu © Pierre Morales

Oui, mais Chopin, direz-vous, c’est son auteur de prédilection. Peut-être, mais la même verve se retrouve dans l’interprétation de Miroirs de Ravel, cette série sublime de tableautins expressifs où se croisent Noctuelles et Barque sur l’océan. Les Réminiscences de Don Juan de Liszt sonnent en écho aux Variations sur « Là ci darem la mano » de Chopin, mettant en évidence la différence des approches de ces deux virtuoses, l’un qui commente l’œuvre évoquée, l’autre qui s’en sert pour exposer sa maestria, chacun avec le brio et le brillant qui les caractérisent.

Au public enthousiaste le jeune artiste dédie quatre rappels avant de signifier sa fatigue : deux pièces de Rameau, Les tendres plaintes et La poule (rarement on entendit l’oiseau de la basse-cour aussi loquace !), le bouleversant Nocturne n° 20 en do dièse mineur (opus posthume) de Chopin, décliné avec une sobriété qui laisse la pureté des lignes mélodiques se conjuguer au vent dans les grands arbres, avant le clin d’œil aux Études du compagnon de George Sand avec la n°5 op. 10, Sur les touches noires… Le sublime existe, on l’a rencontré !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 25 juillet, au parc du Château de Florans, dans le cadre du Festival international de piano de la Roque-d’Anthéron.

Nicole Eisenman face aux modernes

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Nicole Eisenman, Lee and TM (Lee et TM), 2015 Aquarelle sur papier, 50,8 × 36 cm. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Anton Kern, New York

Américaine née en France, à Verdun, en 1965, Nicole Eisenman a débuté sa carrière artistique à New-York dans les années 90, après avoir été diplômée en 1987 du département peinture de la Rhode Island School of Design à Providence, elle se fait remarquer par ses peintures figuratives monumentales et ses installations de dessins proliférantes. Sa première exposition personnelle en France fut en 2007, au Frac d’Île-de-France, séduit par sa façon de revisiter l’histoire de l’art la plus prestigieuse par le folk art, la bande dessinée underground, les films d’horreur ou le porno, et dans un même élan, de télescoper Rubens et Crumb. Une irrévérence qu’elle applique également à de grandes scènes héroïques ou allégoriques, dans lesquelles les rôles ne sont plus tenus par des hommes (dont quelques-uns sont mis à mort dans la bacchanale Sloppy Joe Party, 2000) mais par des femmes. Styliste virtuose, elle passe allègrement de la bad painting à des scènes inspirées de la Renaissance italienne, tout en ne lâchant rien des thèmes récurrents de son travail, en particulier son positionnement en tant qu’artiste homosexuelle, ses critiques de l’ordre social, ses réflexions sur le statut de l’artiste ou encore sur le processus de création.

Glamour et misère

C’est la forte présence de ces multiples références artistiques dans les travaux de Nicole Eisenman qui est à l’origine du concept de l’exposition : mettre en regard 70 de ses œuvres avec presque autant de créations de 30 artistes de la modernité européenne (beaucoup d’hommes, parmi lesquels Edvard Munch, Emil Nolde, Pablo Picasso, Otto Dix, James Ensor…). Nourrissant également le propos, l’hypothèse de parallèles entre les décennies autour de 1900 et de 2000. Comme l’indiquent Katharina Ammann, Bice Curiger, Daniel Koep et Christina Végh, les 4 commissaires de l’exposition, dans le catalogue : « Dès 1880, en Europe comme ailleurs, certain·es artistes de la modernité commencent à réagir individuellement face aux forces puissantes de l’industrialisation et de l’urbanisation qui sapent les traditions et modifient du tout au tout la vie quotidienne et les fondements de la société. Ce que la vie moderne entraîne alors de glamour et de misère tout à la fois peut se comparer aux effets à double tranchant auxquels le numérique nous confronte : une interconnectivité mondiale qui va de pair avec une désorientation personnelle, une offre apparemment illimitée qui, de facto, ne cesse de réduire notre liberté de choix. Dans un cas comme dans l’autre, on peine à appréhender toutes les conséquences de ces bouleversements. Et, aujourd’hui comme hier, un tournant sociétal d’une telle ampleur est porteur des nuages noirs du totalitarisme ».

