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La puissance et la force

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À une spectatrice qui l’interrogeait sur la possibilité d’espérer encore un avenir face à la montée, qui semble inexorable, des violences et de l’extrême droite, Corinne Pelluchon, philosophe invitée des Rencontres d’Averroès, recommandait de guetter les « signaux faibles » dans le flux ininterrompu qui nous informe de nos défaites. D’observer ces actes de résistance, ces manières d’inventer d’autres modes de vie, de refuser les chemins tout tracés des entreprises capitalistes, de ralentir, de sortir des dominations pour construire des relations horizontales, égalitaires, dans le respect du vivant.

Opposer la puissance à la force. Face à l’élection de Javier Milei, plus catastrophique encore que celle de Bolsonaro ou de Trump, qui risque bien de revenir dans un an ; face aux crimes de guerre de Poutine qui enlève et « russifie » les enfants ukrainiens comme le faisait déjà Hitler, avec le même peuple ; face à Netanyahou qui bombarde les ambulances, les hôpitaux et les civils, et laisse des colons sans loi s’armer et abattre ceux qu’ils ont colonisés ; face au Hamas qui mène une guerre barbare qui ne peut aboutir à aucune paix, où peut-on voir des « signaux faibles »  qu’un autre avenir, désirable, est possible ?  

Face à la force, à ce « futur sans avenir », il nous faut retrouver de la puissance, et l’affirmer.  Puissance de s’opposer, comme Oumou Sangaré, aux traditions de polygamie et d’excision pour affirmer la détermination des femmes maliennes, l’importance de la musique et du corps. Puissance du trio Mademoiselle, de la mémoire de Rachid Taha qui a tant fait pour décoloniser les consciences. Puissance d’un concert symphonique à la mémoire des enfants morts, de ces festivals de cinéma qui rappellent à chaque séance qu’un autre monde est possible, porté par des femmes, des jeunes, en Méditerranée, en Espagne, en Afrique, qui parlent du peuple, de la tendresse, de la vie, simplement. 

Ces signaux faibles qu’il faut guetter et soutenir dominent aujourd’hui l’offre culturelle sur nos scènes qui luttent sans fléchir, sans discontinuer, contre les discours abrutis des médias dominants gangrénés par l’extrême droite. Lorsqu’on change de lunettes, que l’on se détourne des flux, que l’on guette, les signaux faibles deviennent assourdissants. 

La puissance des démocraties devrait consister à les aider à surgir et à vivre, pour reconstruire un avenir vivable et possible, pour tous. Sortir et partager sa culture avec d’autres, gouter à tous les arts, est plus que jamais un acte de résistance aux obscurantismes qui surviennent. 

AGNÈS FRESCHEL

Sarah McCoy la nouvelle Norma

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En première partie, la chanteuse-compositrice Liquid Jane (Jeanne Carrion) séduisait le public par la vivacité de sa voix, de ses textes, son empathie, son humour. Accompagnée de « Simon au synthé et Ben à la batterie » (ainsi les présenta-t-elle), elle proposait des chansons de son répertoire et quelques nouveautés en avant-première. Les textes renvoient au vécu, s’attachent à des détails drôles, épinglent ceux qui ont trahi leur parole, les êtres aimés puis détestés, dessinant un univers prenant servi par une voix juste et pure aux envols affirmés. Sa pop-rock-néo-soul aborde les ombres pour les transmuter en lumière. « Je suis fière de partager la scène avec Sarah McCoy, une femme aussi forte » déclarait-elle avant un dernier bis.

