lundi 21 avril 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 221

La parole libérée

0
Parloir © Simon Gosselin

La pièce écrite et mise en scène par Delphine Hecquet met en situation une mère face à sa fille venue la visiter en prison. Le motif de la condamnation d’Élisabeth se dessinera peu à peu mais là n’est pas le cœur de la pièce. Sa jeune metteuse en scène s’intéresse moins aux raisons et aux conditions de son enfermement qu’aux relations entre les deux femmes. À la libération de la parole intime, sa résonance entre les quatre murs gris et les mots qui jonglent avec les longs silences. La mère et la fille, jouées avec un tact et une sincérité bouleversante par Marie Brunet et Mathilde Viseux, vont mettre à nu leurs âmes meurtries et faire tomber un à un les masques. Les non-dits éclaboussent la vérité, les mensonges se fissurent, les incompréhensions s’estompent au fur et à mesure que leur amour se renforce.

Dans un espace paradoxalement ouvert au plateau (le contraire d’un parloir étouffant), c’est là un parti-pris scénographique intéressant, avec seulement une table, deux chaises et une estrade pivotante, la mise en scène explore les recoins de chacune. Tour à tour face-à-face, dos au public, debout ou assises, elles vont se frôler les mains avant de s’étreindre longuement… Aucun artifice superflu, ni jeu de lumières extravagant, ni bande sonore bavarde, seulement le talent de deux comédiennes et un texte puissant qui oscille entre documentaire et fiction pour créer sa propre narration. Cette tragédie contemporaine se fait l’écho de la situation de milliers de femmes battues en France, prisonnières déjà de la chape de plomb qui pèsent sur elles, de leur impossibilité à parler, même aux proches. Jusqu’à l’irréparable.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Parloir a été joué le 23 mai à Châteauvallon, scène nationale d’Ollioules dans le cadre du Théma « Justice es-tu là ? » et en prélude au festival Vis-à-Vis, temps fort de la création artistique en milieu carcéral (du 31mai au 2 juin, Ollioules et Toulon). 

La Yegros : coup de jaune pour le Silvain

0
La Yegros, le 8 juin au Théâtre Silvain © N.S.

C’est une anarchie pittoresque qu’on aime à retrouver. Celle des voitures qui inventent des places pour se garer et des scooters qui débordent – un peu – sur la chaussée. À l’heure du chassé-croisé entre plagistes et spectateurs du concert, on imagine déjà que l’affiche sera un succès. La descente vers le Théâtre Silvain ne laisse plus de doute, ce sont plusieurs milliers de personnes qui déboulent pour s’ambiancer de la nu-cumbia de La Yegros, l’artiste argentine installée en France depuis quelques années.

L’invitation a été lancée par Le Molotov, qui prend place dans l’amphithéâtre le temps de deux soirées. Et ce n’est pas un hasard si le public est au rendez-vous, quand on sait que la salle du cours Julien a depuis longtemps fédéré la communauté cumbia autour d’elle.

C’est donc naturellement les fers de lance du genre à Marseille qui ouvrent la soirée, avec la Cumbia Chicharra. Une mise en bouche parfaite avant celle que tout le monde attend, qui débarque sur scène avec un astucieux gilet-chapeau jaune en fourrure.

Autour d’elle, l’ambiance est tropicale. Par sa musique certes, mais aussi par les nombreuses fleurs et autres plantes disséminées partout sur la scène, renforçant quelque peu l’impression de voyage musical auquel on assiste. La Yegros égrène ses morceaux avec l’énergie qu’on lui connaît, bien aidée par des musiciens sûrs de leurs instruments, à cheval entre tradition – bandonéon, bongos… – et modernité électrique – guitare, claviers… Le public, plutôt jeune, répond avec enthousiasme à son chant tout en scansion, et en émotion. La fureur tropicale laisse finalement place au silence, mais pendant quelques heures seulement. Le lendemain c’est une autre fureur qui est attendue, venue du Moyen Orient cette fois, avec le dakbe électronique d’Omar Souleyman. De quoi parfaitement lancer la saison estivale d’un théâtre centenaire, en forme comme jamais.

NICOLAS SANTUCCI

La Yegros a donné son concert le 8 juin au Théâtre Silvain, à Marseille.

Notre joie 

0

Il est une chose qu’ils n’auront pas. Notre joie. 

