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Accueil Blog Page 228

Carmen. avec un point et féministe

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CARMEN. - une pièce de François Gremaud avec Rosemary Standley et quatre musiciennes. Une production de la 2b company. Théâtre de Vidy, Lausanne, le 29 mai 2023. ©Dorothée Thébert Filliger

Le public de La Garance, à Cavaillon était debout et multipliait les rappels, comme celui du Théâtre d’Arles la veille. La performance de la comédienne chanteuse est de celles que l’on n’oublie pas, et qui vous donne un plaisir extrême. Et c’est ensemble que le public a chanté, d’une voix émue, commune, « l’amour est enfant de bohème » avant de quitter la salle avec regret.  

L’auteur-metteur en scène ne propose pas une relecture de Carmen mais bien Carmen. une conférence-opéra qui explore et parfois joue l’opéra, souvent s’en joue, le met en jeu et en question. En interrogeant le lyrisme et la vocalité : Rosemary Standley fait preuve d’une musicalité tout en finesse, posant l’opéra populaire là où il pourrait être depuis que l’amplification ne nécessite plus d’avoir du coffre mais de la justesse et de la musicalité. Le très joli timbre de la chanteuse fait merveille, chaque phrase de sa Carmen est un délice pour l’écoute. Sublimant chaque sentiment, chaque nuance, elle livre quelques moments sublimes, une habanera simple, un puits de douleur quand la gitane tire les cartes et se voit mourir.

Mais elle chante aussi Micaëla avec une candeur habitée, évite les aigus en inventant des variantes, et en rend toute l’émotion. Moins tendre avec les personnages masculins, elle joue pourtant la violence de Don José, et livre tous ses airs de ténor en voix de poitrine, magnifique. Et si elle se moque du toréro, elle interprète aussi ses airs de bravoure avec la même, et constante, musicalité. Soulignant au passage la beauté de certains airs, des intermèdes orchestraux jouées par cinq musiciennes formant un quintet flûtes, violon, accordéon (et percussions), harpe et saxophones tout en finesse, et virtuosité.

On ne meurt pas d’amour

La justesse musicale de ce Carmen. (avec un point final comme Phèdre avait un ! et Giselle des ) se double, et se rehausse, de son incroyable virtuosité de comédienne dans ce seul en scène si peuplé. l’ex-chanteuse de Moriarty joue et chante tous les rôles principaux, mais aussi les gamins qui suivent la garde, les contrebandiers, les gitanes, les soldats, les cigarières. D’un geste, elle les fait vivre, plante le décor, emprunte leur voix, fait voltiger notre imaginaire, avec deux chaises déplacées, et beaucoup d’humour complice. Ce décalage accepté permet aussi de commenter l’inacceptable de cet opéra si populaire : la violence constante, la possession, le féminicide, mais aussi le ridicule « parle moi de ma mère » de Don José, et le « plaisir des combats » du Toréador. Questionnée dans son propos, replacée dans son contexte historique et esthétique, Carmen de Bizetest ainsi rendue au peuple pour qui il l’a écrite, à l’opéra comique, au théâtre, à la liberté, au désir. Elle met un point final à l’exploration de François Gremaud de ce répertoire dramatique où les femmes meurent d’oser désirer.

AGNÈS FRESCHEL

Carmen. a été joué le 29 novembre au Théâtre d’Arles et le 30 novembre à La Garance, scène nationale de Cavaillon.

Qui sera élu·e Miss Cagole Nomade 2024 ?

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© Nai.iri

Zébuline. Comment explique-t-on l’engouement autour de ce rendez-vous ? 
Lisa. Je pense que les gens ont envie de représenter un certain état d’esprit : celui d’être libre dans son corps, sa tête et revendiquer une identité. Se rendre visible, par la fête, la danse, le chant… et montrer qu’ils ont tous quelque chose de « cagole » en eux. Pendant le concours, on montre toute la diversité du monde au même endroit. Car il y a des concours pour tout, mais pas forcément des concours où tout le monde peut se retrouver et se rencontrer. C’est aussi un rendez-vous qui prône des valeurs d’inclusivité qui sont aujourd’hui importantes. 

