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Accueil Blog Page 238

Un peu d’amour avec Pippo Delbono 

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© Estelle Valente Teatro Sao Luiz

L’amour n’est pas seulement un sentiment, mais un état de l’âme : « un véritable engrenage dans le corps humain, qui sélectionne, déplace, brise et réassemble tout ce que nous voyons, que nous sentons, que nous désirons » tel semble être le centre de gravité de l’art de Pippo Delbono, acteur et metteur en scène, dont les spectacles émeuvent les théâtres et les festivals depuis plus de vingt ans. Après La Gioia, hommage et ultime déclaration d’amour à Bobò, décédé en 2019, acteur pilier de sa troupe, microcéphale, sourd-muet, que le metteur en scène avait sorti de l’asile après l’avoir rencontré lors d’un atelier théâtre, voici Amore, où Pippo Delbono explore la nécessité d’aimer tout autant que la peur provoquée par ce sentiment si puissant.

Saudade

Un projet né de la rencontre et de l’amitié entre Pippo Delbono et le producteur de théâtre italien Renzo Barsotti actif au Portugal depuis des années. Un spectacle dans lequel, outre le Portugal, Pippo Delbono évoque la pandémie de Covid 19 pendant laquelle des personnes sont mortes sans entendre d’ultimes paroles d’amour et de réconfort. Il mêle à sa troupe des musiciens et des artistes portugais de fado, qui exprime la nostalgie et la tristesse, et la saudade, l’amour pour tout ce qui est perdu. Accompagné des mots de poètes portugais, ou du brésilien Carlos Drummond de Andrade (« Aimer l’inhospitalier, l’âpre, un vase sans fleur, un sol de fer, un oiseau de proie. Tel est notre destin : aimer sans limite. Aimer notre manque d’amour. ») mais aussi de ceux de Jacques Prévert ou de Reiner Maria Rilke, Amore est un théâtre d’images, un voyage musical et une traversée de l’âme humaine. 

MARC VOIRY

Amore 
Du 6 au 10 décembre
La Criée, théâtre national de Marseille
Une programmation du Théâtre du Gymnase hors-les-murs

La tradition, d’arrache pied

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Carne e Ossa de Roberto Zazzara © X-DR

Les Marseillais connaissent la tradition de l’ascension vers Notre-Dame de la Garde à genoux ou avec des pois chiches secs dans les chaussures… mais c’est une épreuve bien douce comparée à celle que s’infligent les Italiens du petit village de Pacentro dans les Abruzzes. Là, depuis la nuit des temps, le premier dimanche de septembre se déroule une course, pieds nus. On s’élance d’abord d’une falaise aux roches vives dans une pente à 80% vers un ruisseau pour remonter dans la pierraille et les ronces, les talons déchirés, les voutes plantaires dépecées, vers l’église où la Madona di Loreto et les soins infirmiers attendent les participants. C’est la Corsa degli Zingari, littéralement la course des « gitans ». Un rite cruel qui viendrait d’un seigneur féodal promettant un grade de chevalier au gagnant. Sans doute d’origine plus lointaine, initiatique et païenne. Roberto Zazzara, dans Carne et Ossa, le documentaire retenu par le Primed 2023, s’intéresse à cette tradition, à son ancrage dans le pays, aux motivations très variées de ceux qui s’y risquent. 

Épreuve cruelle

Face caméra ces derniers témoignent, élaborant un récit choral. Peu le font par dévotion à la Vierge. Pour certains, il s’agit de suivre une tradition familiale qui va de soi quand on est né là. Pour d’autres de se surpasser, de répondre à un défi. Pour d’autres encore, de montrer son « courage d’homme ». Les conditions ont un peu évolué. Désormais, on s’y prépare. Le monopole mâle a pris fin car un jour, une femme s’est inscrite et a réussi à atteindre l’Eglise ouvrant la voie à d’autres. L’événement est devenu plus folklorique aussi – des étrangers viennent y assister. Mais la course demeure ancrée dans le patri-matri-moine. Aucun villageois ne la remet en question. Le réalisateur s’attache à comprendre et à traduire ce qui fait la spiritualité de cette épreuve cruelle, sacrificielle et sa pérennité.