Ils auront beau raccourcir notre vie de retraite, exiger que les bénéficiaires des minimas sociaux travaillent gratuitement, raser les maisons des Comoriens pauvres, détruire l’éducation nationale, appauvrir les collectivités territoriales, renforcer inutilement les normes de sécurité en espace public, restreindre pendant des années les jauges des spectacles, nous confiner. 

Ils auront beau baisser les subventions pour des motifs idéologiques, interdire les festivals pendant les Jeux olympiques, remettre en cause la précieuse liberté d’expression des artistes, exiger des drones pour surveiller les foules des concerts, au frais des organisateurs. 

Ils auront beau nous imposer une société de surveillance et de censure, qui prend des faux airs des dictatures où l’on brûle les livres, ils n’auront pas notre joie. 

Les citoyens plébiscitent la culture partagée. Toutes les cultures, toute l’année. Et les festivals sont l’âme estivale des villes du Sud, indissociables de leur attrait, indispensables pour panser les plaies et penser le présent. 

Sur nos scènes, le combat s’installe. Au Festival de Marseille, qui commence par une grande œuvre participative et militante Parades & Désobéissances. À Septèmes-les-Vallons où la Fête se fait Offensive. À Aubagne où les arts de la rue offrent gratuitement des sources de réjouissance et de participation à la danse. À La Criée, où les habitants de la Belle de Mai s’emparent de la scène pour une relecture des Suppliantes. À Marsatac, pourvoyeur labellisé de joie collective. Et même à Aix-en-Provence, où juste avant le festival le plus cher et le plus dispendieux de la région, après Cannes, Aix en Juin s’offre de très belles prémices : les séances de cinéma gratuites parlent des Misérables et les chambristes classiques combinent les répertoires méditerranéens, toujours aussi gratuitement… 

On se retrouve où ? 

AGNÈS FRESCHEL

Du choix et de la liberté

0
©L'Ouvre-boîte

Le nouveau spectacle de Jeanne Béziers, Prends garde à toi ! est une commande du Relais des Possibles à l’occasion de son quarantième anniversaire. Cette association cherche à apporter des solutions concrètes contre les ségrégations, les violences faites aux femmes et aux enfants. Prolongeant le travail mené avec Mikhaël Piccone et son équipe du Calms autour de l’opéra de Bizet, Carmen, le Relais des Possibles a souhaité le faire aboutir par un spectacle. La collaboration avec Jeanne Béziers est devenue évidente, la comédienne et dramaturge, excelle (entre autres talents) dans l’écoute et la translittération des paroles recueillies (comme dans Riquet, Opéra Miroir).  

L’artiste et ses complices ont enregistré des témoignages de résidentes du Relais des Possibles, et les ont incorporés au récit de l’histoire de Carmen et son « pervers narcissique » Don José. La narration de la nouvelle de Mérimée se voit augmentée des vies qui affleurent en troublants parallèles. La distanciation entre le rôle joué et la vie vécue se délite : les quatre acteurs-chanteurs-musiciens sont à la fois les résidentes du Relais des Possibles, les personnages de l’opéra, les metteurs en scène, les meneurs de jeu, en une confusion fructueuse qui accorde à Carmen une dimension universelle, et remet les thèmes à l’endroit : oui Carmen est le symbole d’une femme libre, mais elle est la victime. Le modèle qui survit est celui de Michaela, soumise, fade, mais qui entre parfaitement dans les modèles instaurés par le patriarcat. Il est question de pouvoir, de domination, d’asservissement, de liberté enfin qui ne peut exister que dans et par l’égalité. Les musiques de Martin Mabz (chant, jeu, piano) croisent celle de Bizet, apportent dissonances et contrechants signifiants, soulignées par les batterie et percussions de l’inénarrable Jean-Philippe Barrios tandis qu’Isabelle Desmero (chant, jeu, orgue) tient tête à Jeanne Béziers (chant, jeu). Le tout est animé d’une énergie salvatrice et jubilatoire. Le rire permet d’échapper à un pathos facile et nous pousse vers l’analyse et la réflexion. La légèreté se conjugue ici à la profondeur avec intelligence. Bravo !

MARYVONNE COLOMBANI

Prends garde à toi ! a été donné le 2 juin, en sortie de résidence à L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence

À venir
17 juin : extrait du spectacle parc Rambot (Aix-en-Provence)
22 juin : création place Verdun (devant le Palais de Justice), Aix-en-Provence

La Vague Classique déferle sur Six-Fours !

