samedi 2 août 2025
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Escapades autour du monde

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Black Sea Dahu © Stephan Hillairet

Près de 2000 spectateurs par soir sont venus applaudir, partager, discuter, jouer, se restaurer dans l’enceinte de le micro-village des Escapades du Théâtre Durance : espace de vie dans toutes ses dimensions. La première soirée était un modèle de construction, donnant à écouter en trois concerts et quatre intermèdes (estafette du Walkabout Sound System !) un panorama de la création des musiques actuelles. Le folk mâtiné d’indie-rock et de pop de Black Sea Dahu (Pascal Eugster, basse, chœurs, Ramon Ziegler, claviers, harmonium, percussions, chœurs et Silvan Schmid batterie) choisissait une forme en quintette, pour interpréter des musiques orchestrées avec finesse : la voix de Vera Cathrein (guitare électrique, violon, chant) s’accorde à celle de sa sœur, la compositrice et parolière Janine Cathrein (guitares, percussions, chant) qui module dans les registres graves des mélodies qui s’envolent vers d’incroyables aigus sur des textes conjuguant récits anecdotiques et grands remuements du monde : l’évocation d’une grand-mère qui a perdu la mémoire renvoie à nos société contemporaines qui oublient les guerres dès qu’elles sont finies, et n’en retirent pas les leçons… une sincérité chaleureuse et une profondeur touchantes. On partait ensuite dans la danse dynamique et souvent espiègle d’Ukandanz menée par le chant d’Asnaké Gebreyes (figure incontournable d’Addis Adeba) le saxophone ténor de Lionel Martin, la basse de Damien Cluzel, les claviers de Fred Escoffier et la batterie de Thomas Pierre, tandis que le dernier ensemble, 79rs gang, réconciliait par le jeu d’horloger de ses multiples percussions les gangs rivaux de la New Orleans, entremêlant jazz, gospel, carnaval, Afrique, Caraïbes et culture amérindienne. Costumes éblouissants, verve inépuisable, un feu d’artifice !

MARYVONNE COLOMBANI

Concerts donnés le 16 juin, sur le plateau des Lauzières, à Château-Arnoux-Saint-Auban.

Procession sportive

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Kinisi ©Didier Iounes La Provence Aubagne

Sous les premières chaleurs de la saison, c’est une belle parade transdisciplinaire qui est venue clôturer trois jours de festivités dédiés au sport et à la culture. À la co-direction artistique de l’événement 13 en jeux, la chorégraphe aixoise Josette Baïz et l’artiste de rue marseillaise Caroline Selig – à la tête respectivement du Groupe et compagnie Grenade et de la compagnie Artonik –partagent le goût de la communion et de la fête. Après l’émouvant Rodéo présenté la veille au soir par les jeunes danseurs de Grenade, place dimanche matin à la déambulation Kinisi mise au point par Artonik, dont le savoir-faire sait galvaniser les espaces publics. Ce nouveau rituel participatif, Caroline Selig l’a imaginé comme une procession : « je cherche à creuser les liens entre sport et religion. On élève les athlètes au rang de dieux du stade, on parle de plaquage cathédrale en rugby… Pierre de Coubertin lui-même concevait l’olympisme comme une religion laïque ! À terme, des textes évoqueront ces relations de manière un peu plus incisive ». Au sein de cette procession d’un nouveau genre, on retrouvait des chorégraphies participatives issues de gestuelles sportives, deux trampolinistes itinérants, dribblant sans complexe l’un avec le corps de l’autre, mais aussi un groupe de musique et des vélos customisés avec fantaisie… Avant un final aérien à faire tourner les têtes.

Madones tutélaires

En tête et queue de cortège : deux danseuses haut perchées, veillant telles des madones du haut de leur robes magistrales, faites de balles de tennis pour l’une, volants de badminton pour l’autre. Cette parade est appelée à s’agrémenter au fil des rendez-vous à venir, poursuit Caroline Sélig : « il s’agit d’un projet à entrées multiples, pensé en lien avec les associations sportives locales. À Aubagne, la vingtaine de danseuses bénévoles était issue du Conservatoire. Je souhaite que les participants s’agrègent au fil des villes successives, pour étoffer la procession ! La déambulation sera toujours agrémentée d’images en hauteur, et d’un final spectaculaire appelé à évoluer selon typologie des lieux et des villes. » Ici, les acrobates de la compagnie Lézards bleus, connus pour leurs fameuses ascensions de façades. Ailleurs peut-être, une partie de badminton géante avec le public… Prochains rendez-vous : du 28 septembre au 1er octobre, lors de l’escale 13 en jeux à Istres, puis dans trois autres villes du département l’an prochain.

