Zébuline. Vous avez pris la direction de La Garance il y a trois ans. Quel bilan pouvez-vous faire de ces années ?
Chloé Tournier. Un bilan très contrasté, sauce aigre-douce. D’un côté une réussite évidente, avec une augmentation nette du public, un taux de remplissage des salles à 94 % et des réussites artistiques indéniables. De l’autre une inquiétude budgétaire sans précédent, et des annonces de baisses qui mettent notre projet en danger, en même temps que tout le réseau des scènes publiques qui est très interdépendant.
Commençons par le positif. Il est difficile d’avoir des places à La Garance, ce qui semble logique quand vous recevez Joël Pommerat pour La Réunification des deux Corées, ou pour votre festival Confit ! si délicieux. Mais on a du mal à réserver aussi pour des spectacles et événements plus confidentiels…
Oui, la Scène nationale rencontre vraiment son public, et c’est d’autant plus remarquable qu’il n’est pas facile de remplir une salle de 507 places dans une ville de 23 000 habitants. Cavaillon est une ville périphérique qui offre peu d’occasions de venir à elle, nous proposons une programmation exigeante, et c’est tout le temps complet, sur deux dates souvent, et parfois sur des propositions où on s’y attend peu, comme Indestructibles de Manon Worms, qui était une création régionale. [Le dispositif] des Nomades qui voyage sur 19 communes désormais est aussi un vrai succès public. Cela évidemment facilite les discussions avec les tutelles. Néanmoins…
« La Région Sud a annoncé une baisse de 10 % qui n’est pas absorbable, pas acceptable »
Les mauvaises nouvelles. Votre budget est-il en baisse ?
Pas pour l’instant. Depuis que je suis arrivée, sans que les tutelles [subventions d’État et des Collectivités, ndlr] n’augmentent d’un centime, notre budget global a augmenté de 16 %, parce que nous avons trouvé des mécènes, répondu à des appels à projets, et que les recettes de billetterie ont augmenté. Cela, pour l’instant, nous a permis de conserver notre marge artistique – celle qui nous permet de programmer et produire des spectacles – à plus de 50 % et de ne pas diminuer le nombre des spectacles malgré la nette augmentation de l’énergie et des coûts artistiques. Mais les baisses annoncées ne pourront pas être absorbées.
Quelles baisses ?
Nous avons de la chance, la Ville de Cavaillon reconduit son budget à l’identique, ce qui représente un effort considérable pour cette petite ville qui va subir les restrictions du budget de l’État. Mais pour le département de Vaucluse, rien n’est voté, et on est dans le brouillard. Quant à la Région Sud, elle a annoncé une baisse de 10 % qui n’est pas absorbable, pas acceptable. La situation des Pays de la Loire, avec ses suppressions radicales, fait écran, comme si on avait de la chance de ne perdre « que » 10 %. Il faut que les scènes nationales de la Région Sud se mobilisent pour dire que cette baisse, après des années de stagnation en contexte d’inflation des coûts, met gravement en danger notre survie même. D’autant que les Scènes nationales de la Région [Le Zef de Marseille, Les Salins de Martigues, Liberté Châteauvallon de Toulon, Théâtre Durance Château-Arnoux, La Passerelle Gap, La Garance Cavaillon, ndlr] ont globalement de petits budgets.
Une baisse prévue de l’État ?
Il semblerait que ça ne bouge pas, mais ce flou sur une année qui a commencé n’est rassurant pour personne, et on ne pourra pas continuer ainsi.
Quelles sont les conséquences actuelles des stagnations de subventions que vous avez subies ? Est-ce que vous faites moins de représentations ?
Non pas pour l’instant. On travaille sur des séries longues, 7 à 9 dates, sur les tournées Nomades, et dans nos murs le nombre de représentations n’a pas baissé. En revanche, de plus en plus souvent, nous mutualisons l’accueil de représentations, avec les Hivernales, L’Opéra d’Avignon, le Théâtre des Halles, le Centre Dramatique des Villages, le Vélo Théâtre, le Citron Jaune… Cela permet de faire circuler les publics, ce qui est bien, mais en pratique cette mutualisation des jauges diminue l’offre pour le public. Bref on truque…
Il y a aussi moins de monde au plateau, et moins de décors ?
Moins de professionnels, c’est vrai. On a des spectacles de danseurs en formation comme la compagnie Coline, des spectacles avec des amateur·ices, donc on continue d’avoir du monde au plateau, mais pour la profession c’est une catastrophe. Pour les artistes, et tous les autres métiers. Il n’y a plus de costumier·e·s, les scénographes se font rares, les métiers se perdent, aussi, les savoir-faire. Nous n’avons plus les moyens de produire correctement, et ce sont autant de spectacles qui ne naissent pas, alors que nous avons fait un effort considérable pour diffuser ensemble, mutualiser les tournées, travailler en réseaux et réfléchir les coûts.
Vous allez pourtant annoncer une deuxième partie de saison très créative !
Oui, nous avons de très belles propositions, que nous annonçons au public le 24 janvier lors de notre fête de saison. On projettera le film de Leila Ka Maldonne et elle dansera avec Jade, il y aura de la soupe à l’oignon… et des artistes de la deuxième partie de la saison. Dont Salim Djéfari pour Koulounisation, Sandrine Lescourant pour Blossom, un spectacle coproduit par le réseau Traverses en co-accueil avec les Hivernales, avec 25 amateur·ices, une danse qui allie hip-hop inventif et percussions corporelles. Note territoire s’y implique depuis octobre dans de nombreux ateliers…
Vous bénéficiez aussi du dispositif Cura ?
Oui, un nouveau dispositif qui permet aux scènes nationales d’être des lieux d’art contemporain. À Cavaillon c’est important que le théâtre soit ouvert dans la journée et quand il n’y a pas de spectacles, il faut défendre cette mixité des usages du bâti culturel. Les Vies fabuleuses sont pensées par la commissaire d’expo Anne-Sophie Bérard avec laquelle je partage beaucoup de valeurs : parité, programmation de l’émergence, des personnes racisées, goûts pour les récits d’expérience… Les œuvres de sept artistes contemporains sont en partie interactives, on peut toucher ! Cette expérience organique est importante dans un théâtre, et participe à notre projet…
Qui est ?
De réenchanter le réel !
ENTRETIEN REALISE PAR AGNÈS FRESCHEL
Fête de mi-saison
24 janvier
La Garance, Scène nationale de Cavaillon
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