0
Mathilde Calderini et Anais Gaudemard dans la cour d'honneur de la Maison du Cygne le 10 juin © Six-Fours-les-Plages Vague Classique

Grâce à son époustouflante programmation, la Vague Classique fait entrer avec ses Nuits du Cygne Six-Fours-les-Plages dans le cercle très fermé des festivals internationaux. Le jeune pianiste russe, Alexander Malofeev, venait ainsi en soliste avec un ensemble de pièces oniriques dont la fluide interprétation s’accordait au cadre du parc de la Maison du Cygne. Le célébrissime Clair de lune de Beethoven ouvrait la soirée. Le premier mouvement et sa mélodie au dessin en épure délicatement posée sur le phrasé ostinato de la main gauche prend des allures de méditation poétique. La jeunesse du pianiste ajoute à une technique virtuose la sensation de fragilité d’une âme qui s’adresse au monde, ourle les ombres de la 2e Sonate op. 35 dite Funèbre de Chopin d’une palette aux nuances infinies, prolongées comme en écho par le  Prélude en ut dièse mineur et le Nocturne en ré bémol majeur pour la main gauche de Scriabine, dont la mystique trouve ici une bouleversante intériorité. Y répondent des pièces de Rachmaninov, équilibre funambulesque entre rigueur et expression avant la théâtrale Paraphrase de concert sur l’ouverture de Tannhäuser de Liszt qui transcende le manichéisme en une fusion entre scintillements tentateurs et ligne dépouillée de la pureté…

Lumineuses interprètes

Le dernier bis offert à un public subjugué l’emportait dans l’énergie mécanique et espiègle de la Toccata de Prokofiev. Éblouissements que prolongeait le duo composé par la subtile harpiste Anaïs Gaudemard, sans doute l’une des plus brillantes de sa génération, et la flûtiste Mathilde Calderini. Avec finesse, les deux jeunes artistes conviaient à un voyage dans le temps et la géographie : on s’arqueboute à l’incontournable socle qu’est Jean-Sébastien Bach, puis l’on s’embarque avec Debussy, on s’égare avec Saint-Saëns, on danse avec Bartok, on s’émeut avec la Danse des Esprits bienheureux de Gluck (le rappel familier de Nelson Freire), avant que Piazzola ne nous raconte l’Histoire du tango. La précision, le sens aigu des nuances, de la mélodie, des registres, des paysages, des variations de tempi, étaient exaltés par les personnalités lumineuses des interprètes. Délectations de gourmets !

MARYVONNE COLOMBANI

Concerts donnés dans le cadre des Nuits du Cygne les 8 et l0 juin à la Maison du Cygne, Six-Fours-les-Plages.

À venir
17 et 18 juin
Week-end de clôture avec Gauthier Capuçon

« Le Processus de Paix », couple comique

0

On connait Ilan  Klipper pour ses explorations des frontières entre raison et folie,  intégration et marginalité. Par le documentaire ou la fiction ( Funambules, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête), il a mis en lumière des personnes-personnages, riches d’une humanité fragile, cherchant à se définir par rapport à une norme. Avec Le Processus de Paix, le réalisateur s’essaie à la comédie et nous plonge dans le quotidien banal, trivial, d’un couple hétéro lambda. Quadragénaires urbains, middle class, dix ans de mariage au compteur, deux enfants – fille et garçon pour le parfait équilibre. Une famille Ricoré en somme – avec toutefois un peu plus de désordre dans l’appartement, un lave vaisselle à vider, des couches sales, des pleurs de bébé, des cris et crises, et une crudité non édulcorée, absente de la célèbre publicité. Une normalité qui ne satisfait plus personne et frise la folie. Simon (Damien Bonnard) est juif non pratiquant soumis à une mère tyrannique, féministe, non conformiste, grand- mère volontiers indigne, interprétée malicieusement par Ariane Ascaride. Il est professeur d’histoire à l’Université. Tout en étant un père et époux « moderne » (c’est à dire qui partage les charges domestiques et éducatives), il croit au mariage dans sa forme traditionnelle et à la famille. Marie (Camille Chamoux qui a co-écrit le scénario) présente Point G. une émission radio sur les désirs des femmes, réprimant les siens et rongeant son frein devant les injustices de son milieu professionnel. Tous deux s’aiment encore mais ne se supportent plus. Ah ! les portes de placard laissées ouvertes ! Les poils sur le canapé et les divergences éducatives ! Comment font les autres ?