Les documents d’archives en couleurs criardes – vidéos amateurs où l’image à gros grain, souvent floue, tremblote, s’opposent au documentaire en noir et blanc et à une photo superbement composée qui rappelle que Zazzara est aussi chef op. La suite de plans fixes qui constituent la dernière séquence des 50 minutes du film, donne comme des clés au mystère. Le village isolé immuable au cœur des montagnes, aux maisons serrées autour du clocher. Le cycle des saisons. Le défi permanent d’un paysage austère et somptueux. Les statues de la Vierge enguirlandées de lumières. Le sol glacé de l’église où gravé dans la pierre, on lit « Carne e Osso ».

ÉLISE PADOVANI

Carne e Ossa, de Roberto Zazzara a été projeté le 6 décembre à la mairie des 1/7 de Marseille, dans le cadre du festival Primed.

Dans l’adversité

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Levante © Wilssa Esser

Sofia (Ayomi Domenica) a 17 ans, joue au volley-ball dans l’équipe féminine de C.Leste. Un club incluant des lesbiennes, et des transgenres sous la direction ferme et maternelle de la coach incarnée par Grace Passô. Remarquée par une sélectionneuse, Sofia se voit proposer une bourse et un contrat professionnel au Chili, après la fin de la compétition en cours, où elle sera observée de très près. Une chance inouïe et l’accomplissement de ses rêves. Mais alors que l’équipe vient de remporter les quarts de finale, la jeune fille, bisexuelle, en couple avec une autre joueuse, s’aperçoit qu’elle est enceinte. L’avortement est illégal au Brésil. Pour les pauvres, s’entend. Les riches trouvent toujours un arrangement. Dès lors, pour la jeune sportive qui ne veut pas de cette grossesse, commence un parcours de combattante.

Fureur de vivre

Malgré la pression des sponsors du club, les actions intrusives des agents fondamentalistes, doucereux et abjects, qui piègent, traquent et menacent de prison les jeunes filles voulant avorter. Malgré la réprobation sociale, le regard des voisins, les tags sur les murs citant l’Epître aux Romains, le caillassage de sa maison, les menaces et les insultes, Sofia tient bon. Elle – qui a perdu sa mère –, peut s’appuyer sur un père aimant, apiculteur de métier, doux comme le miel de ses abeilles, et une tante bienveillante. Mais c’est du collectif de ses copines surtout, qu’elle tire sa force. Des filles solidaires, joyeuses, espiègles. Le titre du film Levante – qui signifie « soulèvement », désigne aussi une plante rituelle censée donner des pouvoirs surhumains. Un titre qui sied bien à ce film, construit comme un thriller d’une incroyable énergie. La réalisatrice capte l’exultation des corps, jeunes, vigoureux, sans formatage aucun, saisis plein cadre dans les vestiaires, sous la douche, dans les activités sportives, festives ou amoureuses. Des corps qui crient comme les couleurs orange et rose, et vibrent sur la musique signée Maria Beraldo et Badsista (DJ, cofondatrice du collectif féministe Bandida, qui fait vibrer les clubs de São Paulo avec sa ghetto house).
Fureur de vivre contre l’oppression, l’étouffement, la dépression, la violence politique.
La réalisatrice Lillah Halla, entourée d’une équipe très féminisée, propose ici une tragédie sociale plus qu’individuelle, dénonçant un système pervers, hypocrite dont les contradictions mortifères, seront soulignées par un dénouement ironique qu’on ne dévoilera pas.

ÉLISE PADOVANI

Levante, de Lillah Halla
Sorti le 6 décembre

Carmen. avec un point et féministe

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CARMEN. - une pièce de François Gremaud avec Rosemary Standley et quatre musiciennes. Une production de la 2b company. Théâtre de Vidy, Lausanne, le 29 mai 2023. ©Dorothée Thébert Filliger

Le public de La Garance, à Cavaillon était debout et multipliait les rappels, comme celui du Théâtre d’Arles la veille. La performance de la comédienne chanteuse est de celles que l’on n’oublie pas, et qui vous donne un plaisir extrême. Et c’est ensemble que le public a chanté, d’une voix émue, commune, « l’amour est enfant de bohème » avant de quitter la salle avec regret.  