Comment va se dérouler la prochaine édition ? 
Ça commence avec une performance libre, de cinq minutes : de la danse, pôle dance, du cirque… cette année on aura aussi des échasses, ça va être incroyable. Suite à ça on choisit trois personnes pour l’épreuve du discours, on élit la gagnante, et on fait la fête tous ensemble pour célébrer. 

Quel profil ont les candidat·e·s ?
Il y a vraiment de tout. Certaines personnes veulent à terme vivre de la scène, et d’autres qui le font à coté par plaisir. Dans tous les cas, on ne valorise pas forcément les personnes déjà installées. On promeut ce que la personne transmet comme énergie, plus que la prestation artistique. Certains membres du jury vont regarder l’authenticité, le second degré, moi je regarde l’intention. Mais même si on joue le jeu à faire des retours, on n’est surtout pas là pour les clasher..!

Lisa, fondatrice de Cagole Nomade © X-DR

La Cagole Nomade Party était en tournée en septembre dans plusieurs villes françaises (et en Suisse). Doit-on comprendre qu’il y a des cagoles un peu partout ?
Si on s’appelle Cagole Nomade ce n’est pas pour rien ! Oui l’esprit vient d’ici mais il est en mouvement, se balade. L’idée n’est pas de rester figé mais de s’ouvrir, et de pouvoir aller chercher les cagoles qui dorment en chacun de nous. La cagole est internationale, il y en a partout dans le monde ! Je trouve ça beau en tant que marseillaise de valoriser ce terme qui a longtemps était méprisé dans la société. Que n’importe qui puisse dire « je suis une cagole et fière de l’être ».

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Miss Cagole Nomade
9 décembre
Espace Julien, Marseille

Culture populaire

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Alors que la Ville de Marseille s’apprête à plancher sur une nouvelle vision de l’Éducation populaire, la question de sa redéfinition se pose à tous les opérateurs culturels, à tous les artistes. 

Des générations d’enfants du peuple ont bénéficié de l’immense entreprise de démocratisation culturelle, de décentralisation théâtrale et de l’essor des centres sociaux et des maisons pour tous durant le dernier quart du XXe siècle. Ils savent aujourd’hui ce qu’ils doivent à la volonté militante des comités d’entreprises, des travailleurs sociaux, des éducateurs sportifs, des aumôniers souvent, des cinéclubs, des cours de danse, de musique, d’arts plastiques dispensés pendant les colos au grand air ou à deux pas de chez eux, au pied de leurs immeubles d’habitation. Certains d’entre eux, transfuges de classes et de frontières à un moment où l’ascenseur social fonctionnait à plein régime, sont aujourd’hui nos plus grands artistes, et nos Prix Nobel.

Culture et codes d’accès

Depuis, l’Éducation populaire a été massacrée systématiquement par des baisses de financement idéologiques, opérées par une classe dominante qui a compris que l’éducation du peuple, des masses comme ils disent, menaçait leur hégémonie culturelle. Une classe des riches qui sait que l’hégémonie culturelle est la racine mère de toutes les dominations. 

Aujourd’hui les cours des cités construites dans les années soixante sont bétonnées et « parkingisées », les ensembles d’habitations et les établissements scolaires s’entourent de hautes grilles et se protègent par des codes d’accès : l’espace public ne permet plus d’accéder à un espace commun. Plus insidieux encore, l’espace des écrans et des prétendus « réseaux sociaux », concurrence la pratique commune du sport, des arts, du cinéma, de l’écriture, et se présente comme intime et individuel, quand il est globalisant et aliénant. Chacun pense la culture séparée en générations et non en classes sociales, les jeunes méprisant la culture de leurs ainés, les ainés ne comprenant pas la force des cultures « jeunes ». 

