dimanche 13 juillet 2025
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En dialogues, et symbiose

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Oxmo Puccino et Yaron Herman en symbiose © Clara Lafuente

Koki Nakano accompagné par un danseur, ce n’est pas une surprise. Le pianiste considère que « il n’y a pas de son sans mouvement ; il n’y a pas de mouvement sans son. Les deux sont indissociables ». Sur scène, avant la danse, il s’agit de piano, mais pas seulement : ordinateur, enregistreur et effets accompagnent son jeu délicat, fluide, dédié aux titres de son dernier album Oceanic Feeling. De l’ambient mélodique, des paysages sonores aux textures électroniques subtiles.

Mourad Bouayad apparaîtra sur scène une bonne quinzaine de minutes après le début du concert, épousant les mouvements de la musique de façon très étroite, faisant même penser à du mime, s’enroulant d’une façon à la fois lente et vive autour de l’axe vertical du corps, convoquant quelques échos d’une gestuelle hip-hop. Il repartira et reviendra un peu plus tard pour une seconde performance, toujours aussi intense mais moins musicalement mimétique, se déployant sur tout l’espace de la scène.

Amour consenti

Pour Oxmo Puccino, se présentant, avec humour, comme le « rappeur officiel de l’amour», jouer avec un jazzmen n’est une surprise non plus : il a fréquenté les Jazzbastards, et a partagé des aventures avec Ibrahim Maalouf, Erik Truffaz ou Vincent Segal.

Yaron Herman, pianiste adepte de l’improvisation, précise que « dans le jazz on ne triche pas avec notre incertitude » : il aime aussi les rencontres avec des interprètes qui ne sont « pas de son monde », comme M, ou le rappeur gabonais Benjamin Epps.

Avec Puccino, son piano se fait tour à tour étouffé, percussif, mélodique, swing, jazz, ludique ou mélancolique, proposant des perspectives décalées ou très raccord avec les chansons du « rappeur à la voix de miel ». Dont une bonne partie du public, les trentenaires, connait par cœur ses paroles et ses punchlines Qu’elles soient  tendres : « prenons nous dans les bras tant que le loup n’y est pas », ou oecuméniques : « soyons tous unis au lieu de crier nos différences ». Spirituelles : « la liberté passe parfois par un long chemin », ou passionnées « le son qui coule dans mes veines ».

Le public reprendra avec entrain les paroles de « Pas ce soir » adressé en guise de signal d’avertissement aux « jeunes coquins vigoureux », ces « loups qui chassent les brebis », en cette soirée très masculine. Pour enchainer en chœur avec un« Joyeux Anniversaire » adressé à Yael Herman (43 ans), info donné en live par Puccino (qui en a 48).

MARC VOIRY

Le festival lyrique s’ouvre au jazz

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Lakecia Benjamin, l’altesse de l’alto © Vincent Beaume

En dehors des chanteuses,  être une jazzwoman n’est pas une évidence, et une saxophoniste encore moins. Même si ces dernières années, enfin, quelques unes s’imposent dans ce monde de liberté musicale, mais pas d’égalité de genre.

Lakecia Benjamin, lauréate du Deutscher Jazzpreis Award du meilleur instrument à vent international, arrivait en star sur la scène aixoise, vêtue d’or et d’argent. La géniale saxophoniste, entourée d’ailleurs de trois hommes (Ivan Taylor, contrebasse, Zaccai Curtis, piano et E.J. Strickland, batterie), dévoile les morceaux de son tout nouveau CD, Phoenix, qui célèbre la vie : elle est une miraculée d’un accident de la route.

Les grands thèmes des musiques de John Coltrane et surtout d’Alice Coltrane deviennent l’étoffe de compositions veloutées sur lesquelles un piano limpide vient rêver, souligné par la contrebasse et les inventions percussives de la batterie. Les pièces se nourrissent aussi des univers plus contemporains, passant de leur ancrage dans le blues à des envolées de free jazz, flirtent avec le slam, revisitent la ballade, font un clin d’œil à l’œuvre de Basquiat, replongent dans la profondeur du gospel, lient intensément création et discours engagé pour la défense de la paix, des droits humains, parodient au passage certains rythmes de marche militaire ou reprennent le poème de la militante féministe Sonia Sanchez, Peace is a Haiku Song qui voit les mains de toutes les couleurs battre des ailes comme des papillons.

Le jeu précis et inspiré de la saxophoniste semble s’abstraire des limites physiques. La main gauche virevolte sur les clapets puis s’en détache à la fin des motifs comme pour laisser les sons s’envoler, libres dans la vibration de leurs harmoniques. 

 Paysages et voyages sonores

Le Trio Noé Clerc, (Noé Clerc, accordéon, Clément Daltosso, contrebasse, Elie Martin-Charrière, batterie) se présentait en quintet avec deux nouveaux complices, Robinson Khoury, trombone et Minino Garay, percussions. Créatifs et espiègles, les cinq musiciens (hommes) dessinent leur Secret Place (leur dernier album), avec une palette qui puise dans de multiples univers, blues, jazz, musiques contemporaines et traditionnelles, le tout avec une finesse d’orchestration rare.