Diva-lionne

Il est vrai que la diva Sarah McCoy impose d’emblée une âme, un style, une approche, vivante, pugnace, mutine, blessée parfois, rebelle toujours. Seule sur scène, à genoux, elle lance son premier morceau a cappella, bouleversante de fragilité et de force. Sur le tapis électro-pop-jazzy décliné avec un talent fou par ses deux complices, Jeff Halam(basse) et Antoine Kerninon (batterie, machines), (on les avait déjà entendus en trio au Théâtre Durance en novembre 2022), sa voix puissante et nuancée déploie mots et mélodies, ostinato envoûtant d’Oracle, blues crépusculaire de Weaponize me… La vie de la chanteuse continue de nourrir ses créations soulignées par un piano qui flirte avec les ombres dans un nouveau répertoire qu’elle qualifie de « thermonucléaire », tant le bouillonnement des instruments sous-tend les incantations vocales. Le spectacle reprend les compositions de High Priestess, album qui expose « la dissection et l’interrogation de soi et de la santé mentale avec un couteau musical douloureux mais gentil » (ibid). Le refrain de Weaponize me, « each lie was just a bullet in your gun, but all it took was one, to weaponize me » (« chaque mensonge n’était qu’une balle dans ton fusil, mais il n’en fallait qu’un seul pour m’armer ») montre la jeune femme debout face aux violences reçues. Le rire homérique de la diva-lionne emporte tout, triomphe des petitesses de la vie. Si le cœur reste vulnérable, jamais l’artiste ne se pose en victime. Se moquant de ceux qui se « mettent à la place des êtres dans la peine », et serinent « I’m sorry », elle répond « I’m sorry, take it all » et se désaltère d’un verre de vin rouge disposé à côté d’elle avant de convoquer les fantômes des pianistes comme Rachmaninov au cœur d’une rêverie aux accents telluriques sur le piano. Sa première chanson en français, La fenêtre, invite les « souvenirs noirs et blancs » alors que la pluie tombe sur Paris égrenant des souvenirs douloureux. L’amour ne met pas cependant la chanteuse en état de faiblesse : elle rugit avec sa voix de blues, refait des détours par la soul, s’enracine dans la pop, orchestre les contours d’un univers personnel qui fascine l’auditeur. La musique plane, groove, s’enivre de beats obstinés, émeut, subjugue, clame une liberté qui se conquiert et c’est très beau.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 2 novembre 2023 au 6mic, Aix-en-Provence.

Je et elle (s) 

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Neige Sinno © Jean-François Robert

Le livre de Neige Sinno se fonde sur plusieurs voix narratives, points de vue pluriels d’une personne unique : la narratrice enfant, violée régulièrement par son beau-père durant sept années, la narratrice adulte qui écrit son histoire, la fille de sa mère qui n’a rien vu, la mère de sa fille qu’elle protège. Une pluralité narrative qui dit aussi comment une conscience se morcelle.

Neige et sa sœur ont des « prénoms de contes de Grimm », leurs parents étaient séparés quand leur mère avait rencontré leur futur beau-père… Dès le début de son texte, l’autrice essaie de faire le portrait de son « bourreau ». Elle s’adresse au lecteur directement, se demandant si elle doit utiliser le « je », ou plutôt « dire elle, la petite fille ». Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle veut raconter, sans mentir, en faisant se succéder des paragraphes qui portent chacun un titre. Cette exigence la soutient, sans plainte et sans aide : elle n’a jamais consulté ni analyste, ni psychologue. Sa parole directe se fait sans artifice ; elle a survécu à l’outrage, elle témoigne librement, ne s’apitoie pas, mais sa colère ne faiblit pas. Elle a voulu parler non seulement pour protéger ses sœurs et son frère (deux enfants sont nés du mariage) mais aussi pour protéger tous les autres enfants. Cependant pas de happy end, pour personne, car la blessure ne s’efface pas.

Volonté de puissance d’un prédateur

Forte de ses lectures d’Annie Ernaux, comme elle transfuge de classe, de Virginia Woolf, Christine Angot et tant d’autres dont elle cite les passages des livres qui l’ont marquée, un jour, Neige a décidé de parler à sa mère. Elles ont porté plainte toutes les deux en 1999. 

Au procès, il a déclaré qu’il n’avait pas supporté que la petite fille ne l’aime pas et lui préfère son père. Il avait avoué son crime. Sans témoin, ni preuves, s’il ne l’avait pas fait, il n’y aurait pas eu de condamnation. 

Surgitalors l’image du Tigre, figure de violence et de mort que Neige emprunte à un poème de William Blake. Il avait trouvé le sexe pour la dominer. 

Ni témoignage, ni essai, cette non-fiction narrative tente de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un prédateur. Si Neige considère que l’écriture est un pouvoir, elle l’a ressenti aussi comme un devoir. « Et la vie continue comme une route avec ses creux et ses bosses » avait-elle déclaré aux Correspondances de Manosque.

CHRIS BOURGUE

Triste tigre de Neige Sinno
P.O.L-20 €

Une semaine rythmée par Marseille Concerts 

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Francis Poulenc © X-DR

C’est devant deux salles combles que se sont produits les musiciens conviés cette semaine par Marseille Concerts : la grande salle Déméter de La Criée pour une soirée dédiée à Poulenc, et la salle La Major du Palais du Pharo, pour deux programmes moins éloignés qu’il n’y pourrait paraître. 

