mercredi 17 septembre 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Cliquez sur l'image pour vous abonnerspot_img
Accueil Blog Page 245

Aix en juin et à l’heure américaine

0
Concert de la Résidence de chant de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence le 22 juin 2023 à l’Hôtel Maynier d’Oppède. Récital dans un programme musical d’Amérique du Nord : Samuel Barber, Leonard Bernstein, ou encore l’Allemand Kurt Weill.

C’est à un programme inhabituel que l’académie a convié son public d’habitués et de curieux. Pensé en écho à L’Opéra de Quat’Sous programmé au festival, avec pour point de jonction la musique de Kurt Weill en exil, le concert s’est finalement pensé comme un panorama de la musique lyrique moderne et contemporaine des États-Unis. L’absence des mezzo-sopranos Eugénie Joineau et Niamh O’Sullivan pour raisons de santé avait certes de quoi nous chagriner. Mais c’était oublier que le carré d’as féminin offrait déjà un nuancier très riche de sopranos en tous genres. La colorature Seonwoo Lee est peut-être davantage taillée pour le belcanto que pour ce répertoire-là, même si l’on aurait rêvé de l’entendre en Cunégonde. Elle livre cependant une Willow Song, extraite d’un opéra de Douglas Moore, de très bonne facture ; et une tout aussi mélancolique lecture des poèmes d’Emily Dickinson mis en musique par Copland. La très wagnérienne Hedvig Haugerud enveloppe ses morceaux choisis de Samuel Barber et de Ned Rorem de sa belle voix sombrée. Plus légère mais non moins solide, Sandra Hamaoui s’impose avec grâce sur les extraits de Susannah et Our Town. Amanda Batista se révèle particulièrement émouvante sur l’adieu de Beth à Jo, extrait du Little Women de Mark Adamo. Anthony León s’approprie avec pudeur et une belle musicalité le répertoire mélodique de John Musto et Florence Price. Plus théâtraux, le baryton Andres Cascante et la basse d’airain Mark Kurmanbayev déploient de beaux ambitus, et pour le second un goût consommé pour le comique de Bernstein et de Fiddler on the roof, qui lui permettent d’outrer son accent russe. Mais le ténor Jonah Hoskins est sans nul doute celui auquel le répertoire réussit le plus : le Being Alive extrait de Company, chef-d’œuvre de Stephen Sondheim, laisse l’assemblée encore tremblotante. 

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 22 juin à l’Hôtel Maynier d’Oppède, dans le cadre d’Aix en juin, à Aix-en-Provence

Les Solitudes plurielles de Paolo Giordano

0

Voilà désormais quinze ans que Paolo Giordano s’est imposé sur la scène littéraire internationale avec le best-seller La Solitude des nombres premiers. Alors primo-romancier, le jeune turinois se voyait récompensé du Prix Strega, soit l’équivalent italien du prix Goncourt, dont il demeure à ce jour le plus jeune lauréat puisqu’il n’était alors âgé que de vingt-huit ans. Si La Solitude des nombres premiers avait alors tant séduit, au-delà de ses indéniables et nombreuses qualités littéraires qui ont donné lieu depuis à trois autres romans, c’était également pour sa capacité à saisir l’air du temps, et à conjuguer au tournant du millénaire littérature et sciences. L’histoire d’amour qui unissait ces deux êtres singuliers de leurs traumas infantiles à l’âge adulte filait la jolie métaphore de chiffres trop proches pour pouvoir s’unir ou du moins se rencontrer ; elle exposait également le monde de la recherche scientifique, ses modalités et principes, dans tout ce qu’il pouvait avoir de romanesque.

Jours de panique

C’est de nouveau par le prisme des sciences, dont Giordano, également docteur en physique, sait parler sans jamais alourdir le discours, que Tasmania aborde le monde d’aujourd’hui et son parfum de déchéance. Des attentats de 2015 à la veille de l’épidémie de COVID-19, l’auteur scrute la fin du monde attendu et la possibilité d’un renouveau tout autre. Le narrateur Paolo, journaliste et romancier, peine ainsi d’autant plus à répondre aux questions urgentes que lui posent, entre autres, la crise climatique, que celles de sa crise conjugale l’accaparent davantage qu’il ne le souhaiterait. Le portrait émouvant de sa compagne Lorenza se teinte du pessimisme que Paolo nourrit à l’encontre du monde, mais aussi des espoirs contrariés de Novelli, qui partage avec Giordano le métier de climatologue spécialiste des nuages. Ou encore des aspirations par Karol, prêtre songeant à renoncer à sa foi pour vivre un amour interdit. La peur face au terrorisme, face à l’effondrement dont Giordano esquissait les contours dans son essai Contagions, paru en pleine épidémie, entrave la quête pourtant nécessaire d’un idéal, cet eldorado qui pourrait être l’île de Tasmanie. Mais qui semble, plus que jamais, hors de portée. 

