samedi 27 décembre 2025
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Les chemins du chant

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A FILETTA © Olivier Sanchez : Crystal Pictures

L’année anniversaire 2024 s’orchestre autour de trois temps forts ponctués de parenthèses, escales insérées au cœur du carnet de voyage qui passe des Printemps sacrés (avril) aux Polyphonies au Palais Carli (septembre) et aux Musiques du Monde à la Cité de la Musique (octobre). En avril c’est un compagnon de route de la Maison du Chant, Manu Théron, qui propose, interprété par Madalena, ensemble vocal composé de 24 femmes, son adaptation de la cantilène à Sancta Maria Magdalena, figure tutélaire de Marseille à la suite d’Artémis d’Éphèse. Autrefois confié aux chanoines de la cathédrale de Marseille, ce chant sera magnifié par les voix du chœur Madalena, ode à la vie, à l’émancipation. L’archaïsme de la partition fait curieusement osciller cette musique entre élans populaires et modernité. Un bijou à découvrir avant de s’immerger dans le tissage sublime des voix du groupe A Filetta, sur un répertoire de polyphonies sacrées corses. La maîtrise parfaite, la sensibilité, l’intelligence du chant, font de chaque concert de ce groupe un temps suspendu. Autre privilège, celui de participer à l’atelier animé le 13 avril par les infatigables et généreux chanteurs grâce aux Voix de la Canebière (Maxime Wagner) dont la restitution sera donnée en fin de journée (17 heures). Quelle collection de pépites !

MARYVONNE COLOMBANI

De Vives Voix
12 au 13 avril
Église Saint-Pierre et Saint-Paul, Marseille

Aflam ou ce que les cinémas arabes apportent au monde 

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Créée en 2000, l’association Aflam a pour objectif de faire découvrir les cinématographies arabes. Dès la première édition à Marseille, son Festival du film arabe a inauguré le partenariat avec l’Institut du monde arabe à Paris, qui y a immédiatement trouvé l’opportunité d’assurer le relais de sa Biennale des cinémas arabes. Depuis, leur objectif commun est de favoriser la réappropriation d’une histoire du cinéma souvent peu connue par les spectateurs, toutes générations confondues et originaires de différents pays arabes. L’accueil de réalisateurs et acteurs du monde arabe et méditerranéens contribue à développer les débats autour des projections et souvent à changer de regard sur les sociétés civiles des deux rives.

Porter les aspirations démocratiques

Avec ses différents programmes, le festival Aflam, Les Écrans, WarshatAflam, résidences d’écriture de scénarios et la Plateforme Internationale, l’association a développé une véritable expertise et contribué à rendre visible le « réveil » des sociétés civiles du monde arabe.

La soif de démocratie des peuples arabes interpelle les pouvoirs en place depuis les indépendances. Mais 2010 a marqué une année charnière durant laquelle les récits nationaux et nationalistes, ces « rentes mémorielles » comme certains les dénomment, se sont fendus, laissant apparaître la confiscation des révolutions populaires qui avaient menées aux indépendances. Spoliations, autoritarisme et usurpation des luttes qui portaient l’espoir de la démocratie et du développement sont à l’œuvre et se sont enracinés : la multiplication des conflits hérités de la colonisation conjuguée à la reprise en main par des gouvernements autoritaires, livre les peuples arabes à l’exil, la misère et la répression.

Dans ce contexte de tensions géopolitiques et de contestations populaires, les initiatives d’Aflam constituent un enjeu majeur : il s’agit de porter ces aspirations jusqu’à nous, en les inscrivant dans une programmation articulant diffusions, rencontres et édition : les cahiers d’Aflam prolongent les connaissances et remettent en contexte la ligne éditoriale du festival.

Résistance et Palestine

Pour cette onzième édition, le festival présente une quarantaine de films dont le fil rouge croise la mémoire des luttes et des lieux. 25 films produits en 2022 et 2023, certains primés, d’autres inédits ou en avant-première, ouvrent une fenêtre sur la création cinématographique d’une région sans cesse tourmentée, mais d’une créativité toujours foisonnante. Parmi les films récents de la sélection de cette 11e édition, plusieurs font apparaître la volonté d’émancipation et la poursuite des luttes des jeunes générations pour gagner une liberté que continuent à leur refuser des régimes politiques autoritaires. Au Liban, en Irak ou en Syrie, ces films mettent en lumière le courage d’une jeunesse qui veut choisir sa vie, mais qui n’hésite pas à risquer la sienne, dans le combat de rue ou en organisant les secours face à des États incapables de protéger leurs citoyens.