MARC VOIRY

Nicole Eisenman et les modernes. Têtes, baisers, batailles.
Jusqu’au 23 octobre 2022
Fondation Van Gogh, Arles
fondation-vincentvangogh-arles.org

D’autres regards à Luma

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Big Wheel II, Geto, Ex-Slave Gordon 1863 dans Live Evil, Arthur Jafa © Adrian Deweerdt

Ethnopoésie et néomythologie

Remettre en question les normes dominantes en matière d’identité, de perception et de création de mythes, tel semble être le cœur du projet artistique de Sky Hopinka (né en 1984) membre de la nation Ho-Chunk du Wisconsin, descendant de la tribu Pechanga des Indiens Luiseño (Sud de la Californie), cinéaste expérimental, photographe et poète. The sun comes in whenever it wants est sa première exposition majeure en France, dans laquelle il présente des poèmes muraux, des œuvres vidéo et photographiques anciennes et récentes, entrelaçant mémoire personnelle et collective, oscillant entre documentaire et fiction, représentation et abstraction. Au centre de ses préoccupations les récits d’Amérindiens vivants aux États-Unis, l’histoire chargée de sites comme Standing Rock dans le Dakota du Sud, les thèmes de la résistance, de la révolte, de l’esclavage et de la colonisation.

L’expérience de la « noirceur »

Artiste, vidéaste, directeur de la photographie (notamment pour Spike Lee et Julie Dash), l’Africain-Américain Arthur Jafa (né en 1960), est devenu, après le Lion d’or de la Biennale de Venise qui lui a été décerné en 2019 pour The White Album, l’un des artistes contemporains les plus en vue. Sa pratique met en jeu, à travers un mélange d’images et d’histoires, une mémoire affective questionnant l’histoire des États-Unis d’Amérique. Une réflexion sur l’ontologie de la race et de la noirceur (« blackness »), et la manière dont elles existent dans la production et la diffusion d’images, de musique et de sons. Son exposition à LUMA se déploie dans 2 espaces différents : à La Mécanique Générale sont présentées des œuvres majeures de sa carrière (en particulier The White Album et le relief Ex-Slave Gordon 1863) et à La Grande Halle se trouve AGHDRA, installation d’images en mouvements et de sons de 85mn, organisée autour de douze segments, chacun basé sur une composition sonore unique. Une œuvre entièrement numérique, mise en regard avec le tout récent Untitled, hommage à Greg Tate, ami proche et complice de Jafa, récemment décédé.

Par ailleurs, la fondation propose, dans la galerie principale de la tour, la deuxième exposition de la série organisée autour de la collection Maja Hoffmann / Fondation LUMA : The Impermanent Display II avec les œuvres de nombreux artistes notamment Precious Okoyomon, Carsten Höller, Philippe Parreno, … Et la projection de deux films d’artistes : dans la Galerie Est Everything and More de Rachel Rose, qui interroge le concept de mortalité à travers l’expérience de hors-corps d’un astronaute, et dans la Glassroom, Nightlife de Cyprien Gaillard, film en 3D, méditation sur les héritages de la révolution, de la résistance politique et de la résilience à travers les reliques et les ruines de l’histoire moderne.

MARC VOIRY

The sun comes in whenever it wants, Sky Hopinka
Live Evil, Arthur Jafa
The Impermanent Display II,collection Maja Hoffman
Jusqu’au 31 décembre 2022
Fondation Luma, Arles
04 65 88 10 00 / luma.org

Des Rencontres révélatrices

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Les Rencontres d'Arles-Christoph Wiesner © Olivier Metzger/Modds

Zébuline. C’est la deuxième édition des Rencontres d’Arles que vous dirigez. Qu’est-ce qui pour vous fait la singularité de cet événement ?
Christoph Wiesner.
C’est un rendez-vous qui a plus d’un demi-siècle d’histoire et qui a su fédérer un territoire autour du vecteur de la photographie. Au-delà de l’artistique pur, il existe plusieurs dimensions et champs d’intervention. Le mot Rencontres lui-même est important. Pendant la semaine d’ouverture, des professionnels du monde entier viennent à Arles pour échanger. Il y a aussi un volet éducatif tout au long de l’année, à travers nos activités de médiation en milieu scolaire. On peut évoquer enfin le Grand Arles Express. Ce sont des institutions extérieures à Arles -c’est le cas à Nîmes, Avignon ou encore Marseille- qui se joignent à la programmation officielle du festival. Il faut re-contextualiser tous ces éléments pour comprendre le chemin parcouru en cinquante ans. A l’époque, les Rencontres étaient loin d’avoir la visibilité d’aujourd’hui ni le rayonnement dont elles bénéficient.