Quelle éducation populaire dans ce contexte? Rétablir les moyens ne suffira pas. Parce que lutter contre des médias tentaculaires et de plus en plus fascisants avec un bec de colibri est inefficace. Il faudrait, avant tout, réformer les médias et « démonétiser » Hanouna. Mais il faudrait aussi que les nostalgiques old school de l’Éducation populaire comprennent que le monde a changé, et qu’il ne suffit plus de défendre une culture « émancipatrice » venue de notre passé aristocratique, bourgeois, impérial et colonisateur, et faite par de « grands hommes » blancs. Les quartiers populaires recèlent de cultures multiples, foisonnantes, celles des jeunes mais aussi celles des vieilles, des vieux, nécessaires à la construction d’un avenir commun, enfin pluriversel. 

AGNÈS FRESCHEL

D’Ouest en Est

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Roderick Cox © X-DR

Il était sans doute la plus belle révélation du Rigoletto donné, en novembre 2021, à l’Opéra de Montpellier. Quelques mois auparavant, il s’était déjà illustré dans le programme Transatlantique, comptant à son affiche Samuel Barber et le concerto pour violon de Jennifer Higdon. On le retrouvera en mai 2024 à la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie pour une Bohème plus que prometteuse.
Roderick Cox, jeune chef américain, se sent décidément comme chez lui à Montpellier, dans une maison qui a su lui faire confiance sur le répertoire opératique comme symphonique.Formé non loin de sa Géorgie natale, à la Northwestern University, il se verra confier dès la fin de ses études un poste de chef assistant à l’Alabama Symphony Orchestra, puis de chef titulaire à l’Alabama Symphony Youth Orchestra. Installé ces dernières années à Berlin, il y officie régulièrement comme chef invité, ainsi, entre autres, qu’à l’English National Opera, pour l’Orchestre Symphonique de Milan ou encore à la Staatskapelle de Berlin.

Un programme russo-américain
On se réjouit d’avance de réentendre, toujours en la compagnie du jeune Benjamin Beilman en soliste, le concerto pour violon de Jennifer Higdon. La compositrice née à Brooklyn, qui avait dédié cette pièce à la virtuose Hilary Hahn en 2009, compte parmi les plus jouées sur le continent américain : ses références, venues aussi bien du romantisme européen que des mélodies sucrées de Beatles, Rolling Stones et autres Simon & Garfunkel, feront sans nul doute souffler de nouveau un vent de fraîcheur sur le plateau de l’Opéra Berlioz.
C’est également avec empressement que l’on attend l’Overture to The School for Scandal, première pièce orchestrale du mésestimé Samuel Barber, composée pour son diplôme de fin d’étude au Curtis Institute of Music de Philadelphie en 1931.
La cinquième symphonie de Tchaïkovski clôturera le concert sur des notes plus tragiques venues d’autres rives, non moins romantiques mais bien plus slaves. Le plus célèbre des compositeurs russes n’est cependant pas un étranger pour Roderick Cox, qui s’était déjà attelé en novembre 2019 à son Casse-Noisette, à la direction de l’Orchestre de Paris. Pour un résultat particulièrement ovationné !

SUZANNE CANESSA

8 décembre 
Opéra Berlioz, Le Corum, Montpellier 

La meringue du souterrain

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Plasticienne de formation, Sophie Perez propose depuis 1998 au sein de sa compagnie, le Zerep (anagramme de son nom) un théâtre brut et des spectacles aux titres surréalistes : parmi de nombreux autres, Le coup du cric andalou (2004) Le pied jaloux (2016), Purge baby purge (2018), Les chauves-souris du volcan (2019), La vengeance est un plat (2023). Le délire ne se trouve pas que dans le titre, il envahit la scène avec un langage plastique, vif, transgressif, débordant. La meringue du souterrain (2022) est une sorte d’hommage de Sophie Perez à ses deux acteurs-muses, Sophie Lenoir et Stéphane Roger, déjantés et plongés dans un bric-à-brac dans lequel on trouve notamment les Anthropométries de Yves Klein, des maquillages d’enfants, un quizz théâtral, des danses tribales inédites, un set électro, des textes classiques court-circuités et un canard qui pète.