JULIE BORDENAVE

Kinisi s’est joué le 18 juin, dans le cadre de 13 en jeux, à Aubagne.

Ce sont des humains qui se noient

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Chaque année, depuis 2014, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se noient en Méditerranée, aux portes de l’Europe. Un total, très certainement sous-estimé, de 30000 vies. Entre la Libye et l’Italie, les vies s’éteignent dans le silence et l’indifférence. Les 700 morts du dernier naufrage suffisent à peine à émouvoir l’Europe quelques jours, et non à mettre en place, enfin, des moyens et des lois pour sauver en mer.

L’Europe ne le veut pas. Elle refuse d’accueillir ces naufragés en détresse fuyant souvent l’esclavage et la guerre, ces exilées violées pour plus de 90% d’entre elles pendant leur trajet, alors même qu’elles fuient souvent violences et mariages forcés.

À l’autre bout de la planète, dans les eaux de Mayotte, île stratégique pour le commerce français, les kwasa-kwasa, petits bateaux de pêche dont notre chef de l’État avait déclaré qu’ils « pêchent peu mais ramènent surtout du Comorien », chavirent fréquemment. 1000 morts par an, estime-t-on à la louche. Ceux qui ont réussi à passer sont expulsés par la force publique française. Comment ne pas dire coloniale, quand les hôpitaux français proposent aux Comoriennes la stérilisation ?

Capacité de compassion

Sur les routes d’exil vers l’Europe, ou ses appendices coloniaux, les morts sont littéralement innombrables. Mais au lieu de susciter la compassion de l’Europe c’est la panique qui s’empare de tous. Comme les Américains, qui ont basculé vers Trump et son mur contre le Mexique, les Italiens renouent avec le fascisme, les Grecs ne secourent plus ceux qui se noient, l’extrême droite allemande elle-même resurgit et tend le bras. Quant à la France, elle arrête les militants écologistes, interdit leur soulèvement face à une planète qui s’asphyxie. Les discours xénophobes s’y banalisent, la droite franchissant aujourd’hui allègrement les frontières de l’indécence raciste.

L’Europe en aurait-elle fini avec l’Humanisme, qui est sa valeur fondamentale depuis la Renaissance ? Qui a permis de s’affranchir de l’esclavage, de l’indigénat, de la colonisation, des procès en hérésie, de la minoration des femmes, de la pénalisation de l’homosexualité ? De transformer les sujets assujettis en citoyens représentés ?

La réponse repose dans notre capacité de résistance culturelle. Dans notre manière de reconnaître la valeur et l’humanité de ceux qui sont issus de l’histoire coloniale de la France, et d’accueillir les victimes de la politique françafricaine. Sur nos scènes, comme le font le Festival de Marseille, Africa Fête, les Rencontres à l’Échelle. En exposant, comme le fait la Pride, la réalité des réfugiés LGBTQI dont l’Europe doit garantir la sécurité. Et en soutenant le concert de SOS Méditerranée, qui a sauvé des milliers de vies, mais reste en butte à ceux qui préfèrent que les hommes se noient.

AGNÈS FRESCHEL

Koudour : Hatice Özer retourne le Mucem

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Au centre de l'image, Hatice Özer joue du davul au milieu du public © Les Rencontres à l'Échelle

C’est avec une canette de Coca à la main, et un combo veste Adidas-robe de soirée qu’Hatice Ôzer accueille son public. Les musiciens, eux, sont déjà en train de jouer tranquillement dans un coin de la scène, en acoustique. Puis, alors même que le public n’est pas vraiment encore bien installé, que les lumières sont toujours vives, Hatice Özer, d’une voix juste, tranchante et a capella, lance les hostilités.

Sa création Koudour est présentée comme un spectacle de théâtre-musical. Et c’est en musique que ça démarre. Elle chante en turc, et on comprend pourquoi dès que la musique laisse place à la parole. Hatice nous parle de son enfance, passée dans la cité de La Borie-Basse en Dordogne, où vit une communauté turque venue ici pour couper du bois. C’est là qu’est né son amour pour la musique, dans les mariages auxquels elle participait toute son enfance dans la salle des fêtes, seul lieu de distraction du quartier – entre la mosquée et le temple des Témoins de Jéhovah.

