mardi 16 septembre 2025
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« Le livre des Solutions », un réalisateur au bord de la crise de nerf

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Pourquoi faire du cinéma selon Gondry ? Pour expérimenter les mille idées qui bouillonnent dans une tête intranquille ? Pour vivre l’euphorie de leur donner vie et forme ? Pour trouver des solutions à des problèmes qu’on a inventés ? Pour contrer poétiquement une réalité contraignante et brutale ? La soumettre à ses désirs ? Pour endiguer ou nourrir sa dépression ? Ou s’en servir ? Pour satisfaire sa vanité, séduire une femme qui se prénommerait Gabrielle et aurait une cicatrice sur la pommette ? Pour retrouver sa maison d’enfance, dire à une vieille tante qu’on l’aime très fort et lui dédier un film ? Une nécessité existentielle en tous cas !

Huit ans après l’échec commercial de Microbe et Gasoil, Michel Gondry nous revient avec une comédie largement autobiographique et hilarante qui met en scène cette nécessité-là. Il décrypte son processus : « démarrer le projet, apprendre en faisant, ne pas écouter les autres ou les écouter » – la contradiction n’étant pas un obstacle… Marc Becker (avatar de Gondry), interprété avec brio par un Pierre Niney irrésistible, est un réalisateur hyperactif, impulsif, tyrannique, un tantinet égoïste et carrément bipolaire, sous traitement antidépressif, « triste le matin » et pas forcément gai le reste de la journée. Il est en passe de terminer un long métrage très personnel, intitulé Chacun. Tout le monde, dont les premières images sont présentées au staff de la production. Le verdict tombe : « C’est gris, c’est laid, on ne reconnaît pas les acteurs et cela nous coûte 5 millions. On arrête le tournage, on va essayer de sauver les meubles et notre investissement. » 

Maire à mi-temps

Ce sauvetage est confié à un collaborateur de Marc, Max (Vincent Elbaz) qui devient dès lors pour lui le Judas que Gondry se chargera d’abattre par des moyens cinématographiques. Pour reprendre la main et finir son film, aidé par sa patiente et raisonnable monteuse Charlotte (Blanche Gardin), l’assistance réal Silvia (Frankie Wallach), la vidéaste Gabrielle (Camille Rutherford), et le technicien polyvalent Carlos (Mourad Boudaoud), il vole le matériel de montage et tous les rushs. La petite bande part se cacher chez la tante de Marc, Suzette (Françoise Lebrun). Le cinéma indépendant et buissonnier s’est fait la malle sur les routes des Cévennes pour suivre son allure sans passer la troisième pour éviter le crash. Dans la foulée, Marc jette ses médocs. Sa maniaco-dépression peut alors exploser librement, tout comme sa créativité, générant une suite de gags et de dialogues savoureux à déguster comme le gratin d’aubergines de Suzette. Les idées fusent, déstabilisant son équipe  dont il exige une disponibilité totale même à 3 heures du matin, leur demandant l’impossible, les houspillant, s’excusant, récidivant, partant dans tous les sens, procrastinant, devenant maire à mi-temps du village, acquérant une ruine pour en faire un studio de cinéma, commençant un documentaire sur une fourmi, imaginant un nouveau film, refusant de voir celui-là, reconsidérant constamment son montage. Ce sera un palindrome avec un entracte pipi sous forme de dessin animé sur un renard qui ouvre un salon de coiffure.

Il a beaucoup de chance, Marc ! La tendresse inconditionnelle de Suzette, la fidélité bienveillante de l’équipe qu’il malmène. Charlotte, Gabrielle et même Carlos son souffre- douleur, le suivent jusqu’au bout, Silvia prendra le large mais reviendra. Tour à tour, inquiets pour lui, admiratifs, excédés. Sidérés quand la réalité obéit à sa folie. Ainsi quand il obtient la collaboration gracieuse de Sting et arrive dans un studio londonien hyper numérisé avec un magnéto portable vintage des années 1980 pour l’enregistrer. Ou quand il compose une musique avec un orchestre déniché au fin fond de la province, sans partition et dont il a viré le chef. Loin d’un autoportrait complaisant qui magnifierait les affres du créateur façon romantique, Le livre des Solutions soutenu par une petite voix intérieure reste dans l’autodérision et la tendresse d’un hommage au bricolage génial du cinéma, où il suffit de deux tuyaux d’arrosage pour inventer un chantons sous la pluie, et de placer son œil au petit trou de la feuille d’un arbre, pour voir le monde plus clairement.