Comme le souligne Solange Poulet, fondatrice et vice-présidente d’Aflam, « la rétrospective intitulée La Palestine des cinéastes : des images pour exister aurait pu s’intituler pour Résister »,au regard ducontexte dramatique que connaissent les Palestiniens en l’absence du cessez-le-feu et de l’incapacité de la communauté internationale de protéger les populations du risque de génocide en cours. Un hommage aux cinéastes qui, depuis des décennies, dénoncent dans leurs films l’injustice d’une situation coloniale insoutenable.

La focale se resserre sur l’après Oslo, l’échec du processus de paix et l’impossible retour en Palestine de millions de réfugiés, avec deux classiques du cinéma palestinien : Conte des trois diamants de Michel Khleifi (1994), tourné à Gaza et dont les images sont aujourd’hui comme les archives d’un territoire effacé de la carte ; Intervention divine d’Elia Suleiman (2002), qui met en scène avec l’humour corrosif qu’on lui connaît, la difficulté d’exister, d’être Palestinien.

Conte trois diamants, de Michel Khleifi

Le festival revient aussi en force avec du « cinéma de genre » ou des séances dédiées aux archives du cinéma, avec Nabil Djedouani, archiviste et programmateur autour du cycle Vives archives !

Aflam propose aussi deux concerts et DJ sets (Kader Denednia, Mehtoze) les 13 et 17 avril au restaurant Asabiya, une séance participative avec les élèves arabisants du collège Marseilleveyre, un atelier d’écriture guidé par l’éditrice Mathilde Chèvre, des rencontres avec les cinéastes et les étudiants de la classe préparatoire cinéma de Marseilleveyre, aux côtés de Salima Tenfiche, chercheure en cinéma et Jacopo Di Falco, réalisateur.

Pas de prophète en ce pays

Malgré ce passé, cette programmation, cette pertinence, Aflam est en danger de disparaître faute de financements. Pourtant, Marseille et sa région ont su développer une filière professionnelle constituée de techniciens habitués aux tournages d’envergure internationale, de prestataires de services techniques expérimentés et bien équipés. Il apparaît évident qu’Aflam constitue un autre moyen de valoriser l’intérêt porté aux cinémas et à ses promoteurs dans notre région, et une passerelle de ces cinémas vers l’Europe.

L’ancrage méditerranéen de notre territoire, si souvent évoqué pour soutenir toute candidature lors des manifestations internationales, devrait amener les collectivités à assurer la pérennité d’un acteur associatif, expert de son champ et ayant fait ses preuves depuis plus de deux décennies, par l’auditoire et les partenaires qu’il mobilise. La situation financière de l’association exige cet intérêt accru des collectivités territoriales, mais aussi du ministère de la Culture, qui a publié récemment un guide des financements pour développer la mobilité culturelle dans la région sud de la Méditerranée.

SAMIA CHABANI

Femmes artistes et concordance des luttes

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Nous ne l’avons pas choisi : cette semaine notre hebdo, reflet de l’actualité culturelle, pose la question de la visibilité des artistes femmes à de nombreuses reprises. En constatant les immenses progrès : le Festival d’Avignon leur ouvre enfin la Cour d’Honneur, Musical Bounce Back à Marseille et Présences Compositrices à l’Abbaye de la Celle affirment l’importance des femmes dans l’histoire de la musique savante. 