Suzanne Canessa

Paolo Giordano, Tasmania, traduit de l’italien par Nathalie Bauer. 
Éditions le Bruit du monde, 23 €

Retour de flamme

0

On en attendait beaucoup de Chloé Delaume après le doublé gagnant de Mes bien chères sœurs et Le cœur synthétique. Le premier des deux ouvrages, paru en 2019, s’appropriait avec une joie et un humour si singuliers la forme de l’essai et du renouveau de la pensée féministe. Le second opérait un virage vers le roman « normal », et plus précisément vers son pendant sentimental – « l’histoire d’une fleur bleue qu’on trempe dans de l’acide » – qui aura valu à l’autrice le Prix Médicis en 2020. Pauvre folle marque un retour de Chloé Delaume vers l’autofiction, genre dont elle a toujours su explorer la multiplicité des possibles. Ainsi que la réapparition d’un alter ego familier : Clotilde Mélisse, « double fantasmé » aperçu entre autres dans Certainement pas et Au commencement était l’adverbe, de nouveau prise entre plusieurs feux et couches de récits. Ici, entre l’histoire vécue et l’histoire en cours d’écriture. L’Adélaïde d’Un cœur synthétique s’interrogeait déjà avec inquiétude sur la possibilité de l’amour à l’aube de la cinquantaine ; Clotilde sait bien, quant à elle, que la passion à peine ravivée qu’elle voue à Guillaume est sans issue. L’objet de son affection, homosexuel et heureux en ménage, ne saura de nouveau répondre à ses élans qu’en clairières et falaises : lieux imaginaires d’un amour poétique se nourrissant de son propre inassouvissement. Ce segment, condamné d’avance, est inévitablement et certainement délibérément le moins stimulant et le moins enthousiasmant de Pauvre Folle. Il s’accompagne fort heureusement d’envolées bien plus inspirées, à l’humour comme toujours ravageur. La Petite typologie du mâle hétérosexuel post #MeToo se réhaussant du ton gentiment transgressif de Mes bien chères sœurs vaut notamment à elle seule le détour. Mais c’est comme toujours avant tout par le style que Chloé Delaume séduit, et dans sa capacité à ouvrir, sous les traits d’esprit bien sentis, des béances de douleur et de désolation. On retrouve comme toujours, en filigrane, la mère disparue, tuée par le père sous les yeux d’une Clotilde à peine âgée de neuf ans. Les années de prostitution, facilitées par les capacités de dissociation de Clotilde, qui « habitait très peu son corps » ; les pensées suicidaires, omniprésentes. Et pourtant, on rit, une fois de plus, de bon cœur : 

SUZANNE CANESSA


Chloé Delaume, Pauvre Folle, éditions du Seuil, 19,50€

Sur le ring de Tokyo

0
La beauté du geste © KEIKO ME WO SUMASETE PRODUCTION COMMITTEE & COMME DES CINÉMAS

« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite » : La Beauté du geste de Sho Miyake, bien que son scénario soit tiré de l’autobiographie de la boxeuse Keiko Ogasawara, se donne au générique comme une fiction. Et, quoique se déroulant en grande partie dans le huis clos d’un club, le film ne se revendiquera pas non plus comme un film sur la boxe. Pas d’héroïsation hollywoodienne. Pas de punch final avec sang et larmes. Le sujet en est à la fois plus particulier et plus universel. Le récit d’un parcours personnel, d’un apprentissage, d’un choix et de la perte qui s’y associe.

Keiko, magistralement interprétée par Yukino Kishii, souffre d’une perte auditive neuro sensorielle. Elle vit dans les faubourgs de Tokyo. Et, même si elle ne peut entendre ni le gong, ni l’arbitre, ni les conseils de ses coaches, elle vient d’obtenir le statut de boxeuse professionnelle. Soutenue par le directeur de son club, interprété par Tomokazu Miura, en dépit du machisme latent des adhérents, des réticences de sa mère, la jeune femme isolée par son handicap, s’entraîne avec acharnement après sa journée de femme de ménage dans un hôtel de luxe. Mais après le dernier combat, le désir de se battre n’est plus là. Le sens de cette lutte devient flou. Le directeur vieillissant est malade. Le club perd ses membres et va fermer. La pandémie a masqué les visages rendant difficiles les communications pour ceux qui lisent sur les lèvres.