ÉLISE PADOVANI

Le Livre des solutions a été présenté le 7 juin au cinéma L’Alhambra à Marseille.

@Copyright The Jokers Films

Sortie en salles : 13 septembre

Toulon danse en fête

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Constellations en 2022 © Agnès Mellon

Du 13 au 17 septembre la compagnie KKI emmenée par Frank Micheletti, son directeur artistique, propose la 13e édition de son festival Constellations. La signature de l’artiste se ressent à chaque instant de ces quatre jours de gratuité, de générosité et de fête, dans quatre lieux toulonnais aux charmes différents : certains sont propices à l’ébahissement comme la Tour Royale et son sublime point de vue sur la rade et les îles varoises, d’autres plus décalés comme les magnifiques salons du Cercle Naval qui se transformeront en dance floor, et enfin des salles emblématiques de la vie culturelle toulonnaise, comme le Théâtre Liberté ou le cinéma le Royal.  

Mais c’est surtout dans la programmation artistique que la patte de Frank Micheletti se ressent : Constellations commence le 13 septembre par deux projections, un documentaire de la compagnie marseillaise La Zouze (Christophe Haleb), un autre sur la transmission d’un solo brésilien suivi d’un DJ set… Ouverture et transgénérationnel sont au cœur de cette 13e édition dès ses prémices. 

Place ensuite, le 14 septembre, à trois solos féminins au Cercle Naval : Yasmine Hugonnet, qui cherche La Peau de l’espace, Karima el Amrani, qui présente un Album des chorégraphies diverses qui ont traversé son apprentissage, et le solo de Oona Doherty, Hope Hunt, ou la virilité incarnée dans un corps de femme, ici Sati Veyrunes, à l’incroyable présence. 

Danse à tous les étages

Le 15 septembre le festival s’installe dans le centre ville, la place et le Théâtre Liberté. Son parking tout d’abord, avec un duo de KKI, Demonios na cabeça qui s’attache, sous le sol, à dévoiler les fissures de nos vies. Puis un solo de Mercedes Dassy, danseuse belge qui interroge l’engagement, dans la petite salle, les Amazones de Marinette Dozeville dans la grande salle, puis un DJ set dans le hall.

Les 16 et 17 septembre Constellations monteà la Tour Royale et programme notamment un solo d’Anne Teresa de Keersmaker à ne pas manquer, magnifique extrait de En Atendant. Parmi la vingtaine de représentations du week-end,l’incroyable performance deLoraine Dambermont Toujours de ¾ face sur la violence de la boxe, et Asmanti, un pièce coup de poing de la Cie marseillaise Hylel, révélation de Hip Hop Non Stop 2021, du Festival de Marseille 2023, des Hivernales 2023… 

Il y aura aussi la compagnie Coline, trois pièces différentes de KKI, un grand bal de clôture, pour un week-end en apothéose ! 

AGNÈS FRESCHEL

Constellations
Du 13 au 17 septembre
Divers lieux, Toulon
kubilai-khan-constellations.com

Jacques a dit : derrière la Côte d’Azur

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Les leçons impertinentes © Cie Le Thyase

Zébuline. Quel est le principe de ce temps pour les enfants juste après la rentrée ?

Pierre Caussin. C’est un temps familial, avec des formes légères, qui s’adresse à tous, aux enfants comme à leurs parents. Et qui repose sur le principe de la gratuité et de la proximité. Dans les Alpes-Maritimes, dès que l’on s’éloigne du littoral, il y a des communes, des villages, où les spectateurs ont des attentes très différentes.

Jacques a dit propose essentiellement des spectacles de compagnies régionales.