Côté musiques actuelles, Girl, Girl, Girl à Avignon ou Eclipse de l’Une à Istres, constatent l’abyssal déséquilibre et programment des femmes. Les musiques du monde en particulier étant fondées sur des répertoires clivés, la mixité reste difficile à atteindre : De Vives Voix, à Marseille, programme un chœur d’hommes, puis un chœur de femmes. Mais c’est sans scrupules que le Syndicat des musiques actuelles, pourtant sensible à ces questions, programme le 11 avril à l’Espace Julien trois concerts 100 % masculins. Ou que le nouveau Fonky Festival de Mars programme 2 femmes seulement sur 23 rappeurs. Le rap serait-il une affaire d’hommes ? Et les femmes, comme le suggère DJ Djel, seraient-elles plus (naturellement) portées vers la danse classique ? Accepter que le rap et les musiques actuelles reposent sur une franche domination masculine est grave, les représentations qu’ils génèrent impactant massivement les jeunes. 

Les arguments opposés au principe de parité sont généralement de trois types : ils ne trouvent pas de femmes (cherchez mieux), ils ne veulent pas programmer en fonction du genre mais du talent (ça vient avec la testostérone ?), ou ils sous-entendent que les féministes prônant la parité attaquent les racisés et leurs représentations genrées. 

Violence des classes voisines

Ce soupçon de racisme est particulièrement dangereux : opposant les luttes, il nie la double domination dont sont victimes les femmes racisées. Et ne repose sur aucune réalité : Aflam parviendrait à « trouver » des films de réalisatrices palestiniennes, iraniennes, syriennes, mais il n’y aurait pas de jeunes rappeuses émergentes qui s’affranchissent des dominations de genre, de classe et d’origine à Marseille ? 

C’est en remplaçant la lutte des classes, celle qui oppose le peuple aux capitalistes qui les exploitent, par la lutte des classes voisines – smicards contre RSA, petits cadres contre employés – que le capitalisme actuel parvient à se maintenir, ouvrant ainsi la porte aux extrêmes droites aptes à générer les crises dont il a besoin pour ses cycles de destruction/croissance.  

Cette domination capitaliste, exercée très massivement par des hommes blancs hétérosexuels, minoritaires donc, ne parvient à se maintenir qu’en ralliant des dominés à sa cause. Des féministes et des LGBT agressé·eƒs par des racisés, des racisés agressés par des prolétaires, des racisées par des racisés, des trans et des roms par tous à la fois. 

Angela Davis, il y a plus de 50 ans, refusait ces oppositions et ralliements en incarnant l’intersectionnalité. Le spectacle qui passe au Sémaphore de Port-de-Bouc rappelle son combat. Féministe, noire, lesbienne, enfant de la ségrégation, elle pouvait porter ensemble toutes les luttes, ce que nous ne pouvons pas tous·tes. Mais nous pouvons avoir conscience d’une nécessaire concordance des luttes entre dominé·e·s, pour déminer l’affolante explosion de violence entre classes voisines.

AGNÈS FRESCHEL

Vrai de vrai soigne ses docs 

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Chaylla de Clara Teper © X-DR

Du 11 au 14 avril à Marseille, l’Association des auteurs réalisateurs du Sud-Est et l’associationCétaCéoffrent à ceux qui aiment les documentaires, des films qui racontent le monde en présence de leurs auteurs. Parmi eux, Avi Mograbi, cinéaste engagé et expérimentateur permanent du langage cinématographique, animera une masterclass jeudi 11 avril à 14 h à l’Espace Turbulence (Campus Saint-Charles). La veille, on aura pu voir Les 54 premières années: manuel d’occupation militaire : À travers les témoignages de soldats, Avi Mograbi dévoile le fonctionnement d’une occupation colonialiste et met en lumière la logique qui sous-tend de telles pratiques. Autre film sur la guerre, TranchéesLoup Bureau nous plonge là où chacun doit à la fois se protéger de la mort, mais aussi tenter de recréer une normalité ; un témoignage inédit et poignant de la guerre du Donbass, prémices de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Tout aura commencé le 11 avril à 20 h à La Baleine avec Solid, le premier long de Marcus Vanmalle qui a filmé Mickaël, son ami de lycée, le youtubeur connu sous le pseudo de Solid Mike. Benjamin Colaux nous emmène aux confins du monde où trois hommes affrontent la mer australe et ses dangers. La Nigérienne Aïcha Macky sera en visio-conférence après la projection de Zinder où elle a filmé les destins cabossés de plusieurs jeunes marginaux dans un quartier mal famé de Zinder, deuxième ville du Niger. Et dans Chaylla, Clara Teper et Paul Pirritano proposent un éclairage sur les violences faites aux femmes et les difficultés de se frayer son propre chemin vers la justice.

