samedi 12 avril 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 225

Les finances aux abois, le Caravansérail (tré)passe

0
Affiche de l'édition 2022 du festival Caravansérail

Tristesse et déception. Dans un communiqué intitulé « Année blanche pour le festival Caravansérail », les organisateurs de cet événement collectif marseillais dédié aux musiques du monde annoncent l’annulation de l’édition 2023, « en raison des contraintes économiques passagères que connait la Cité de la Musique », unique porteur financier de la manifestation.  Une édition qu’ils avaient pourtant préparée et espérée jusqu’au bout. Ou presque. « On s’y attendait un peu car nous étions tenus au courant des possibles difficultés financières de la Cité de la Musique, reconnaît Odile Lecour, directrice de La Maison du chant, structure partenaire avec Arts et Musiques en Provence et L’éolienne aux côtés de la Cité. Mais on a tout fait pour y croire… » Y compris en envisageant des alternatives moins ambitieuses qui n’ont finalement pas convaincu les coorganisateurs.

Du côté de la Cité de la Musique, sans minimiser le sacrifice de Caravansérail, la tendance est plutôt à relativiser la décision. Pour son directeur Éric Michel, « le festival n’était qu’une de nos activités parmi d’autres » dans cette maison qui propose une programmation tout au long de la saison, et dédiée avant tout à l’enseignement de la musique, à l’éducation artistique et culturelle ainsi qu’à la formation professionnelle. Et le responsable de pointer la triste banalité des raisons qui ont conduit à l’annulation de Caravansérail : « Ce qui nous arrive arrive probablement à énormément d’autres structures. Tout simplement parce que les frais de fonctionnement, cette année, augmentent voire explosent. Notre facture d’électricité a doublé… ». À cela s’ajoute les pertes financières liées au Covid comme la baisse du nombre d’élèves ou encore les coûts « imposés » par le contrôle des passes sanitaires. Mais le plus gros impact est celui de l’augmentation de la valeur du point et donc de la masse salariale, décidée au niveau national dans le cadre d’une convention collective : avec 105 salariés au compteur, la note atteint 90 000 euros par an. « Il ne nous restait plus qu’une solution : diminuer la voilure en nous resserrant sur nos missions principales pour préserver l’essentiel. C’est de la bonne gestion. » En auront fait également les frais cette année le Festival de la Magalone, certaines activités autour du hip-hop ou encore des résidences d’artistes, tandis que le recrutement d’un demi-poste est reporté.

Un trou dans l’agenda

La faute de la conjoncture donc et certainement pas d’une quelconque remise en question du soutien des collectivités qui accompagnent la Cité, Ville de Marseille en tête. Cette dernière, financeur principal de la Cité de la Musique, a même augmenté sa dotation de 5% soit 130 000 euros dans le cadre de la nouvelle convention qui lie les deux entités, quand Région et Département ont maintenu au même niveau leur participation. « Un effort considérable, pour Jean-Marc Coppola, adjoint (PCF) au maire de Marseille en charge de la culture, au moment où la Ville subit les mêmes augmentations de charges pour la mise en œuvre de son service public ». Un geste qui n’aura certes pas suffi à couvrir la totalité des besoins et donc à sauver le festival du mois de juin mais dont l’élu aimerait voir les autres collectivités s’inspirer. Et de regretter particulièrement l’absence persistante de l’État autour de la table alors que « le pôle des musiques du monde, dirigé désormais par Manu Théron, est devenu un outil unique en France en termes de création, de diffusion et d’accompagnement des artistes et répond à tous les critères pour obtenir un label national et un soutien financier à la hauteur du projet ». Ce pôle des musiques du monde de la Cité de la Musique, longtemps porté par Michel Dufétel, est d’ailleurs la cheville ouvrière d’un Caravansérail en pleine ascension dont la qualité des propositions artistiques conjuguée à une ambiance festive intergénérationnelle et à un souci d’accessibilité vont indéniablement manquer dans l’agenda culturel marseillais.

Un espoir en 2024 ?