En transe

Hatice chante, danse et joue. Elle parle d’amour, beaucoup, de ses tristesses et de ses joies, en s’adressant au public directement et avec force. Au point qu’une spectatrice, à qui elle semble s’adresser, ne peut s’empêcher de monter sur scène la rejoindre. Bientôt, c’est par grappe que le public descendra sur scène.

Car dès que les musiciens passent aux instruments amplifiés, on change d’ambiance, et ce n’est plus à du théâtre-chanté que nous assistons mais à un véritable concert. Dans cette musique turque aux accents psychédéliques voire électro, les musiciens brillent tous : Antonin Tri Hoang aux claviers et au saxophone, Matteo Bortone à la contrebasse et Benjamin Colin aux percussions. Hatice s’empare du davul, ce gros tambour turc qu’elle a souhaité apprendre – puisque c’est l’instrument qu’on entend le plus. Nait alors une transe entre les artistes et le public, une transe que l’on n’aurait pu imaginer dans un décor aussi austère qu’un auditorium. Et c’est ici la plus belle réussite de l’artiste, réussir à embarquer l’assemblée dans son propre monde, un monde fou et souriant, dans la nostalgie d’une enfance qui nous apparaît modeste mais assurément heureuse.

NICOLAS SANTUCCI

Koudour a été donné le 14 juin à l’auditorium du Mucem, dans le cadre des Rencontres à l’Échelle, à Marseille.

Nezouh, une fenêtre sur Damas

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Nezouh © Pyramide

« Un film en Syrie où personne ne meurt, ça existe ? » C’est la question glissée dans le dialogue entre deux ados sur les toits de Damas, devant l’écran d’un smartphone qui documente pour le monde, le quotidien d’une ville assiégée et détruite.

Ce film sans cadavres qui se déroule pendant le siège de la Damas sous les bombes, Soudade Kaadan le réalise pour son deuxième long-métrage de fiction : Nezouh. Réalisatrice-scénariste syrienne, déjà primée à Venise en 2019 pour Le Jour où j’ai perdu mon ombre, elle remporte avec Nezouh, le prix Orrizonti 2022.

Elle y suit ce qui reste d’une famille dans ce qui reste d’une ville. Elle y parle du   déplacement (ce que signifie Nezouh) à la fois des populations chassées de leur pays mais aussi des mouvements plus intimes à l’intérieur d’une famille syrienne quelconque ancrée dans un patriarcat ancestral, où chacun pressé par les circonstances devra quitter ses positions pour avancer, survivre.

Rêves d’évasion

Motaz, Hala et leur fille de 14 ans, Zeina sont les derniers habitants de leur quartier assiégé. Malgré les ordres des autorités, Motaz refuse de partir, d’abandonner un appartement où il est le maître pour devenir un réfugié comme tous ceux qui ont fui. L’électricité, l’eau, la nourriture peuvent bien manquer. Chaque sortie sous les balles des snipers peut bien être la dernière, il s’entête. Son épouse Hala et Zeina ne parviennent pas à le faire sortir de ce déni de réalité qui confine à la folie douce et serait plutôt drôle si la situation n’était pas aussi dramatique. Qu’importe s’il n’y a plus de mur, on frappe encore à la porte et quand les bombes éventreront façades et plafonds, il étendra des draps fleuris pour fermer son domaine et protéger ses « filles ». De ses filles, il ne reste que Zeina, seule dans la chambre de trois lits. Les deux ainées ont été mariées, sont parties, confiées à des hommes qui ne les ont peut-être pas protégées. L’adolescence de Zeina brûle de rêves d’évasion, de mer infinie et de constellations : l’eau et l’air pour échapper à la terre. Un monde imaginaire où on peut faire des ricochets dans le ciel et pêcher des poissons dans le vide.