Nul doute que la présence, le 6 novembre, de la grande Felicity Lott et de François Morel, avait de quoi attirer un public nombreux. Mais on pouvait regretter que cette affiche n’ait pas attiré le public familial attendu, que la célèbre Histoire de Babar avait de quoi allécher. D’autant que l’ex-Deschiens n’a pas son pareil pour donner à ce conte désarmant de simplicité ce qu’il faut de naïveté et d’humour. La soprano de 76 ans s’est également emparée avec émotion et musicalité des textes de Cocteau ou d’Anouilh, qui résonnent chez Poulenc avec une poésie inédite, et que la cantatrice connaît sur le bout des doigts. Mais la vraie star de la soirée était sans conteste le pianiste Ismaël Margain, qui savait certes se faire accompagnateur en retrait pour laisser place à ces deux voix singulières, mais s’est également révélé comme un soliste sans pareil sur les très belles pièces de musique de chambre. Soit la terrassante Sonate pour flûte et piano sur laquelle Juliette Hurel s’est hissée avec grâce ; mais aussi les tout aussi sublimes sonates sur lesquelles le hautbois d’Armel Descotte et la clarinette d’Amaury Duvivier ont laissé l’auditoire sans voix. Un hommage à la hauteur du talent si souvent sous-estimé de ce compositeur à l’immense sensibilité.

On revient avec le Trio Goldberg sur le terrain des classiques, pourtant habilement revisité. Rarement joué, le Divertimento en mi bémol majeur de Mozart se révèle d’une inventivité folle : l’alto de Federico Hood rivaliserait presque de présence avec le violon de Liza Kérob, sur des passages dialogués amenant toujours l’auditeur où il ne s’y attendrait pas. L’opus 54 de Haydn, transcrit de sonates pour piano, semble quant à lui annoncer la mélancolie beethovénienne : le violoncelle redoutablement habile de Thierry Amadi s’y fait main gauche galopante. En bis, l’aria des Variations Goldberg résonne à son tour avec une modernité foudroyante, rappelant l’alchimie assez inouïe de cet ensemble dont on espère vite entendre reparler.

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 11 novembre à La Criée, Théâtre national de Marseille

Little Girl Blue : et ma mère fut… 

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Little Girl Blue © Tandem films

« My unhappy little girl blue… Ma malheureuse, ma malchanceuse petite fille triste, compte tes doigts, compte ces gouttes de pluie… je sais que tu penses que c’est la fin pour toi mais va de l’avant et reviens t’asseoir… » chante Janis Joplin. Et le titre de la chanson devient celui du film de Mona Achache. Présenté en « Séance spéciale » cette année à Cannes, Little Girl blue, quatrième long métrage de la réalisatrice, est un film hybride : documentaire et fiction, biographie et autobiographie, enquête post mortem et résurrection fictionnelle d’une chère disparue. Plongée dans l’histoire familiale pour reconstituer des crimes non nommés, impunis.

Carole Achache, la mère de Mona, se pend en 2016. Elle laisse derrière elle des caisses de lettres, carnets, textes, agendas, cassettes, photographies. Dans une usine désaffectée qui sert de décor principal au film, Mona, au milieu des documents éparpillés comme après une perquisition ou devant des murs tapissés de photos, comme dans un polar, cherche à percer l’énigme. Elle est à la fois derrière et devant la caméra, dehors et dedans. Pour établir une distance tout en se confrontant charnellement à sa mère défunte, elle demande à Marion Cotillard, de l’incarner. Sous nos yeux admiratifs, l’actrice se métamorphose. Se glisse dans le vieux jean de Carole, adopte sa coiffure, la couleur de ses yeux, ses bijoux, son parfum et se synchronise sur sa voix enregistrée. Comment une petite fille élevée dans un milieu intellectuel et bourgeois, au savoir précoce, a-t-elle pu être si malheureuse ? Comment sa rébellion, dans l’effervescence de 1968, est-elle devenue si destructrice ? 

Qui va lire ?

