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Ben Barka, la disparition : un des cold cases les plus marquants de la Ve République 

À l’approche du 60e anniversaire de la disparition de Mehdi Ben Barka, l’album aux airs de polar revient sur sa disparition le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris. Un récit de David Servenay, illustré par Jacques Raynal

DiasporiK. En tant que journaliste d’investigation et essayiste, vous êtes coutumier des dossiers chauds et des relations franco-africaines, qu’est ce qui a attiré votre attention sur l’affaire Ben Barka? 

David Servenay. Effectivement, j’ai été journaliste pendant 25 ans à RFI et j’ai couvert différentes affaires de corruption internationale, ainsi que des affaires plus franco-françaises, telles que l’affaire Balkany ou celles du patronat français, ces hommes qui ont construit le capitalisme français de l’après-guerre. L’affaire Ben Barka est une vieille affaire sur laquelle j’ai été sollicité par son fils qui avait 15 ans quand son père est mort. Il se bat depuis des années pour connaître les angles morts de l’assassinat de son père. Ce dossier, à la fois complexe et foisonnant, reste un cold case judiciaire criminel non élucidé et faisant l’objet d’un classement sans suite. 

Évidemment pour Bachir Ben Barka, son père est un héros. Surnommé le Jean-Jaurès marocain, il est une figure à la fois emblématique de l’Indépendance, mais aussi controversée. Un progressiste de gauche, et un politique manœuvrier impliqué dans la branche armée indépendantiste.

Ses idées ont été inspirantes pour la jeunesse marocaine. Issu de la gauche révolutionnaire, il prône la réforme agraire, la révolution sociale pour instaurer des idées telles que l’abolition du capitalisme, la lutte contre la pauvreté… Ces perspectives sont incompatibles avec le règne de Hassan II, alors même que Ben Barka, surnommé monsieur Dynamo, proche du roi Mohamed V, voulait une monarchie à l’anglaise avec un roi qui règne mais ne gouverne pas. 

Exilé définitivement à Paris en 1963, condamné à mort au Maroc, il est proche des grandes figures panafricaines œuvrant en faveur de la solidarité internationale. À Alger, il rencontre Che GuevaraAmílcar Cabral et Malcolm X, tentant de fédérer les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue de la Conférence tricontinentale de janvier 1966 à La Havane. 

Les faits 
Le 29 octobre 1965 le leader indépendantiste, principal opposant d’Hassan II, roi du Maroc depuis 1961, a rendez-vous avec trois personnes : Philippe Bernier, journaliste, Georges Franju, cinéaste, et Georges Figon, producteur. Ils doivent finaliser la production d’un film sur les luttes anticoloniales écrit par Marguerite Duras. Ben Barka est interpellé, sur le trottoir, par deux hommes qui se présentent comme des policiers et qui l’embarquent dans une Peugeot 403. On ne le reverra jamais plus…

Quel a été le rôle des services secrets occidentaux et en particulier français ?

On ne sait pas précisément comment Mehdi Ben Barka a été tué et par qui. On n’a jamais retrouvé son corps. Les services secrets occidentaux l’avaient catalogué comme révolutionnaire indépendantiste, il a d’ailleurs fait deux ans de prison pendant la Seconde Guerre mondiale car il était signataire du manifeste de l’Istiqlal en 1945, en faveur de l’Indépendance. Il a été poursuivi par la puissance coloniale. 

Disons que beaucoup de gens avaient intérêt à le voir disparaître : il est condamné à mort par contumace au Maroc au moment de son enlèvement, mais le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage français (SDECE, devenu depuis DGSE) est directement en lien avec le général Oufkir, et impliqué dans l’affaire. 

Aucun président français n’a évoqué cet assassinat depuis le général De Gaulle qui parlait d’« une affaire bizarre dont il est sûr qu’il faudra établir la vérité et  tirer toutes les conséquences… » C’est pourtant une opération commanditée au plus haut de l’État français. Le rapprochement récent entre la France et le Maroc n’a pas suscité l’occasion de rouvrir le dossier. Mais pour l’historien René Galissot, « c’est dans cet élan révolutionnaire de la Tricontinentale que se trouve la cause profonde de l’enlèvement et de l’assassinat de Ben Barka. » 

Quelle était votre intention en racontant cette disparition sous forme de bande dessinée, et en vous associant à Jacques Raynal?

Le livre dessiné permet de revenir sur l’affaire en rendant accessible les éléments de l’enquête qui restent à révéler, avec la force du dessin noir et blanc de Jacques Raynal. Il se prête très bien à cette affaire qui est un véritable polar. L’enjeu de nos collaborations est de transmettre un récit sur des enquêtes complexes, documentées, en levant les écrans de fumée présents dans le traitement médiatique. Faute d’accès aux archives, toujours classées secret défense, certains éléments circulant sur les conditions de la disparition de Ben Barka ont donné lieu à toutes sortes d’hypothèses invérifiables.

Nous sommes restés sur les faits avérés en mettant à distance les interprétations douteuses. On s’approche du 60e anniversaire de l’affaire et on peut regretter que l’instance de réconciliation mise en œuvre avec l’accès au trône du roi Mohamed VI n’ait pas permis d’ouvrir les archives des services secrets. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SAMIA CHABANI

Ben Barka, la disparition 
Récit de David Servenay et dessin de Jacques Raynal
Futuropolis – 19 €

L’auteur 
David Servenay est journaliste. Après avoir travaillé à RFI, Rue89, OWNI.fr et La Revue dessinée, il est aujourd'hui indépendant. Il a publié au Seuil et à La Découverte plusieurs livres d'enquête sur le Parti socialiste dans le Nord-Pas-de-Calais, sur le génocide des Tutsi au Rwanda et sur l'histoire du patronat français. Il a aussi scénarisé Une affaire d'État, album dessiné par Thierry Martin (Soleil, 2017).

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