L’auteur-metteur en scène ne propose pas une relecture de Carmen mais bien Carmen. une conférence-opéra qui explore et parfois joue l’opéra, souvent s’en joue, le met en jeu et en question. En interrogeant le lyrisme et la vocalité : Rosemary Standley fait preuve d’une musicalité tout en finesse, posant l’opéra populaire là où il pourrait être depuis que l’amplification ne nécessite plus d’avoir du coffre mais de la justesse et de la musicalité. Le très joli timbre de la chanteuse fait merveille, chaque phrase de sa Carmen est un délice pour l’écoute. Sublimant chaque sentiment, chaque nuance, elle livre quelques moments sublimes, une habanera simple, un puits de douleur quand la gitane tire les cartes et se voit mourir.

Mais elle chante aussi Micaëla avec une candeur habitée, évite les aigus en inventant des variantes, et en rend toute l’émotion. Moins tendre avec les personnages masculins, elle joue pourtant la violence de Don José, et livre tous ses airs de ténor en voix de poitrine, magnifique. Et si elle se moque du toréro, elle interprète aussi ses airs de bravoure avec la même, et constante, musicalité. Soulignant au passage la beauté de certains airs, des intermèdes orchestraux jouées par cinq musiciennes formant un quintet flûtes, violon, accordéon (et percussions), harpe et saxophones tout en finesse, et virtuosité.

On ne meurt pas d’amour

La justesse musicale de ce Carmen. (avec un point final comme Phèdre avait un ! et Giselle des ) se double, et se rehausse, de son incroyable virtuosité de comédienne dans ce seul en scène si peuplé. l’ex-chanteuse de Moriarty joue et chante tous les rôles principaux, mais aussi les gamins qui suivent la garde, les contrebandiers, les gitanes, les soldats, les cigarières. D’un geste, elle les fait vivre, plante le décor, emprunte leur voix, fait voltiger notre imaginaire, avec deux chaises déplacées, et beaucoup d’humour complice. Ce décalage accepté permet aussi de commenter l’inacceptable de cet opéra si populaire : la violence constante, la possession, le féminicide, mais aussi le ridicule « parle moi de ma mère » de Don José, et le « plaisir des combats » du Toréador. Questionnée dans son propos, replacée dans son contexte historique et esthétique, Carmen de Bizetest ainsi rendue au peuple pour qui il l’a écrite, à l’opéra comique, au théâtre, à la liberté, au désir. Elle met un point final à l’exploration de François Gremaud de ce répertoire dramatique où les femmes meurent d’oser désirer.

AGNÈS FRESCHEL

Carmen. a été joué le 29 novembre au Théâtre d’Arles et le 30 novembre à La Garance, scène nationale de Cavaillon.

Qui sera élu·e Miss Cagole Nomade 2024 ?

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© Nai.iri

Zébuline. Comment explique-t-on l’engouement autour de ce rendez-vous ? 
Lisa. Je pense que les gens ont envie de représenter un certain état d’esprit : celui d’être libre dans son corps, sa tête et revendiquer une identité. Se rendre visible, par la fête, la danse, le chant… et montrer qu’ils ont tous quelque chose de « cagole » en eux. Pendant le concours, on montre toute la diversité du monde au même endroit. Car il y a des concours pour tout, mais pas forcément des concours où tout le monde peut se retrouver et se rencontrer. C’est aussi un rendez-vous qui prône des valeurs d’inclusivité qui sont aujourd’hui importantes. 

Comment va se dérouler la prochaine édition ? 
Ça commence avec une performance libre, de cinq minutes : de la danse, pôle dance, du cirque… cette année on aura aussi des échasses, ça va être incroyable. Suite à ça on choisit trois personnes pour l’épreuve du discours, on élit la gagnante, et on fait la fête tous ensemble pour célébrer. 