Oui majoritairement, mais pas exclusivement. Le fil rouge c’est la parole, les arts de la parole. J’y suis très attaché, nous faisons partie du réseau Traffic qui réunit sept scènes françaises autour des arts du récit et nous travaillons autour d’appels à projet et de production commune. Jacques a dit soutien des petites formes nomades, sans technique, qui peuvent circuler…

Dans quels espaces jouez-vous ? 

Il y a quatorze spectacles, qui jouent tous à Carros les 16 et 17, et qui pour six d’entre eux vont aussi à Bonson, Gattières, Gilette, La Gaude, Le Broc, Saint-Jeannet et Saint-Martin-du-Var. Le principe est que chaque spectacle joue au moins deux fois, ce qui est précieux pour les artistes. Depuis six éditions, on constate que lorsqu’on va jouer dans ces communes, les spectateurs se déplacent ensuite à Carros pour voir les autres compagnies.

Certaines de vos propositions sont engagées, voire subversives…

Les arts de la parole sont rarement anodins. Les Leçons impertinentes de Zou, les Histoires de filles et de garçons remettent en cause les présupposés de genre dans les imaginaires et les cours de récré. Les Contes africains de la Compagnie l’Enelle [de Lamine Diagne,ndlr], ou son Arbre à palabres font entendre la richesse des cultures africaines. Mais on peut aussi s’amuser avec une famille d’ogres qui veut se réinsérer, comprendre la vraie vie des pirates, rêver en regardant le ciel et la danse aérienne des folioles… 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

Jacques a dit
Du 13 au 17 septembre
Carros, Alpes-Maritimes
forumcarros.com

Art-o-rama à tout prix

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Léo Fourdrinier Sans titre (en cours de production) (2023) Impression numérique sur dibond, encadrée dans une caisse américaine en bois 220 x 180 cm Courtesy de Léo Fourdrinier et HATCH Photo © Léo Fourdrinier

60 exposants dont 41 galeries, 17 éditeurs en art et en design et deux project-spaces, venant de quatorze pays et de trois continents. Le tout juste à côté des expositions Ni drame ni suspense consacrée par Triangle-Astérides aux artistes résidents des Ateliers de la Ville de Marseille, Drift avec les diplômé·es de l’École de Beaux-Arts de Marseille, et Fondant, premier solo show en France de l’artiste britannique Zoe Williams ! Bref, la Friche a été pendant ce premier week-end de septembre un vaste spot d’art contemporain, rapprochant scène locale et internationale, offrant de la visibilité, à côté d’artistes confirmés, à de nombreux·ses jeunes artistes. À Art-o-rama, les propositions des galeries invitées (dont une moitié participaient pour la première fois) se sont déclinées en 28 solos-shows et huit duos d’artistes. Quatre jours de salon ponctués de projections de films d’artistes et de cinéma expérimental et de discussions avec des artistes.

Des prix

Neuf prix ont été décernés pendant cette 17e édition, par des acteurs locaux ou internationaux, débouchant sur des acquisitions, des compensations, des résidences, de l’accompagnement et/ou de la visibilité. Les prix d’acquisitions : Because of many suns, créé par Collezione Taurisano (Naples, Italie) dans le but de soutenir « les pratiques artistiques émergentes qui présentent un regard perspicace sur la société contemporaine ». Le prix Benoît Doche de Laquintane, collectionneur bordelais, pour une œuvre « en lien avec la poésie et le temps présent ». Le prix Marval, collection privée basée entre Berlin et Milan, qui soutient de jeunes artistes innovant·e·s. Et le prix Pébéo. Pour le reste, le prix Roger Pailhas distingue le projet curatorial le plus innovant, en offrant le remboursement des frais de participation à la foire. Le prix Nice (He)art permet d’être invité à The Heart for Heart Program, résidence d’artistes basée à Nice. En art et design, le prix de la Région Sud offre accompagnement, temps de résidence, bourse de 2000 euros, et focus lors du salon Art-o-rama. Et le prix François Bret des Beaux-Arts de Marseille, décerné à deux jeunes diplômé·e·s de l’École, offre un focus lors du salon et un accompagnement. 