Drogue, prostitution, échecs de romancière, refuge dans un conformisme social pour compenser « le bordel en elle ». Maternité qui reprend le fil des traumatismes, la « malédiction familiale », les mythologies des agressions sexuelles sublimées, la transmission de la douleur féminine. Car très vite apparaît un autre rapport filial difficile, celui entre Carole et sa propre mère, Monique Lange, écrivaine et éditrice chez Gallimard dans les années d’après guerre. Une mère sur laquelle elle a écrit. Une femme brillante qui côtoyait Semprun, Duras, Beauvoir, Yourcenar et surtout Jean Genet auquel elle vouait un amour et une admiration sans borne. Le génial Genet, manipulateur et pervers, poussant la jeune Carole de douze ans dans des défis sexuels – comme il poussa son ex-amant funambule, Abdallah vers la mort. Un grand homme dégueulasse qui instilla en Carole « une conduite d’échec remarquable ». La grand-mère Monique, violée autrefois dans les rues de Pampelune, a-t-elle su ? Ou a-t-elle considéré ce viol comme un passage obligé, tout comme Carole quand Mona lui dira ce que lui a fait l’amant de son grand-père Juan et son impossibilité de lui dire non. On pense aux témoignages de Camille Kouchner ou de Vanessa Springora. Et à tout ce silence consenti. 

« Qui va lire ce que j’écris au fond de ce dossier ? Et pourquoi cet espoir d’être comprise, trouvée et donc sauvée ? » écrit Carole. C’est sa fille Mona qui la lit, la comprend et peut-être se sauve en la sauvant, s’imaginant poser sur ses épaules, un chandail de réconfort dans un geste maternel et tendre qui anéantit le malheur. 

ÉLISE PADOVANI

Little Girl Blue, de Mona Achache
En salles depuis le 15 novembre

La Friche défriche Guédiguian

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© C. Dutrey

Organisée par Pilotine Production et Agat Film & Cie/Ex Nihilo (Collectif de producteurs auquel appartient le réalisateur), soutenu par la Ville de Marseille et parrainée par Télérama, l’exposition Robert Guédiguian – Avec le cœur conscient propose un voyage immersif en Guédiguianie. Un véritable territoire, ancré dans une géographie personnelle, possédant sa propre langue et ses mots-clés : Estaque, Arménie, universalisme, humanisme, révolution permanente, politique, tribu, fidélité, combat. Chaque thème se déclinant dans des îlots de visionnement par un montage d’extraits de films. Un territoire avec son histoire, ses histoires, ses figures tutélaires. Entre autres, Pasolini dont les derniers vers des Cendres de Gramsci donnent son titre à l’exposition : « Mais moi, avec le cœur conscient de celui qui ne peut vivre que dans l’histoire, pourrais-je désormais œuvrer de passion pure puisque je sais que notre histoire est finie ». Tolstoï aussi qui nous souffle : « si tu veux parler de l’Universel, parle de ton village », et Brecht, et Jaurès, et Marx, et Saint Matthieu.

43 ans de cinéma, 24 films, dont une Pie Voleuse à venir. De Dernier été en 1981 qui réunissait Ariane Ascaride et Gérard Meylan au tout récent Et la fête continue ! – Ariane en fil conducteur, donnant réplique à Jean-Pierre Darroussin, son éternel complice.

Un long parcours jalonné de photos de tournages tous formats, d’archives personnelles, d’affiches, d’articles engagés du réalisateur parus dans Libération, le Monde, l’Humanité, de documents de travail – comme ces cahiers d’écoliers manuscrits où s’esquissent des projets parfois inaboutis, ces story-boards, ou ces découpages de scènes par Robert Sassia. L’emblématique  BMW 50/2 61, moto que le réalisateur avait acquise après son bac et qu’il a fait « jouer » dans Twist à Bamako, trône là, emblématique des liens étroits entre sa vie et son cinéma.

Dans les coulisses de Guédiguian

Cette rétrospective part d’une hypothèse de Robert Guédiguian : « peut-être ne fais-je du cinéma que pour perpétuer ma tribu d’origine ». Origine prolétaire matérialisée par des bleus de travail qui tapissent un mur entier. Le cinéma pour continuer, après l’écroulement des utopies,  à vivre des moments d’utopie. Le cœur – mélodrames, tragédies, comédies, associé à l’éveil de la conscience.

