« Je ne veux parler que de cinéma. Pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout » (JLG)
Après Truffaut, Demy, Malle, Rohmer, Chabrol, Resnais, Rivette et Varda, s’éteint avec Godard une des dernières figures majeures de la Nouvelle Vague. Une personnalité parfois contestée, comme par son ex-ami Truffaut qui lui reprochait entre autres, de n’aimer les gens qu’en théorie. Mais, sans conteste, un réalisateur total, de l’écriture au montage, qui a profondément marqué la façon de faire et de regarder le cinéma. «La télévision fabrique de l’oubli. Le cinéma fabrique des souvenirs », disait-il. Et des souvenirs, il nous en laisse ! Charlotte et son jules, Michel Poiccard, Pierrot le fou, La Chinoise, Carmen, Marie… Plus d’une quarantaine de films jusqu’à son dernier opus, Le livre d’images, présenté au Festival de Cannes en 2018, où il était tout à la fois omniprésent sous la bannière du baiser Karina/Belmondo, et absent, ne s’étant pas déplacé. Film-manifeste étourdissant, de guerres et de fureur. Pas du tout testamentaire. En légation universelle, il nous restera bien des choses de JLG : ses brillants aphorismes, ses engagements, son sourire de chat repu, ses analyses fulgurantes, ses films. Il restera aussi, si juste, si jubilatoire, si pertinent, le portrait qui s’esquisse dans le film de Mitra Faharani : A Vendredi, Robinson.
Penseur du cinéma
Quand la cinéaste iranienne propose à Jean-Luc Godard une correspondance avec le cinéaste iranien Ebrahim Golestan, la réponse fuse : « Commençons par une correspondance, peut-être que ça ne correspondra pas ». Effectivement, au départ, les (non)réponses du franco-suisse déroutent un peu l’Iranien. Et durant vingt-neuf semaines, ces deux penseurs du cinéma et de la vie vont s’envoyer, chaque vendredi, un message. Cette correspondance, fragmentée, hachée, que nous offre Mitra Farahani est drôle parfois, mélancolique aussi car les deux, presque centenaires, savent que la fin est proche et les photos qu’ils s’échangent de leurs séjours à l’hôpital sont comme un clin d’œil à la Faucheuse. Certes, ils ont du mal à trouver un langage commun. « Il y a quelque chose de prétentieux chez Godard, ça doit être lié à son éducation chrétienne », ironise Golestan. Mais au fil des vendredis, on voit se tisser quelque chose qui ressemble à de l’amitié. Ceux qui ne connaissaient pas Golestan, découvrent un artiste, un poète, un érudit. Ceux qui aiment Godard le retrouvent avec bonheur, au crépuscule de sa vie, bougrement vivant, incisif et taquin !
« Aujourd’hui les trois-quarts des gens ont le courage de vivre leur vie mais ils n’ont souvent plus le courage de l’imaginer », disait-il, nous laissant le plaisir de le démentir.
Il nous faudra déjà imaginer le cinéma après lui.
ELISE PADOVANI et ANNIE GAVA