7 et 8 décembre
Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence

Courts de cœur

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FÁR © Salaud Morisset

FÁR

Venu du grand nord, d’Islande, FÁR de Gunnur Martinsdóttir Schlüter nous fait assister à un drame. Un vol d’oiseaux dans le ciel. Visage d’une femme, Anna, derrière une vitre. Elle participe à une réunion d’affaires dans un café. Cadres serrés, couleurs bleues froides. On parle de gains, de l’installation d’un jacuzzi. Soudain, un choc contre la vitre. Une mouette git, à terre, blessée. Sous les yeux stupéfaits de ses collègues, Anna veut achever l’oiseau mais se fait agresser par des enfants « on n’a pas le droit de tuer » s’insurgent-ils. « La frontière est mince entre la souffrance et la mort »  leur répond-elle. Derrière la vitre, les gens du café observent… Un film, court, efficace, âpre, superbement cadré. FÁR veut dire intrusion ; l’intrusion de l’inattendu dans un monde organisé, de la souffrance et de la mort dans un lieu où ce qui compte est l’argent gagné et l’efficacité économique. Une réussite.

I Once Was Lost

Inspiré par une histoire vraie, I Once Was Lost, entre documentaire, journal intime et fiction, nous raconte une anecdote arrivée à un père, celui de la réalisatrice franco-américaine Emma Limon. Un soir, il dépose en voiture sa fille, lycéenne, chez son premier petit ami. C’est elle qui l’a guidé dans les rues de la ville. Mais au retour, il ne retrouve plus son chemin. Cette anecdote qui lui est arrivé en 2008, il la lui raconte bien plus tard, en 2021. Emma Limon en fait un film. Une déambulation nocturne, très bien filmée, dans la banlieue de Boston. Pas grand monde à qui demander son chemin. John entre dans un tout petit magasin de donuts. Il achète un beignet, essayant d’obtenir des informations. Aucune des trois employées ne parvient vraiment à l’aider mais l’une d’entre elles lui offre plusieurs donuts qu’il dévore dès qu’il retrouve enfin sa route : « je ne me suis senti plus chez moi dans l’univers. » Perdre ses repères  n’est pas toujours une mauvaise chose et ce père qui avait peut être l’impression de perdre-là sa fille devenue femme, a peut-être ici, trouvé un nouveau chemin.

Amarres (C)CHAZ Productions

Amarres

Un autre film inspiré par le réel, celui de Valentine Caille, Amarres. À partir de son histoire personnelle, la réalisatrice écrit une fiction, mise en scène avec soin et superbement interprétée par Alice de Lencquesaing et Jonathan Genet. Livia vient passer quelques jours sur le rucher familial. Elle y retrouve son frère, Louis, qui a fait des séjours en hôpital psychiatrique et qui est psychologiquement très perturbé. Il travaille sur le rucher – les scènes sur le travail des apiculteurs sont très bien documentées… La folie de Louis qui se manifeste dès qu’il est en contact avec les autres est en écho avec la folie technologique qui conduit à la destruction des abeilles. La relation entre le frère et la sœur, entre haine et amour inconditionnel, donne lieu à des scènes intenses, que la musique de Claus Gaspar souligne habilement. Un film riche en émotions.