On pourra aussi réfléchir, au moment où on parle de « Marseille en grand » à la place pour la création, les acteurs locaux, les artistes et les artisans. Quel paysage audiovisuel se dessine en Région Sud-Paca ? Ce sera le thème de la table ronde donnée le 13 avril à La Baleine. Cinéma où les séances sont gratuites et en présence de l’ensemble des réalisateurs·ices, tout comme au Gyptis et au Vidéodrome 2. Profitons-en ! 

ANNIE GAVA

Vrai de vrai
Du 11 au 14 avril
La Baleine, Gyptis, Vidéodrome 2
Marseille

La mairie de Six-Fours saborde le Pointu Festival

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Le Pointu Festival en 2022 © Gaelle Beri
Le Pointu Festival en 2022 © Gaelle Beri

La décision était crainte, elle est désormais certaine : il n’y aura pas de Pointu Festival en 2024. En septembre dernier, deux articles de Télérama et des Inrockuptibles alertaient déjà sur la possible fin du festival, mettant notamment en avant la polémique sur les chants anti-police entendus pendant l’édition 2023, largement dénoncés par des élus de droite de la région. Deux articles qui avaient fait réagir Jean-Sébastien Vialatte, maire de Six-Fours-les-Plages, déclarant dans Var-Matin « qu’aucune décision n’était prise », et qu’il « n’allait supprimer un festival pour 20 connards qui ont chanté [contre la police] ». Quelques mois plus tard, la décision est désormais actée. La mairie, principal financeur du rendez-vous, explique à Zébuline avoir motivé sa décision par la volonté de protéger le site naturel du Gaou, et l’impossibilité pour les forces de l’ordre de sécuriser le rendez-vous en raison des Jeux olympiques. Une dernière explication pourtant contredite par la préfecture du Var.  

C’est par une communication discrète qu’une partie du voile a été levée ce 4 mars sur le site de la mairie de Six-Fours-les-Plages : « après concertation avec les administrés […], la mairie a choisi d’interdire définitivement les événements de grande ampleur sur le site, dont les festivals ». Le site, c’est la Presqu’île du Gaou, cadre idyllique dans lequel le Pointu Festival était installé depuis 2016. La concertation, c’est celle lancée par la mairie suite à un incendie ayant parcouru 5 000 m2 sur la Presqu’île le 30 juillet dernier – bien après la fin du festival. Une « prise de conscience » pour Fabiola Casagrande, adjointe au maire en charge de la Culture de la commune, qui a poussé « le maire et les élus à réfléchir à une destinée pour la presqu’île du Gaou ».

Fini donc le Pointu Festival sur son site originel. Reste que la possibilité d’organiser le rendez-vous dans un autre lieu était sur la table. Toujours dans Var Matin, Jean-Sébastien Vialatte expliquait qu’il n’était pas exclu que le Pointu trouve un autre point de chute, sur l’esplanade de Rayon de soleil par exemple. Selon nos informations, des lieux ont été proposés à la mairie pour l’édition 2024, mais tous ont été refusés.

Les J.O. ont bon dos

Pour la mairie, l’autre raison de l’annulation réside dans la concomitance avec les Jeux olympiques car « il n’y aurait pas [les forces de] sécurité requise[s] à disposition des collectivités », explique Fabiola Casagrande. Le festival se déroule pourtant habituellement le premier week-end de juillet, en dehors des dates des Jeux olympiques. En outre, le calendrier établi par le Gouvernement annonce qu’entre le 23 juin et le 17 juillet 2024 « tous les festivals et événements ont vocation à être maintenus ». Contactée, la préfecture du Var nous a répondu qu’ « aucune demande n’a été transmise aux services de la préfecture qui n’a donc pu émettre aucun avis sur cet évènement en particulier. »

Mais alors pourquoi annuler un rendez-vous qui sortait d’une édition 2023 record avec 18 000 festivaliers ? Les chants anti-police ? « Il n’y a pas de rapport » balaie l’adjointe, allant dans le même sens que le maire quelques mois plus tôt. Pour certains, l’une des raisons est peut-être ailleurs : « L’engouement de l’année dernière à amener des festivaliers à être présents en dehors du site du festival. Notamment dans des quartiers résidentiels, avec des populations souvent âgées, qui ont tendance à vouloir rester tranquilles », explique Alexandre Telliez-Moreni, fondateur du label varois Toolong Records.