Quel profil ont les candidat·e·s ?
Il y a vraiment de tout. Certaines personnes veulent à terme vivre de la scène, et d’autres qui le font à coté par plaisir. Dans tous les cas, on ne valorise pas forcément les personnes déjà installées. On promeut ce que la personne transmet comme énergie, plus que la prestation artistique. Certains membres du jury vont regarder l’authenticité, le second degré, moi je regarde l’intention. Mais même si on joue le jeu à faire des retours, on n’est surtout pas là pour les clasher..!

Lisa, fondatrice de Cagole Nomade © X-DR

La Cagole Nomade Party était en tournée en septembre dans plusieurs villes françaises (et en Suisse). Doit-on comprendre qu’il y a des cagoles un peu partout ?
Si on s’appelle Cagole Nomade ce n’est pas pour rien ! Oui l’esprit vient d’ici mais il est en mouvement, se balade. L’idée n’est pas de rester figé mais de s’ouvrir, et de pouvoir aller chercher les cagoles qui dorment en chacun de nous. La cagole est internationale, il y en a partout dans le monde ! Je trouve ça beau en tant que marseillaise de valoriser ce terme qui a longtemps était méprisé dans la société. Que n’importe qui puisse dire « je suis une cagole et fière de l’être ».

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Miss Cagole Nomade
9 décembre
Espace Julien, Marseille

Culture populaire

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Alors que la Ville de Marseille s’apprête à plancher sur une nouvelle vision de l’Éducation populaire, la question de sa redéfinition se pose à tous les opérateurs culturels, à tous les artistes. 

Des générations d’enfants du peuple ont bénéficié de l’immense entreprise de démocratisation culturelle, de décentralisation théâtrale et de l’essor des centres sociaux et des maisons pour tous durant le dernier quart du XXe siècle. Ils savent aujourd’hui ce qu’ils doivent à la volonté militante des comités d’entreprises, des travailleurs sociaux, des éducateurs sportifs, des aumôniers souvent, des cinéclubs, des cours de danse, de musique, d’arts plastiques dispensés pendant les colos au grand air ou à deux pas de chez eux, au pied de leurs immeubles d’habitation. Certains d’entre eux, transfuges de classes et de frontières à un moment où l’ascenseur social fonctionnait à plein régime, sont aujourd’hui nos plus grands artistes, et nos Prix Nobel.

Culture et codes d’accès

Depuis, l’Éducation populaire a été massacrée systématiquement par des baisses de financement idéologiques, opérées par une classe dominante qui a compris que l’éducation du peuple, des masses comme ils disent, menaçait leur hégémonie culturelle. Une classe des riches qui sait que l’hégémonie culturelle est la racine mère de toutes les dominations. 

Aujourd’hui les cours des cités construites dans les années soixante sont bétonnées et « parkingisées », les ensembles d’habitations et les établissements scolaires s’entourent de hautes grilles et se protègent par des codes d’accès : l’espace public ne permet plus d’accéder à un espace commun. Plus insidieux encore, l’espace des écrans et des prétendus « réseaux sociaux », concurrence la pratique commune du sport, des arts, du cinéma, de l’écriture, et se présente comme intime et individuel, quand il est globalisant et aliénant. Chacun pense la culture séparée en générations et non en classes sociales, les jeunes méprisant la culture de leurs ainés, les ainés ne comprenant pas la force des cultures « jeunes ». 

Quelle éducation populaire dans ce contexte? Rétablir les moyens ne suffira pas. Parce que lutter contre des médias tentaculaires et de plus en plus fascisants avec un bec de colibri est inefficace. Il faudrait, avant tout, réformer les médias et « démonétiser » Hanouna. Mais il faudrait aussi que les nostalgiques old school de l’Éducation populaire comprennent que le monde a changé, et qu’il ne suffit plus de défendre une culture « émancipatrice » venue de notre passé aristocratique, bourgeois, impérial et colonisateur, et faite par de « grands hommes » blancs. Les quartiers populaires recèlent de cultures multiples, foisonnantes, celles des jeunes mais aussi celles des vieilles, des vieux, nécessaires à la construction d’un avenir commun, enfin pluriversel. 