Les Premières pluies, « de la goutte d’eau à l’averse puis à la tempête » précèdent le tableau coloré et impressionniste de Blue mountain, dont les couleurs varient tout au long de la journée, s’inspirant au passage du blues, d’une note jazzée et de lointains airs balkaniques. Se greffent des passages dus aux autres musiciens : un mélange époustouflant de jazz, tango, et poèmes déclamés en castillan par Minino Garay, éblouissant Distancing from reality de Robinson Khoury. On découvre l’accordina dans la chanson en occitan Canson, on valse-musette avec La Mystérieuse (Jo Privat), on part en Arménie grâce à Arapkir bar… Voyages oniriques comme seule la musique sait les créer.

MARYVONNE COLOMBANI

Ces concerts ont été donnés les 11 et 15 juillet Festival d’Aix 

Voyages en enfance

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Le jour du coquelicot. © Barbara Buchmann Cotterot

Un petit théâtre de bois se dresse dans l’aire de jeu vers laquelle se précipitent les enfants à la sortie de chaque spectacle. La petite cabane au milieu des toboggans est comme une version miniature de la Maison Pour Tous de Monclar dans laquelle s’installe Le Totem chaque été. Cette année encore, les spectacles sélectionnés sont d’une grande qualité et transportent aussi bien enfants que parents.

Zèbre pour tout-petits

La diversité des disciplines théâtrales permet à chacun d’y trouver son compte : théâtre d’objet, art du récit, marionnette ou encore danse et musique. Zèbres mêle un peu tout cela. À travers ce spectacle pour les tout-petits -à partir de 3 ans- Camille Dewaele et Cécile Mazéas ouvrent tous les jours à 9h50 la porte d’un univers ludique et sensible. Le duo de danseuse hip-hop et de marionnettiste chanteuse accompagne l’arrivée d’un petit zèbre. Ce petit être va évoluer dans un monde coloré et magique où les décors détaillistes s’ouvrent et se dévoilent tel un album à tirette.

Sa tempête

Le Totem fait aussi la part belle au théâtre d’objet, comme avec Tempête dans un verre d’eau, qui se produit à 11h. Un comédien déjanté, Clément Montagnier, explique aux spectateurs sa passion pour La Tempête de William Shakespeare et fait résonner la comédie avec sa vie personnelle. Grâce à des reconstitutions miniatures toutes simples, il illustre l’histoire qu’il raconte à son auditoire captif au milieu des éclats de rire. D’une simple canette, il crée des personnages et les fait évoluer. Une lampe torche et quelques bruitages reconstituent la tempête. Sa régisseuse et metteuse en scène Marie Carrignon devient son acolyte de scène dans une pièce drôle et touchante, conseillée à partir de 8 ans.

Intergénérationnel

Le théâtre jeune public entend aussi parler aux enfants des sujets tabous qui les concernent. Le jour du coquelicot, joué à 15h10, aborde le thème des premières règles, du passage vers l’adolescence, des relations entre générations. Sam, 9 ans, se questionne sur son corps et ses sentiments, tandis que sa grand-mère lutte contre l’amnésie qui la gagne. Au milieu de cela, un lapin survolté tente maladroitement de réconcilier tout le monde. Une histoire touchante et de belles images, comme la robe de mots de la grand-mère qui perd la tête, ou l’intérieur du cerveau de Sam, fait de fils que le lapin va tenter de démêler.

Fable écolo

Enfin, Quand les corbeaux auront des dents est un petit feu d’artifice. Tous les jours à 16h10, deux comédiennes d’une folle énergie, Cassandre Forget et France Cartigny, narrent l’odyssée d’un corbeau affamé parti à la recherche de ses anciens compagnons de chasse, les loups. Complices et décalées, elles offrent un conte « poético-écolo-déjanté » sur la difficile cohabitation entre les animaux et les humains. Du théâtre d’objet drôle et merveilleusement bien pensé qui offre deux niveaux de lecture, pour les enfants mais aussi pour les parents. On y évoque par exemple le patron des chasseurs Willy Schraen, le mouvement des Soulèvements de la Terre ou encore le sensationnalisme de certains médias. Chacun y trouve son compte. Les adultes s’esclaffent et les enfants sont captivés par la petite histoire qui se matérialise devant leurs yeux.

RAFAEL BENABDELMOUMENE

Tous les spectacles du Totem se sont joués jusqu’au 25 juillet

Un, deux… Brahms !