ANNIE GAVA

Le festival Tous Courts, organisé par l’association Rencontres cinématographiques d’Aix-en-Provence s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre

festivaltouscourts.com

Tous Courts : un regard acéré sur le monde

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Handan Ipekçi | Turquie, Norvège, Suède 2022 | Fictions | 15 min

Le monde ne va pas très bien. Les réalisateurs·trices le disent sur tous les tons. Tragique, comique ou les deux. Sous toutes les formes. Documentaires ou fictions. Usant de l’animation, de l’archive, du témoignage des « vrais gens » ou de l’art(ifice) des acteurs.

Parmi les 54 films sélectionnés en compétition internationale, on en a repéré quatre, qui se rejoignent sur la cruauté et la violence ordinaires de nos sociétés mais adoptent des formes différentes pour en rendre compte.

Ressources humaines

D’abord, le court-métrage d’animation de Titouan Tillier,Isaac Wenzek et Trinidad Plass Caussade  dont le titre : Ressources humaines, va prendre, en trois minutes chrono, un sens très particulier. Technique classique du stop motion. Décor cosy aux couleurs chaudes, où chaque détail compte. Personnages en textile pelucheux. Accompagné d’un ami réalisateur qui filme la scène sans apparaître dans le champ, voici donc, le timide Andy qui se rend à son rendez-vous de recyclage. Un usage naturel dans ce monde là. Accueilli par Wanda, la secrétaire, il vit ses derniers moments sous sa forme humaine pour être transformé en un produit commercialisable. L’horreur n’est qu’une formalité des plus banales. Comme tout récit de science-fiction, c’est bien de l’actualité dont on nous parle ici et d’un capitalisme mangeur d’humanité. Mais avec modestie, douceur, sans affect, sans éclat de voix, ni de style, presqu’en s’excusant comme Andy.

Les Dents du bonheur

Plus caustique et rageur, dans le sillage d’un Ruben Östlund, la « mordante » fable politique de Joséphine Darcy Hopkins, Les Dents du bonheur, met en scène la lutte des classes. Dans une riche demeure arrivent pour une prestation à domicile une esthéticienne et Madeleine, sa fille de huit ans qu’elle n’a pas pu faire garder. À l’étage, les trois bourgeoises méprisantes à souhait. À leurs pieds, la mère de Madeleine. Au-sous sol, dans la salle de jeu, trois fillettes -reflets de leurs mères -, intègrent Madeleine à un jeu de « société » où on mise de l’argent et où l’horrible Eugénie, fille de la propriétaire des lieux, ne perd jamais. Olivia, la domestique fait le lien entres les étages et aura le dernier geste à défaut du dernier mot. Quand on est pauvre, on vend son corps – ses cheveux pour Fantine chez Hugo, ses dents de lait pour Madeleine. Mais, parfois, les dominés refusent leur condition et la force de leur rage est alors telle que ponctuellement le pouvoir des dominants vacille. Le film se clôt sur un sourire édenté, sanglant, vengeur et triomphal tandis que l’indémodable Charles Trenet chante: « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? » ( PRIX Lieux fictifs)

Et si le soleil plongeait dans l’Océan

C’est ce que finit par se dire Raed, le protagoniste de Et si le soleil plongeait dans l’Océan des nues de Wissam Charaf, sur fond de corruption et de magouilles immobilières dans un Liban qui brade son littoral au profit des promoteurs. Gardien d’un chantier du front de mer, Raed doit empêcher les promeneurs d’accéder à l’Océan. Dans ce nulle part, saisi en plans fixes où les Algecos soulevés par les grues se balancent dans le ciel, où les ordres du patron sont contradictoires, et absurdes, où le corps rondelet de Raed ne peut arrêter les hommes de main aux gros bras tatoués et aux lunettes aussi noires que leur 4×4, apparaissent des amoureux, une joggeuse et une mystérieuse photographe. Est-ce rêve ? Est-ce réalité ? Raed est-il mort ? Et cet Algeco maquillé en maison du bonheur, est-ce le paradis des pauvres ? Le riche patron, vieillard sous oxygène, est-il l’image d’un capitalisme mortifère et moribond ? Presque pas de mots dans ce film surréaliste où le problème politique et social devient existentiel comme si Buster Keaton et Père Ubu erraient dans le Désert des Tartares. (PRIX Unifrance)