Des lauréats

Si comme lors des deux éditions précédentes, c’est la présence d’une peinture figurative et colorée, voire décorative qui dominait massivement dans les allées et les stands du salon, les choix des jurys qui ont décerné les différents prix ont été complètement à rebours. Ainsi, parmi les lauréats de cette année, les sculptures minuscules, assemblages de matériaux hétéroclites, de Michael Ross, fixées sur les cimaises de la Galeria Mascota, Mexico (prix Roger Pailhas). De la documentation photographique autour des trouvailles d’objets dans des espaces abandonnés de l’artiste mexicain Juan Pablo Macías, présentée par Gian Marco Casini Gallery, Livourne (Prix Because of many suns). Une « contre-archéologie » de Marseille, sculptures et images associant vestiges des mythes anciens et mise en scène futuriste du français Léo Fourdrinier, présenté par la Galerie Hatch, Paris (Prix Marval Prize). Ou bien encore une sculpture-installation-vidéo de la Lituanienne Anastasia Sosunova, présentée par eastcontemporary, Milan, œuvre inspirée de ses recherches axées sur une thérapie de l’addiction créée grâce à des études cybernétiques appliquées à l’esprit. Quant au prix Art de la Région Sud, il a été attribué à Théophylle Dcx, diplômé de la Villa Arson, qui mélange écriture poétique, performance et vidéo, en explorant « ses différentes coordonnées sociales et politiques de jeune pédé, de personne séropositive, de travailleur du sexe, d’artiste et de fêtard passionné par la musique, la danse et le clubbing ».

MARC VOIRY

Art-o-rama s’est tenu du 31 août au 3 septembre à la Friche la Belle de Mai, Marseille.

L’incertitude n’abolit pas l’enthousiasme

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L’été a commencé par un mouvement de révolte des quartiers populaires et des populations racisées. Réprimées férocement à Marseille, un jeune, père de famille, a été tué, un autre défiguré, un troisième violemment battu et poussé à se taire. Les commerces ont été dévastés. Puis la canicule s’est installée, touchant violemment les populations les plus fragiles socialement. Les morts violentes se sont succédées dans des quartiers aux prises avec les trafics de drogue.

Pourtant l’été culturel s’est révélé plus beau que jamais, et les soirées partagées, gratuites, joyeuses, ont rassemblé des publics enthousiastes et variés. Comme un contrepoint, un antidote à une société qui n’en finit pas de se déliter, d’exacerber des tensions installées par des décennies d’aveuglement social, de souffrance populaire et d’augmentation exponentielle des inégalités. 

Nouveaux modèles ? 

On a dansé au parc Jourdan d’Aix-en-Provence, les concerts gratuits ont fleuri dans toutes les villes, le Festival d’Avignon a battu des records de fréquentation. La présence des femmes s’est affirmée sur les scènes et sur les cimaises, comme si la domination masculine commençait enfin à céder le pas. 

Vivons-nous un magnifique chant du cygne artistique, ou le désir d’une cohésion sociale attentive au pluralisme culturel est-il en passe de proposer de nouveaux modèles intuitifs ? La réponse est incertaine.

Mais malgré une rentrée sociale tendue pour les entreprises culturelles et l’emploi intermittent, malgré des baisses annoncées de financement et les Jeux olympiques qui font peser le spectre d’annulations l’été prochain, malgré la mise à mal des budgets des collectivités qui financent la culture, l’enthousiasme pour un vivre-ensemble réinventé perdure et se renforce. 

Résister, c’est peut être aujourd’hui aller au spectacle. Sortir, parler, rencontrer. On vous attend, le choix est grand. 

AGNÈS FRESCHEL

À l’ouest, peu de nouveau

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« Dans le genre qui nous occupe le café est peu fait pour être bu. Il est davantage inventé pour occuper les femmes à l’écran, dont c’est l’une des fonctions essentielles de servir un café dont on ne peut imaginer qu’il soit buvable, vu qu’il recuit en permanence sur un coin de gazinière, matérialisant l’interminable et tiède patience des femmes de l’Ouest. » Le western, semble nous dire Maria Pourchet non sans rage et raillerie, n’est que le lieu de l’attente des femmes, propice à une confrontation oscillant entre rencontre amoureuse et duel larvé. Un « système qui doit toujours promettre la paix pour mieux la refuser », affirme-t-elle plus loin, confirmant l’impossibilité, aujourd’hui, de ce récit-là. Celui de la rencontre entre une quinquagénaire désabusée et un quadra, grand nom du théâtre en disgrâce, ne concevant l’amour que comme un assujettissement. La possibilité pour Aurore de comprendre, voire d’aimer cet Alexis semble pourtant vite compromise : elle en a vu d’autres, et ne semble que peu réceptive au numéro de ce comédien né, d’autant plus propice à séduire qu’il ne semble par comprendre grand-chose de lui-même, et encore moins des femmes qui auront le malheur de croiser son chemin.