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Les notes du poète

Les images féminines hantent la musique de Brahms : la bienveillante attention de Clara Schumann n’est pas un mystère, ni son influence créatrice sur le musicien. Pourtant le XIXème siècle ne fut pas plus que les précédents, enclin à mettre en avant et soutenir les femmes artistes. George Sand, amie et admiratrice de Pauline Viardot, s’en inspire pour camper le personnage de Consuelo, « la plus grande, la plus prophétique de ses héroïnes » (Michelle Perrot in George Sand à Nohant). Elle écrivait à la musicienne : « ah ! que je voudrais parfois avoir quinze ans, un maître intelligent, et toute ma vie à moi seule ! Je donnerais mon être tout entier à la musique, et c’est dans cette langue-là, la plus parfaite de toutes, que je voudrais exprimer mes sentiments et mes émotions. Je voudrais faire les paroles et la musique en même temps » (ibidem). En hommage, le violoncelliste et chef d’orchestre Victor Julien-Laferrière fonde l’Orchestre Consuelo, musiciens amis qui se cooptent, d’où une magnifique unité. C’est cet ensemble, surnommé par son fondateur « l’Orchestre des Amis de Brahms », qui accordera la souplesse et la vivacité de ses interprétations aux œuvres brahmsiennes dans l’écrin familier de la conque du parc de Florans. La virtuosité sobre et élégante d’Adam Laloum s’attachait à l’un des plus longs concertos du répertoire, le Concerto pour piano en ré mineur opus 15 (une cinquantaine de minutes d’exécution). Si les premières représentations en janvier 1895 à Hanovre puis à Leipzig ne furent pas couronnées de succès (la représentation de Leipzig fut abondamment sifflée), la musique étant jugée incompréhensible, sa reprise par Clara Schumann rendit grâce aux beautés de l’œuvre, conçue au départ comme une symphonie. La part orchestrale ne laisse pas dominer sans réserve le soliste, mais l’intègre à son climat fantastique où sourdent les légendes. Le spectaculaire est évité, le piano fusionne avec les autres instruments, puis entame un dialogue nourri avant d’introduire de nouvelles atmosphères, les cordes jouent en sourdine soutenues par les cors en un mouvement intimiste puis le piano s’épanche en tournoiements lyriques qui peuvent faire allusion à l’amour que Brahms porte à Clara. La coda et les trilles qui achèvent le deuxième mouvement subjuguent par leur subtile légèreté. Le dernier temps du concerto entremêle les thèmes en une danse vive. La maestria de l’interprète fait oublier l’impressionnante technique nécessaire à l’exécution de l’œuvre. Seule l’émotion reste en une palette nuancée parcourant une gamme qui va du recueillement au triomphe. Adam Laloum offrira en bis le subtil Intermezzo opus 118 n° 2 en la majeur de Brahms puis l’un de ses bis fétiche, Moments musicaux opus 94 n° 2 en la bémol majeur de Franz Schubert. Enchantements ! 

Sacre d’une étoile

Si la Sérénade pour orchestre n° 2 en la majeur opus 16 donnée la veille n’avait pas convaincu, la Sérénade pour orchestre n° 1 en ré majeur opus 11 nous rendait l’envergure de l’Orchestre Consuelo en six mouvements dessinés comme de délicats tableautins : lyrisme mêlé des échos pittoresques d’une fête villageoise, ciel plus inquiet rendu par les syncopes des cordes, harmonie d’une symphonie pastorale, plénitude, airs allants, mélodie des cors, éclats brillants… introduction enjouée à la pièce maîtresse que fut le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en si bémol majeur opus 83, (composé vingt ans après le premier), joué par Marie-Ange Nguci. Dès les premières notes, conversation entre le cor et le piano vite rejoint par les respirations des cordes, la jeune pianiste impose son jeu, clair, puissant, élégant, nuancé. En un exercice de haute voltige, le piano se joue des arabesques, des accords profonds, des couleurs foisonnantes, des trilles aériens, des trémolos, livre l’expression pure du Sturm und Drang, le « Orage et passion » qui a scellé les débuts du romantisme allemand dans ses éclats, ses retournements, ses passages alanguis, ses cadences aux allures d’improvisation, ses échappées oniriques, ses volutes souples, ses effervescences et ses déchaînements. Toute simple face au public, l’ancienne élève du regretté Nicolas Angelich, est souveraine et lumineuse dans son interprétation. En danse, elle serait sacrée étoile sur scène tant elle transcende la musique qu’elle aborde. 

En bis elle montrera d’autres facettes de son immense talent en présentant le premier Mouvement du Concerto pour la main gauche en ré majeur de Ravel, l’étude n° 6, Toccata, de Saint-Saëns et Tombeau sur la mort de Monsieur Blancheroche en do mineur FbWV632 de Froberger. Éblouissements ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Concerts donnés les 13 et 14 août au parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron 

Attention! Le concert de Maria João Pirès du 17 août est malheureusement annulé pour raisons de santé. Marie-Ange Nguci a accepté de remplacer cette immense dame du piano. Son programme comprendra des oeuvres de Bach-Busoni (Chaconne), Ravel (Gaspard de la Nuit), Beethoven (Fantaisie en sol mineur opus 77), Schumann (Kreisleriana opus 16). Une variété d’oeuvres exigeantes qui mettra encore en évidence les qualités rares de la jeune pianiste.

Vagabondages dans le Off

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Les deux comédiennes réunies sur scène.

On était curieux de voir la représentation de Home movie, pièce écrite par Suzanne Joubert, bien connue des spectateurs du théâtre des Bernardines à Marseille. Las, si le texte nous happe par son côté décalé qui reflète la vanité ridicule des trois personnages et l’inanité de notre société en dégringolade, la mise en scène de Jérôme Wacquiez et les costumes d’Adeline Caron, qui parient sur le monde du cirque et du Music-Hall, ne convainquent pas. Trois personnages ont fait leurs valises mais ne savent pas où aller et surtout ils se méfient de leurs voisins représentés par une quatrième personne, sorte de chamane sauvage qui manipule herbes sèches et instruments de percussion. La dénonciation d’une certaine forme de racisme ambiant est certes bienvenue mais le traitement en paillettes et confettis ne sert ni la cause, ni le texte, malgré la bonne volonté des comédiens. (Home movie-Cie Les Lucioles-La Factory-théâtre de l’Oulle)