Ceux qui suivent le réalisateur depuis ses débuts n’apprendront rien ici, mais découvriront les coulisses de l’œuvre, reverront avec plaisir les scènes cultes, retrouveront, dans des films qui se déroulent loin de Marseille et de la Côte bleue, l’incroyable Michel Bouquet dans le rôle de Mitterrand et Simon Abkarian incarnant Missak Manouchian. Ils percevront la profondeur de champ que donnent les années. De film en film, Ascaride, Meylan, Darroussin, Guédiguian, Boudet, vieillissent. De jeunes comédiens viennent s’agréger à la troupe initiale : Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin. Grégoire Leprince-Ringuet. Parmi ceux qui ont connu Le Perroquet bleu, Pascale Roberts et les coups de klaxon sous le tunnel du Rove certains éprouveront un peu de nostalgie. Mais tous percevront la cohérence d’une œuvre qui loin de tout folklore, et de tout passéisme, ne cesse d’affirmer des valeurs universelles et actuelles.

ÉLISE PADOVANI

Robert Guédiguian - Avec le cœur conscient 
Jusqu’au 14 janvier
Friche la Belle de Mai, Marseille

Sens dessus dessous

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Antipodes © Yvon Alain

Josette Baïz ne cesse de se lancer des défis, auxquels elle associe d’autres chorégraphes, et dans lesquels elle embarque les danseurs de sa compagnie, Grenade. Ceux-ci, pour Antipodes, sa dernière création, ont dû s’éloigner des bases de leur formation essentiellement contemporaine. Ils  interpréteront des extraits de The Roots, signée Kader Attou, auprès de qui ils ont expérimenté les gestes hip-hop, break et popping. Petite dernière, œuvre de Nicolas Chaigneau et Claire Laureau, les emmène vers la danse théâtre, pratique hybride dont les deux artistes sont coutumiers. Par ailleurs, Josette Baïz a également fait appel à son confrère espagnol Iván Pérez, lequel présente un extrait de Young Men, portant sur la Première guerre mondiale, et le destin militaire de jeunes gens « tentant de maintenir leur humanité dans un cycle sans fin de combat et de mort ». Enfin, deux membres de la troupe, Maxime Bordessoules et Rémy Rodriguez, sont aux manettes pour chorégraphier – SIAS, une pièce inspirée du personnage de Tirésias, passé d’un genre à l’autre dans la mythologie grecque. À noter : la représentation du 7 novembre, à 20 h, sera précédée d’une avant-scène débutant à 19 h : une rencontre avec Josette Baïz, animée par Marina Lhuillier, au bar d’entracte du GTP.

GAËLLE CLOAREC

Antipodes
6 et 7 novembre
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
lestheatres.net

Une grande première ? 

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How not to have sex © Condor

Si l’intérêt d’un film se jauge aux plans qu’il laisse dans la mémoire, How to have sex de Molly Manning Walker est vraiment un film intéressant. Premier long métrage de la jeune réalisatrice britannique, il donne promesse d’un après. Et, aborde, sans discours moralisateur, le sujet complexe du consentement féminin si longtemps esquivé, en adoptant un dispositif immersif qui permet de ressentir l’euphorie, le malaise et la confusion des émotions. 

Skye (Lara Peake),Em (Enva Lewis) et Tara (Mia McKenna Bruce) sont trois amies qui viennent de passer leurs examens de fin de lycée. Les deux premières, « intellos », sûres de leur réussite. La troisième, plus jeune, plus fragile et sûre de son échec. En attendant les résultats, elles partent en vacances à Malia en Crète. Le cordon ombilical à peine coupé – les mères encore au téléphone –, il s’agit de s’éclater et pour Tara de perdre sa virginité. À l’hôtel où elles s’installent, leurs voisins de balcon et de chambrée ont le même âge. Deux bogoss : Badger, le blond maladroit et doux (Shan Thomas), Paddy, le brun, caricature de mâle alpha, pas très futé (Samuel Bottomley), et Paige (Laura Ambler), lesbienne, un peu en retrait. Le chassé-croisé des désirs, des dits et non-dits peut commencer. Jours et nuits de fêtes ininterrompues, de bitures, d’ébats aquatiques, d’euphorie, mais aussi de gueule de bois, de gerbes et finalement de tristesse pour Tara. 

