mardi 16 septembre 2025
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Accueil Blog Page 243

Un souffle de liberté

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L’action se déroule à Londres sur deux années, de 1894 à 1896, et offre une peinture précise de la morale étriquée cette société. Les premières pages nous font partager un rêve érotique de John Addington, quarante-neuf ans, grand bourgeois érudit et prospère, marié à Catherine et père de trois filles. Dès le début il est clair que ce n’est pas sa vie conjugale qui satisfait ses désirs. Puis voici le timide Henry Ellis, médecin et écrivain, 30 ans, marié pour entente intellectuelle – mais sans consommation – avec Édith, rencontrée en 1892 dans la Société de la Vie Nouvelle qui ambitionne de réformer l’organisation et la morale de la société.

Le récit de Tom Crewe se déroule de façon circulaire, passant de la vie et des expériences de John à celles d’Henry en alternance, les entourant de personnages hauts en couleurs… John rencontre à Hyde park un homme de vingt-huit ans qui devient rapidement son amant et qu’il finira par imposer au domicile familial tandis qu’Henry accepte que la brillante et riche Angelica partage bientôt la vie, puis le lit d’Édith. Après la publication d’un article d’Henry sur Whitman, John rentre en contact avec lui. Leurs échanges épistolaires font naître le projet risqué de la publication d’une étude sur ce que l’on appelait « sentiment grec » ou « inversion sexuelle », et d’y exposer les fondements d’une moralité nouvelle qui permette l’épanouissement de chaque individu, quel que soit son sexe. 

Cru et remarquable

Fi des injonctions de la société, de l’obligation du mariage et de la procréation, des rôles déterminés au sein du couple, du moralisme et de la bienséance !  C’est à ce moment que survient le procès et la condamnation d’Oscar Wilde qui fait l’effet d’un tsunami. Pour ce roman, Tom Crewe s’est inspiré de deux hommes qui ont existé et publié, changeant quelques noms et dates, mêlant intimement la fiction à l’histoire qui bouleverse par la souffrance et l’étouffement des femmes et des hommes de cette époque qui ne sont pas sans évoquer les difficultés de la nôtre à propos du sexe, de l’épanouissement de l’individu, de la tolérance. Tom Crewe a fait un travail remarquable, dans un style séduisant qui n’a pas peur de la crudité et semble nous tendre un miroir, déformant certes, tout en rendant hommage à ces combattant·e·s de la première heure.

CHRIS BOURGUE

La vie nouvelle, Tom Crewe, traduit de l’anglais par Étienne Gomez
Christian Bourgois - 24 € 

actoral s’ouvre au Mucem

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Dans le cadre du prélude d'actoral, River Lin a été donné dans le hall du Mucem © Juliette Larochette

Les 8 et 9 septembre dernier, le festival pluridisciplinaire actoral, dirigé par Hubert Colas a fait son inauguration au Mucem. Et comme depuis quelques années déjà, ces deux jours en prélude précèdent de deux semaines le début d’un rendez-vous incontournable des arts de la scène.

Cette année, le festival arbore les couleurs de l’inclusivité, du dialogue, du partage. actoral célèbre « l’humanité des corps oubliés », la différence des genres, la singularité des récits. Il creuse les mémoires et fait honneur aux voix singulières. Tout en remettant celles-ci au cœur de la cité.

Ainsi, de River Lin, qui, dans My body is a public collection, fait déambuler les danseurs du Ballet national de Marseille au milieu du public regroupé dans le forum du musée. Interactions, regards, sourires : la frontière entre plateau et salle disparaît. Les spectateurs esquissent quelques pas de danse, écoutent un récit ou observent la chorégraphie conçue autour d’un objet des collections du musée, fragment oublié d’une mémoire pourtant commune.