Le missile a ouvert le toit de la maison et Zeina y retrouve un autre adolescent Amer connecté à l’extérieur, passionné d’images. Flirter, rire, rêver. Trouver une fleur de jasmin dans les gravats et barbouiller ses lèvres de mûres écrasées. Une presque normalité dans un désastre. En trois phases chronologiques (la vie au foyer avant la bombe, puis après dans l’appartement éventré et enfin la fuite dans les rues de Damas), la réalisatrice métaphorise enfermements et ouvertures, explosion et implosion, mettant à nu cette famille syrienne, nous la rendant très proche et si peu étrangère. Dans des décors réalistes partiellement reconstitués numériquement, la magie opère, servie par le travail sur la lumière d’Hélène Louvart, de l’obscurité de la maison sans électricité à la lumière crue et cruelle qui la pénètre soudain.

Soudade Kaadan dit avoir voulu changer le regard sur les réfugiés sans les présenter ni comme victimes ni comme héros. Juste des gens qui n’ont pas eu d’autre choix que de partir dans la douleur. Elle dédie son film « à tous les Syriens qui ont péri dans cette guerre, à tous les réfugiés et à tous les disparus en mer. »

ÉLISE PADOVANI

Nezouh, de Soudade Kaadan
En salles le 21 juin

Tous les corps dansent

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Festival de Marseille 2023_Aina-Alegre_Parades-&-Désobéissances_La CitadelledeMarseille_CREDIT_Pierre-Gondard-13

En ce week-end de juin la Citadelle de Marseille était ouverte. Ce qui est en soi un événement, tant cette immense forteresse qui fut dressée contre la ville demeure, sauf exception, inaccessible. Le point de vue qu’elle offre sur la baie et sur Marseille n’a pas d’équivalent : il a été choisi par les armées successives pour surveiller et punir la ville rebelle, et éventuellement l’admirer. Le public époustouflé, a autant photographié la ville que le spectacle, Parades & Désobéissances, qui venait lui aussi en contrepoint de ces pierres immobiles, lui opposant la chair vivante, les paillettes, le bleu profond, la fantaisie.

Ce sont cent marseillais, de 17 à 80 ans, qui ont dansé jusqu’au bout de leur souffle. Une chorégraphie subtile et précise, rythmée, haletante, joyeuse, conçue par Aina Alègre, qui magnifiait les êtres. Essoufflante, exigeante, elle révélait peu à peu ce que les corps savent dire : la fatigue des plus âgés qui peinent à aller au bout des gestes mais persistent, en souriant, la raideur d’un homme qui s’essaie à déhancher, ceux qui jouent avec les assignations de genre, et les diverses techniques de danse qui ont marqué les plus pros, un port de bras classique, un porté circassien, un ancrage de danse africaine, un peu de hip-hop, et beaucoup de virtuosité contemporaine. Une superbe démonstration de vies, diverses, enthousiastes, pour une pratique universelle et citoyenne de la danse. Forcément désobéissante.

Sous les stéréotypes

Le solo qui ouvrait le festival à La Criée mettait aussi en scène une libération. Celle d’un corps de femme noire disparue sous les épaisseurs de tissus, Slightly disitentified, dit le titre en forme de litote. Mais une fois les couches de burqa épluchées les oppressions demeurent : Cherish Menzo (chorégraphie Benjamin Kahn) cherche son corps, presque nue, en jogging noir de hip-hop, dissimulant à nouveau son visage, rampant, souffrante, ou faussement enjouée, sexuée, portant la mémoire de l’oppression, de l’exil, et de tous les préjugés historiques liées au corps des femmes noires. Insoumise, incarnant tous les stéréotypes, et les détruisant un à un, avec superbe. Une démonstration de vitalité et de conscience politique de son corps, qui s’est poursuivie au Théâtre de la Sucrière.

Notre avenir

Dans les Quartiers Nord de Marseille, au cœur du parc Billoux de la mairie du 15/16. Un endroit magique, dans le quartier abandonné à la pauvreté, aux déchets qui s’accumulent, aux commerces illicites, à une rocade qui n’en finit pas de ne pas se construire, et de tout bloquer.

Sur la scène, une magnifique jeunesse, hip-hop bien sûr. Marina Gomes et la Cie Hylel dansent deux pièces bouleversantes : Asmanti, de midi à minuit, met en scène le quotidien des jeunes des quartiers. Qui parlent, dansent, s’ennuient, font le guet, rient, désœuvrés et solidaires. Puis vient la nuit et tout se durcit, devient tragique, et les regards amusés et rebelles accusent, fermés et durs, une société qui les cantonne et les méprise. Les bras ouverts pour enlacer le vide se tendent, durcissent et les poings surgissent, soulignant les regards acérés comme des couteaux.