Diyet (The Payoff)

C’est sur un autre front – de mer –, que nous transporte Diyet (The Payoff) le très beau film de la réalisatrice turque Handn Ipekçi – qui a d’ailleurs remporté le Grand Prix de cette 41e édition. Une juxtaposition de séquences : des vacanciers s’ébattent bruyamment sur la plage surpeuplée d’un été criard, une famille abandonne son chien sur la route. Un vieillard connaît le même sort. Les vagues jettent sur le sable les corps de migrants noyés. Tandis que l’orage gronde, des vêtements militaires sur cintres tournent dans le vent. La guerre n’est pas loin. Les soldats sont en transit. La station balnéaire désertée devient post apocalyptique, les chiens errants affamés se battent autour des poubelles, la fumée noire d’un bateau ou d’une usine plombe le ciel… Superbe photo. Aucun dialogue, aucun commentaire. Le vent, le tonnerre, les détonations, les hurlements à la mort des bêtes, suffisent à ce tableau radicalement désespéré. Une proposition très forte dans le millésime 2023 du festival Tous Courts.

ÉLISE PADOVANI

Le festival Tous Courts s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre à Aix-en-Provence.

Une journée en courts

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La master class

Caroline San Martin, maîtresse de conférences en écriture et pratiques cinématographiques à la Sorbonne,est venue « penser l’écriture du personnage en scenario », une leçon de cinéma qui a rassemble bon nombre d’étudiants. Et ce fut passionnant. Partant d’un texte de Gilles Deleuze, Francis Bacon : Logique de la sensation, celle qui est aussi intervenante à la Femis a proposé de transposer au cinéma ces réflexions sur la peinture. Comment déconstruire des partis-pris, interroger les présupposés, imaginer des possibilités et en faire le tri, ancrer son  personnage dans des situations pour qu’il puisse faire des choix. S’appuyant sur des extraits de courts et longs métrages, Caroline San Martin a aussi dialogué avec ceux qui assistaient à cette master class qui a duré deux heures. On l’aurait bien écoutée deus heures de plus !

Les cartes blanches

Bruno Quiblier, directeur de l’association lausannoise Base-Court est venu présenter six films suisses dont trois d’animation, très différents, dont un, engagé et drôle, « dédié aux animaux victimes d’homophobie » ! Dans la nature de Marcel Barelli. Dans la nature, un couple c’est un mâle et une femelle. Enfin, pas toujours! Un couple c’est aussi une femelle et une femelle. Ou un mâle et un mâle. Vous l’ignoriez, peut-être, mais l’homosexualité n’est pas qu’une histoire d’humain. Original et très graphique, celui de Jonathan Laskar, The Record, où un antiquaire qui s’est vu offrir par un voyageur un disque magique, « lisant dans votre esprit et jouant ce que vous avez en mémoire », s’enferme dans sa boutique avec tous ses souvenirs qui refont surface. Et dans le film de Basile Vuillemin, Les Silencieux, ce ne sont pas des souvenirs que remontent les pêcheurs d’un petit chalutier qui, après des pêches maigres, se sont aventurés dans des zones protégées. Un film superbement mis en scène qui nous fait passer vingt minutes en compagnie de ces marins, confrontés à un rude dilemme.