Acte et diktat

À l’écran, des corps de jeunes filles qui se préparent aux regards désirants, dans les fous rires complices, en se moulant dans des robes aux couleurs criardes et aux décolletés audacieux. Des corps dorés qui exultent dans la piscine surpeuplée de l’hôtel, sous le soleil exactement, ou se contorsionnent sur le dance floor dans la nuit électrique des boîtes. Se prêtent aux jeux trash des animateurs censés faire rire, « faire cool ». S’exhibent dans un concours de bandaison et fellation publique. Se cherchent, se frottent, s’éloignent. Et une main, celle de Tara qui se crispe dans le sable mouillé et froid d’une nuit-fin de partie, quand, sans désir, son corps s’ouvre à celui qui l’a entraînée là. Tara, encore, au petit matin dans une rue déserte jonchée des détritus de la fête, qui avance seule et désemparée vers nous.

La réalisatrice parle avec liberté de la prison des normes sociales : diktat de la fête avec ivresse et rires gras, transgression balisée, codifiée. Injonctions pour perdre sa virginité s’imposant sournoisement aux jeunes filles (comme aux jeunes hommes), rite d’initiation nécessaire pour appartenir au groupe. Une pression extérieure trop puissante pour Tara, qui, au lieu de découvrir le plaisir partagé, se soumet passivement à un acte douloureux et glauque non désiré. 

ÉLISE PADOVANI

How to have sex, de Molly Manning Walker
En salles depuis le 15 novembre
Le film a obtenu le prix Un Certain Regard 2023 

Changer les faces du monde

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« Bankoku Meisho Zukushi no Uchi » [Énumération complète des lieux célèbres des pays étrangers]. Utagawa Yoshitora (1836-1880). Japon, 1862-1863, époque d’Edo. Estampe. Musée national des Arts asiatiques - Guimet, Paris © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

L’histoire s’écrit dans les travaux universitaires, éventuellement les journaux, mais aussi dans les musées. Trop longtemps, ces institutions ont présenté au public de quoi conforter le « roman national » – et parfois international – avec les préjugés propres à chaque époque. La nôtre a évidemment les siens, mais elle essaie tant bien que mal de desserrer l’étau des intolérances, d’ouvrir l’historiographie à d’autres cultures que celle de l’Occident, hégémonique depuis peu ou prou deux siècles. Pour un établissement dit « de société », tel que le Mucem, il s’agit de sonder les courants et les contextes sans conformisme, en acceptant de remettre en question ses propres approches.

Avant de céder la place à son successeur Pierre-Olivier Costa, l’ex-président du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Jean-François Chougnet, avait programmé une exposition allant dans ce sens. Une autre histoire du monde, conçue par les commissaires Fabrice Argounés, Camille Faucourt et Pierre Singaravélou, s’ouvre en ce mois de novembre avec l’ambition de promouvoir des récits différents, en abandonnant la perspective occidentale.

Entre la présence et l’absence

Logiquement, le parcours ne présente pas de linéarité chronologique ou de préséance géographique. Le travail des trois maîtres d’œuvre a plutôt consisté à relever des parallèles, divergences, récurrences, lignes de force, dans l’infinité de représentations du temps et de l’espace que les êtres humains ont pu élaborer au fil des siècles. Ils se sont servis pour cela d’une fine sélection de calendriers et surtout cartes, très impressionnantes dans leur variété et leur profusion. Ou bien de supports de narration, tels que ce bambou gravé de Nouvelle-Calédonie qui relate en dessins l’arrivée des colonisateurs français à partir de 1853, ou cette peau de bison peinte, témoignant des exploits d’un guerrier Sioux à peu près au même moment, mais très loin de l’île. En n’oubliant pas les traditions orales, mises en valeur dans un intelligent dispositif sonore par Chloé Despax. En laissant sa place à l’inconnu (ces khipus incas, fines cordelettes à nœuds, servaient-ils à compter les jours, les données démographiques, les tributs, les inventaires ?). Ou à ce qui est perdu, du fait de l’impitoyable tri opéré par les vainqueurs dans la mémoire des peuples. Une vitrine est ainsi restée vide, car elle symbolise les « fantômes de l’histoire matérielle et culturelle de l’humanité ».