Enthousiasme et déception

Car c’est finalement moins du côté du cinéma que de celui du théâtre que Western lorgne. Dans une langue riche et constamment en mouvement, Marie Pourchet se débarrasse peu à peu des oripeaux du sarcasme et de la charge sociétale, pourtant très bien vue, et sonde l’intériorité de ses personnages. Aurore aura beau passionner lecteurs et lectrices, c’est Alexis qui séduit jusqu’à l’autrice elle-même. Si l’acteur abandonne le rôle de Dom Juan à sa camarade de jeu, il n’est pourtant qu’une énième incarnation de son goût pour la passion fugace, la transgression, ici de classe, et finalement la révélation de sa bête conformité. Aussi réjouissant dans sa capacité à dépeindre la perversité de ses ressorts que décevant dans son désir de les absoudre, Western ne pourra à son tour qu’enthousiasmer puis décevoir. Dans la droite lignée d’une tradition douce-amère de happy ends insincères. 

SUZANNE CANESSA

Western, de Maria Pourchet
Stock - 20,90 €

Le parlement des intimes

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© X-DR

La venue de la compagnie Rara Woulib s’inscrit tout naturellement dans cette démarche avec Moun Fou, imaginé, explique Julien Marchaisseau, directeur artistique et fondateur de la compagnie, à partir d’un travail très fin sur les exclus pour un « parlement des intimes ». « Les comédiens ont tous passé une année en immersion dans diverses structures en lien avec la santé mentale et la grande précarité à Marseille, afin de s’imprégner de la réalité des choses en les vivant ». Après ce travail, chaque comédien et comédienne (issus eux-mêmes de métiers différents et avec des statuts variés, infirmière en milieu psychiatrique, éducateur spécialisé, sans papiers…) a écrit son propre texte. Les histoires foisonnent, les échos se tissent entre les musiques familières. Le bien commun des références rassemble. Des baffles colorés diffusent des voix qui témoignent, tranches de vies, mal-être, interrogation sur la place que l’on occupe, sa légitimité. Les comédiens arrivent l’un après l’autre, s’installent sur des chaises aux couleurs d’arc-en ciel, font face au public, se lèvent, se disent, questionnent leur rapport au monde. Depuis la placette située derrière la grande Halle on se dirige vers la mairie de Martigues, on la traverse, on s’installe dans ses jardins, face au canal. La scénographie (Adrien Maufay) instaure une prise d’assaut des espaces, les chaises grimpent sur les toits du bâtiment, traversent en funambule la cour pour se poser sur une terrasse, s’empilent ici, se propulsent au sol, échafaudent des collines, tandis que de petites scènes disséminées accueillent les artistes qui se livrent à l’interprétation de passages dansés tels des Krumpers (le Krump, danse née à Los Angeles dans les quartiers pauvres représente la vie) : pendant que les textes sont dits en voix off, les corps formulent alors l’indicible, prenant le relais des mots. La liberté d’être un autre, de se réinventer, propre à la création théâtrale devient celle de tous en une apologie espiègle du mensonge qui est aussi une vérité. La jonction entre l’intime et le collectif, le politique, se noue là, dans ce mouvement d’ensemble fluide, où s’esquisse une nouvelle poétique de la ville et des relations entre les êtres. On ne se quitte pas vraiment, un verre de bissap (hibiscus) réunit encore artistes et public, les conversations s’attardent. L’humanité est vivante et belle.