C’est la deuxième fois en sept ans d’existence que ce festival, qui a trouvé sa place en ouverture de l’été, dans un Théâtre Silvain de plus en plus garni, est contraint à l’annulation. Après le Covid en 2020, c’est l’inflation et la guerre en Ukraine qui l’auront mis K.O en 2023. « C’est une très mauvaise nouvelle mais c’est une frustration raisonnée, consent Claire Leray, directrice de production de L’éolienne. Nous, on ne prend pas de risque financier et on ne pouvait pas exiger que la Cité de la Musique en prenne. » Une solidarité exemplaire entre partenaires compréhensifs et une bonne dose d’optimisme « pour repartir de plus belle en 2024 ». Reste à mobiliser des financements supplémentaires. Du côté de la municipalité, Jean-Marc Coppola « en appelle à l’État pour qu’il prenne ses responsabilités mais aussi au Département et à la Métropole ». À la Cité de la Musique, Éric Michel se convainc « que beaucoup de choses sont liées au contexte international et que c’est un mauvais moment à passer ». Surtout au regard de la somme très raisonnable à trouver pour permettre l’équilibre financier du festival : environ 70 000 euros. 

LUDOVIC TOMAS

Numéro Zéro remet les conteurs 

0
Atlantic Bar © Solab Pictures

Du 2 au 7 mai, la 6e édition de Numéro Zéro, porté par la dynamique association La Miroiterie, déploie sa foisonnante programmation. Essentiellement à Forcalquier mais aussi Niozelles et Vachères, six journées sont dédiées aux jeunes et moins jeunes, pour explorer le cinéma documentaire. Une édition placée dans le sillage de Knud Viktor, ce « peintre du son » danois auquel Julie Michel consacre son film À l’écoute de Knud Viktor, projeté le 6 mai au cinéma Le Bourget. Et dont le lendemain, elle présente deux opus : Les Bulles, film « cellulaire » et Image VII, poème sonore en quadriphonie

Écouter toujours. Le vent, les oiseaux, le ver qui creuse le bois, la faune des collines dans les pièces sonores de Péroline Barbet-Adda (Passer l’hiver, Piste Animale). Ou encore le trombone et l’accordéon de Simon Sieger ainsi que la guitare et objets divers de Thomas Weirich, associés aux images du Nanouk L’Esquimau de Flaherty. Se faire sonner les 37 cloches du carillon de Forcalquier dans la performance Latences d’Alessandro Bosetti.S’émerveiller des sonnailles des troupeaux avec Iris Kaufmann (Beau bruit).Au cours d’une balade autour de Vachères,Écouter le minuscule avec Chloé Sanchez. Faire « Une promenade parlée à l’écoute des oiseaux »,guidés par l’historien de l’art Alexandre Galand

Un choix difficile

Jouer avec le son dans les nombreux ateliers proposés : pratique audio descriptive par Marie Diagne, atelier bruitage par Samia el Hadj,battle de doublage,atelier playback par Jean Boiron Lajous et Valentin Dijas. Entendre Les Voix de passage dans le film de Juliette Darroussin, immersion dans une cour de récréation où chacun essaie de trouver sa place. Tendre l’oreille aux paroles des résidents d’une maison de retraite, recueillies dans les années 1990 sur des cassettes dans le documentaire sonore de Théo Boulenger : Une Excursion extraordinaire. Ou retrouver le Karaoké domestique d’Inès Rabádan, à six voix, celles de trois femmes de ménage et de trois employeuses. Suivre la déambulation d’un acteur passant d’un rôle à l’autre, d’un discours à l’autre, dans Il faut se tromper de Jean Boiron Lajous. Pénétrer dans l’univers sensible des non-voyants avec un focus Johan Van Der Keuken, réalisateur de L’Enfant aveugle. Le choix sera difficile.