Dans le mouvement

Sur le fond urbain tokyoïte où pulse un flux routier et ferroviaire incessant, dans l’alternance des jours et des nuits, avec un subtil sens du cadre, le réalisateur filme la routine de Seiko dans son espace familier et restreint : nombre de kilomètres courus, d’enchaînements sur le ring, durée des diverses activités, le tout scrupuleusement consigné dans le journal intime de la jeune sportive. Les cordes des appareils de musculation grincent, les pieds martèlent le sol, les poings s’écrasent sur le cuir des punching-ball, les coaches crient leurs consignes, les athlètes ahanent, la rumeur de la ville enfle : toute cette bruyante partition vient mourir sur la surdité de la silencieuse protagoniste, l’isole, la surligne. Dans la tension du tournage en 16 mm, La Beauté du geste, retrouve la force visuelle du cinéma muet, dont il s’inspire et l’esprit camusien du Mythe de Sisyphe. Le « geste » du titre, serait-il celui si joliment chorégraphié de la boxeuse ? Celui plus abstrait de son renoncement à la gloire du combat ? Ou ne serait-il pas plutôt celui purement cinématographique qui capte avec précision, le mouvement des corps et des âmes ?

ÉLISE PADOVANI

La beauté du geste, de Sho Miyake
En salles le 30 août
Film sélectionné à la Berlinale 2022, section Encounters.

La Roque d’Anthéron, dernier concert et bilan

0
Abdel Rahman el Bacha © Valentine Chauvin 2023

Pour la dernière soirée, Abdel Rahman El Bacha interprétait sous la conque acoustique les ultimes mesures d’un mois de découvertes et d’enchantements. Une première partie était dédiée à Robert Schumann, florilège des Feuilles multicolores, courts médaillons polychromes auxquels répondait une version particulièrement heureuse des Kreisleriana, inspirée d’un personnage d’Hoffmann : Kreisler est un étrange maitre de chapelle que l’odeur des œillets perturbe au point de le faire délirer. Capable de s’acheter un vêtement en couleur do dièse mineur doté d’un col en mi majeur, il cherche à se suicider avec une quinte… 

Le piano d’Abdel Rahman El Bacha épouse les contrastes et la folie contagieuse des Kreisleriana. L’élégance du jeu, comme détachée, laisse la musique prendre toute son ampleur. 

Toujours sur le temps, la lecture fine des partitions livre l’essence même des intentions des compositeurs. Les deux Nocturnes opus 32 en si majeur puis la bémol majeur de Chopin plongent dans un clair-obscur rembranesque avant l’exécution de la Sonate n° 3 en si mineur, œuvre de la maturité composée à Nohant auprès de George Sand. Le climat changeant de cette pièce multiplie les motifs, en un style large qui s’enivre d’harmoniques et de traits brillants. À l’ampleur de l’Allegro maestoso répond la légèreté aérienne du Scherzo ; puis le caractère hypnotique du Largo avec sa rêverie empreinte de passion prépare à l’enthousiasme jubilatoire du Finale

Généreux, l’interprète offrait en bis deux de ses propres compositions, extraites de ses Dix pièces romantiques, un Hommage à Schumann très lyrique et le tableautin Papillons. Enfin, c’est la musique de Chopin qui dessina les orbes sonores finales avec un somptueux Impromptu n° 4 en ut dièse mineur op. 66 « Fantaisie-Impromptu »

Des chiffres

Le nouveau président du Festival, Jean-Louis Blanc, donnait les chiffres de cette belle édition : 132 propositions artistiques dont 53 gratuites, 498 artistes invités, 11 scènes, 12 jeunes musiciens invités en résidence, 65000 entrées dont 55% issues de la région Paca. Bref, le niveau des meilleures années est retrouvé. René Martin, son directeur artistique, promet de nouvelles surprises pour 2024… 

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 20 août dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron 

Le festival de Salon-de-Provence fait tinter les orgues aixoises

0
© X-D.R.