La sœur de Simon, Esther (Sabrina Seyvecou), et  son conjoint Jérôme (Sofian Khammes) vivent l’apocalypse permanente avec quatre moutards explosifs, et finiront par divorcer en chantant « S’aimer comme on se quitte » un grand sourire aux lèvres. Nadia, la collègue de travail de Marie (impériale Jeanne Balibar) a choisi le célibat et consomme quasi compulsivement tous les mâles «  baisables » à la ronde. Le patron de la radio, (Laurent Poitrenaux) drapé de son autorité, papillonne. Tel limite la cohabitation avec la mère de ses enfants à de courtes vacances sans eux. Tel autre déplore la fin du mâle Alpha cause selon les thèses réactionnaires bien connues de la déconfiture des familles. Le couple est au centre des conversations dans les soirées privées comme au travail. Chacun donne ses « ficelles ». La paix des ménages serait-elle une guerre de position ? Pour enclencher la pacification et rendre leur vie plus supportable, inspirée par le modèle de la charte de co-parentalité que leur explique un ami, Simon et Marie décident de rédiger la leur : la Charte universelle des droits du couple en dix commandements et de les suivre tant bien que mal. Mais la raison peut-elle remédier aux frustrations ? Peut-on « gérer » la vie et l’amour par un traité diplomatique ? Le propos, au fond, reste dans la lignée des réflexions de Ilan Klipper sur la norme – conjugale ici, et sur tout ce qui la « déborde ». Le film, nourri d’expériences personnelles, selon le réalisateur et sa co-scénariste, ne manque pas de charme jusque dans la caricature assumée. Mais,  loin de la grâce subtile du Voyage en Italie de Sophie Letourneur, de la noirceur viscérale de Bergman et de l’acuité analytique d’un Woody Allen, magistraux sur le sujet, Le Processus de paix reste au niveau d’un discours ambiant ressassé par les médias. L’analogie avec le conflit israélo-palestinien enseigné par Simon à la fac, peut également paraître contestable, voire dérangeante. Il n’y a jamais eu de mariage d’amour entre les belligérants du Moyen-Orient, ni d’enfants d’un même lit à élever. Quelle que soit la violence générée par une mésentente maritale, ce n’est définitivement pas de la même guerre dont on parle.

ÉLISE PADOVANI

Le processus de la paix, de Ilan Klipper
En salles le 14 juin

Chien de la casse, le meilleur ami de l’homme

0
© SylverePetit

Un  chien de la casse, c’est un être agressif comme un chien de garde. C’est aussi le titre du premier long métrage de Jean-Baptiste Durand, un film âpre et doux à la fois, comme ses personnages, Dog (Anthony Bajon) et Mirales (Raphael Quénard), toujours accompagné de son chien, Malabar qu’il soigne avec amour. 

On est à Pouget, un petit village aux ruelles tortueuses, entre Montpellier et Béziers. La vie s’écoule lentement. Les jeunes trainent, s’y ennuient, jouent au ballon, dealent et fument du shit, boivent et le soir se retrouvent dans leur QG : la Place Haute. Parfois, on s’embrouille. Mirales et Dog sont unis depuis l’enfance par un lien d’amitié très fort mais aussi de domination l’un sur l’autre. Mirales, gouailleur, très extraverti mais cabossé par la vie, grand lecteur, cite Montaigne, lit Hesse. Très serviable avec les vieux du village, il s’occupe d’une mère dépressive qui peint mais n’expose jamais. Dog est taiseux, effacé, pataud, se fait souvent taquiner, malmener, brutaliser par les autres en particulier par son ami qui ne sait pas exprimer autrement ses sentiments : « il faut beaucoup d’amour pour supporter Dog toute la journée», plaisante Mirales. 

Trouver sa place

Quand, un jour, tout bascule. Dog prend en stop Lisa (Galatéa Bellugi), une étudiante venue de Rennes passer quelque temps au village chez sa tante pour économiser son loyer. Elsa est attirée par le côté fragile et calme de Dog qui tombe amoureux. Cette fille lui parle gentiment, le respecte et le défend. Une véritable trahison pour Mirales qui, jaloux, tente de briser cette relation, ne supportant pas de se retrouver seul face à lui-même. « On n’est pas ami, on est frères, l’avantage c’est qu’on peut être ennemi, on reste frères ! », lui assène-t-il quand la situation se complique. Lisa ne supportant plus sa passivité face aux humiliations répétées, Dog réagit enfin et renvoie à Mirales ce qu’il est : sans ami, sans travail, sans copine. Il faudra un drame pour qu’ils se retrouvent, changés, mûris, apaisés, chacun ayant trouvé sa place.  