Pour aller plus loin
Le catalogue de l'exposition, co-édité par le Mucem et Gallimard, est un beau cadeau à (se) faire au moment des fêtes, afin d'approfondir la pluralité des récits historiques présentés sur les cimaises du musée, et leurs résonances actuelles. On y trouve notamment une série de créations graphiques, aquarelles, encres, gravures ou pastels, inspirées à des illustrateurs contemporains par des œuvres et objets figurant dans le parcours.
Éditions Gallimard/Mucem - 26,50 €

Renversement de la carte

Avec la mondialisation, entamée bien plus tôt qu’on ne le croit souvent, les mythologies et cosmologies se sont percutées, hybridées, autant que les sciences et les techniques ont pu se répandre, se succéder les unes aux autres. Il est intéressant de voir comment l’architecture occidentale a intrigué les Indiens, comment Chinois et Iraniens percevaient les mœurs européennes. L’armement, en tout cas, a l’air d’en avoir fasciné plus d’un, si l’on en croit les scènes de chasse ou les mousquets figurant dans les œuvres picturales présentées. Les habitants d’Afrique ou d’Asie ont-ils eu spontanément envie d’adopter nos codes ? Sans doute parfois, mais l’exposition ne dissimule pas la terrible vérité : pour généraliser notre vision du monde, linéaire et évolutionniste, ce qui implique d’énormes conséquences, particulièrement le concept de progrès et celui de civilisation, il fallut partout en passer par la violence militaire, l’oppression, l’acculturation. Il est temps de renverser les perspectives, comme le revendique Chéri Samba au pied d’une grande toile, La Vraie Carte du monde, réalisée par l’artiste en 2011 : « placer l’Europe en haut est une astuce psychologique inventée par ceux qui croient être en haut, pour qu’à leur tour les autres pensent être en bas ».

GAËLLE CLOAREC

Une autre histoire du monde
Jusqu'au 11 mars
Mucem, Marseille

Les procès du siècle - Saison 3
Luttes en partage : tel est le thème prometteur de la troisième série de rencontres organisées dans l'auditorium Germaine Tillon. Au « croisement du débat, du théâtre et de l’instruction judiciaire », les échanges porteront sur les droits humains et les droits de la Terre. Après l'ouverture de saison en fanfare, aux côtés de la rock star de l'éco-féminisme, Vandana Shiva, invitée par Opera Mundi le 16 novembre, Salomé Saqué, auteure du livre Sois jeune et tais-toi, débattra avec le sénateur David Assouline, puis Mame-Fatou Niang (enseignante-chercheuse et artiste) avec Seumboy Vrainom :€ (artiste et militant) autour des notions de post, néo ou décolonialisme.
À suivre tous les lundis soirs à 19 h, en entrée libre. G.C.

Vivre en Palestine

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Milk du palestinien Bashar Murkus, qui se joue également les 16 et17 novembre au Théâtre des 13 vents de Montpellier, a bouleversé le dernier Festival d’Avignon. Le spectacle est d’une actualité hélas saisissante, comme si les artistes et programmateurs avaient pressenti que la scène tragique de la Méditerranée et du monde se jouerait là, en Palestine, aujourd’hui. Des femmes, des mères, y portent comme une promesse des ventres énormes, puis dans le même geste les corps de leurs enfants morts. Elles déversent des larmes de lait que leurs enfants ne boiront plus, pataugent dans tout ce blanc qui se teinte de sang. Un spectacle d’une beauté sidérante, sur cet impossible deuil qui est celui de toutes les mères des pays en guerre.

Le point de vue de Samaa Wakim est tout aussi universel, bien que très palestinien encore. La chorégraphe interprète dans Losing it une danse inspirée par l’omniprésence de la menace, des sifflements des missiles et des balles, de l’arrêt du chant des oiseaux. Sur un ring, accompagné par la musique live très concrète de Samar Haddad King, elle écrit en son corps la mémoire des générations disparues, des familles sans terre et sans paix. 

Déchirement intérieur

Le monologue d’Ahmed Tobasi, And here I am,prend lui aussi racine dans les souffrances palestiniennes. Celui qui est devenu comédien y raconte sa propre histoire qui interroge profondément la notion de résistance et de combat. Scénarisé par l’écrivain iraquien Hassan Abulrazzak, son récit se décline en épisodes successifs qu’il raconte avec la distance que le temps permet. Car sa vie n’a jamais été tranquille, depuis son adolescence jusqu’à la prison, en passant par la description des amas de déchets à Jenine, et à son engagement dans le jihad islamique, son déchirement intérieur, sa façon aujourd’hui de résister en ayant déposé les armes. Sauf celle du théâtre, dont on attend qu’elle soit efficace. 

AGNÈS FRESCHEL

Focus Palestine 
Milk le 21 novembre à 19h
And Here I am le 21 novembre à 21h et le 22 novembre à 19h
Losing it le 23 novembre à 20h
Théâtre Joliette, Marseille
theatrejoliette.fr