MARYVONNE COLOMBANI

Moun Fou a été joué le 4 août (nuit de l’abolition des privilèges en 1789, aucun hasard !) à Martigues 

Objet cinématographique non identifié

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Günter, la quarantaine, a été trouvé à 4 ans dans une forêt germanique. Si on excepte le fait qu’il n’a jamais été malade et n’a qu’un seul poumon, l’homme est assez insignifiant. Sa vie va devenir « signifiante » lorsqu’un inconnu croisé sur un pont lui glisse à l’oreille, un mot dans une langue inconnue. Voici le pitch de N°10, le dixième film du réalisateur-écrivain-metteur en scène-plasticien, néerlandais, Alex Van Warmerdam

Son protagoniste (Tom Dewispeleare)est comédien, répète une pièce mise en scène par Karl (Hans Kesting). Sa partenaire à la scène, Isabel (Aniek Pheifer) est dans la vie, l’épouse de Karl, et sa maîtresse. Les répétitions sont perturbées par Marius, (Pierre Bokma) dont la femme malade l’empêche d’apprendre son texte.

Collage surréaliste

N°10 est un vaudeville minimaliste doublé d’un polar qui bascule dans la science-fiction et la fable politique, un collage surréaliste transgenre, surprenant de bout en bout.

Du théâtre , on a les répétitions sur un plateau (c’est une des pièces d’Alex Van Warmerdam, Bienvenue dans la forêt qui est montée ici), des personnages-acteurs, des dialogues épurés, des plans structurés comme des décors, une stylisation qui ne s’embarrasse pas de vraisemblable. Du cinéma, les extérieurs, les paysages, la fluidité du mouvement, les filatures filées  comme une métaphore, le cadrage et le jeu des points de vue. Les scènes sont souvent enregistrées et le REC rouge, au bas de l’image, rappelle que ce qu’on voit est vu. Par qui ? Pourquoi ? Le personnage principal Günter est suivi et filmé par sa fille Lizzy (Frieda Barnhard), elle-même suivie et espionnée par de mystérieux sbires aux ordres d’ecclésiastiques prêts à tuer pour accomplir un projet dont on ne connaîtra la teneur qu’à la fin.  

Lorsque Karl ayant appris l’infidélité de sa femme, se venge de Günter en lui enlevant le rôle principal, il bouleverse la logique de sa pièce et, péremptoire, affirme à une comédienne qui demande quels seront leurs repères, qu’il n’y en a pas. Avec humour, le film suit cette même voie, plus noire que lactée, nous projetant dans un vaisseau spatial puis dans un espace intersidéral improbable, où flottent un archevêque fanatique et une statue de Jésus.

ELISE PADOVANI

Photo : Copyright ED Distribution

SORTIE: 30 Août 2023

À Gréoux, un bon bain de jazz

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Anna Stevens © X-DR

La programmation du Gréoux Jazz Festival détonne dans le paysage régional. Ce sont des formations traditionnelles, d’un jazz qui fait simplement danser et chanter, reprend des standards et a le sens de la fête. La première soirée, le 13 septembre, sera endiablée. Anna Stevens Sextet et ses danseurs swing présentent un concert spectacle, avec démonstration virtuose de lindy hop, de booggie, de rock, et un répertoire de jazz des années 1930. Un big band de dancing et une chanteuse qui swingue à tout va ! 

Le lendemain L’Orchestre syncopatique, qui pratique le New Orleans dans l’Hérault, fera lui aussi un bond dans le temps jusqu’aux racines du jazz, et des parades dixies : trompette bouchée, clarinette, batterie légère et clavier sautillant, thème, solos et chorus, comme aux origines ! Et de jolies voix croisées sur des standards éprouvés. Jazz manouche le 15 : la Dorado Schmitt family reprend le répertoire de Django Reinhardt. Le père et ses fils, aux violon et guitare, accompagnés par la contrebasse de Gino Roman, font chanter les cordes, avec une belle délicatesse, une virtuosité impressionnante dans les solos, et une complicité… familiale !