Les Silencieux © Blue Hour Films

Une autre carte blanche a été proposée au Festival Vues du Québec, étonnement situé à Florac en Lozère, principale manifestation française entièrement consacrée au cinéma québécois, qu’est venu nous présenter son fondateur, Guillaume Sapin. Il nous a proposé sept courts très variés et de très bonne facture. Oasis, le premier documentaire de Justine Martin suit la relation de Raphaël et Rémi, des jumeaux, au moment charnière de l’adolescence. Raphael, atteint d’un handicap, reste prisonnier de l’enfance, Rémi grandit… Un film très touchant. Aucéane Roux, est venue parler de son film d’études cinématographiques à l’École des médias de l’UQAM, Vent du Sud, tourné à Val Gagné, dans l’Ontario, le village que ses grands parents ont quitté comme beaucoup d’autres, laissant des terres en friche. Terres rachetées par des mennonites qui ont fait revivre le village. Un film qui « raconte surtout l’histoire de deux communautés qui se rencontrent à travers un village. C’est l’agriculture qui est leur point commun». Passionnant.

The Record © Kurzfilm Agentur Hamburg

Découvert aussi, le festival de l’écrevisse de Pont-Breaux, en Louisiane, grâce au regard acéré de Guillaume Fournier, Samuel Matteau et Yannick Nolin. Acadania, un court sans paroles mais dont les images parlent, reflet d’une Amérique fatiguée et comme défaillante ; visages fatigués, machines rouillées, parade grotesque. On pourrait aussi évoquer le film d’Annie St-Pierre, Les grandes claques, une fiction qui nous fait partager un réveillon en 1983 : des enfants qui attendent un Père Noël en retard, un père qui attend son passage pour pouvoir emmener ses enfants, angoissé à l’idée d’entrer dans la maison de son ex-belle famille. Un film doux amer qui nous fait partager les tensions et les réactions de chacun. Carte blanche particulièrement réussie !

ANNIE GAVA

Le Festival Tous Courts s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre à Aix-en-Provence.

festivaltouscourts.com

Au Bois de l’Aune, de l’invisible pour les yeux

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S’il est un lieu où la vue semble primordiale, c’est bien le théâtre. Son étymologie même renvoie au domaine de la vue, le terme grec θέατρον (théâtre, lieu où l’on regarde, vient du verbe θεάομαι, regarder). Mettre en scène et lui demander de partager sa perception avec le public relève du paradoxe, de prime abord avant d’ouvrir des champs démultipliés à notre entendement. La metteuse en scène Lorraine de Sagazan et l’auteur Guillaume Poix ont collecté de nombreux témoignages de personnes déficientes visuelles et c’est à partir de celui de Thierry Sabatier qu’ils ont construit leur spectacle. Seul, Thierry Sabatier s’avance devant la scène, explique sa cécité, l’accident, alors qu’il n’avait que seize ans, qui a scellé l’évolution d’une maladie que personne n’avait détectée et qui peu à peu rongeait son champ de vision. Il évoque sa vie d’enfant, la dernière pièce qu’il a « vue » avec sa mère peu avant la mort de celle-ci. Elle lui chuchotait alors ce qui se déroulait sur scène afin qu’il profite de la représentation comme tous les autres spectateurs. Cette pièce se trouve au centre du propos.

Un réel « augmenté »

Le réel et la fiction théâtrale se conjuguent ici étroitement. La mémoire de celui qui cherche à se souvenir de son visage et ne « voit » les autres qu’en les touchant, tente de reconstituer ce moment du passé lié au basculement de son existence. Une même scène reprise plusieurs fois, et chaque fois un peu plus étoffée, dessine des échos entre les souvenirs de la pièce, ceux du vécu et la confusion qui s’est établie entre le réel et la construction littéraire. Notre perception des œuvres est interrogée par ce biais : notre réception d’une production artistique est nourrie de ce que nous sommes et la mémoire que nous en avons est tributaire de ce que nous sommes. Notre réalité est augmentée par les références de ce que nous avons vu, lu, écouté…  

