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Du chant et de la Pataphysique

Cinq jours de résidence à l’Ouvre-Boîte, la vivacité des interprètes du Quatuor A’dam et la fine inventivité de Jeanne Béziers ont suffi pour camper un spectacle à déguster sans modération, Quand j’étais Boris Vian

Sur la petite scène de L’Ouvre-Boîte, lieu décidément dédié à la création, arrivent les quatre larrons, Ryan VeilletOlivier Rault (ténors), Louis-Pierre Patron (baryton) et Julien Guilloton (basse). On s’attend à une entrée par le chant, et bien non, ce sera par l’une des saynètes désopilantes et iconoclastes de Boris Vian, Conversation avec un adjudant. Le duo/duel des protagonistes, Vian et un adjudant, est porté par les interprètes qui portent les voix des deux personnages en les doublant : deux face à deux. L’être n’est jamais simple n’est-ce pas, même lorsqu’il s’agit de l’adjudant du dialogue au vocabulaire et aux intonations rudimentaires. « Ah ! Vous faites dans la littérature… J’aurais dû m’en douter. / Oh Je fais dans pas mal de choses, n’adjudant, ingénier, auteur, traducteur, musicien, journaliste, interprète, jazzologue, et maintenant directeur artistique d’une maison de disques… / (…) / Les petits malins comme vous, ça ne m’impressionne pas ! Je connais la chanson ! / (…) / Je vais vous concocter un manuel de l’aspirant chansonneur, vous m’en direz des nouvelles… »

L’introduction ouvre le spectacle aux chanteurs qui entonnent On n’est pas là pour se faire engueuler avec un humour et une verve jubilatoire. Les chansons entrecoupées parfois par de délicieux intermèdes extraits des œuvres de Boris Vian sont mises en scène avec une intelligence et une fantaisie débridée. Les chanteurs-comédiens affublés de costumes à la fois conventionnels et délirants passent de Moi, j’préfère la marche à pied à La complainte du progrès puis au génial Vous mariez pas les filles ou à Bourrée de complexes. Les paroles résonnent fortement encore aujourd’hui : on est encore époustouflés par la modernité de Boris Vian, qui s’insurge contre les dérives du consumérisme, de la mécanisation, de l’assujettissement imposé aux femmes, du choix du genre (Vous mariez pas date de 1958). 

On se délecte des reprises des chansons que l’on connaît par cœur, Je boisLe blouse du dentisteCinématographeLa java des bombes atomiquesLe tango des bouchers de la VilletteLe petit commerce… Là encore l’actualité tragique des paroles frappe. Les velléités guerrières actuelles rappellent le poids terrifiant de l’industrie de l’armement. Il ne faut pas oublier le texte de Boris Vian : « Je vendais des canons dans les rues de la terre/ Mais mon commerce a trop marché/ (…)/ Tous mes bons clients sont morts en chantant». L’esprit du Satrape, Promoteur Insigne de l’Ordre de la Grande Gidouille, membre du Collège de Pataphysique, plane sur ce spectacle à la fois profond et déjanté, servi avec un talent fou par le quatuor dont les voix savent épouser les moindres nuances de sens, passent des aigus aux graves, font un détour par le chant diphonique, tissent des accords sublimes et ironiques, bref, interprètent avec panache. Les artistes, férus de l’œuvre du poète, n’oublient pas l’antimilitariste et controversé chant Le déserteur, écrit en février 1954 lors de la guerre d’Indochine et dont le Quatuor A’dam conserve la fin modifiée par Mouloudji : il remplaça le « je sais tirer » (sur les gendarmes) par « ils pourront tirer ».

On a du mal à s’extraire de la magie de cette soirée, de ses rires, de son intensité et se sa profondeur. En bis le duo Vian Salvador refait surface avec Donne, donne, donne. Et on en redemande !!!

MARYVONNE COLOMBANI

23 février, L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence

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