Cette amitié inconditionnelle et presque étouffante est filmée avec beaucoup de bienveillance et de pudeur par un cinéaste qui ne juge aucun de ses personnages. Jean-Baptiste Durand a travaillé avec la compositrice Delphine Malaussena, lui demandant une musique  qui souligne et accompagne personnages et lieux : « Très vite, j’ai souhaité une musique tendant vers le lyrique avec ce “vocello”, alliance de voix et violoncelle. [Ce dernier] étant l’instrument le plus proche de la voix humaine, en matière de tessiture et de sonorité, le lyrisme de la musique pouvait dire ce que les personnages n’osent pas. Comme il y a une  grande pudeur dans les dialogues, j’ai pu rééquilibrer avec la musique. »

ANNIE GAVA

Chien de la casse, de Jean-Baptiste Durand
En salle depuis le 19 avril

« Tilo Koto » en ciné-débat aux Variétés

0
La Vingt-Cinquième Heure

De nombreux cinéastes ont conçu des projets autour de l’émigration africaine. Dénoncer les conditions inhumaines du voyage vers l’Europe, l’indécence de l’accueil de ceux qui n’ont pas succombé aux tortures et/ou ont survécu aux naufrages. Montrer aussi les initiatives de sauvetage, les désobéissances civiles qui s’opposent à l’hypocrisie des politiques de l’Union en la matière. Chercher à comprendre ce qu’il faut de guerres, de misère, de détresse pour quitter sa famille et s’entasser dans des rafiots branlants. Comprendre pourquoi, il est si difficile de revenir sans argent et sans perspective quand les familles se sont endettées pour permettre l’exil. Raconter les destins incroyables de ces Désespérés. Tilo Koto, sous le soleil,le documentaire de  Sophie Bachelier et Valérie Malek, rappelle tout cela, en adoptant, et c’est là son originalité, le point de vue du Casamançais Yancouba Badji. Parti à 17 ans du Sénégal, échouant dans un camp tunisien après avoir connu l’enfer en Libye, le jeune homme, après quatre tentatives de traversée vers l’Italie, est revenu au pays où il cherche désormais à dissuader les candidats à l’exil. Il  leur dit ce qui les attend vraiment, loin des rêves et des mensonges des passeurs : le racket, les prisons libyennes, la torture, les filles vendues, violées, battues. Artiste, Yancouba témoigne par ses peintures de l’horreur de ce qu’il a vécu. Il pose sur la toile des silhouettes noires aux yeux exorbités, zombies « munchiens » serrés dans un canot blanc sur l’aplat bleu et impassible de la mer. Ses amis d’infortune parfois ne peuvent pas la dire cette horreur, l’un ne cesse de trembler, l’autre pleure en silence devant un monticule de terre, dans le cimetière des Inconnus où repose sa belle-sœur tabassée à mort. En Casamance, on mène une vie de forçat et de dénuement dans un paysage sublime que la photo du film magnifie. Près de sa mère et du fleuve où il construit une sculpture éphémère faite de racines de mangroves mortes, Yancouda peu à peu transforme son échec en un projet artistique et politique.

ELISE PADOVANI

Ce film est projeté le 20 juin à 20 heures, au cinéma Les Variétés (Marseille), dans le cadre d’un ciné-débat organisé en partenariat avec la Ligue des droits de l’Homme, la Cimade et SOS Méditerranée.

BIM : du nouveau sur les planches 

0
© Léo Quievreux : BD-Cul

Zébuline. Comment est né BIM ?

Jean-Pierre Soares. D’un constat : la scène graphique marseillaise est très variée et dynamique, cependant jusqu’ici chacun, auteurs, éditeurs ou libraires, faisait plutôt des choses dans son coin. Nous avons voulu fédérer cette vitalité lors d’un rendez-vous commun. En avril 2022, nous avions déjà organisé une première étape de BIM, avec de petits événements en juillet et septembre, d’où le chiffre #4 dans notre édito, mais cette année marquera le vrai lancement du festival.

Où est-ce que cela va se passer ?

Un peu partout en ville ! Il y aura par exemple un battle de dessins entre Richard Di Martino et Bruno Bessadi, piliers du Zarmatelier [atelier « historique » de BD à Marseille, ndlr] à la médiathèque Salim Hatubou (15e arr.), des ateliers jeunesse animés par Pauline Barzilaï au Musée des enfants au Panier (2e arr.), une table ronde « Auto-édition ou édition indépendante ? » à la BMVR Alcazar (1er arr.), et plein d’autres propositions, vernissages, projections, lectures dessinées… dans près de vingt lieux différents.