De l’inattendu 

C’est aussi sous le signe du dialogue que cette édition se joue. Dialogue entre danse et musée : pour Dress-up, Darius Dolatyari-Dolatdoust a pioché dans les collections du Mucem différents costumes traditionnels ensuite réassemblés pour produire une performance entre surface et profondeur qui explore les facettes du moi. Dialogue entre cinéma et littérature, pour des ciné-lectures inspirés de films rares extraits des collections. Dialogue entre public et interprètes enfin, lorsque Stéphanie Aflalo détourne dans LIVE les codes d’un concert pop, pour produire en sous-sol la mélodie d’un one-woman show décapant. Un moment de complicité drolatique et tendre.

Il souffle sur ce festival, et c’est là sa rareté, un esprit de partage, d’aventure et de rencontres. Si toute aventure comporte sa part d’imprévus (comme une jauge plus réduite pour Dress-up, qui aura laissé quelques spectateurs déçus patienter au bar), c’est avec jubilation, dans d’un esprit festif mêlant art et revendication, que se clôt une riche soirée. Le set musical conçus par les artistes queer Flor Mata, Janis et mx.pinky révèle en effet une pop électro, sensible et envoûtante dont le maître mot, toujours, est de montrer que la scène est le lieu d’un questionnement vital sur nos différents rapports au monde. Et actoral le démontre avec brio, édition après édition.

ÉTIENNE LETERRIER-GRIMAL

Le prélude d’actoral a été donné au Mucem ces 8 et 9 septembre

Le festival se poursuit jusqu'au 14 octobre

Le Blues Roots Festival emporte le domaine Valbrillant

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Le Blues Roots Festival s'est tenu dans le domaine Valbrillant à Meyreuil, face à la Sainte-Victoire © François Colin

Les trois soirées du festival s’articulaient chacune en deux temps, un artiste jeune déjà solidement confirmé puis une légende. 

Hymne à la liberté

Le guitariste allemand surdoué Henrik Freischalader ouvrait le bal avec ses complices Moritz Fuhrhop (orgue Hammond), Armin Alic (basse), Hardy Fischötter (batterie). « Le blues est pour lui plus que de la musique, c’est sa vie », souriait le directeur artistique André Carboulet. Sur scène, la technique somptueuse du musicien se joue des sonorités rétro-70, se mariant avec une voix émouvante pour un blues intemporel qui ne néglige pas la joie de la danse même lorsqu’elle dit « my baby don’t love me no more ». 

Le soir suivant, Nikki et Jules, traduisez Nicolle Rochelle (chant, danse) et Julien Brunetaud (pianiste génial), apportaient leur verve et leur humour accompagnés de Sam Favreau (contrebasse), Cédrick Bec (batterie) et Jean-Baptiste Gaudray (guitare). Leur propos abordait le « deuxième versant de la grande vague du blues : boogie-woogie, rhythm and blues… ». La vivacité des utopies berce ces musiques généreuses. Le lapstick (cette étonnante petite guitare) de Laura Cox permettait un hommage à la musique country qui l’a nourrie avant de décliner un rock addictif qui flirte parfois avec les inflexions du groupe Popol Vuh (qui a tant composé pour le réalisateur Werner Herzog). Toute fine sur scène, la jeune guitariste et chanteuse impose une présence forte qui dynamise ses musiciens, Antonin Guérin (batterie), Adrien Kah (basse et chœur), Florian Robin (claviers). 

Le temps des légendes

JJ Milteau Blues Roots Festival Meyreuil 2023© Dan WARZY

Le pionnier de l’harmonica en France, Jean-Jacques Milteau, s’amuse aux traversées transatlantiques des musiques. Et comme « l’ensemble est supérieur aux parties », il réunit autour de lui, outre ses instrumentistes, Jérémy Tepper (guitare), Gilles Michel (basse), Eric Lafont (batterie), deux chanteurs aux voix opposées, l’un ancré dans la terre et les rocailles, l’autre tutoyant les nuages, Michael Robinson et Ron Smyth qui offrirent des duos sublimes où chaque timbre enrichissait l’autre. Le blues retrouve ses racines gospel, arpente les titres des albums. Le guitariste et chanteur Tommy Castro annonçait : « It’s party time tonight » et enchaînait ses tubes, The pink lady, That girl, Blues prisoner, avec un sens très théâtral en une plongée vertigineuse dans le grand bleu du blues. 