Le 16, place à Nicole Rochelle. Ou plutôt à Billie Holliday. Cet hommage à la grande chanteuse de jazz puise dans ses années de jeunesse, et s’appuie sur le talent de la Hot Suger Band, piano, guitare, percussions et une section de vent (clarinette, trompette et saxo) très swing. La voix de Nicole Rochelle a le grain, les inflexions et tout le cool de Billie. Mimétique, mais pas tout à fait, transcendant les interprétations par un phrasé plus « hollidien » que nature. Gréoux Jazz festival se conclut avec Rhoda Scott. La vraie ! Et son Lady quartet : Anne Paceo à la batterie, Sophie Allour au sax ténor, Géraldine Laurent au sax alto, Julien Alour, seul homme de la formation, à la trompette. De sacré·e·s musicien·ne·s, à l’invention constante, qui construisent des univers en mouvement perpétuel, des harmonies inattendues et précieuses, que l’orgue hammond de Rhoda Scott vient compléter de ses nappes mystiques. 

Dîners jazz

Avant ces cinq jours de fête, le festival convie à des dîners en musique, au restaurant, avec des duos de musiciens tout aussi formidables. Les 4, 5 et 6 septembre, avec Patrick Ferney à la guitare et au chant et Karim Tobbi à la contrebasse, c’est le Bakélite duo qui revisitera les standards américains préférés des grands crooners. Dans trois restaurants différents, on peut aussi choisir son menu, traditionnel ou provençal. Jean François Bonnel (clarinette) et Auguste Caron (piano) prendront la suite les 7, 8 et 9 septembre, toujours dans un répertoire de jazz traditionnel des années 1930/40. Le dernier diner jazz sera plus chaloupé, avec le guitariste Émile Mélenchon, et la chanteuse Andrea Caparros, qui revisitent joliment le répertoire brésilien, mais aussi La Vie en rose… 

AGNES FRESCHEL

Gréoux Jazz Festival
Du 4 au 17 septembre
Divers lieux, Gréoux-les-Bains
greouxjazzfestival.com

Le cœur battant de la maternité

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"Sages femmes"© Geko Films

Dès que Sofia (Khadija Kouyaté) et Louise (Héloïse Janjaud),deux amies,prennent leur poste à la maternité, elles sentent, et nous aussi, la tension qui règne dans le service. Une caméra nerveuse les suit, alors qu’elles reçoivent les instructions d’une autre sage-femme exténuée. Sofia veut travailler à la salle de naissance, pas s’occuper du travail de préparation à l’accouchement. Douce et efficace, elle prend des initiatives mais parfois manque d’assurance pour les cas difficiles ce qui lui vaudra d’être affectée à la préparation des accouchements, poste qu’elle refuse. Toutes sont sur les nerfs car le personnel est en sous effectif, il n’est pas rare que chacune se retrouve avec trois accouchements à assurer et quand il faut réanimer un bébé, quand le matériel pour les péridurales tombe en panne, quand une parturiente arrive sans aucun suivi médical, la salle de naissance, ressemble aux urgences. Quand une SDF qui vient d’accoucher se retrouve à la rue et que Valentin (Quentin Vernède), leur colocataire, l’accueille sans leur en parler, la tension monte entre Sofia qui comprend et Louise qui refuse. Et dans le service, le stress est permanent, la fatigue, extrême, poussant certaines à démissionner. « Je ne veux plus maltraiter les parents ! », pleure Bénédicte (Myriem Akheddiou) qui vient d’apporter le corps d’un bébé mort à ses parents abandonnés pendant cinq heures dans une chambre. Léa Fehner a su aussi ponctuer ce film nécessaire et politique de séquences drôles comme la garde de Noël où Valentin apporte un gâteau qu’il a décoré… d’une vulve en sucre ou celle où Louise parvient à chasser de la salle de naissance la mère de Réda (Tarik Kariouh) seul homme sage-femme du service : elle voulait prendre à tout prix les décisions à la place de Souad, sa fille qui allait accoucher.

Ecrit et tourné avec des comédiens sortant du conservatoire d’art dramatique de Paris qui ont construit leur personnage à partir des témoignages d’une dizaine de sages-femmes, Sages femmes est un film sous haute tension comme l’hôpital aujourd’hui. « Ce cœur battant de la maternité, je voulais qu’on puisse le sentir dans le film», explique Léa Fehner. C’est chose faite.

ANNIE GAVA