Deux comédiennes épatantes, Marie Desgranges et Marie Dompnier, ont écrit et joué un spectacle sensible et plein d’humour sur une conception de la famille qui sort du schéma traditionnel et patriarcal. Elles interprètent avec malice deux amies qui échangent leurs expériences. L’une est hétéro avec des enfants aux pères différents, l’autre est homosexuelle et s’est confrontée à son désir d’enfant. L’expérience de l’homoparentalité est pleine d’hésitations et d’obstacles, mais elle est exaltante et permet d’offrir de nouveaux modèles. Mise en scène épurée, décor minimaliste et grande force. ( La famille s’agrandit-Cie Sorcières & Cie-joué à Le train bleu)

Les festivaliers se pressaient pour le spectacle tiré de la bande dessinée de Fabcaro, auteur à succès, publiée en 2019. Déjà découpée en trois actes, le récit s’est facilement adapté pour une mise en scène déjantée laissant toute sa place à l’humour caustique de l’auteur. Servie par un groupe d’acteurs efficaces et mis en scène par Amélie Etasse et Clément Séjourné, le spectacle nous sert une caricature criante de notre société dans une scénographie inventive et colorée. Il s’agit d’une réunion de famille dominicale au cours de laquelle les participants cherchent désespérément un sujet de conversation au point qu’ils téléphonent à la voisine pour lui en demander un. Puis la réunion tourne au drame…On y rit mais on se désespère d’y trouver des similitudes avec nos contemporains.

Chris Bourgue

(Formica-Atelier Théâtre actuel-joué au Théâtre les Gémeaux)

Quatuor du Nouveau Monde 

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Le quatuor Zemlinsky

Plutôt que de mettre le piano à l’honneur le Festival aixois invitait les quatre musiciens tchèques, qui jouent ensemble depuis 1994, à démontrer leur talent et leur symbiose avec le Quatuor n°12 dit « Américain » de Dvořák. Un choix judicieux ! Le groupe parvient à proposer sa version très personnelle de ce quatuor pourtant si souvent joué, avec des changements de tempi drastiques, assumés, et des variations d’ornementation subtiles. Ils sont aussi fascinants à écouter qu’à voir, aussi impliqués dans le récit fantastique de Dvořák que le public qu’ils entraînent.

Quatuor plus plus

Comment dépasser les frontières du quatuor, formation si particulière et parfaite ? En proposant des quintettes, bien sûr ! C’est au côté de Dominique Vidal que les Zemlinsky jouent le Quintette pour clarinette K581 en la Majeur de Mozart. Pour l’occasion, monsieur Vidal joue sur l’instrument pour lequel le quintette avait été écrit à l’origine : la clarinette de basset, qui descend une tierce plus grave que sa congénère. On peut donc apprécier les basses de cet instrument, autant que de très beaux solos dans les aigus. Le quatuor fait corps comme un seul instrument, dialoguant avec la clarinette pour un interlude classique charmant.

Puis c’est le Quintette pour piano et cordes opus 81 en la majeur de Dvořák, encore, qui clôt le concert après l’entracte. On retrouve l’engouement romantique de la première partie, une intensité sans répit dans un voyage à travers mille paysages tout le long des quatre mouvements. Le deuxième nommé Dumka, ou “méditation”, est sublime : le thème au piano se déploie sous les mains de Philippe Gueit avec profondeur et délicatesse. Le final est une explosion de joie furieuse dans des unissons fous. Výborně !

 Julius Lay

Ce concert a eu lieu le 3 août à l’Auditorium Campra, Aix en Provence, dans le cadre des Nuits Pianistiques

Salon des complicités musicales

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Sur la feuille de salle Éric Le Sage, piano, Paul Meyer, clarinette, Emmanuel Pahud, flûte, posent « en romantiques », cheveux ébouriffés et costumes XIXème, puis en truands sortis du film French Connection. Titre espiègle pour ce trio français, qui convoque une musique romantique allemande en truands de haut vol.

Trafiquants de musique

Leur complicité y est évidente. Les duos font alterner autour du piano une clarinette au son plein et rond et une flûte aérienne. Les Trois Romances opus 94 que Robert Schumann offrit à son épouse, Clara, pour Noël 1849, étaient pour hautbois et piano (Clara, pianiste virtuose en fut la première interprète), qu’à cela ne tienne !

Dans des CD précédents, Emmanuel Pahud et Paul Meyer ont adapté la partition à leurs instruments, toujours accompagnés par Éric Le Sage. Paul Meyer apporte ainsi le velouté de son jeu plein et nuancé à cette déclaration d’amour du compositeur, puis à ses trois Fantasiestucke inspirées des contes fantastiques d’Hoffman.

Puis Emmanuel Pahud accorde sa verve à Clara Schumann, à ses audaces raffinées malgré la simplicité de ses très lyriques Drei Romanzen (Trois Romances), et enfin à Fanny Mendelssohn dont les trois lieders, Wanderlied, Vorwurf et surtout le sublime Warum sind denn die Rosen so blass transportèrent la salle dans une bulle poétique moirée de songes.

Les trois musiciens étaient enfin en trio sur deux valses de Shostakovich, toutes deux composées pour le cinéma, la Valse n° 3 extraite du film Le Retour de Maxime et la Valse n°4 de The Gadfly (Le taon).

En quelques mouvements virtuoses tout est dit de leur amitié, de leur intime connaissance musicale. Le terme jouer prend ici toute sa dimension, l’entente se glisse dans un regard, une note plus appuyée, une variation qui se déploie avec humour, un phrasé espiègle, une tonalité d’orgue de Barbarie, une conclusion  – trop vite venue pour les auditeurs qui en redemandent ! En bis le trio reprend la première valse. Une redite ? Certes non ! La richesse de la partition leur permet de brosser un paysage neuf. Facétieux, les musiciens démontrent combien l’interprétation modèle notre écoute et notre appréhension des œuvres.