Le festival se refermait en pyrotechnie avec Sugaray Rayford, géant de la scène, endroit où il se sent chez lui, présent dès le changement de plateau, blaguant avec les techniciens et ses musiciens, s’adressant au public comme à des amis. La chaleur humaine est aussi une histoire de blues avec un orchestre éblouissant, (« ils peuvent jouer n’importe quoi » affirme Sugaray, exemples à l’appui), guitare stratosphérique de Daniel Avila, trompette (Julian Davis), sax (Derrick Martin), batterie (Ramon Michel), basse (Allen Markel) imperturbables malgré les frasques espiègles de Sugaray dont le chant conte, s’indigne, prend des allures de prédication des églises américaines, confie. On n’oubliera pas de sitôt la reprise par Robert Drake Shining aux claviers et au chant du célébrissime Comfortably Numb (The Wall, Pink Floyd), ni de l’intervention impromptue en « guest star » de l’épouse du bassiste, feu follet à la voix bigrement groovy, ni le dernier chant, a cappella, de Sugaray, assis sur une caisse, face au public, un What a wonderful world (Louis Armstrong) qui nous rappelle combien l’art est capable de rapprocher les mondes et de lutter pour la paix.   

MARYVONNE COLOMBANI

Le Blues Roots Festival s’est tenu du 7 au 9 septembre au domaine de Valbrillant, Meyreuil

Marseille, enchantée

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© Baptiste Ledon

Sur la terrasse de Marrou traiteur, face à l’Opéra de Marseille, un vibraphoniste casqué d’une tête de gabian (Tom Gareil) et un violoniste-mandoliniste casqué d’une tête de rate à oreille percée (Boris Vassallucci) commencent par jouer quelques notes d’un tube des Demoiselles de Rochefort. On doit cette fantaisie au Muerto Coco, union d’artistes et de techniciens tous terrains, qui résument leur travail de recherche ainsi : « une volontaire confrontation entre Hi-Fi et Lo-Fi, crétinerie et virtuosité, infantilisme et adultisme ». Et qui répond à l’invitation des rendez-vous Aller vers, projet de spectacle vivant à jouer dans les cafés imaginés en septembre 2021 par Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, au moment de la fermeture du Gymnase pour travaux (qui devraient se terminer en 2024).

« Merci pour tout cher peuple phocéen »

Après quelques notes de musique, Gigot le gabian et Rafafa la rate sont rejoints par deux personnages (Maxime Potard et Coline Trouvé), touristes portant couronne, tirant derrière eux leurs valises à roulettes. Deux personnages moitié-moitié, de la tête au pied : moitié barbu, moitié glabre, moitié homme, moitié femme, moitié cheveux courts, moitié longue tresse, moitié robe aux fleurs bleues, moitié culotte bouffante renaissance et collants. Ce sont en fait des conteurs, et vont nous conter trois histoires marseillaises, avec princes et princesses, souvent coupés en deux et/ou mélangés. Princesse Justine du Frioul et Prince Vincent de Samena, qui après quelques péripéties tristes vont se baigner et se dissoudre dans la mer à cause de l’acidité des polluants. Puis Un amour impossible au Panier entre Prince Dominique et Princesse Dominique, ensemble depuis la 6e D. Et pour finir Du rififi en Provence, avec Prince Thierry d’Aix-Marseille Provence Métropole et Princesse Martine des Bouches-du-Rhône, qui croit que Le Lavandou c’est une lessive. Se livrant une guerre sans merci pour la conquête du territoire à travers les poubelles, les transports, etc. Grâce au gabian et à la rate qui protègent Massilia, et après quelques actions magiques, ils oublieront leur rivalité, Martine deviendra fromagère au Rove, et Thierry naturopathe à Forcalquier. Le tout rythmé par des détournements de chansons Legrand-Demy piochés dans Les demoiselles de Rochefort et Peau d’Âne. Des histoires guignolesques, amusantes et piquantes, aussi bien avec le folklore contemporain de la ville, qu’avec celui de l’amour et du couple. 