AGNÈS FRESCHEL

D’Ouest en Est

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Roderick Cox © X-DR

Il était sans doute la plus belle révélation du Rigoletto donné, en novembre 2021, à l’Opéra de Montpellier. Quelques mois auparavant, il s’était déjà illustré dans le programme Transatlantique, comptant à son affiche Samuel Barber et le concerto pour violon de Jennifer Higdon. On le retrouvera en mai 2024 à la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie pour une Bohème plus que prometteuse.
Roderick Cox, jeune chef américain, se sent décidément comme chez lui à Montpellier, dans une maison qui a su lui faire confiance sur le répertoire opératique comme symphonique.Formé non loin de sa Géorgie natale, à la Northwestern University, il se verra confier dès la fin de ses études un poste de chef assistant à l’Alabama Symphony Orchestra, puis de chef titulaire à l’Alabama Symphony Youth Orchestra. Installé ces dernières années à Berlin, il y officie régulièrement comme chef invité, ainsi, entre autres, qu’à l’English National Opera, pour l’Orchestre Symphonique de Milan ou encore à la Staatskapelle de Berlin.

Un programme russo-américain
On se réjouit d’avance de réentendre, toujours en la compagnie du jeune Benjamin Beilman en soliste, le concerto pour violon de Jennifer Higdon. La compositrice née à Brooklyn, qui avait dédié cette pièce à la virtuose Hilary Hahn en 2009, compte parmi les plus jouées sur le continent américain : ses références, venues aussi bien du romantisme européen que des mélodies sucrées de Beatles, Rolling Stones et autres Simon & Garfunkel, feront sans nul doute souffler de nouveau un vent de fraîcheur sur le plateau de l’Opéra Berlioz.
C’est également avec empressement que l’on attend l’Overture to The School for Scandal, première pièce orchestrale du mésestimé Samuel Barber, composée pour son diplôme de fin d’étude au Curtis Institute of Music de Philadelphie en 1931.
La cinquième symphonie de Tchaïkovski clôturera le concert sur des notes plus tragiques venues d’autres rives, non moins romantiques mais bien plus slaves. Le plus célèbre des compositeurs russes n’est cependant pas un étranger pour Roderick Cox, qui s’était déjà attelé en novembre 2019 à son Casse-Noisette, à la direction de l’Orchestre de Paris. Pour un résultat particulièrement ovationné !

SUZANNE CANESSA

8 décembre 
Opéra Berlioz, Le Corum, Montpellier 

La meringue du souterrain

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Plasticienne de formation, Sophie Perez propose depuis 1998 au sein de sa compagnie, le Zerep (anagramme de son nom) un théâtre brut et des spectacles aux titres surréalistes : parmi de nombreux autres, Le coup du cric andalou (2004) Le pied jaloux (2016), Purge baby purge (2018), Les chauves-souris du volcan (2019), La vengeance est un plat (2023). Le délire ne se trouve pas que dans le titre, il envahit la scène avec un langage plastique, vif, transgressif, débordant. La meringue du souterrain (2022) est une sorte d’hommage de Sophie Perez à ses deux acteurs-muses, Sophie Lenoir et Stéphane Roger, déjantés et plongés dans un bric-à-brac dans lequel on trouve notamment les Anthropométries de Yves Klein, des maquillages d’enfants, un quizz théâtral, des danses tribales inédites, un set électro, des textes classiques court-circuités et un canard qui pète.

7 et 8 décembre
Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence

Courts de cœur

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FÁR © Salaud Morisset

FÁR

Venu du grand nord, d’Islande, FÁR de Gunnur Martinsdóttir Schlüter nous fait assister à un drame. Un vol d’oiseaux dans le ciel. Visage d’une femme, Anna, derrière une vitre. Elle participe à une réunion d’affaires dans un café. Cadres serrés, couleurs bleues froides. On parle de gains, de l’installation d’un jacuzzi. Soudain, un choc contre la vitre. Une mouette git, à terre, blessée. Sous les yeux stupéfaits de ses collègues, Anna veut achever l’oiseau mais se fait agresser par des enfants « on n’a pas le droit de tuer » s’insurgent-ils. « La frontière est mince entre la souffrance et la mort »  leur répond-elle. Derrière la vitre, les gens du café observent… Un film, court, efficace, âpre, superbement cadré. FÁR veut dire intrusion ; l’intrusion de l’inattendu dans un monde organisé, de la souffrance et de la mort dans un lieu où ce qui compte est l’argent gagné et l’efficacité économique. Une réussite.