Inaugurées en grande pompe en 2015, les grandes orgues de l’auditorium Campra disposant de quelques 2000 tuyaux ont cependant vite cessé de fonctionner pour cause de panne. À peine restaurées, elles ne pouvaient rêver mieux qu’Olivier Latry et Shin Young Lee pour célébrer leur résurrection. Il faut dire que l’organiste titulaire de Notre-Dame de Paris et la concertiste sud-coréenne ont la virtuosité nécessaire pour s’attaquer à des œuvres sollicitant l’instrument sous toutes ses coutures. La 5ème Symphonie de Charles-Marie Widor et son Allegro Vivace n’ont aucun secret pour Olivier Latry : ses variations requièrent une dextérité et une technicité sans faille, mais également une succession de jeux, d’accouplements et de changements continus de nuances via la pédale d’expression qui rappellent la versatilité de l’instrument, conçu alors pour convoquer la puissance d’un orchestre. Le spectre de Bach et de l’héritage germanique est également convoqué par Shin Young Lee sur l’imposante Introduction et passacaille en ré mineur de Max Reger, qui pousse l’art du contrepoint jusque dans ses retranchements, tout en lui adjoignant des couleurs expressionnistes. De belles prouesses solistes qui se révèlent cependant moins émouvantes que les duos choisis sur le volet. Outre le très beau Concerto brandebourgeois n°2 de Bach transcrit pour quatre mains (et quatre pieds !) par Max Reger, interprété à la perfection par le couple, on (re)découvre avec bonheur, entre autres, le sublime Concerto en ré mineur de Marcello entonné avec générosité et finesse par l’hautboïste François Meyer, ou encore les Trois Mouvements de l’immense Jehan Alain sublimés par la flûte d’Emmanuel Pahud. De quoi se souvenir que l’orgue n’est pas l’instrument solitaire qu’on a souvent voulu dépeindre : la Fantaisie en Fa mineur de Krebs en atteste dès le XVIIIème siècle ! Et l’Hymne de Joseph Jongen, entonné par Olivier Latry et Éric le Sage au piano, rappelle que l’instrument peut, selon les jeux et couleurs, se jumeler y compris avec ses frères (pas si) ennemis.

SUZANNE CANESSA

Le concert a été le 28 juillet au Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence

L’art de l’empreinte

0

Comme souvent, tout part d’une œuvre, d’une pièce sur laquelle se sont rencontrés deux artistes. Pour Pascal Rogé et Barbara Binet, couple de pianistes à la complicité contagieuse, il s’est agi des Souvenirs de Samuel Barber, dont le Pas de deux ouvre le disque. 

Le compositeur américain, dont le célébrissime Adagio constitue un des opus les plus écoutés du répertoire, avait initialement composé cette pièce tendre et mélancolique pour orchestre, avant de la transcrire pour quatre mains. L’interprétation du duo tire le meilleur de la simplicité mélodique et de ses harmonies mineures évoquant, entre autres, le romantisme viennois. 

Douce étrangeté

Mais aussi une mélancolie et un lyrisme sans frontières temporelles ou géographiques, unissant cette polyphonie faite d’écho aux pages tout aussi mélancoliques d’Emmanuel Chabrier ou d’Edvard Grieg. La sélection, intelligente et sensible, est d’autant plus admirable qu’elle met à l’honneur des œuvres formidables et pourtant peu ou trop rarement jouées. Dont la Sonate pour quatre mains de Poulenc, dont on entendra la très belle Rustique qui évoque, dans son éclat, les Contes de ma Mère l’Oye et son inimitable et glorieux final. Ce jardin féérique que Ravel souhaitait « lent et grave », et qui se nimbe ici d’une véritable poésie. Ou encore la valse extraite des Deux valses pour deux pianos de Germaine Tailleferre, au tempo de danse tout aussi élégant mais aux couleurs modales d’une douce étrangeté. 

En soliste, Pascal Rogé s’attelle également avec finesse aux pages de Lili Boulanger – Cortège – ou à Cécile Chaminade – Automne, exigeante étude de concert. Ainsi qu’à un Scarlatti débarrassé d’oripeaux baroquisants, ou à d’ambitieuses pages de Rachmaninoff ou de Scriabine, qu’il maîtrise à la perfection. 

Mais c’est malgré tout dans ses embarquées duellistes que l’opus se révèle le plus émouvant. La Suite Dolly de Fauré siège également parmi les pièces maîtresses de ce disque : sa Tendresse en étant, évidemment, le morceau le plus seyant pour les deux interprètes. En conclusion du disque, le Two Step extrait de Barber ouvre vers un facétieux horizon de vélocité.