MARC VOIRY

Muerto Coco 
Divers lieux, Marseille
Du 12 au 17 septembre
lestheatres.net

Des métamorphoses du cercle 

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Les Voix animées © Marc Perrot.

Un concert d’exultation et de joie pour les Voix Animées. Magnificat renvoyait son écho luxuriant au spectacle précédent, In Memoriam, dont la gravité et les déplorations se résolvaient en espérance. Le mot lancé tel un clairon solaire par une voix soliste, « Magnificat », se voit rejoint par le tissu moiré des voix des huit chanteurs disposés en double chœur. Les notes graves finales semblent n’être que des points d’appui destinés à de nouveaux élans lumineux. À la pièce de Palestrina succédait une messe complète due à Tomás Luis de Victoria, compositeur majeur de la fin de la Renaissance espagnole. L’Ave Regina Caelorum emplit le transept de l’abbatiale de Silvacane de ses résonnances, les lignes mélodiques d’une étonnante netteté se déploient, redessinent les lieux, s’orchestrent en fine dentelle. 

Entre Renaissance et XXIe siècle

Quittant la forme antiphonique, le chœur entonnait Ego flos campi de Francisco Guerrero. Les voix des sopranos, Maud Bessard-Morandas, Sterenn Boulbin, des contre-ténors, Maximin Marchand, Raphaël Pongy, des ténors, Damien Roquetty et Camille Leblond, rencontrent avec une juste élégance les basses, Luc Coadou et Julien Guilloton. Quelques airs encore de la Renaissance, puis, s’opère une plongée dans notre XXIe siècle. Les chanteurs s’installent en rond pour interpréter le second motet de l’œuvre commandée par les Voix Animées pour l’abbaye du Thoronet au compositeur Laurent Melin, Pax hominibus. La pièce débute par les deux croches frappées sur le woodblock qui refermaient avec une certaine espièglerie le premier motet, Et in terra. Au désordre des voix, répondait dans Pax, une réconciliation entre la terre et le ciel. Dans la dynamique des deux croches initiales, le tapis murmurant des voix, moiré des frémissements d’une multitude, laisse s’épanouir en un double mouvement une pensée qui retourne sur elle-même puis s’élève en une spirale infinie, ascension d’un cercle, reconquête de l’harmonie et de la transcendance. 

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 10 septembre à l’Abbaye de Silvacane dans le cadre du cycle Entre pierres et mer #12 

Paréidolie met le Mac face au dessin

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Annette MESSAGER, Mes enluminures (l’alphabet), 1988, graphite, encre de Chine, crayon de couleur, encre de couleur et stylo feutre doré sur papier, 16.9 x 16.9 cm chaque © Collection Frac Picardie

Depuis 10 ans, Pareidolie, salon international du dessin contemporain, organisé le dernier week-end d’août à Marseille par le Château de Servières, se poursuit à l’automne par une Saison du dessin, temps fort qui se déroule en partenariat avec de nombreux lieux partenaires de Marseille, du territoire métropolitain et régional. Dans ce cadre a été inaugurée le 1er septembre au Mac Le sentiment du dessin. Une exposition dont les auteurs sont des complices de longue date de Paréidolie : l’artiste Gérard Traquandi, associé depuis la 1ère édition, Chiara Parisi, l’une des anciennes présidentes du salon (2017 et 2018), actuellement directrice du Centre Pompidou-Metz, et Jean de Loisy, ancien directeur des Beaux-Arts de Paris, président de Paréidolie depuis 2019. Pour cette exposition, ils ont chacun sélectionné des dessins dans trois collections de référence d’arts graphiques : celle des Musées de Marseille (Chiara Parisi), celles du FRAC Picardie Hauts de France (Gérard Traquandi) et celle des Beaux-Arts de Paris (Jean de Loisy). Chacun·e selon leurs inclinaisons sentimentales, rassemblant des œuvres allant du XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui.