Sans quitter les Alpes, on voyagera aussi. À Arles, dès l’ouverture, dans un bistrot où se croisent « des récits de vie cabossée », mis en péril par la gentrification (Atlantic Bar en présence de sa réalisatrice Fanny Molins). À Villereau, au nord de la France, où une fausse alerte terroriste sème la panique dans le village (Excess Will Save us de Morgane Dziurla-Petit). En Pologne, pour une soirée consacrée à Marcel Lozinski. Dans les forêts du Canada (La Bête lumineuse, Pierre Perrault) et le Nord Vietnam (Children of the Mist de Hà Lê Diêm) où on marie encore les fillettes de douze ans. Au Brésil enfin, en compagnie d’Ariane Mnouchkine, grâce au film de Jeanne Dosse Todas por Uma, qui montre la création de la pièce As Comadres, « acte de résistance artistique, féministe et politique ». Radio Zinzine accompagnera ce festival fidèle à ses objectifs: « travailler la sensibilité, l’imaginaire, le contact avec le réel contre la virtualisation des expériences ».

ÉLISE PADOVANI

Numéro Zéro
Du 2 au 7 mai
Divers lieux, Forcalquier et alentours
07 69 82 85 28
festivalnumerozero.com

Propagations : Quand le son devient création

0
Paysage de Propagations, GMEM © Pierre Gondard

C’est à Christian Sebille, directeur artistique du GMEM depuis 2011 et compositeur aux multiples facettes, qu’est confiée la soirée d’ouverture du festival Propagations. Son Paysage de propagations #1 Matrice s’installe ainsi dès le 3 mai au Conservatoire Pierre Barbizet. Pour la concevoir, l’artiste formé entre autres à la musique électroacoustique a fréquenté assidument le Cirva – Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques durant deux années de résidence. Sa création, convoquant le spectre sonore de l’orchestre de verre et la plasticité de cet objet fascinant à tous points de vue, se fera immersive et résonante, avec l’appui du Collectif Sonopopée à la conception du dispositif mécanique et numérique génératif.

La compositrice Julie Rousse lui emboîte le pas avec Métamorphoses, installation à retrouver tous les jours au Studio MOD à la Friche la Belle de Mai, dès le 4 mai. Installation également organique puisque l’artiste s’est intéressée aux rives du Rhône, des glaciers Suisse aux bords de la Méditerranée. La vision et la perception s’unissent de nouveau à l’ouïe dans cette œuvre multisensorielle. Le 3bisf accueille, le 7 mai, Écouter l’ombre, pièce composée et scénographiée par Anne-Julie Rollet et Anne-Laure Pigache invitant à plonger dans les oreilles de patients diagnostiqués schizophrènes. 

En Friche

La Friche la Belle de Mai demeure le lieu d’ancrage de ce festival gagnant décidément en ampleur avec cette troisième édition. Son Module accueille, le 4 mai, les créations de compositrices et compositeurs passionnants pour la soirée Sonord. Raphaëlle Dupire y présente D’Ici, là – Histoires dedans le paysage, pièce pour voix, oud et traitement sonore (manié par Sarah Procissi). Sébastien Béranger y crée Vi(e)revolte, œuvre conçue pour les saxophones de Joël Versavaud, membre de l’ensemble C Barré. Pierre Pulisciana y donne un extrait de sa pièce radiophonique Silloner. Et Sébastien Béranger y propose sa Pièce collective participative. Belle soirée en perspective, conçue en coproduction avec l’Hôpital Nord de Marseille.

Le Petit Plateau accueille quant à lui les inclassables Hervé Birolini et François Donato pour leur pièce pluridisciplinaire Tesla, aux sensibilités audiovisuelles. Musique, radio, cinéma s’y mélangent joyeusement.

Les 12 et 13 mai, le compositeur Bertrand Wolff propose aux auditeurs de découvrir Auscúltare, pièce pensée pour la soprano Raphaële Kennedy et la contralto Isabelle Deproit, ainsi que pour des haut-parleurs ultra-directionnels orchestrés par Guillaume Stagnaro.

L’Orchestre La Sourde plonge, le 11 mai, le public du Grand Plateau dans l’œuvre de Carl Philipp Emmanuel Bach, fils le plus illustre du célèbre Jean-Sébastien, dont l’ensemble à la croisée des genres (classique, jazz, musique ancienne…) va faire entendre toutes les coutures et développements possibles. Conçu sous la houlette du trompettiste Samuel Achache, du clarinettiste, saxophoniste et comédien Florent Hubert, du clarinettiste et saxophoniste Antonin Tri Hoang et de la pianiste Ève Risser, le spectacle entend questionner avec humour et musicalité le concept même de concerto. 

