jeudi 28 novembre 2024
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Py sur (dé)mesure

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Vingt-sept ans après La Servante, pièce fleuve qui installe la relation charnelle entre Olivier Py et Avignon, le futur ex-directeur du festival signe Ma jeunesse exaltée. Dans le même gymnase Aubanel et avec la même intention d’offrir un théâtre du temps long, comme un pan de vie partagé en direct, pendant dix heures (avec entractes) et au cours de sept représentations. Rien n’est trop beau pour le public d’Avignon quitte à éprouver sa résistance physique. Physique, c’est le premier adjectif qui vient au sortir d’un spectacle marathon dont le personnage central, l’éblouissant et surhumain Bertrand de Roffignac, enchaîne, à un rythme vertigineux, les aventures rocambolesques, ponctuées de roulades, grimaces, monologues lyriques et masturbations. Ce livreur de pizza, Arlequin des temps modernes et ubérisés, devient la muse d’Alcandre (remarquable Xavier Gallais), poète retiré aux intentions revanchardes. Ce dernier fera de sa conquête la bête noire des institutions politique, financière et religieuse. 

« Quelque chose vient »

Chacune devient la cible d’un canular particulièrement humiliant qui révèle l’indécence des tout-puissants. Un prélat en sous-vêtements affriolants, un PDG qui défèque sur scène, un ministre de la culture fessant son conseiller, un festin d’anthropophages…  Voilà jusqu’où peuvent aller les hommes de pouvoir pour assouvir leur ambition. Progressiste, artiste et croyant, Olivier Py est particulièrement bien placé pour tirer à boulets rouges sur la gauche, la culture et l’Église, trois « familles » hautement symboliques pour lui. Car la jeunesse n’est pas une question d’état civil mais d’état d’esprit : rien n’est plus exaltant que de poursuivre un idéal. Œuvre quasi-testamentaire après une décennie à la direction d’une des plus prestigieuses manifestations artistiques au monde, la Jeunesse exaltée d’Olivier Py est autant un hommage au théâtre et à ses pouvoirs qu’une farce spirituelle et politique, plaidant pour un renversement du capitalisme dont la gangrène n’épargne aucun champ d’activité ni de la pensée. Le théâtre serait-il la plus pertinente des armes politiques ? En hauteur et à l’avant de la scène, une phrase illuminée aux néons nous donne espoir : « Quelque chose vient ». Et la joyeuse troupe – que d’excellent·es actrices et acteurs – de nous en convaincre. Pendant dix heures au moins.

LUDOVIC TOMAS

Ma jeunesse exaltée a été créée le 8 juillet 2022 et jouée jusqu’au 15, au gymnase du lycée Aubanel, dans le cadre du Festival d’Avignon.

L’espoir du chaos

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LE MOINE NOIR Texte kirill serebrennikov mise en scene, scenographie kirill serebrennikov, d’apres anton tchekhov , traduction macha zonina collaboration a la mise en scene et choregraphie ivan estegneev, evgeny kulagin avec filipp avdeev, odin biron, bernd grawert, mirco kreibich, viktoria miroschnichenko, gabriela maria schmeide, gurgen tsaturyan et les chanteurs genadijus bergorulko (baryton), pavel gogadze (tenor), friedo henken (baryton), sergey pisarev (tenor), vasiliy sokolov (baryton), alexander tremmel (tenor), dmitriy volkov (baryton) et les danseurs tillmann becker, arseniy gordeev, chris jäger, laran, ilia manylov, andreï petrushenkov, ivan sachkov, daniel vliek , musique jēkabs nīmanis direction musicale ekaterina antonenko, uschi krosch arrangements musicaux andrei poliakov dramaturgie joachim lux , lumiere sergey kuchar video alan mandelshtam , costumes tatiana dolmatovskaya assistanat a la mise en scene anna shalashov

« Stop the war ». Le slogan projeté sur le mur monumental de la cour d’honneur du Palais des papes à l’issue des deux heures quarante de représentation a l’avantage de mettre tout le monde d’accord. Ouverture nocturne de la 76e édition du Festival d’Avignon, l’adaptation du Moine noir, par le réalisateur et metteur en scène russe Kirill Serebrennikov habite magistralement son lieu le plus emblématique, balayé, en cette soirée de première, par les bourrasques d’un mistral que l’on croirait complice. Des conditions météorologiques qui, si elles ont contraint la pièce à quelques ajustements scénographiques, ont indéniablement accentué la puissance dramatique et mystique d’une pièce sombre et éprouvante, construite en quatre variations. De cette nouvelle fantastique – et méconnue en France – d’Anton Tchekhov, Serebrennikov, l’artiste banni, persécuté et contraint à l’exil, tire une œuvre polyphonique entraînant le spectateur dans la spirale de la folie humaine. Écrivain en quête de repos, Andreï Kovrine part en villégiature dans la propriété du jardinier qui l’a élevé et dont il épousera la fille. Le décor constitué de trois serres vouées à la destruction et dont les bâches floutent certaines actions, les interventions chorales des ouvriers, les lumières en clair-obscur, les apparitions oppressantes de mystérieux moines noirs, les gros plans vidéos et surtout la répétition des scènes comme autant de points de vue et par des interprètes différents (trois de nationalité et de langue différentes pour le rôle principal : l’Allemand Mirco Kreibich, l’Américain Odin Biron et le Russe Filipp Avdeev, tous remarquables) rendent palpable le naufrage mental, irréfrénable la plongée dans la démence. Comme si l’idéal de liberté revendiqué par Kovrine ne pouvait trouver d’issue autre que dans le chaos intérieur.

LUDOVIC TOMAS

Le Moine noir a été joué du 7 au 15 juillet, dans la cour d’honneur du Palais des papes, dans le cadre du Festival d’Avignon.