I Once Was Lost

Inspiré par une histoire vraie, I Once Was Lost, entre documentaire, journal intime et fiction, nous raconte une anecdote arrivée à un père, celui de la réalisatrice franco-américaine Emma Limon. Un soir, il dépose en voiture sa fille, lycéenne, chez son premier petit ami. C’est elle qui l’a guidé dans les rues de la ville. Mais au retour, il ne retrouve plus son chemin. Cette anecdote qui lui est arrivé en 2008, il la lui raconte bien plus tard, en 2021. Emma Limon en fait un film. Une déambulation nocturne, très bien filmée, dans la banlieue de Boston. Pas grand monde à qui demander son chemin. John entre dans un tout petit magasin de donuts. Il achète un beignet, essayant d’obtenir des informations. Aucune des trois employées ne parvient vraiment à l’aider mais l’une d’entre elles lui offre plusieurs donuts qu’il dévore dès qu’il retrouve enfin sa route : « je ne me suis senti plus chez moi dans l’univers. » Perdre ses repères  n’est pas toujours une mauvaise chose et ce père qui avait peut être l’impression de perdre-là sa fille devenue femme, a peut-être ici, trouvé un nouveau chemin.

Amarres (C)CHAZ Productions

Amarres

Un autre film inspiré par le réel, celui de Valentine Caille, Amarres. À partir de son histoire personnelle, la réalisatrice écrit une fiction, mise en scène avec soin et superbement interprétée par Alice de Lencquesaing et Jonathan Genet. Livia vient passer quelques jours sur le rucher familial. Elle y retrouve son frère, Louis, qui a fait des séjours en hôpital psychiatrique et qui est psychologiquement très perturbé. Il travaille sur le rucher – les scènes sur le travail des apiculteurs sont très bien documentées… La folie de Louis qui se manifeste dès qu’il est en contact avec les autres est en écho avec la folie technologique qui conduit à la destruction des abeilles. La relation entre le frère et la sœur, entre haine et amour inconditionnel, donne lieu à des scènes intenses, que la musique de Claus Gaspar souligne habilement. Un film riche en émotions.

ANNIE GAVA

Le festival Tous Courts, organisé par l’association Rencontres cinématographiques d’Aix-en-Provence s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre

festivaltouscourts.com

Tous Courts : un regard acéré sur le monde

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Handan Ipekçi | Turquie, Norvège, Suède 2022 | Fictions | 15 min

Le monde ne va pas très bien. Les réalisateurs·trices le disent sur tous les tons. Tragique, comique ou les deux. Sous toutes les formes. Documentaires ou fictions. Usant de l’animation, de l’archive, du témoignage des « vrais gens » ou de l’art(ifice) des acteurs.

Parmi les 54 films sélectionnés en compétition internationale, on en a repéré quatre, qui se rejoignent sur la cruauté et la violence ordinaires de nos sociétés mais adoptent des formes différentes pour en rendre compte.

Ressources humaines

D’abord, le court-métrage d’animation de Titouan Tillier,Isaac Wenzek et Trinidad Plass Caussade  dont le titre : Ressources humaines, va prendre, en trois minutes chrono, un sens très particulier. Technique classique du stop motion. Décor cosy aux couleurs chaudes, où chaque détail compte. Personnages en textile pelucheux. Accompagné d’un ami réalisateur qui filme la scène sans apparaître dans le champ, voici donc, le timide Andy qui se rend à son rendez-vous de recyclage. Un usage naturel dans ce monde là. Accueilli par Wanda, la secrétaire, il vit ses derniers moments sous sa forme humaine pour être transformé en un produit commercialisable. L’horreur n’est qu’une formalité des plus banales. Comme tout récit de science-fiction, c’est bien de l’actualité dont on nous parle ici et d’un capitalisme mangeur d’humanité. Mais avec modestie, douceur, sans affect, sans éclat de voix, ni de style, presqu’en s’excusant comme Andy.