Bach Nord (Sortez les guitares) est plus explicite encore. Les cinq danseurs sont rejoints par des jeunes ados qui travaillent en ateliers avec eux. Et deux semaines de résidence leur ont suffi à créer une œuvre bouleversante : Bach Nord oppose au scandaleux BAC Nord la force de l’art. De Bach, dont ils s’emparent savamment, à la guitare, au sample, tissant une pièce sonore qui saisit et modèle sans complexe notre héritage commun. Les exploits dansés se succèdent, sans démonstration cependant, loin de l’esprit d’une battle : Bach Nord tient un discours. Celui d’une magnifique jeunesse, si talentueuse, si énergique, si riche de sa diversité, dirigée par une jeune femme dans une pièce où garçons et filles jouent à égalité.

Sortez les guitares ? Le double sens de l’expression est explicite. Alors que le collectif sort une guitare pour s’approprier magnifiquement Bach, Bac Nord sort les kalachs. La jeunesse des quartiers pauvres de Marseille subit de plein fouet une double peine : une violence quotidienne meurtrière, et les préjugés exercés à leur égard. Frère Bach, où es tu ? lancent-ils comme un appel à la fin. Seul un bruit de rafale semble leur répondre… Mais les applaudissements nourris du public, debout, multipliant les rappels, fait la démonstration qu’une autre réponse est possible !

AGNÈS FRESCHEL

L’ouverture du Festival de Marseille s’est tenue du 16 au 18 juin, dans sa ville.
festivaldemarseille.com

Une semaine au Festival
Le Festival de Marseille a commencé le 17 juin et se poursuit jusqu’au 9 juillet. La première programmation de la nouvelle directrice, Marie Didier, est passionnante et fait la part belle aux artistes de Marseille, et aux habitants. Ainsi cette semaine on pourra voir à La Criée la création du chorégraphe Éric Minh Cuong Castaing (du 22 au 24 juin), qui établit un lien entre Marseille et Kampala, avec le groupe d’ados ougandais Waka Stars, vedettes mondiales du web.

Les enfants de CM1 de la Viste (guidés et entrainés !) s’essaieront à la coiffure sur les têtes des volontaires (24 et 25 juin Salon de coiffure Kenze). Elli Papakonstantinou proposera une version queer des Bacchantes d’Euripide, où la pilosité s’exhibe comme un signe de pouvoir, ou de transgression de genre (21 et 22 juin à la Friche).

Les 22 et 23 juin à La Criée une autre création, autour de l’album de Awir Leon Love You, Drink water, du chorégraphe Amala Dianor, et du réalisateur Grégoire Korganov : Marie Didier sait aussi inviter et produire des valeurs sures de la scène contemporaine non marseillaise, pourvu qu’ils parlent un peu rencontres des arts, transversalité et diversité !

 

 

Le Festival d’Aix-en-Provence se rafraîchit la mémoire

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Dans les archives du Festival d'Aix-en-Provence © Francesco Garbo

Soixante-quinze ans déjà ! Avec l’aide de la comtesse Lili Pastré, Gabriel Dussurget fondait en 1948 le Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence, soutenu aussi par le Casino municipal d’Aix Thermal et son administrateur Roger Bigonnet. Plus d’un millier de décors, cartons, maquettes (par les peintres, Balthus, Antoni Clavé, Derain, Matias, Sansó…), quinze mille costumes de scène, lettres, contrats, feuilles de comptabilité, critiques, partitions (et pas seulement celles des musiciens ou des metteurs en scène, mais de la multitude des techniciens qui entourent le spectacle, régisseur lumières, décors, son…) sont les témoignages de l’ampleur de cette manifestation qui a placé Aix-en-Provence parmi les grandes scènes internationales. Comment valoriser, protéger, diffuser cet énorme corpus ?

Comment préserver l’héritage ?