Le Quatuor Tana s’empare également de cette belle scène pour y faire découvrir des pièces composées par Giulia Lorusso, Francesca Verunelli et Ivan Fedele, où l’électronique se fraie un chemin de choix, accompagnée par la réalisation en informatique musicale de Benjamin Lévy.

CONCERTO CONTRE PIANO ET ORCHESTRE © Joseph Banderet

En scènes

Les scènes marseillaises emboîtent le pas à la Friche en accueillant des pièces lyriques et pluridisciplinaires. On retrouve au Zef, les 4 et 5 mai, le banquet musical La Rose des Vents, mis en scène par Marguerite Bordat et Benjamin Groetzinger et promettant de ravir oreilles comme papilles : les élèves du lycée hôtelier Jean-Paul Passedat y officieront sous la direction du chef cuisinier Emmanuel Perrodin, au son du violoncelle de Noémi Boutin. La Ralentie de l’artiste total Pierre Jodlowski fera résonner la voix de Clara Meloni et les percussions de Jean Geoffroy dans le Petit Théâtre de La Criée, le 6 mai. Avant que le Quatuor Béla ne s’immisce au Grand Théâtre, en deuxième partie de soirée, en compagnie du pianiste Wilhelm Latchoumia pour un programme mêlant joyeusement les genres. Les Départs de Feu entonnés par l’ensemble vocal Les Métaboleset l’ensemble instrumental Mutlilatérale, sous la direction de Léo Warynski, promettent d’enchanter le public de l’Opéra de Marseille, qui découvrira des œuvres de Rebecca Saunders, Franck Bedrossien et tant d’autres le 14 mai. 

Le Couvent accueille enfin le 14 mai à 15 heures les élèves des classes de composition électroacoustique du Conservatoire Pierre Barbizet et de la Cité de la musique, avant que Bérangère Maximin ne propose, à 17 heures, un concert pensé comme un parcours dynamique. De quoi conclure ce festival en plein air et en beauté.

SUZANNE CANESSA

Propagations
Du 3 au 14 mai 
Divers lieux, à Marseille et Aix-en-Provence
gmem.org

On continue ensemble ?

0

Il y a un an, sous les voûtes bienveillantes de L’éolienne, dans le quartier résilient de Noailles, à Marseille, la future équipe de Zébuline lançait le défi de faire renaître un journal dédié aux artistes, à la création et aux lieux culturels dans le Sud-Est. Sans le moindre apport financier mais portée par les encouragements de lectrices et lecteurs ainsi que de nombreuses et nombreux actrices et acteurs de ce territoire culturel parmi les plus importants de France, présent·es ce soir-là. Et aussi, ne l’oublions pas, grâce à la main tendue du quotidien La Marseillaise, partenaire de combat pour le pluralisme de la presse, qui ne pouvait se résoudre à la disparition récente d’un mensuel culturel historique. Ainsi le 3 mai, proclamé journée mondiale de la liberté de la presse par les Nations unies, marque également la date anniversaire de la création de Zébuline, né dans un élan de solidarité dressé contre un certain fatalisme de la concentration et de l’uniformisation des médias. Une solidarité qui, au fil de ces douze mois de travail, s’est consolidée avec de nombreux partenaires, validant l’apport de notre titre à la vitalité culturelle de nos territoires.