De près, de loin

Le parcours proposé est donc orienté vers le ressenti, voire le poétique : la circulation dans l’exposition est inspirée par des poèmes visuels, commandés par les Musées de Marseille à l’artiste Juliette Green. Se présentant sous forme de diagrammes dessinés directement sur les murs du Mac, leurs titres mis bout à bout forment la phrase : Voir/Dans le paysage/Des corps/ Et deviner/Les âmes. Phrase dont le découpage thématise les différents espaces de l’exposition. Ainsi Voir est introduit par un dessin La longue vue de Puvis de Chavannes, un espace où l’on découvre, par exemple, des petits formats en papier chiffon, papier que l’artiste américain Joël Fisher fabrique lui-même, où il inscrit au stylo feutre les lettres de l’alphabet. 

En face, des grands formats (2m x 1m) du mexicain Gabriel Orozco, couverts de bas en haut d’une sorte de trame alvéolée. Trois exemplaires de la série des frottages réalisés par l’artiste, ses assistants, et des passants volontaires, sur les murs de la station de métro parisienne Havre Caumartin en 1999. D’emblée sont introduits les rapports du dessin à l’espace, à la matière, au temps, au geste, au corps, à l’écriture, au rythme. Que l’on retrouve dans Des paysages avec notamment l’installation spectaculaire de plus d’un millier de petits formats, tramant du sol au plafond deux murs en angle, réalisés par Marc Couturier pour L’infini sur terre dans un espace donné. Chaque petit format (des cartes de correspondance japonaises) vu de près présente un gribouillage, et lorsqu’on s’en éloigne évoque un paysage. Petit clin d’œil à la longue vue de l’entrée, rappelant ce jeu entre le macro et le micro, déjà à l’œuvre dans les frottages d’Orozco, tout comme le rapport à l’écriture. Placée en face de l’installation de Marc Couturier, une feuille de tâches d’encre d’Henri Michaux.

Vous les hommes

Les jeux d’associations (clins d’œil, rebonds, correspondances…) sont nombreux dans l’exposition. L’une des associations des plus frontales est celle proposée dans l’espace Des corps avec Mes Enluminures d’Annette Messager – l’une des rares femmes artistes exposées. De la joie, de la rage et de l’application dans l’insulte enluminée à destination de l’homme, sous forme d’une grande ligne installée à l’horizontale, de A à Z : A comme Âne, B comme Brute, H comme Hypocrite, N comme Nul, U comme Ultra-con, S comme Salaud etc. Au-dessus et en dessous de cette ligne, sont exposés des nus masculins (du XVIe au XIXe siècle) – que l’on regarde d’une autre façon, du coup – signés notamment Nicolas Lagneau, Puvis de Chavannes, François Boucher, Le Guerchin, Carl Van Loo, et d’anonymes. Auraient-ils approuvé cette mise en scène de leurs dessins ? Ils ne sont plus là pour le dire. Sur le mur d’en face se trouvent trois diptyques de Mathieu Kleyebe Abonnenc Paysage de traite. Des grands formats en noir et blanc sur lesquels s’enroulent des trames de lignes noires, autour d’espaces vides, blancs, vertigineux. L’artiste, d’origine guyanaise, a redessiné une série de gravures coloniales du XIXe siècle, en les expurgeant des traces de la présence coloniale, laissant à la place ces espaces vidés, disponibles pour d’autres imaginaires.

MARC VOIRY

Le sentiment du dessin
Mac, Marseille
Jusqu’au 19 novembre
04 13 94 83 49/54
musees.marseille.fr

Un mal de mer

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Ce qui est au cœur du roman, inspiré d’une histoire vraie, est la prise de décision, individuelle ou collective, ainsi que la responsabilité qui en découle. La narratrice principale est une employée d’un Cross, le service de la Marine nationale chargé des opérations de sauvetage en mer. 

Le récit, sous la forme d’un long monologue, s’ouvre sur le déroulement qu’elle fait de son interrogatoire par une capitaine de gendarmerie, suite à l’ouverture d’une enquête. De quoi relève sa décision de ne pas envoyer les secours auprès de vingt-neuf migrants mal embarqués sur un zodiac en perdition : erreur d’appréciation, négligence voire inhumanité ?