SUZANNE CANESSA

Souvenirs de Pascal Rogé et Barbara Binet 
Halidon

Une photographie en quête de sens

0
Agnès VARDA. Jouteurs à Sète, tirage argentique d’époque, vers 1952. Avec l’aimable autorisation de la Succession Agnès Varda - Collection Rosalie Varda.

45 expositions, 25 lieux, 100 artistes, 40 commissaires… Difficile d’imaginer le nombre de clichés à découvrir lors de l’édition 2023 des Rencontres photographiques dArles, sûrement de quoi donner le tournis pour de bon. Tout comme le nombre de visiteurs lors de la semaine d’ouverture : 19 500, une fréquentation record. À Arles, la déambulation commence comme un voyage en terres photographiques, entre artistes reconnus et jeunes talents à découvrir. Le thème de cette édition, « Un état de conscience », est bien trop vaste pour se faire critère de décision. Rapidement, on se rend compte que le grand sujet des Rencontres d’Arles est la photographie elle-même, laquelle ne se contente pas de « peindre la lumière ». Il est frappant de noter la présence de nombreux projets conçus à partir de clichés préexistants. Notons les multiples photos issues des archives du studio Rex de Marseille comme autant de témoignages des vagues migratoires, des photos trouvées aux puces racontant l’histoire oubliée d’un cercle d’homme se travestissant en secret, celles récupérées sur Internet afin de nourrir un projet amusant sur les statues de Lénine dans le monde. La photographie n’est pas juste une surface ni un cadre, elle s’affirme objet, récit, témoignage. Tout comme notre mémoire, elle peut se faire miroir déformant ou au contraire révélateur. Un rôle mémoriel que l’on retrouve dans l’extraordinaire exposition rétrospective dédiée à Diane Arbus à la fondation Luma, nous submergeant dans un monde argentique afin d’offrir à notre regard une myriade d’instants de vie vécus. 

Aux lisières du réel

Incontournables, les expositions dédiées au cinéma mettent en lumière la complémentarité créative de ces arts cousins aux lisières du réel, qu’il s’agisse des Polaroïds de Wim Wenders sur le tournage de L’Ami américain, des scrapbooks de cinéastes parmi lesquels Pedro Costa ou Stanley Kubrick, ou encore des clichés pris à Sète par Agnès Varda en préparation de son film mythique La Pointe courte. La photographie affirme son propre imaginaire, comme le démontrent les œuvres  de Gregory Crewdson, dont l’univers visuel narratif d’une minutie obsessionnelle donne à une Amérique en crise des airs de polar figé dans l’image. Intensément plastiques, les clichés de Saul Leiter, également peintre, s’apprécient comme une poésie de l’image aussi belle que fragmentée. Pas question de choisir entre le fond et la forme, l’éclectisme des propositions est stimulant, explorant le rôle documentaire, voire même anthropologique du medium photographique, tout en valorisant sa subjectivité dans des mises en scène parfois très auto-centrées. Inutile de tout raconter, car chaque visite ne peut que confirmer l’idée que la photographie est aussi une émotion née d’un regard, une expérience unique et multiple à la fois. Un art à part entière. 

ALICE ROLLAND

Rencontres d’Arles
Jusqu’au 24 septembre
rencontres-arles.com

Aubes romantiques et contemporaines

0
CBarré © Pierre Gondard

Entièrement dédié depuis sa création en 1976 aux quatuors à cordes, le festival investit les cadres patrimoniaux du territoire, abbaye de Silvacane, églises de Cabrières d’Avignon, Goult, Roussillon ou encore dans cette même ville l’Écomusée de l’ocre (OKHRA). Les Quatuors à cordes invités sont déjà reconnus à l’international ou sont les jeunes lauréats des derniers concours internationaux. Cette année, la thématique,« À l’aube du romantisme, la fabuleuse décennie 1820 », détermine certes la teneur générale des programmes mais n’exclut pas des extrapolations contemporaines ni les formations plus amples que celles du quatuor, réunissant parfois deux ensembles pour un octuor. 