Cette affluence nouvelle était pourtant vue d’un bon œil par les commerçants du port du Brusc, attenant à la Presqu’île du Gaou : « L’année dernière, le Pointu Festival a fait partie des événements qui ont sauvé notre été. On n’avait jamais connu un tel succès », explique Stéphane Tomatis, responsable du Bistro. « C’est dramatique pour notre quartier qui devient de plus en plus une maison de retraite », déplore-t-il.

2024, et après ?

Toujours est-il que le futur du Pointu Festival resterait ouvert selon la mairie, qui ne « laisse rien présager des autres années ». Sauf que le contrat de Vincent Lechat, directeur du Pointu, qui en assurait également sa programmation, n’a pas été renouvelé. Difficile alors d’imaginer un retour du rendez-vous à Six-Fours, en tous cas avec la même ambition.

NICOLAS SANTUCCI

Avant que tout ne disparaisse

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La Base © Tangente Distribution

La Base ou BAT (Base Arrière Taxi), c’est le centre de transit et d’attente pour 1500 taxis dans la zone aéroportuaire de Roissy Charles de Gaulle. Un lieu refuge pour « des chauffeurs confrontés à un marché en déclin ». Un « paysage » que le jeune réalisateur Vadim Dumesh a désiré intégrer dans un film. Le projet est difficile à réaliser en tournage classique car soumis à une surveillance stricte et aux autorisations administratives. Mais Vadim Dumesh prend son temps et parvient à le finaliser. D’une part grâce aux longs travellings saisis en voiture pendant le confinement de 2020, découvrant un espace désert de béton gris, vision post apocalyptique d’un monde où l’humanité serait effacée. D’autre part, grâce à la collaboration des chauffeurs de taxi eux-mêmes, s’auto-représentant, captant avec leurs smartphones, le quotidien de la base et son déménagement en 2017 pour un nouveau centre plus grand. Enfin, par le montage astucieux de Clara Chapus, mêlant la diversité des points de vue, les langages audiovisuels de chacun des trois protagonistes principaux, leur dialogue avec le réalisateur, les fils narratifs et thématiques qui font unité et sens. Malgré un titre qui s’associe à la stabilité, La Base est un film sur le passage, la mutation, l’instabilité, le tremblé de notre monde et la menace suspendue de sa disparition.

Une communauté en sursis
Chauffeur de taxi à Roissy, ce n’est pas un boulot pour les Français. Pas d’horaires, un salaire de misère, « c’est bon pour les Immigrés », dit une Africaine, précisant en rigolant qu’il y a toujours eu des Immigrés – même Jésus en Egypte, et qu’il y en aura toujours. Ces damnés du volant, Laotiens, Thaïlandais, Maghrébins, Africains, ont souvent plus de 60 ans au compteur ! Ils ont transformé leur lieu de travail, cet immense parking à ciel ouvert, en lieu de vie. On y mange (les cuisines du monde : couscous, ou nouilles asiatiques). Pendant les interminables attentes, on y écoute et on y joue de la musique, on fait du karaoké. On philosophe autour d’un thé ou d’une chicha. On peut jouer au tennis de table dans des espaces aménagés ou au jeu de go sur des tables improvisées. On jardine aussi. Sur le mini terrain vague bordant le parking et les voies bétonnées, Ahmad flanqué de son chien, a planté de la roquette, des piments, des tomates bio et un arbuste venu du Maroc, qu’il transplantera dans la nouvelle base, malgré son caractère plus policé. Fragile résistance à l’inhumanité. Ahmad, qui saura s’arrêter pour aller cultiver son jardin avec sa famille. Tout est allé trop vite : la révolution informatique, l’ubérisation. Et maintenant, la menace des taxis robots chinois. De sa voix éraillée comme dans un hurlement empêché, Jean-Jacques prédit la fin. Il veut faire mémoire par le cinéma avant que tout ne disparaisse et que nous ne vivions dans un monde aussi fantomatique que celui que nous avons connu pendant la pandémie. Mme Vong, résolument positive, malgré la fatigue de son visage, fait un tuto sur le lavage de son véhicule, avec un litre d’eau et un chiffon. Tous sont suspendus à une nouvelle mutation technologique qui les exclurait ou à une catastrophe qui les, qui nous, anéantirait.