Un géant et deux puissantes

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Herbie Hancock © Clara Lafuente

Le concert d’Anne Paceo, donné en prélude au set d’Herbie Hancock, a constitué bien plus qu’une charmante mise en bouche. Il faut dire que la batteuse et compositrice, qui s’aventure également sur le terrain du chant, a développé une identité et une esthétique fortes, qui culminent sur son dernier opus S.H.A.M.A.N.E.S. À mi-chemin entre jazz, musiques du monde et répertoires sacrés, sa musique sait abolir la pulsation, élargir les possibles du temps. Les litanies espagnoles entonnées par Isabel Sörling et Marion Rampal sur le très beau Piel se font charmeuses et inquiétantes ; elles dialoguent sur Here and everywhere avec les vocalises du saxophoniste Christophe Panzani et les syncopes ajustées du pianiste Tony Paelemann. De toutes parts, discrètes mais omniprésentes, les percussions d’Anne Paceo, cœur battant à tous les rythmes et sur tous les tons, accompagnent la mutation permanente des lignes et textures avec douceur et bienveillance.

Furie jazz

Herbie Hancock était sans doute l’artiste le plus attendu de tout le festival. Ses fans les plus aguerris auront reconnu le monstre de charme et de technique. Dès l’Overture endiablée, le claviériste navigue d’un thème à l’autre, traversé d’harmonies fulgurantes de richesse. La trompette de Terence Blanchard s’y distingue, tour à tour mélodieuse et tapageuse, de même que la guitare redoutablement funky de Lionel Loueke. Contrepoint idéal au piano rêveur et désarticulé qui se déploie. Sur le classiquissime Chamaleon, son inénarrable keytar se voit talonnée par le bassiste James Genus et ses envolées mélodieuses. La générosité de Hancock l’emporte très largement sur son désir de briller : sa reprise du Footprints de Wayne Shorter, d’une inventivité folle, demeure pourtant très fidèle à son complice de toujours. La furie jazz sait se teinter de mélancolie soul : ravi d’immiscer sa voix passée au filtre du vocodeur, Hancock livre sur Come Running to Me la prestation la plus envoûtante de la soirée.

Afro-folk

C’est sur le doux-amer Ife qu’Asa ouvre un set très attendu. « They tried to tear us apart », premiers mots entonnés par la chanteuse franco-nigériane sont d’une mélancolie tangible. Choix étrange pour une entrée en matière auquel succédera l’amertume de Dead Again, autre balade qui l’avait imposée en maîtresse du genre. Le non moins célèbre Why Can’t We qui suit opère un sursaut de joie : la plus digne représentante de l’afro-folk d’aujourd’hui sait mâtiner ses refrains entêtants d’accents pop, et ses arrangements d’inflexions reggae. Épaulée par une équipe non moins talentueuse – les claviers de Ludovic Fiers en tête– l’artiste teinte les sonorités afro-beat de son dernier opus de couleurs plus instrumentales, notamment sur le très réussi Ocean.

SUZANNE CANESSA

Anne Paceo et Herbie Hancock se sont produits le 19 juillet et Asa le 23, au Palais Longchamp à Marseille, dans le cadre du festival Marseille Jazz des Cinq Continents

Dans la douceur du tumulte

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TUMULUS conception Francois Chaignaud, Geoffroy Jourdain avec Simon Bailly, Mario Barrantes, Florence Gengoul, Myriam Jarmache, Evann Loget-Raymond, Marie Picaut, Alan Picol, Antoine Roux-Briffaud, Vivien Simon, Maryfe Singy, Ryan Veillet, Aure Wachter, Daniel Wendler choregraphie Francois Chaignaud assiste de Anna Chirescu direction musicale Geoffroy Jourdain assiste de Louis Gal dramaturgie Baudouin Woehl , scenographie Mathieu Lorry Dupuy lumiere Philippe Gladieux, Anthony Merlaud , costumes Romain Brau

Iels sont treize. Et descendent les marches, partant du haut de l’orchestre pour rejoindre le plateau. D’abord dans l’obscurité puis sous une lumière tamisée, conçue par Philippe Gladieux et Anthony Merlaud, ils vont former, une heure quinze durant, un incessant ballet, arpentant un tumulus, grotte-tombeau énigmatique du sommet aux entrailles. « Grand amas artificiel de terre ou de pierres que l’on élevait au-dessus d’une sépulture, parfois surmonté d’un monument ou d’un trophée » dit le Larousse. Telle une farandole de faunes, la procession rythmée par une musique venue de siècles lointains (Josquin Desprez, Jean Richafort, William Byrd, Antonio Lotti) à l’exception de celle, contemporaine, de Claude Vivier. Danser, chanter, marcher, glisser, disparaître puis réapparaître autour du monticule en forme d’iceberg végétal et poilu qui semble être le temple vénéré par cette communauté audacieusement costumée par Romain Brau qui associe guêtres en laine, coiffes d’osier, demi-guêpières ou tenues matelassées. Défilé cérémonial ritualisé, tumulus célèbre autant l’art que la nature, la vie que la mort, sinon leur interdépendance organique. Comme le chant et la danse sont ici charnellement entremêlés. Polyphonies, canons, unissons, les voix habillent de lyrisme les gestes fluides et distingués. Transcendant les arts, les esthétiques et les temporalités, le chorégraphe François Chaignaud et le chef de chœur et d’orchestre Geoffroy Jourdain signent une œuvre d’une sidérante créativité.

LUDOVIC TOMAS

Tumulus a été créé le 20 juillet et présent jusqu’au 26, à la Fabrica, dans le cadre du Festival d’Avignon.