Le diable à quatre

Le Quatuor Agate sera ainsi rejoint par le Quatuor Elmire pour l’Octuor opus 20 de Mendelssohn et le Quatuor Asasello invitera le violoncelliste Aurélien Sabouret pour le Quintette à deux violoncelles D 956 de Schubert. Aux côtés d’œuvres puisées dans les répertoires de Fauré, Schubert, Mendelssohn, Beethoven, Haydn, Schumann, Webern, Dvorak, Chostakovitch, Ravel, Mozart, Bach, apparaîtront des pièces contemporaines. On pourra écouter par le Quatuor Agate The Disappearance of Lisa Gherardini (une pièce d’une vivacité dense et espiègle) de Dinuk Wijeratne, par le Quatuor Kuss, au cours de son concert intitulé Muss es sein ?, les Sept pièces pour quatuor à cordes (envoûtantes dans leurs itérations amples et leurs variations rythmiques) de Mark André ou, par le Quatuor Casals, Reflections on the Theme B-A-C-H de la compositrice russe Sofia Asgatovna Goubaïdoulina. Une place particulière sera accordée à la compositrice allemande Brike Jasmin Bertelsmeier (lauréate en 2015 du Prox de composition Ernst von Siemens) dont plusieurs œuvres seront interprétées par diverses formations, et qui offrira une création mondiale confiée à l’ensemble C Barré : Ratzfatz et pièce. N’oublions pas de citer les quatuors Hernani, Simply, Confluence… Un condensé des plus belles musiques pour quatuor nous attend !

MARYVONNE COLOMBANI

Festival de quatuors du Luberon
Du 20 août au 3 septembre
Divers lieux, Luberon
07 77 34 42 25
quatuors-luberon.org

Justine Triet regarde les hommes tomber

0
Anatomie d'une chute © Le Pacte

Auréolée d’une palme tout à fait méritée, mais aussi d’un discours en forme de pique acérée à l’égard de nos politique culturelles, Anatomie d’une chute sort triomphalement en salles. On peut évidemment se réjouir que ce film pensé, réalisé, écrit par une femme – et son compagnon – fort de 6 millions d’euros de budget se soit vu accorder une telle récompense, et surtout une telle visibilité. Ou se contenter, et c’est déjà beaucoup, d’y voir là l’accomplissement du cinéma de Justine Triet : elle qui chérissait la possibilité « de se tromper, et de recommencer » et consacre avec cet opus protéiforme toutes les thématiques et obsessions qui hantent depuis toujours son cinéma. 

Mystère

On se ravira notamment, tout au long de ce récit dont les deux heures trente s’écoulent dans un seul souffle, de voir que la réalisatrice s’est débarrassée de quelques tics et autres surlignements qui plombaient le pourtant intéressant Sibyl, sorti en 2019. Retrouver, dans les tirades vachardes d’Antoine Reinartz propulsé procureur un peu de l’humour qui faisait entrer la réalisatrice dans la cour des grand·e·s avec Victoria – et révélait, au passage, les facettes de jeu mésestimées d’une certaine Virginie Efira. Les scènes de tribunal de Victoria tiraient déjà la comédie sur le terrain de l’absurde et de l’effroi : elles constituent dans Anatomie d’une chute le centre névralgique de l’intrigue. Sandra – magnétique Sandra Hüller – s’y voit accusée du meurtre de son compagnon, incarné par bribes de flash-backs par le tout aussi excellent Samuel Theis. Ce couple d’écrivains s’occupant bon an mal an d’un fils atteint de cécité dans un chalet reculé a-t-il connu une crise insurmontable ? Qui a commis l’irréparable : lui, en se suicidant ou elle, en l’assassinant ? Les pistes demeurent longtemps ouvertes, si bien que le spectateur se retrouvera souvent perdu, à l’instar de l’avocat campé par Swann Arlaud, tout en silences éloquents et regards égarés. Le conflit conjugal, nœud du premier long-métrage de fiction de la réalisatrice – La Bataille de Solférino – demeure un lieu de mystère mais aussi de fantasme pour qui choisira de projeter la culpabilité sur l’un ou sur l’autre. La symbolique est ici aussi forte, voire un peu poussée : Daniel, fils aveugle de ce couple meurtrier incarné à contre-temps par le tout jeune Milo Machado Graner, semble le seul propice à détenir la clef d’une énigme auquel le public ne pourra qu’adosser de nouveaux rebondissements. Celle qui repose non pas sur l’image, mais sur sa recréation, lieu par excellence du cinéma. 

SUZANNE CANESSA

Anatomie d’une chute, de Justine Triet
En salles depuis le 23 août