ÉLISE PADOVANI

La Base, de Vadim Dumesh
En salles le 3 avril

L’art s’anime à Nîmes

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Studio Rémi Villaggi - 50 Bd de l'Europe - 57070 Metz

À Arles, il y a la photographie, à Avignon il y a le théâtre, à Montpellier, il y a la danse et Radio France, et à Nîmes, depuis 70 ans, il y a la Feria, pour Pentecôte et pour les vendanges. La Ville a eu envie de faire bouger son image de ville patrimoniale, et de montrer qu’elle était aussi tournée vers la modernité. Résultat, LE grand projet culturel de l’actuelle municipalité, La Contemporaine de Nîmes, triennale d’art contemporain, dont la première édition débute ce 5 avril et se clôturera le 23 juin prochain. Sophie Roulle, adjointe déléguée à la Culture de la Ville de Nîmes, décrit ainsi l’initiative : « La Ville de Nîmes avait la volonté de proposer un événement culturel nouveau, moderne et capable d’intéresser un large public. La Contemporaine de Nîmes n’est pas un événement hors-sol, mais un projet sur mesure, issu du territoire, pour les Nîmois et les visiteurs, à la fois ambitieux et audacieux. ».

All-over Nîmes

Une Contemporaine de Nîmes qui prend la forme d’une grande exposition pluridisciplinaire, se déroulant dans toute la ville, espace public, monuments, sites patrimoniaux, musées, lieux culturels et du quotidien. Intitulée La Fleur et la Force, elle rassemble 12 binômes intergénérationnels d’artistes dans autant de lieux. Le parcours de l’exposition est réparti en cinq secteurs : Gare, Arènes, Chapitre, Carré et Jardins. Les 10 semaines de la manifestation vont être rythmées par six temps forts, dédiés aux arts vivants et performatifs, répartis au sein de trois grands week-ends : le week-end d’ouverture (5-6-7 avril), le week-end intermédiaire (24-25-26 mai) et le week-end de clôture (21-22-23 juin). Trois « Maisons », espaces de rencontres et de convivialité, habitées par des artistes et collectifs en résidence, ont été créées. Et une programmation associée se déroulera en parallèle, conçue avec une douzaine d’acteurs culturels nîmois. Plusieurs dizaines d’artistes reconnus et émergents de la scène française et internationale sont mis à l’honneur, parmi lesquels : Baya, Ndayé Kouagou, Uèle Lamore, Mohamed Bourouissa, Sonia Chiambretto, Prune Phi, Delphine Dénéréaz, Pierre Soulages, Olivier Dubois, Tadashi Kawamata.

Ambiance jeune

Les directeurs artistiques de la triennale sont les commissaires d’exposition Anna Labouze et Keimis Henni, fondateurs et directeurs d’Artagon, association dédiée à l’accompagnement de la création émergente. Ils sont également directeurs artistiques des Magasins Généraux à Pantin. « Une nouvelle jeunesse » est le titre qu’ils ont choisi pour cette première édition de La Contemporaine qui est dédiée à la jeunesse actuelle, ses préoccupations et ses liens avec les générations qui la précèdent. Sont entre autres évoqués les représentations et préoccupations de la jeunesse d’hier et d’aujourd’hui, l’héritage intime et collectif, les relations entre générations au sein de familles héréditaires ou choisies, de groupes ou de communautés, le retour en enfance, ou encore la quête de la jeunesse éternelle. Le titre de la grande exposition La Fleur et la Force fait référence à la fleur et à la force de l’âge. Pour les temps forts, les commissaires d’exposition ont invité des artistes, des collectifs et des compagnies à revisiter et réinterpréter des souvenirs d’enfance ou de jeunesse : une boum, une kermesse, une fugue, une sortie au théâtre…