Ils en parlent

« Les voir tous ensemble, c’est une chance ! On a bataillé pour ça. Il s’agit tout de même des trente ans du festival ! » s’exclame Florent Piraud, administrateur de l’association. Les trois musiciens bavardent ensemble à la fin du concert, à propos de leurs familles respectives, se donnant des nouvelles.

Lorsque la question des origines de leur amitié, et de leur rencontre est posée, les trois interprètes sourient. « On s’est rencontrés en 1982 lors du concours de l’Eurovision en finale à TF1, à cette époque la musique existait encore à la télé », expliquent Paul Meyer et Emmanuel Pahud. Cinq ans plus tard Éric Le Sage, découvert au Festival de Montpellier, rejoignait le duo.

Ce dernier explique : « De fil en aiguille le festival de Salon est né. Paul faisait déjà les couvertures de la revue Classica. Au début nous étions dans la chapelle de Vernègues, pour deux concerts. Nous avions l’ambition vaine de la faire classer pour qu’elle échappe au passage du TGV en construction. Quand elle s’est retrouvée sous le pont du train, nous avons migré à Salon. »

« Le concept, ajoute Emmanuel Pahud, n’a jamais changé : rassembler des amis, découvrir des musiciens et des œuvres. Tous les ans il y a au moins une création ; cette année ce sera une nouvelle œuvre d’Albert Guinovart composée en miroir du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. »

De deux concerts, le festival s’est étoffé à vingt-trois cette année avec quarante-cinq artistes invités. « On les connaît quasiment tous, les circuits se recoupent, certains amènent de nouveaux musiciens, les anciens élèves sont là aussi, les artistes reviennent, pour la plupart : revenir, c’est bon signe (rires). Par exemple, la chanteuse Marina Viotti qui revient cette année pour présenter son dernier album, Porque existe otro querer, accompagnée du guitariste Gabriel Bianco, a été stagiaire au festival alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans. À l’époque elle était « gothique / métal », elle a flashé sur plein de choses ici, et elle a reçu cette année le premier prix des Victoires de la musique classique en lyrique ! Il faut dire que sa famille est une grande famille de musiciens… C’est sans doute lié au cadre, les gens viennent chercher une unité ici, la salle, ce que l’on joue, la durée du concert… »

Les mots se mêlent, les phrases commencées par l’un sont finies par les deux autres. Chacun sourit à l’évocation des changements de programme de dernière minute, « une légende », puis se mettent à évoquer « les concerts-surprise, les variations au dernier moment, car un artiste a été bloqué et n’a pas pu arriver à temps ou une partition qui est coincée à l’étranger… ».

À propos des créations la question du « sur-mesure » est évoquée. « Les compositeurs ne sont pas des tailleurs, affirme Emmanuel Pahud, on leur laisse leur imaginaire, ils sont ici comme chez eux et c’est à nous, interprètes, de servir leur propos, de les encourager dans leur fibre créative. Ici, en une semaine, il se passe davantage de choses que dans la plupart des salles, de nombreux projets sont nés ici et quelques disques aussi. ».

À les entendre on pourrait dire que Salon est le centre du monde. « C’est un peu vrai s’amusent les musiciens. Le violoniste Daishin Kashimoto qui n’a pas pu se déplacer exceptionnellement cette année, a fondé au Japon un écho du festival de Salon qu’il a nommé Le Pont, nous y serons d’ailleurs ! » Amitié, confiance, plaisir d’être ensemble, de voir l’évolution de chacun, osmose entre les musiciens, sont les maîtres mots de ce rendez-vous annuel si atypique dans son fonctionnement, et si éblouissant.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert et entretien le 28 juillet, Abbaye de Sainte-Croix, Salon-de-Provence

Festival International de Musique de Chambre de Provence

Grotte Cosquer : une merveille désengloutie

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Visite de Cosquer Mediterranee.

Le parcours reproduisant la grotte Cosquer au sein de la villa Méditerranée a fêté son premier anniversaire en juin. Un voyage immersif en préhistoire (de -33 000 jusqu’à -19 000 ans avant notre ère), qui retrace la découverte du site, faite par Henri Cosquer,  et reproduit tous les symboles laissés par l’Homme à cette époque. Un site qui, au long de cette première année, a accueilli plus de 800.000 visiteurs, et devrait approcher le million d’ici la fin de sa deuxième saison estivale.

Immersion en paléolithique supérieur

La visite débute par une descente virtuelle, en ascenseur, à -37 mètres sous le niveau de la mer, et  se poursuit ensuite par un parcours à bord d’un wagon dans une réplique des profondeurs de la grotte.  Prouesse technique, le parcours concentre les dessins et gravures reproduits à l’échelle dans un espace assez réduit, et  balade ainsi le visiteur jusqu’aux moindres recoins de la réplique. L’histoire de la découverte de la grotte sous marine ainsi que le commentaire des nombreuses traces humaines sont susurrés dans des « audio casques ». Et le  sens artistique de ces humains d’un autre âge, si proches de nous dans leurs aspirations et leurs questionnements, est terriblement émouvant.