Le programme est très riche. Avez-vous été soutenus par les collectivités locales ?

Nos demandes de subvention auprès de la Ville, la Région, le Département et la Métropole sont en cours d’examen. Et nous avons été accompagnés par l’Agence Régionale du Livre, non pas financièrement mais au niveau de la mise en réseau. Sur la première édition, nous avions compté sur la bonne volonté de tout le monde, et les artistes ont joué le jeu. Le dessinateur Willem, par exemple, est venu volontiers. Mais nous espérons bien, à l’avenir, être appuyés par les pouvoirs publics.

On sent une montée en puissance des autrices.

C’est vrai, le milieu se rééquilibre, notamment dans la jeune génération. Si l’on veut, comme c’est notre cas, montrer la diversité de la production, cela transparaît dans les programmations. Nous souhaitons avant tout toucher une grande variété de publics, car la BD est un média populaire. Aussi nous avons gardé un certain éclectisme, même si certaines propositions sont plus pointues que d’autres. Il y aura des auteurs pour les tout-petits, comme Vincent Bourgeau et Cédric Ramadier, stars de l’École des loisirs [célèbre maison d’édition jeunesse, ndlr], et une journée BD-CUL, très explicite collection pour adultes, au couvent Levat !

GAËLLE CLOAREC

BIM 
Du 30 mai au 1er juillet
Divers lieux, Marseille
bimfestival.org

Bourgeons d’espoir à la Magalone

0
En raison des conditions météo, le temps fort de Piano en Fleurs s'est finalement tenu en intérieur © DR

Météo désastreuse oblige, ce n’est finalement pas dans les jardins de la Magalone mais dans sa très belle bastide que s’est tenue cette première journée du festival Piano en Fleurs. Cette troisième édition demeure cependant fidèle à sa tradition, et à l’ambition énoncée par sa fondatrice Amandine Habib : « faire que le public devienne les publics », soit démultiplier les amateurs de musique classique et improvisée, de tous âges et de tous horizons. L’ouverture de la journée du 20 mai ne ressemblait en effet à aucune autre, puisqu’on y a entendu deux jeunes pianistes TSA (trouble du spectre de l’autisme), coachés par leur professeure Snejina Wolff, fondatrice de la méthode PIANOTS, interpréter gaiement des morceaux de leur choix. 

Musique et inclusion

Tout préfigure déjà les interprètes les plus sensibles dans la gestique de ces jeunes musiciens, à l’écoute de leur toucher, de leur son et de leur chant intérieur de façon bien plus prononcée que nombre d’élèves neurotypiques, et dont le plaisir de jouer et la musicalité semblent toujours sincères. S’ensuit une table ronde riche en échanges instructifs et constructifs, où les domaines de l’orthophonie, de la pédopsychiatrie, du droit et de la pédagogie se sont accordés sur les ressources inouïes des enfants neuroatypiques et les possibilités de développement que les arts et la musique peuvent leur permettre de développer. Sans parler de la nécessité de ce travail d’inclusion pour le monde de la musique, et combien ces profils singuliers y demeurent précieux.

Les concerts s’enchaînent ensuite sans que l’on voit le temps passer : belle idée que cette sieste musicale permettant d’entendre, sans les intimider, les élèves des conservatoires. Élèves qui assisteront, médusés d’admiration, aux splendides concerts de Simon Sieger et d’Iddo Bar-Shaï. Le premier, hommage du surdoué de l’improvisation à son maître Famoudou Don Moye, venu l’applaudir, a fait voyager tout l’auditoire d’envolées stravinskiennes bien senties aux syncopes jamais forcées d’un swing à toute épreuve. Le second, annoncé à raison comme un incontournable de Couperin, dont il sait faire parler les images, émerveille également sur Chopin et Scriabine, dont il a choisi avec délicatesse les pièces les plus parlantes. Le raffinement mélancolique de l’un et le goût de la texture de l’autre se distinguent tout d’abord, avant de se conjuguer l’un avec l’autre dans une sorte d’amplification chromatique inouïe. Du piano de haute volée !

SUZANNE CANESSA

Cette journée de Piano en Fleurs s’est tenue le samedi 20 mai à la Bastide de la Magalone.
À venir
Prochain rendez-vous le 24 juin à Fontblanche (Vitrolles) et au parc de Bagatelle.