La réponse, toujours la même, est que l’embarcation, soumise aux aléas de la météo, se trouvait entre deux eaux : française et anglaise. Le jeu de mot est de mise à propos de ce texte, car son personnage principal file la métaphore maritime : « La mer était calme sur le bureau, pas de vent et pas de houle, et à côté des corps seulement des papiers bien rangés à la surface ». Le monde du rivage résiste à celui de la mer, comme si cette dernière, incarnation du mal, était le reste du Déluge. 

Sombre, l’humanité 

Ce procédé rhétorique permet à l’auteur d’entrelacer deux déroulements, celui des événements et celui de la réflexion. En cela, le texte effectue un va et vient constant entre descente en singularité et montée en généralité, appréhension concrète du réel et conceptualisation abstraite. Les événements, relatés à hauteur d’individu, comme la noyade ressentie physiquement par l’un des migrants, font face à des principes rationnels, professionnels ou moraux.

L’autre entité plurielle mobilisée par le roman est la voix, siège de la personne humaine : voix concrètes de tel ou tel migrant, voix enregistrée de l’opératrice, voix diversement modulée de l’enquêtrice, faisant face à cette voix abstraite qu’est la parole : « L’important ce n’était pas qu’ils soient sauvés, c’était que moi, je sois sauvée, et avec moi tout le monde, par cette parole ». L’opératrice aura dit : « Tu ne seras pas sauvé », comme le précise la quatrième de couverture, parole qui entraine un triple naufrage, celui des migrants, le sien et finalement celui de l’humanité tout entière. 

La parole de Vincent Delecroix est puissante et précise ; elle permet de réfléchir, hors de toute pensée dualiste et simplificatrice, l’engendrement réciproque de l’ordre et du chaos.

FLORENCE LETHURGEZ

Naufrage, de Vincent Delecroix
Gallimard, coll. Blanche - 17,50 €

Jeu de l’Oie : la nourriture et l’esprit 

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Conférences, ateliers, dégustations, concerts, le tout en entrée libre, c’est ce à quoi invite le festival Jeu de l’Oie, les 15 et 16 septembre. Une manifestation conçue par la Mission Interdisciplinarité(s) d’Aix-Marseille Université, qui travaille comme son nom l’indique au dialogue entre champs disciplinaires. L’objectif étant, aussi, de rapprocher les différentes entités universitaires – personnels, corps enseignant – des étudiants et du grand public, et de s’ouvrir sur le territoire, via un dispositif hors-les-murs.

C’est donc le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et le Théâtre national de Marseille, La Criée, qui vont ouvrir leurs portes au Jeu de l’Oie. Se nourrir en Méditerranée, thème de cette quatrième édition, résonne pleinement avec les missions et les fonds du Mucem, en particulier le parcours Le Grand Mezzé, dans ses espaces d’expositions permanentes. Manger est un acte éminemment culturel, auquel les sciences sociales ne cessent de revenir. Aussi il sera passionnant d’entendre les invités des tables rondes aborder le sujet sous des angles multiples. Celui des héritages, par exemple, aux côtés de Thierry Fabre qui réunit deux historiens, une cheffe, un nutri-généticien et des anthropologues pour évoquer les déclinaisons du fameux « régime crétois » sur le temps long (le 15 septembre à 10h30). Ou celui, brûlant, du devenir de l’agriculture, dans un bassin méditerranéen frappé au premier chef par le dérèglement climatique (le même jour, à 14h, avec des spécialistes de droit, agronomie, ethnobiologie…).

Je panse donc je suis ?

Pas question d’éluder les questions qui fâchent : Aix-Marseille Université a eu son lot de détresses inacceptables durant la crise sanitaire, avec des étudiants qui ont dû compter sur la solidarité de leurs pairs, un comble, pour parvenir à se nourrir. La précarité alimentaire n’est toujours pas résolue et les inégalités s’aggravent avec la hausse continuelle des prix, aussi des épiceries solidaires seront présentées durant le festival. Un pique-nique préparé par les Grandes Tables leur sera offert, ainsi qu’à tous les participants de la matinée.