Week-end d’ouverture

Les 5, 6 et 7 avril c’est le week-end d’ouverture. Des journées rythmées par de nombreux rendez-vous, à partir de 10h, parmi lesquels le vendredi 5 de 18h-22h : vernissage de l’exposition La Fleur et la Force et La Fugue, parcours musical à travers la ville avec Uèle Lamore et des élèves du Conservatoire de Nîmes. Le samedi 6 avril 11h : vernissage de l’exposition collective associée Channel au CACN – Centre d’art contemporain de Nîmes et de 18h à 1h : La Boum, grande fête d’ouverture dans les Arènes avec Aïda Bruyère, Barbara Butch et leurs invitées. Enfin dimanche 7 avril, à partir de 12h, les fêtes d’ouverture des trois Maisons de la Contemporaine.

MARC VOIRY 
La Contemporaine de Nîmes
Du 5 avril au 23 juin
Divers lieux, Nîmes

Salon-de-Provence : des toiles filantes

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Screenshot

Permettre aux gens d’aller à la rencontre de vivants aux semelles de vent, sans jamais quitter son fauteuil, telle est l’ambition des Rencontres Ciné de Salon-de-Provence. Du 5 au 14 avril la 34e édition du festival projette à Cineplanet une soixantaine de films et prévoit plusieurs conférences et débats autour de l’actualité sociale et politique, parfois brûlante.

Du ciné…

L’attention particulière portée au film documentaire dans la programmation montre l’attachement des Rencontres Ciné au champ politique. Avec l’avant-première de Once upon a time in Venezuela on plonge dans la lutte des habitants de Congo Mirador contre l’exploitation pétrolière de leur village. Bye Bye Tibériade nous amène au cœur de l’histoire mémorielle de la Palestine, où il est question d’exil et de douleur. Mais les projections aux sujets graves n’effacent pas la présence de films plus humoristiques. C’est le cas du premier film de la Québécoise Ariane Louise-Seize, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, racontant l’histoire cocasse du compromis entre une vampire anti-meurtre et un homme lassé de vivre. Quelques comédies donc, quelques polars, mais aussi des drames, à l’image des tragiques expériences humaines que le festival s’est donné pour but de représenter. Un autre fil rouge se dégage de la programmation puisque ces rencontres cinés sont un véritable voyage, faisant passer les spectateurs par 41 pays et avec une focale particulière sur les combats et les aspirations de la jeunesse.

…et des rencontres

Pour les festivaliers il ne s’agit pas que de regarder silencieusement les films qui leur sont proposés. Sur les 62 films, dix font l’objet de rencontres entre le public et les réalisateur·ices, acteurs et distributeurs des dites projections. La rencontre avec Jon Marquez, le directeur de la photographie de Once upon a time in Venezuela peut ainsi permettre d’ouvrir le dialogue autour de ce documentaire engagé (le 9 avril). La conférence de SOS Méditerranée et Welcome Salon, partenaires de Moi, Capitaine, place notre rapport avec l’autre au centre des débats (le 10 avril).  La réussite de cette 34e édition se déterminera sans doute par la qualité des discussions et des idées échangées lors de ces rencontres prometteuses. 

RENAUD GUISSANI 
Rencontres cinématographiques de Salon-de-Provence
Du 5 au 14 avril
Cineplanet, Salon-de-Provence
rencontres-cinesalon.or

Une résistance sénégalaise

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Après Tableau Ferraille en 1997 et Madame Brouette (Ours d’Argent à la Berlinale en 2002), le cinéaste sénégalais Moussa Sène Absa poursuit son exploration de la société de son pays, exposant ses maux, ses tabous dans son dernier film, Xalé, les blessures de l’enfance. « Pour tous mes films, je m’inspire de ce qui se passe autour de moi : je n’invente rien, tout est là ! » 