Le travail apporté aux détails est titanesque, chaque peinture de main ou d’animal, chaque gravure, chaque reproduction de stalactites, de stalagmites ou autre concrétion atypique est au plus proche du réel. « La réplique est tellement pointilleuse, on se prend au jeu » affirme, Richard Strambio, Conseiller régional délégué au patrimoine et à la mémoire. « On est à la pointe de la technologie et si notre imaginaire prend le dessus, alors à ce moment-là l’effet de réel fonctionne ».

Chaque jour, depuis le début de l’été, les visites sont complètes dès la matinée. « Je pense qu’il y a un engouement pour la préhistoire, pour nos origines, dans une époque qui manque de sens » confie, Richard Strambio, « Comprendre le passé, c’est comprendre le présent et éclairer l’avenir ».

A la suite de cette immersion au sein de la réplique, un court-métrage d’une dizaine de minutes est projeté dans l’amphithéâtre, qui retrace la découverte de la grotte par Henri Cosquer, la curiosité qui l’a poussé à tenter cette exploration à cinq reprises avant d’arriver au cœur de la grotte… ainsi que tous les risques bravés lors de cette aventure ! Une obstination qui aurait pu lui coûter la vie, ou condamner définitivement l’entrée de la grotte par exemple…

Fragilité humaine

La dernière partie de la visite, dans le porte-à-faux de la Villa Méditerranée, présente des reproductions grandeur nature des animaux évoqués, en peinture ou gravure, dans la grotte et sa réplique. Que cela soient des prédateurs maintenant disparus ou des animaux pacifiques, la qualité du détail est une nouvelle fois bluffante, et leur taille impressionnante : la fragilité des humains, dominés par ces animaux d’antan est ainsi mise en perspective sensible, en particulier grâce à la reproduction à l’échelle d’une femme enceinte, enveloppée de fourrure.

Notre proximité avec ces humains du paléolithique supérieur apparaît aussi avec la reproduction de divers bijoux, simples et beaux, et d’instruments de musique, percussifs, vents ou cordes, devenus universels, comme une constante de notre humanité, à l’égal des dessins ornementaux.

Préhistos bord de mer

Mais c’est une barque qui occupe la majeure partie de la salle, rappelant la spécificité de la découverte de Cosquer par rapport aux grottes Chauvet, ou à Lascaux : si l’occupation du site Cosquer qui fut très longue, correspond à la fin de Chauvet (-33000 ans) et se poursuit au-delà de Lascaux (- 21000 ans), sa spécificité, outre ces millénaires d’occupation, est sa situation maritime. La barque en bois permettait d’accueillir, par exemple, de nombreux chasseurs partis en quête de nourriture.

La découverte de cette grotte révèle donc un écosystème et un mode de vie unique : les peintures attestent, par exemple, qu’il y a eu des pingouins en Provence ! Et les concrétions rocheuses produites au fil du temps, notamment ces « lustres »reproduits dans la réplique, doivent leurs formes au sel marin.

L’exposition dans le porte-à-faux se conclut par différentes cartes et animations démontrant le niveau de la montée des eaux qui ne cesse de s’accélérer au fil du temps et qui était déjà, au temps d’Henri Cosquer, une préoccupation centrale lors de ses explorations.

« L’accélération de cette montée des eaux, le réchauffement climatique est la problématique majeure de notre temps. On touche du doigt quotidiennement ce défi avec la grotte Cosquer, qui finira malheureusement engloutie par les eaux » affirme Richard Strambio.

De l’audace, toujours de l’audace

Ainsi, cette reconstitution de la grotte Cosquer est un travail qui a demandé plusieurs années de préparation jusqu’à sa finalisation le 4 juin 2022. De la déclaration d’une grotte faite par Henri Cosquer en 1991, à son authentification par Jean Courtin et Jean Clottes, puis à sa reproduction au sein de la Villa Méditerranée aujourd’hui, il aura fallu attendre certains progrès techniques, ou les provoquer, afin d‘analyser chacune des traces laissées par l’Homme sur les murs de la grotte, comprendre comment les conserver au mieux, puis comment les retranscrire sur les murs artificiels de la réplique.

« Je considère ce projet comme une prouesse de conception dans tous les sens du terme, un mélange de prouesse et d’audace » s’enthousiasme, Richard Strambio. « Henri Cosquer a eu l’audace d’enlever son scaphandre autonome, puis il y a l’audace de penser à faire cette réplique, l’audace architecturale sur ce surplomb, l’audace finalement de la restitution ».

« L’amateur d’histoire en moi est satisfait, les représentations de ces mains dans la grotte est capitale, c’est un symbole du passage de l’Homme on ne peut plus clair, nous approchons des 900.000 visiteurs et ça le mérite largement, au vu des moyens employés ».

« J’estime que Marseille n’est pas souvent prise au sérieux alors qu’avec cette découverte, nous sommes dans l’un des premiers sites de grotte orné d’Europe et du monde » s’emporte,  enthousiaste, Richard Strambio. « Nous avons aussi eu la visite du Président de la République dernièrement, ce qui nous permet de nous rendre compte de la pertinence de ce lieu » ajoute-t-il. « Sans oublier le Mucem qui fait rayonner cette ville au niveau international » conclut-il.

Un succès touristique souligné jusque dans les revues américaines !

Baptiste Ledon

grotte-cosquer.com

Un partenariat public privé réussi 

La Grotte Cosquer, ainsi que toutes les données recueillies depuis sa déclaration au DRASSM (Département des recherches archéologiques, subaquatiques et sous marines) par Henri Cosquer en 1991, appartiennent à l’Etat. Elle est menacée, à court terme sans doute, de disparition sous les eaux.