Le lendemain, direction La Criée, pour des dégustations littéraires, concoctées par la librairie Histoire de l’œil, un atelier « pour jouer à penser » avec Grégoire Ingold et Fabienne Jullien (puisqu’après tout il faudrait manger pour vivre, et non pas vivre pour manger), ou encore la projection du film de Cyril Dion, Un monde nouveau. Bouquet final sur le grand plateau, avec un concert de Michel Portal et une scène ouverte jazz. Mais au fait, pourquoi ce festival s’appelle-t-il Jeu de l’Oie ? Il s’agirait d’une référence symbolique : l’oie annonce traditionnellement le danger, et le dessin du jeu en forme de spirale évoque le labyrinthe de la vie, dans lequel les êtres humains évoluent en quête de savoir.

GAËLLE CLOAREC

L’oie se consomme aussi en concerts et projections
Les banquets et conférences autour de la nourriture en Méditerranée s’assortissent d’une programmation artistique de choix, même si on peut regretter qu’elle soit, en dehors de la projection organisée par Films Femmes Méditerranée (FFM), très majoritairement masculine. 
Au Mucem 
Le 15 septembre à  15h30 trois documentaires programmés par le CMCA aborderont les questions de semences au Liban, de pêche au Maroc et de couscous en Tunisie. 
Puis à 19h30, l’excellent formation universitaire Jazz O AMU, qui réunit élèves et personnels enseignant et administratif de l’Université, ouvrira la soirée. Place ensuite à Yuksek, le célèbre DJ rémois, aussi bien connu pour ses sets électroniques et dansants, que pour ses compositions de musiques de film.
À la Criée
Le 16 septembre le Jeu de l’Oie se déplace à La Criée et ouvre dès 11h avec FFM et la seule œuvre de femme au programme, de la réalisatrice Angeliki Antoniou : Green sea suit l’itinéraire d’Anna, cuisinière grecque qui a perdu la mémoire mais pas le goût de la pâtisserie… 
À midi, Robin Renucci revisitera les danses populaires avec le violoniste Bertrand Cervera, puis reviendra à 19h, toujours avec le violoniste, lire des textes de Jean Giono.
Entretemps, à 17h projection d’un documentaire de Cyril Dion qui propose des Solutions pour la planète, et lectures en continu de cinq élèves comédiens de l’Eracm, dirigé·e·s par Aurélien Barré.
À partir de 21h, soirée jazz concoctée avec le Marseille Jazz des cinq continents : Michel Portal, légende du genre, sera entouré des musiciens de son quartet (Bojan Z, Julien Herné et Stéphane Galland) auxquels s’adjoindront Eivind Aarset, guitariste norvégien et Yazz Ahmed, trompettiste anglaise. Seul concert payant de la programmation.
À partir de 23h la soirée se continuera dans le hall de La Criée avec Lada Obradovic, batteuse et compositrice, et le pianiste David Tixier. Toujours en entrée libre !
A.F.
Jeu de l’Oie
15 et 16 septembre
Mucem / La Criée, Marseille
festivaljeudeloie2023.univ-amu.fr

L’Histoire d’un amour

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On entre dans L’Amour comme dans certains romans d’Annie Ernaux : à coup de détails signifiants dressant le décor à la façon d’une tapisserie temporelle. Un peu plus loin, c’est même à La vie, mode d’emploi que l’on pourra penser : l’accumulation d’objets référencés, la description minutieuse de morceaux choisis d’interactions … Ici encore, c’est la portée sociologique qui est visée, scrutée. Si bien qu’on pourra s’agacer, sur les toutes premières pages, d’assister à un récit s’apparentant davantage à un prototype de roman social qu’à une réelle entreprise littéraire. D’autant que François Bégaudeau a souvent prêté le flanc aux poncifs, notamment dans sa volonté de dépeindre la bourgeoisie, y compris par le prisme de l’essai. Histoire de ta bêtise loupait notamment monumentalement sa cible, malgré quelques fulgurances. Mais le romanesque a toujours davantage réussi à Bégaudeau, et ce court récit – à peine moins de cent pages ! – rappelle avec quelle générosité il sait traiter ses personnages, y compris esquissés en quelques traits parfois un peu épais. 

