Vingt-sept ans après La Servante, pièce fleuve qui installe la relation charnelle entre Olivier Py et Avignon, le futur ex-directeur du festival signe Ma jeunesse exaltée. Dans le même gymnase Aubanel et avec la même intention d’offrir un théâtre du temps long, comme un pan de vie partagé en direct, pendant dix heures (avec entractes) et au cours de sept représentations. Rien n’est trop beau pour le public d’Avignon quitte à éprouver sa résistance physique. Physique, c’est le premier adjectif qui vient au sortir d’un spectacle marathon dont le personnage central, l’éblouissant et surhumain Bertrand de Roffignac, enchaîne, à un rythme vertigineux, les aventures rocambolesques, ponctuées de roulades, grimaces, monologues lyriques et masturbations. Ce livreur de pizza, Arlequin des temps modernes et ubérisés, devient la muse d’Alcandre (remarquable Xavier Gallais), poète retiré aux intentions revanchardes. Ce dernier fera de sa conquête la bête noire des institutions politique, financière et religieuse.
« Quelque chose vient »
Chacune devient la cible d’un canular particulièrement humiliant qui révèle l’indécence des tout-puissants. Un prélat en sous-vêtements affriolants, un PDG qui défèque sur scène, un ministre de la culture fessant son conseiller, un festin d’anthropophages… Voilà jusqu’où peuvent aller les hommes de pouvoir pour assouvir leur ambition. Progressiste, artiste et croyant, Olivier Py est particulièrement bien placé pour tirer à boulets rouges sur la gauche, la culture et l’Église, trois « familles » hautement symboliques pour lui. Car la jeunesse n’est pas une question d’état civil mais d’état d’esprit : rien n’est plus exaltant que de poursuivre un idéal. Œuvre quasi-testamentaire après une décennie à la direction d’une des plus prestigieuses manifestations artistiques au monde, la Jeunesse exaltée d’Olivier Py est autant un hommage au théâtre et à ses pouvoirs qu’une farce spirituelle et politique, plaidant pour un renversement du capitalisme dont la gangrène n’épargne aucun champ d’activité ni de la pensée. Le théâtre serait-il la plus pertinente des armes politiques ? En hauteur et à l’avant de la scène, une phrase illuminée aux néons nous donne espoir : « Quelque chose vient ». Et la joyeuse troupe – que d’excellent·es actrices et acteurs – de nous en convaincre. Pendant dix heures au moins.
LUDOVIC TOMAS
Ma jeunesse exaltée a été créée le 8 juillet 2022 et jouée jusqu’au 15, au gymnase du lycée Aubanel, dans le cadre du Festival d’Avignon.