Le leitmotiv de cette édition est la révélation. Qu’entendez-vous par là ?
Pour moi, un festival est un moment de révélation, de découverte. Qu’il s’agisse de mettre en lumière de jeunes talents ou des artistes oubliés. C’est notre pratique depuis longtemps, notamment à travers la diversité des prix décernés. A chaque édition, on redécouvre des photographes qui avaient un peu disparu ces dernières années ou qui sont restés méconnus pendant des décennies. C’est le cas de Lee Miller qui a été une photographe importante autant dans le domaine de la mode que celui du reportage, lorsqu’elle a par exemple accompagné les troupes alliées pour la libération de l’Europe du joug nazi. Elle avait rangé tout son travail dans des boîtes sur lesquelles est tombé son fils très tardivement. On peut parler d’une certaine façon de révélation.

En quoi l’exposition Une avant-garde féministe des années 1970 est-elle un événement ?
C’est un peu le match retour de l’exposition Masculinités, présentée l’an dernier. Les œuvres -environ 200 pour une soixantaine d’artistes- appartiennent à la collection Verbund, à Vienne, qui existe depuis moins de vingt ans. Elle s’est d’abord constituée autour de photographes et artistes qui travaillaient dans la scène germanophone. Puis elle s’est élargie à toute l’Europe et au continent américain. Cette collection montre de façon assez surprenante des similarités dans les pratiques de travail des années 70 et 80, où que l’on se trouve dans le globe, avant l’existence d’internet et des réseaux sociaux. C’est très intéressant de constater comment une réflexion, souvent liée aux mouvements de contestations de la fin des années 60 sur la position de la femme dans la société, a généré des travaux semblables. On retrouve des noms célèbres comme Cindy Sherman mais la plupart des photographes étaient totalement inconnues à l’époque où elles ont travaillé. Contrairement aux autres arts telles que la peinture et la sculpture, le medium photographique n’était pas encore accaparé par les hommes et ouvrait une autre porte d’expression.


Quelles autres surprises ou raretés attendent les visiteurs ?
Au Jardin d’été, où les portraits de Nord-Coréens par Stephan Gladieu ont connu un tel succès en 2021, nous invitons Bruno Serralongue et son exposition Les gardiens de l’eau. Ce sont des images de la lutte de communautés Sioux qui s’opposaient à l’installation d’un pipeline qui devait traverser leur territoire. La mobilisation avait conduit Obama à stopper les travaux que Trump a relancés.
Une autre exposition très importante pour moi est celle du fonds de la Croix Rouge. Ce sont 160 ans d’images qui permettent de comprendre le rôle joué par la photographie non seulement dans l’action humanitaire mais aussi dans les conflits internationaux. Comment au départ une image purement documentaire devient une prise de position politique et peut être utilisée pour des levées de fonds. Cette exposition donne également des clefs de lecture même si je ne pensais pas qu’elle aurait autant de résonance avec l’actualité terrible en Ukraine. En fait, on ne peut qu’y penser.


Quel équilibre recherchez-vous entre photographie d’avant-garde et populaire ?
La principale règle est de viser la plus grande diversité afin de toucher des publics différents. Il y a des expositions pointues qui vont surprendre et d’autres qui seront comprises et appréciés immédiatement par un grand nombre.


Regrettez-vous la disparition d’un off ?
On dit toujours « un bon in a un bon off ». Cela demande un engagement très fort et pour l’instant, rien d’aussi structuré que par le passé ne semble se profiler. J’espère que cela reviendra.


Comment les Rencontres cohabitent-elles avec le grand nombre d’événements et d’institutions culturelles ambitieux -comme les fondations LUMA et Lee Ufan- qui se concentrent dans la même ville d’Arles ?
On marche dorénavant main dans la main avec la Fondation LUMA qui met la demi-halle de la Mécanique Générale à notre disposition, pour une durée de cinq ans. Une de leurs expositions figure dans le programme des Rencontres. On a chacun un rôle différent à jouer et maintenant que ces fondations ont ouvert, on est passé à une autre phase, celle la complémentarité. On vit dans un écosystème où chacun bénéficie de l’autre. Les publics sont curieux et profitent de cette offre grandissante qui crée de l’émulation bien plus que de la concurrence.


Entretien réalisé par LUDOVIC TOMAS

Les Rencontres d’Arles
Du 4 juillet au 25 septembre
Divers lieux, Arles
rencontres-arles.com

Vieira da Silva : un oeil dans la rétrospective

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C’est la première rétrospective d’une artiste femme du XXe siècle, organisée au musée d’art moderne de Marseille, en collaboration avec le musée de Dijon et la galerie Jeanne Bucher Jaeger.  Un projet collectif né lorsque le musée Cantini, qui conservait deux oeuvres de Vieira da Silva (Le satellite, 1955 et Le théâtre de la vie, 1973) a fait l’acquisition en 2020 de l’une de ses premières toiles de jeunesse, Marseille blanc (1931). Cette œuvre énigmatique représente une ruine indéterminée, fantomatique, peinte à la suite d’un court séjour dans la cité phocéenne avec son mari, le peintre hongrois Árpád Szenes.