Un non événement

La jeune Jeanne rêve, au printemps 1971, à la musculature saillante de l’italien Pietro : elle l’écrira dans son agenda La Redoute. Mais c’est de Jacques Moreau qu’elle s’éprend l’année suivante, et avec qui elle vivra jusqu’à sa mort, une cinquantaine d’années plus tard. Le récit de cette vie à deux se devait d’être anti-spectaculaire : nombreux seront sans doute ceux qui liront dans ce quotidien d’un couple gentiment complice une forme d’indolence, voire de facilité. Mais ils furent pourtant nombreux, ces couples heureux de se rendre au Palais des Princes pour un concert de Richard Cocciante – pourtant surnommé « le rital moche » par Jacques. Conscient de rendre compte d’une conjugalité d’un autre temps, mais aussi d’une classe sociale si rarement représentée en littérature, François Bégaudeau s’applique à chercher de la grâce jusque dans ses tâtonnements. Et si la mayonnaise prend, c’est sans doute parce que Jacques et Jeanne ont quelque chose de ces parents, de ces grands-parents pour qui l’amour avait tout du « non-événement ». 

SUZANNE CANESSA

L’Amour, de François Bégaudeau
Éditions Verticales - 14,50 €

actoral : Un riche programme

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Real Magic de Forced Entertainment © Hugo Glendinning

Le festival des arts et des écritures contemporaines fourmille cette année encore de propositions attrayantes. À commencer par ces 21 et 22 septembre au Théâtre Joliette, avec les Forced Entertainment, bande d’anglais conduite depuis 30 ans par Tim Etchells. Ils proposent Real Magic, qui mêle danse, théâtre, musique et arts visuels et dans lequel trois interprètes, évoluant au son d’applaudissements enregistrés et de rires en boîte, tentent de réaliser, malgré des échecs en boucle, un numéro de transmission de pensée. À La Criée, on va découvrir Blind Runner (27 et 28) de Amir Reza Koohestani, dialogues intimes, monologues intérieurs et poèmes entre une femme et son mari que la prison sépare, « un théâtre où résonne le monde politique à l’endroit des corps ».

Performances et lectures

La création de HIKU (22 et 23 septembre) de Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing est donnée à KLAP, une réflexion performée sur « l’endroit du lien » avec, en direct depuis leur chambre au Japon, et par l’intermédiaire de robots sur scène, trois ex-hikikomori (reclus volontaires). La chorégraphe Ligia Lewis sera elle au Zef (et non au BNM comme prévu initialement – 22 et 23) pour A plot/A scandal, où entre récits historiques, anecdotes politiques ou mythiques, elle crée « les limites de ce qui pourrait être le scandale de la représentation ». Le duo formé par le poète Christophe Fiat et le musicien Fred Nevché proposera un Tea Time (26 et 27), oscillant entre douceur et nervosité, au Théâtre des Bernardines, tandis que les Belges de Frankie seront à Montevidéo, aux mêmes dates mais plus tard dans la soirée, pour L.I.A.R, un laboratoire de recherches sur la normalité et le banal. Du côté des lectures, Kevin Lambert lira des extraits de son roman, en course pour le prix Goncourt, Que notre joie demeure, le 21 au Frac Sud. Et à Montevideo, le samedi 23, trois lectures se succéderont : à 18h Aurélie Olivier pour Mon corps de ferme, à 19h Alain Farah pour Mille secrets mille dangers, et à 20h Philippe Artières pour Des malades si intéressants

MARC VOIRY

Actoral
Divers lieux, Marseille et Aix-en-Provence
Jusqu’au 14 octobre
04 91 94 5349
actoral.org