Cinq tables rondes organisées par les doctorantes et chercheuses associées à Telemme (laboratoire lié à Aix-Marseille Université) Anne Le Berre, Sylvia Herrisé et le chercheur Pierre Pinchon (Amu/CNRS) convoquaient divers acteurs universitaires, professionnels du spectacle et des archives sur les sujets cruciaux de la mémoire du festival. Se posent les questions de classement, tri, conservation, mise à disposition des artistes, des scientifiques, des publics. « Le théâtre est un lieu d’identité très précieux pour une ville, sourit l’un des intervenants, il s’agit d’un patrimoine architectural mais aussi affectif ». Les archives deviennent plus complexes à préserver encore aujourd’hui : un dessin à l’aquarelle se classe plus aisément qu’un support informatique (ouvrir un dossier de 1981 relève de la gageure !). Il s’agit de collecter la mémoire, réfléchir sur les usages, la chronologie, mettre en évidence une histoire de l’art contemporain, de ses ruptures avec les traditions, tout un ensemble passionnant et vaste qui ne cesse de s’enrichir…

MARYVONNE COLOMBANI

« Les collections se dévoilent » s’est tenu le 14 juin au Musée Granet, à Aix-en-Provence.

Rendez-vous le 1er juillet
Trois courts métrages présentés lors de cette journée livrent quelques secrets des archives de la ville des décors, du montage des archives de l’INA. Ils seront diffusés sur le site du festival dès le 1er juillet. Premiers pas avant la création d’un musée qui puisse présenter cet immense et émouvant corpus ! 

« Polaris », trouver sa bonne étoile

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Jour2Fête

Dans la brume blanche, une voix, qui parle de solitude et de souffrance. Une silhouette. Le bruit du vent qu’on sent glacial. Une tempête de neige. Et puis des mains qui se réchauffent. Ce sont les mains d’Hayat, une navigatrice, de 1m60, en plein océan Arctique, au milieu des icebergs bleutés. À l’autre bout du monde, dans le Sud de la France, sa sœur, Leila, sur le point de donner naissance à son premier enfant, avec ses craintes et ses doutes, alors que le père a mis les voiles. Toutes deux ont eu un parcours de vie difficile : un père absent, une mère toxicomane, en prison, qui n’a jamais été une mère. Pour elles, les familles d’accueil. « Je ne me rappelle aucun moment de tendresse avec ma mère », confie Hayat. Elle souhaite très fort que sa sœur, grâce à ce bébé qui vient de naitre, puisse changer le destin de cette famille. C’est à travers des conversations téléphoniques qu’Hayat et Leila revisitent leur passé et leur relation. Et c’est en racontant, bribes par bribes, son histoire à Ainara Vera qu’Hayat nous permet de l’approcher. Elle évoque ses difficultés en tant que femme-capitaine, la nécessité d’être dure au départ pour se faire respecter, les agressions qu’elle a subies. « En tant que femme, si vous êtes ne serait-ce qu’un peu attirante, c’est vraiment super difficile. Ça consomme tellement d’énergie. » Le syndicat de marins qu’elle a contacté lui a refusé toute aide.

Voyage intérieur

« On a le droit de décider ce qu’on veut faire de notre corps ! »s’indigne-t-elle. Elle est épuisée de devoir se débrouiller toute seule. « Je ne peux apaiser ma souffrance quand la vie me maltraite. » Comment garder la tête hors de l’eau, nous suggère un plan serré, fixe, long, intense, où elle nous regarde. Peut-être en quittant le bateau, un moment, pour aller voir sa sœur et faire connaissance avec la petite Inaya, celle qui va briser ce cycle infernal pour avoir de nouvelles références. En profiter aussi pour faire le point sur sa propre existence : « Je fais pas ma vie, je m’occupe des autres ! » lance-t-elle à sa sœur cadette. Comment chasser ses démons, vaincre sa peur de ne jamais être aimée ? Comment se reconstituer après cette enfance où on n’a pas reçu cet amour de base ? « Inaya est aimée et c’est le plus important », conclue-t-elle.

Dans Polaris, ce documentaire tourné pendant deux années, Ainara Vera trace le portait de deux femmes qui, chacune à sa manière, tracent leur voie. Elle filme les gestes expérimentés de la navigatrice dont le bateau semble glisser sur la mer et frôler les icebergs, ceux, plus tâtonnants de sa sœur qui apprend pas à pas les gestes d’une mère. « Hayat est une capitaine de navire qui cherche sans relâche sa place dans le monde », commente la cinéaste qui a su trouver la bonne distance pour nous donner à voir et entendre ces deux femmes blessées par la vie, nous faire partager leur voyage intérieur afin de se reconstruire. La musique d’Amine Bouhafa accompagne superbement ce voyage glaciaire travers des paysages à la beauté âpre et austère.