Après avoir commencé ses études à Lisbonne, Maria Helena Vieira da Silva a quitté le Portugal en 1928 pour Paris, où elle a poursuivi sa formation artistique à l’Académie de la Grande Chaumière, notamment chez le sculpteur Antoine Bourdelle. Bien qu’elle ait pratiquée la sculpture, elle se consacre, dès 1929, essentiellement à la peinture, donnant naissance à un style abstrait et géométrique, fortement influencé par Fernand Léger. À Cantini, ce sont 80 œuvres, dispersées jusque là dans des collections particulières et des institutions en France, qui vont être rassemblées dans un parcours chronologique et thématique, retraçant la carrière de l’artiste, de ses débuts figuratifs des années 1920 jusqu’aux peintures évanescentes des années 1980. Décliné en 6 sections : Début / Ossature / Exil / Perspective / Concept / Lumière. Une section sera largement dédiée à son voyage à Marseille en 1931 mentionné plus haut, source d’inspiration et moment clé́ dans la définition de sa pensée et de sa pratique picturale.

MARC VOIRY

Vieira da Silva, l'œil du labyrinthe 
Jusqu’au 6 novembre
Musée Cantini, Marseille
04 13 94 83 30 / musees.marseille.fr

Au-delà des hyperboles

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Alexandre Kantorow, Sinfonia Varsovia, direction Aziz Shokhakimov © Valentine Chauvin

Il fallait bien deux monuments pour le fantastique duo entre le pianiste Alexandre Kantorow et le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov ! L’entente entre cette grande formation, magistralement mise en valeur par son jeune chef et le génial pianiste, premier français à avoir obtenu le premier prix du concours Tchaïkovski – véritable Graal du piano – à tout juste vingt-deux ans, est sensible dans les moindres accords. Un regard et la symbiose se noue, évidence de la musique, de ses mouvements, de ses tempi, en un dialogue fécond.

Le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en sol majeur opus 44 de Tchaïkovski ouvre le bal, sublimé par l’interprétation de l’ensemble. On dirait deux solistes géants face à face, aucun n’ayant nécessairement besoin de l’autre pour s’épauler, mais unis par la grâce. L’éblouissante technique devient accessoire, n’est pas la fin en soi qui servirait les rodomontades de beaucoup, mais un outil bien rodé entièrement mis au service de l’expression. Des intentions de la partition, nous donnant à entendre une voix, des accents emportés, le flux vibrant d’une pensée chatoyante. L’Allegro con fuogo qui conclut l’œuvre laisse l’auditoire saisi dans le foisonnement d’une musique exigeante.

Bel Kanto

Alexandre Kantorow, Sinfonia Varsovia, direction Aziz Shokhakimov © Valentine Chauvin

Tellurique, le pianiste bouleverse encore dans le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en la majeur de Liszt. Falaises sonores, écarts, fortissimi exacerbés, pianissimi de rêve, le caractère symphonique de cet opus (qui en ce sens est proche de la conception de Tchaïkovski dans son Concerto pour piano n° 2) englobe avec une élégante virtuosité le piano au cœur des instruments de l’orchestre. Une seule note posée et déjà on entre en poésie. La méditation, le recueillement jouxtent les épanchements démesurés. Le chef d’orchestre danse et le Sinfonia Orchestra brille. La fougue d’Alexandre Kantorow, parfois subtilement espiègle, est au diapason. Les gradins du parc du Château de Florans, combles pour la première fois cette année, trépignent. Le premier bis qu’il nous offre est un discret hommage à Nelson Freire qui a quitté la scène du monde le 1er novembre 2021 (lire ici) : La danse des esprits bienheureux de Gluck (in Orphée et Euridice Wq. 30, arrangement Sgambati) était le bis traditionnel du pianiste disparu. Sa poésie onirique bouleverse ici doublement. La rêverie du pianiste-poète vagabondera ensuite dans le Sonetto 104 del Petrarca (2e année de Pèlerinage de Liszt) avant de conclure par L’oiseau de feu III Finale de Stravinsky (arrangements Agosti), démontrant par l’exemple que la virtuosité n’est pas qu’une histoire de technique mais bien la capacité à transmettre l’émotion. Temps suspendu !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 5 août auditorium du parc du Château de Florans, dans le cadre du Festival international de Piano de La Roque-d’Anthéron.