Une autre appréhension des sens

Le début de l’évocation de la pièce dont le nom a été oublié, (l’enjeu du récit ne réside pas là), est effectué dans l’ombre où se dessinent deux silhouettes immobiles qui se contentent de dire leur texte, reproduisant ce que l’on pourrait supposer de la perception d’une personne aveugle, seules les voix compteraient… « Faux ! » s’insurge alors Thierry Sabatier. Les gestes, les mouvements, les attitudes, tout est sensible et perçu, même pour un non-voyant. Les deux acteurs essaient alors de reconstituer le ton, les intentions de la pièce, les mots deviennent subalternes, l’important est de mettre en scène un couple qui se déchire, à l’instar du couple des parents de Thierry Sabatier. La vue est mise en défaut : « et vous, est-ce que vous vous fiez à ce que vous voyez ? » interroge malicieusement Thierry en s’adressant au public. Les deux comédiens professionnels, Chloé Olivères et Romain Cottard, l’aident à retrouver les personnages de la pièce inconnue. Lui, dans son propre rôle, canne blanche à la main, sourit vers l’assistance, nous interpelle sur notre perception du réel, la met en cause. L’approche des méandres de la mémoire, de la complexité des sentiments, des ambiguïtés humaines, des brumes de la création, est d’une finesse et d’une profondeur délicate. Il n’y a pas de larmoiements ou de « bons sentiments » vains, mais une émotion et un humour qui rendent à la vie sa richesse et son humanité. Notre incapacité commune, quels que soient les sens dont nous disposons, à saisir le réel dans son objective présence, nous renvoie à notre condition d’êtres en proie aux variations des émotions, créateurs inconscients d’affabulations, construisant nos propres autofictions au cœur d’un monde que nous nous approprions par la grâce des fictions.

MARYVONNE COLOMBANI

La Vie invisible a été donné le 21 novembre, au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.

Un festival pour les moldus de magie 

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Jazz Magic Perpere © X-DR

« Mettre de l’extra dans son ordinaire, ré-enchanter le présent » c’est avec ses mots que la directrice de La Garance Chloé Tournier et son équipe avait annoncé la création du festival de magie nouvelle manip ! en décembre 2022. Un projet conçu en lien avec l’artiste complice Thierry Collet, chercheur dans le domaine de la magie, et diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. La magie, une discipline à la croisée des arts et des sciences, du palpable et de l’impalpable, interrogeant notre rapport au réel. Car souvent, on n’en croit pas ses yeux… Et pourtant ! 

Manip#2

Mais qui dit magie nouvelle dit aussi diversité des pratiques : mentalisme, illusion, manipulation d’objets, cartomancie et close-up, ombromagie, et même arts numériques, toutes sont au programme du festival. Le 5 décembre, la Cie Raoul Lambert, présente Désenfumage3, voyage en compagnie des Raouls, acrobates, mentalistes et illusionnistes, à travers l’histoire du cinéma et de ses effets spéciaux. Du 5 au 9, en itinérance, Yann Frisch invite le public dans son camion-théâtre, pour Le Paradoxe de Georges (paradoxe du spectateur de magie qui croit à ce qu’il voit tout en sachant que c’est faux…). Les 7 et 8, dans Ça disparait, création de la Compagnie Stupefy, les illusionnistes Rémy Berthier et Matthieu Villatelle tentent de répondre à la question : « Mais où ça va les choses quand ça disparaît ? ». Quant à l’artiste-complice Thierry Collet on le retrouve, entre chorégraphie de cartes à jouer et multiplication de boissons sur commande, racontant son parcours dans Dans la peau d’un magicien (le 9), et (dé)mystifiant tout le monde entre algorithmes et objets connectés dans Que du bonheur ! (les 5 et 6). Enfin La Magic Night (les 7 et 8), déambulation magique dans la salle de La Garance, entre la cartomancie d’Antoine Terrieux, l’ombromancie de Philippe Beau, le mentalisme de Thierry Collet, mais aussi initiation à la prestidigitation avec des kits magiques, fabrication de tours de magie, et confrontations avec des machines mentalistes.

MARC VOIRY

Festival manip !
Du 5 au 9 décembre
La Garance, scène nationale de Cavaillon
lagarance.com