ANNIE GAVA

Polaris, de Ainara Vera

En salles le 21 juin

« Aix en Juin » : du classique, du jazz, du stambeli

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Trio Wajdi Riahi © Monday Jr

Accompagné de Basile Rahola (contrebasse) et Pierre Hurty (batterie), amis de longue date, le pianiste Wajdi Riahi dessinait les orbes d’une musique délicatement ciselée, reprenant des pièces de son dernier album, Mhamdeya, dont le morceau titre convie à une évocation nostalgique et un tantinet espiègle de la ville natale du compositeur, et livrant un avant-goût de son prochain opus. La fusion entre les instruments, leur complicité, permet une osmose rare, où arrangements et improvisations jubilent, vont chercher l’autre, le taquinent, l’appellent, se confient, voyage subtil entre l’intime, les réminiscences et une recherche musicale qui ne cesse de s’affiner et d’explorer de nouveaux territoires. Une anecdote fournit le thème de Back to the little room. « Je prenais des cours de piano classique au conservatoire de Tunis, explique Wajdi Riahi, ma prof était merveilleuse. Durant quinze ans, j’ai tenté de la revoir. Enfin, un jour, dans sa salle de cours, que le conservatoire nommait “la petite chambre”, je l’ai retrouvée, le bonheur de ces retrouvailles avec tous ces souvenirs a fait naître ce morceau »… La contrebasse épouse la ligne mélodique, puis dessine ses contrechants, la batterie devient, sans baguettes, lieu de percussions traditionnelles. Si les passages du premier album citent seulement en échos émus les phrasés de mélodies traditionnelles, et restent complètement dans un esprit jazzique, les pièces du futur opus sont imprégnées du stambeli, le gnawa du Maroc, le jazz se métisse alors en une « road to Stambeli » sur laquelle la voix du pianiste murmure une nouvelle harmonie. Douceur festive qui mène le public à chanter en chœur… La puissance de certaines voix de la salle donna une dimension inattendue au bis !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 17 juin à l’Hôtel Maynier d’Oppède, dans le cadre d’Aix en Juin.

« Sans frontières fixes » : les voix de l’amer

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Sans frontières fixes © Hugues Castan

Voilà plusieurs années que la partition de Lionel Ginoux attendait d’être portée à la scène. Les chants composés pour baryton, et interprétés avec justesse et brio par Mikhael Piccone, sont d’une limpidité et d’une finesse qui ne peuvent que provoquer l’émotion. Adaptés de textes de l’auteur jeunesse Jean-Pierre Siméon, les chants disent, sans la surligner mais sans non plus l’occulter, la douleur de l’exil, de la migration forcée. Conçu en soutien à SOS Méditerranée, le spectacle pensé par le fondateur du Calms (Collectif des artistes lyriques et musiciens pour la solidarité) adjoint à cette parole littéraire et musicalisée celle des membres de l’association, partis secourir en mer ceux qui risquaient d’y périr. Déclamés avec pudeur par le comédien Corentin Cuvelier, ces témoignages s’adjoignent à une partition instrumentale de très bonne tenue, composée pour l’occasion par Lionel Ginoux en contrepoint avec les chants initiaux. Les musiciennes – Marion Liotard au piano, Marine Rodallec au violoncelle – y insufflent ce qu’il faut de lyrisme et de résolution pour ne pas dénaturer le propos. Ces voix venues de la mer résonnent ainsi sur scène, jusqu’aux parties de témoignage que l’on devine indicibles, voire insupportables. La chorégraphie âpre, physique et d’une expressivité à toute épreuve de David Lliari anime les corps fébriles des danseuses et danseurs : Thomas Barbarisi, Mélanie Ramirez, Samy Mendy et Doumbouya Talaour s’emparent de la scène avec une ferveur et une vérité qui ajoutent de la rage et de l’émotion là où, on le devine, la peur et le chagrin ont déjà pris chez d’autres le dessus. L’apparente simplicité du dispositif ne confine jamais au simplisme, et rares sont les spectacles qui ont cru aux possibles de la musique, de la danse et de l’art en général pour dire ce monde-là. Encore trop rares sont celles qui y parviennent aussi bien.

SUZANNE CANESSA

Sans frontières fixes a été donné le 26 mai au Théâtre Toursky, Marseille.