La Villa Méditerranée, beau geste architectural de Stefan Boeri, construite par la volonté de Michel Vauzelle alors Président de la Région PACA, appartient à la Région Sud aujourd’hui présidée par Renaud Muselier. Elle peinait à trouver une destination et est restée longtemps sous-employée, ou fermée.

Kleber Rossillon, société privée qui gère avec succès 12 sites touristiques et culturels sur le territoire français  (du Site de Waterloo au Château de Langeais en passant par le Train de l’Ardèche ), avait à son actif la réussite de la gestion de la Grotte Chauvet, remarquablement restituée et gérée.  Remportant l’appel d’offre régional en 2019, la société a su en deux ans réaliser un exploit scientifique et technique, avec la restitution et l’ouverture de Cosquer Méditerranée.

Grâce à 9 millions d’investissement de la Région Sud, Kléber Rossillon exploite donc le site avec un succès qui dépasse les prévisions, qui étaient de 700000 visiteurs par an. Inauguré après plus d’un an d’existence par le Président Macron le 23 mai 2023, il comptait déjà plus de 800000 visiteurs.

Pas de tarification sociale

L’attractivité touristique du site est indéniable même s’il n’entre pas dans le cadre du City Pass mis en place à Marseille. Mais les visiteurs locaux sont aussi au rendez-vous : le Pass culture, régional et/ou national ouvre la porte aux lycéens et aux plus de 14 ans, les ateliers et les expositions attirent les scolaires et les familles.

On peut cependant déplorer, sans s’en étonner, que les prix d’entrée restent ceux des attractions privés : 16 euros pour les plus de 18 ans, 5 euros à partir de 6 ans, 10 euros à partir de 10 ans. Et une absence de tarification sociale.

Les bénéficiaires de l’AAH, du RSA et les chômeurs, les moins de 18 ans, les étudiants de moins de 25 ans… entreront gratuitement dans les expositions et événements du Mucem, juste à côté, ou dans les musées de Marseille… Culture publique oblige !

SUZANNE CANESSA

Nelson Goerner l’enchanteur

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Nelson Goerner Aziz Shokhakimov Sinfonia Varsovia © Valentine Chauvin 2023

Deux concertos de Rachmaninov dans la même soirée, même pas peur ! L’immense pianiste Nelson Goerner interpréta les Concertos pour piano et orchestre n° 3 et 4 du compositeur russe aux côtés du Sinfonia Varsovia avec la puissance et la verve poétiques qui lui sont propres 

Une annonce en début de concert précisait le changement de programme : l’ordre chronologique serait bouleversé et le quatrième concerto précèderait le troisième, cette apogée du romantisme.

Certes, le quatrième concerto en sol mineur, est d’une facture très intéressante, se détache de l’humus romantique, esquisse de nouvelles voies, répond à des inspirations multiples, se fait l’écho des ébauches écrites en Russie (Rachmaninov le créera en 1927 à Philadelphie aux USA) et pourtant il est d’une grande sobriété par rapport aux œuvres précédentes. L’écriture somptueuse de la partition réservée à l’orchestre pour ce concerto mal aimé lui donne la capacité d’un dialogue foisonnant avec le piano. Et quel piano ! Une émotion à fleur de peau, sans excès, d’une élégance bouleversante… L’artiste soliste accorde tout son sens à l’œuvre, en dessine l’ossature, la transcende, alchimie virtuose qui sera mise au service du Concerto n° 3 en ré mineur. En tout cas, on est loin de la critique américaine qui affirmait « l’écriture orchestrale a la richesse du nougat et la partie de piano rutile de mille effets éculés » (in feuille de salle remarquablement concoctée par Marie-Aude Roux) ! 

Le Concerto n° 3 était porté par la verve intelligente de Nelson Goerner dont les mains volent littéralement sur le clavier, emporte l’orchestre dans sa fougue. Ses échanges de regards avec les instruments solistes qui dialoguent avec lui soulignaient l’osmose entre l’œuvre et les musiciens. Les cadences offertes au piano, démentes de difficultés (la première déjà monstrueuse est suivie par une seconde qui est un véritable Everest pianistique !), en laissent goûter toute la brillance. Si le thème initial est d’une allure simple, les superpositions de voix, la complexité de la structure, le tissage aux expansions chatoyantes, la richesse des motifs rythmiques, le foisonnement des variations pianistiques, tout concourt à l’expression d’un lyrisme aux formes multiples, envoûtant dans ses orages comme dans ses danses légères. Le jeu ancré et aérien du poète du piano qu’est Nelson Goerner subjugue, son sens aigu des nuances, ses phrasés signifiants, touchent, bouleversent, transportent, au point que l’on ne sait plus si l’orchestre dirigé avec passion par Aziz Shokhakimov le suit dans la finesse extrême de son interprétation. Les grands élans de l’ensemble suffisent à construire un écrin au sublime. On est submergé par la beauté. 