Les Dents du bonheur

Plus caustique et rageur, dans le sillage d’un Ruben Östlund, la « mordante » fable politique de Joséphine Darcy Hopkins, Les Dents du bonheur, met en scène la lutte des classes. Dans une riche demeure arrivent pour une prestation à domicile une esthéticienne et Madeleine, sa fille de huit ans qu’elle n’a pas pu faire garder. À l’étage, les trois bourgeoises méprisantes à souhait. À leurs pieds, la mère de Madeleine. Au-sous sol, dans la salle de jeu, trois fillettes -reflets de leurs mères -, intègrent Madeleine à un jeu de « société » où on mise de l’argent et où l’horrible Eugénie, fille de la propriétaire des lieux, ne perd jamais. Olivia, la domestique fait le lien entres les étages et aura le dernier geste à défaut du dernier mot. Quand on est pauvre, on vend son corps – ses cheveux pour Fantine chez Hugo, ses dents de lait pour Madeleine. Mais, parfois, les dominés refusent leur condition et la force de leur rage est alors telle que ponctuellement le pouvoir des dominants vacille. Le film se clôt sur un sourire édenté, sanglant, vengeur et triomphal tandis que l’indémodable Charles Trenet chante: « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? » ( PRIX Lieux fictifs)

Et si le soleil plongeait dans l’Océan

C’est ce que finit par se dire Raed, le protagoniste de Et si le soleil plongeait dans l’Océan des nues de Wissam Charaf, sur fond de corruption et de magouilles immobilières dans un Liban qui brade son littoral au profit des promoteurs. Gardien d’un chantier du front de mer, Raed doit empêcher les promeneurs d’accéder à l’Océan. Dans ce nulle part, saisi en plans fixes où les Algecos soulevés par les grues se balancent dans le ciel, où les ordres du patron sont contradictoires, et absurdes, où le corps rondelet de Raed ne peut arrêter les hommes de main aux gros bras tatoués et aux lunettes aussi noires que leur 4×4, apparaissent des amoureux, une joggeuse et une mystérieuse photographe. Est-ce rêve ? Est-ce réalité ? Raed est-il mort ? Et cet Algeco maquillé en maison du bonheur, est-ce le paradis des pauvres ? Le riche patron, vieillard sous oxygène, est-il l’image d’un capitalisme mortifère et moribond ? Presque pas de mots dans ce film surréaliste où le problème politique et social devient existentiel comme si Buster Keaton et Père Ubu erraient dans le Désert des Tartares. (PRIX Unifrance)

Diyet (The Payoff)

C’est sur un autre front – de mer –, que nous transporte Diyet (The Payoff) le très beau film de la réalisatrice turque Handn Ipekçi – qui a d’ailleurs remporté le Grand Prix de cette 41e édition. Une juxtaposition de séquences : des vacanciers s’ébattent bruyamment sur la plage surpeuplée d’un été criard, une famille abandonne son chien sur la route. Un vieillard connaît le même sort. Les vagues jettent sur le sable les corps de migrants noyés. Tandis que l’orage gronde, des vêtements militaires sur cintres tournent dans le vent. La guerre n’est pas loin. Les soldats sont en transit. La station balnéaire désertée devient post apocalyptique, les chiens errants affamés se battent autour des poubelles, la fumée noire d’un bateau ou d’une usine plombe le ciel… Superbe photo. Aucun dialogue, aucun commentaire. Le vent, le tonnerre, les détonations, les hurlements à la mort des bêtes, suffisent à ce tableau radicalement désespéré. Une proposition très forte dans le millésime 2023 du festival Tous Courts.

ÉLISE PADOVANI

Le festival Tous Courts s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre à Aix-en-Provence.