Inspiré par un fait qui s’est passé dans sa famille, il nous raconte l’histoire d’Awa (Nguissaly Barry), une jeune fille de 15 ans, qui partage son temps entre un petit travail dans un salon de coiffure et l’école où elle excelle. Contrairement à son frère jumeau, Adama (Mabeye Diol) petit vendeur dans les rues de Dakar et qui n’aspire qu’à une chose : s’embarquer sur une pirogue pour fuir ce pays qui ne donne aucun avenir à ses enfants. À la mort de la grand-mère, la vie d’Awa est bouleversée. En effet, selon les derniers vœux de l’aïeule, sa tante Fatou (Rokhaya Niang) est mariée de force à Atoumane (Ibrahim Mbaye), son cousin qu’elle n’aime pas. Fatou résiste : le mariage n’est pas consommé. Atoumane blessé dans son amour propre, méprisé par son patron, castré par la société, en arrive à commettre un acte infâme : violer sa nièce. Suite au verdict du tribunal coutumier, il est exclu du village pour dix ans. Awa est détruite mais, se retrouvant enceinte, elle relève la tête et prend seule la décision de garder le bébé… Elle a pu ouvrir son salon de coiffure, elle élève sa fille Bintou, a retrouvé son amour  d’adolescence, semblant s’être reconstruite jusqu’au jour où Atoumane revient…

« Les maux qui gangrènent »

À travers l’histoire d’Awa remarquablement interprétée par Nguissaly Barry, Moussa Sène Absa veut faire réagir face à un problème majeur de la société : « Quand on lit les journaux sénégalais, on se rend compte que pas une journée ne se passe sans qu’on y évoque un viol par un père, un cousin, etc. Le plus souvent, cela se passe dans le cercle familial, ou professionnel, avec des enseignants qui abusent de leurs élèves. Il y a beaucoup de non-dits dans la société sénégalaise et c’est justement ceux-ci qui m’intéressent. Il faut s’appesantir sur les maux qui gangrènent notre société. » 

Tourné en langue wolove, majoritairement parlée au Sénégal, Xalé, les blessures de l’enfance est un film rempli de couleurs et de musique. Robes des griots et des griottes, tantôt rouges, tantôt bleues, tantôt blanches selon qu’ils condamnent, commentent, encouragent ou chantent l’amour. Comme un chœur antique. « Ce n’est pas imaginable pour moi qu’un de mes films n’ait pas de musique » précise Moussa Sène Absa qui vient d’une famille de griots. 

Xale, les blessures de l’enfance est dédié à Rock Demers, producteur de son film Madame Brouette, disparu et 2021 et à sa mère : « Mes films sont des hommages continus aux femmes, à leur force au quotidien. Je suis certain des apports considérables des femmes à la société, leur place permet d’assurer équilibre. » Comment ne pas être d’accord avec lui !? 

ANNIE GAVA
Xale, les blessures de l’enfance, de Moussa Sène Absa
En salles le 3 avril

Cendrillon, sans hésiter

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J.Pommerat Cendrillon © Cici Olsson

Il y a des spectacles qui vous marquent, où vous voudriez emmener tous vos proches, faire voir à tous. Cendrillon de Joël Pommerat fait partie de ceux-là. Créée en 2011, recréée en 2022, la pièce met en scène le deuil et l’enfance avec une force émotionnelle exceptionnelle. Tout y est parfait, la puissance simple des acteurs, le lumières qui s’éteignent si brutalement, l’erreur de l’enfant, le temps qui s’écoule trop lentement, trop bruyamment, le père, les sœurs, la terrible marâtre, le prince qui doit lui aussi admettre le deuil. Adressé aux enfants, le spectacle parle surtout à celui que nous portons tous en nous-mêmes, avec ses douleurs profondes, ses oublis, ses terreurs, ses culpabilités qui immobilisent et séparent de la vie. Suggestif, écrit avec la simplicité de l’évidence et la poésie des images inconscientes, Cendrillon nous fait comprendre pourquoi nous aimons tant les contes, ces histoires universelles qui s’adaptent aux époques et aux sociétés qui les transmettent : nous en avons besoin pour changer et grandir, à tout âge. A.F.

Cendrillon est jouée du 4 au 6 avril aux Salins, scène nationale de Martigues