Alors que Rachmaninov, lors de la première représentation de son œuvre avait été incapable de jouer un bis, présentant ses mains meurtries au public, Nelson Goerner, après deux concertos virtuoses, eut encore la force de faire agir la magie avec le Nocturne n° 20 en ut dièse mineur (opus Posthume) de Chopin, l’essence même de la poésie !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 12 août au parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron  

La Roque, lieu de création

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La soirée du 9 août voyait son public, certes d’un nombre honorable, fortement réduit par rapport à celui de la veille qui ovationnait la jeunesse de Nathanaël Gouin, Alexander Malofeev, Aziz Shokhakimov et un programme dédié à Rachmaninov. La raison ? mauvaise sans aucun doute, mais les aprioris sont encore fortement ancrés, la musique annoncée était contemporaine… On pourrait arguer que le terme contemporain est synonyme « d’aujourd’hui » et s’étonner de la détestation de notre présent… Quoi qu’il en soit, il est des peurs tenaces et les « contemporains » du siècle passé sont toujours considérés comme « inaudibles, incompréhensibles, obscurs, inabordables », la liste des termes négatifs est longue ! Pour les chanceux qui ont eu la « témérité » de se rendre au concert « Passer au présent », Henri Dutilleux – à la découverte d’un compositeur : Florent Boffard et ses amis, la représentation est à marquer d’une pierre blanche, les quasi trois heures de spectacle passant comme un songe.  

Hommage à Dutilleux

Pédagogue hors pair (il fut nommé à l’École Normale Supérieure puis au conservatoire de Paris en tant que professeur de composition), compositeur internationalement reconnu, Henri Dutilleux a composé Mystère de l’instant pour vingt-quatre cordes, cymbalum et percussions en dix séquences ou fragments qui dansent entre polyphonie et litanie en épure. Les souffles animent les envolées des cordes que les notes cristallines du cymbalum viennent ancrer telles des gouttes d’eau dans la matérialité d’un temps insaisissable. L’indicible prend forme, l’air est en suspens, le monde se concentre dans les dessins de l’infime et ouvre à l’universel. « Ce à quoi j’aspire profondément, c’est, à travers la musique, à me rapprocher d’un mystère, à rejoindre les régions inaccessibles » expliquait le compositeur à la revue Zodiaque en 1982. Le Sinfonia Varsovia, dirigé avec une attention d’horloger par Andrew Gourlay, rendit avec une justesse inspirée cette œuvre d’une précision diabolique ainsi que le propos du compositeur français auquel il consacrera le dernier volet de la soirée avec Sur le même accord, nocturne pour violon et orchestre qu’Henri Dutilleux composa pour la violoniste Anne-Sophie Mutter. Partition redoutable construite sur une alternance de passages rapides et lyriques entièrement basés sur un accord de six notes, entendu au début de la pièce et manipulé de diverses manières. La jeune violoniste Liya Petrova relevait le défi avec panache et apportait sa verve passionnée à l’œuvre. 

Une musique d’auteurs vivants

Quel privilège d’applaudir les compositeurs des œuvres entendues ! Ce plaisir fut double : Julian Anderson était présent pour assister à l’interprétation de Litanies, concerto pour violoncelle et orchestre (2018-2019). L’œuvre a pris un tour particulier lorsque, alors en pleine écriture, son compositeur a appris l’incendie de Notre-Dame. La disparition un an plus tôt d’un collègue estimé (Olivier Knussen, compositeur et chef d’orchestre) a décidé du mouvement lent en sa mémoire. Le concerto est dédié quant à lui à au violoncelliste allemand Alban Gerhardt. Ce dernier sur la scène du parc de Florans interpréta avec une virtuosité inouïe cette pièce impossible qui semble explorer toutes les capacités du violoncelle dans un dialogue éblouissant avec l’orchestre, inventif, expressif, en une palette aux couleurs infinies.

Et une création mondiale

Auparavant, une création mondiale était offerte aux auditeurs. Le directeur artistique du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, René Martin, y tient beaucoup : « le festival ne serait pas digne de sa réputation s’il ignorait la création contemporaine et s’il ne la soutenait pas. Aussi, pour la première fois de son histoire, le festival a passé commande ».  

Philippe Schoeller dont les compositions pour le cinéma par exemple font l’unanimité présenta ainsi Hymnus pour piano et ensemble orchestral. Nourri de littérature, d’art, le compositeur, complice du pianiste Florent Boffard, dédicataire de l’œuvre, a conçu cette œuvre pour La Roque d’Anthéron, et le « plein air », d’où le choix du terme « hymne » qui « rend hommage à ce qu’il célèbre (…) ici, la Nature en elle-même. TOUTE la Nature, des atomes aux clusters de galaxies, des bactéries jusqu’aux grands vertébrés, sans oublier les oiseaux-lyres et les dauphins ». La feuille de salle rapporte les intentions du compositeur-poète dont la présentation est aussi un fragment de rêve. Sur scène des instruments à vent (six bois, six cuivres), « voix collective. Le Peuple. Sa noblesse essentielle », des percussions, des vibraphones et le piano, « grand maître de cérémonie, sobre, puissant et méditatif (…) jusqu’à des lancées Pollockiennes d’énergies totémiques, furie des mains virtuoses »… La nature connaît tous les paroxysmes dans les élans de « ce grand oiseau noir et blanc qu’est un grand piano queue de concert ». L’expressivité de l’ensemble, les variations subtiles des rythmes, des intentions, brossent une palette moirée de nuances et de sens, fluide dans ses respirations qui se mêlent au grand Tout. 

Si les soirées d’exception foisonnent à La Roque, celle-ci est sans doute la plus forte de sens et d’humanité.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné au parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron le 9 août.