« un combat permanent »

À leur tête, la Région Sud, convaincue de l’atout de disposer d’un titre au service de cette terre de culture et de festivals. Citons encore Les Théâtres ou le Mucem dont la fidélité de l’engagement nous honore. Et tant d’autres, aux contributions plus modestes mais tout aussi cruciales. Faire vivre un journal associatif et indépendant dans un contexte de rigueur budgétaire est un combat permanent. Et les belles paroles, qui nous promettaient la main sur le cœur de nous accompagner dans cette périlleuse aventure, de s’envoler, pour certaines, aussi vite que des promesses électorales. Combien de coups de fils infructueux, de « on reviendra vers vous » insincères, de rendez-vous sans lendemain ont failli mettre une nouvelle fois en péril l’existence de notre jeune titre. Nous n’ignorons pas les difficultés de chacun. Comme nous avons conscience de la nécessité de bâtir un modèle économique viable face à l’inaction de l’État dans l’indispensable chantier des aides à la presse. En attendant, nous ne pourrons continuer sans ressources publicitaires pérennes, sans subventions des collectivités, afin de ne pas contredire la satisfaction d’un lectorat grandissant.

La rédaction

Ceux qui nous mangent

0
Résidence de création du spectacle « Les Ogres » de Carole Costantini avec les comédiens Sophie Warnant et Gilbert Traïna le vendredi 6 mai 2022 dans l’Usine du ZEF (La Gare Franche), scène nationale de Marseille.

Dans la compagnie marseillaise Vol Plané, Carole Costantini endosse habituellement les rôles énergiques, enthousiastes, celle qui entraîne les autres, souvent drôle, toujours forte. Pour la première fois, elle écrit, met en scène et incarne le rôle du conteur dans un spectacle très personnel à l’univers onirique et terrifiant affirmé : elle y parle d’enfance mal-aimée, l’histoire d’un Petit Poucet rejeté par sa mère parce qu’il est différent, malade, et qu’il ne parle pas. 

Le premier ogre c’est elle, cette mère interprétée avec sensibilité par un homme, Gilbert Traina, un acteur étonnant, qui assume sa cruauté mais rend aussi humain ce dégoût qu’elle éprouve pour ce fils qu’elle ne comprend pas, qu’elle ne veut pas, qu’elle n’aime pas. 

Comment grandir face à un tel monstre ? Cette première partie, dans le cadre d’une famille sans amour, est suivie d’une (trop ?) longue errance, sans mots, dans une forêt onirique. 

Terrifiante humanité
L’enfant lui-même s’y révèle un ogre en devenir, qui tue et mange les oiseaux, se repait du vivant, s’enduit de sang, se couvre de fourrure. Sophie Warmant l’incarne avec sauvagerie et douleur, et le promène dans de beaux jeux d’ombres, de faisceaux de lumière et de fumées qui dessinent des ombres effrayantes (scénographie Aude Amédéo), sur la musique franchement terrifiante de Josef Amerveil.

Puis apparaît la véritable terreur, l’autre ogre, celui du conte, celui de la forêt profonde, qui veut manger l’enfant… Gilbert Traina, qui jouait la mère, lui donne la même ambiguïté toute inhumaine, d’une terrifiante humanité. Comme s’il était lui-même un Petit Poucet devenu adulte dans la solitude cruelle de la forêt. Parce que nos monstres, lorsqu’ils existent, sont justement des hommes.

Le suspense, la tension entre l’enfant et l’adulte se noue et se dénoue pour finalement sortir du conte, et permettre à l’enfant maltraité de revenir parmi les vivants, résilient, débarrassé de ses ogres. De ses terreurs ?

AGNÈS FRESCHEL

Les Ogres a été donné le 10 janvier au Théâtre de l’Esplanade (Draguignan), le 13 au Zef (Marseille) et les 16 et 17 au Carré Sainte-Maxime.
À venir
Du 28 février au 1er Mars, Théâtre Massalia, Marseille

Retrouvez nos articles Scènes ici

« Disco Boy », or noir et bérets verts

0
Discoboy © Films Grand Huit

« Un film de guerre contre la guerre. » Voilà comment se présente Disco Boy, le premier long métrage français du réalisateur italien Giacomo Abbruzzese. Un film qui franchit les frontières géographiques et celles des genres cinématographiques comme musicaux, infusant dans la réalité un fantastique qui la remet peu à peu en cause.

Un jeune biélorusse Aleksei (incarné par l’acteur fétiche de Christian Petzold, Franz Rogowski) entre clandestinement en Europe avec Mikhail (Michal Balicki) qui se noie dans la traversée d’un fleuve. Arrivé en France, il s’engage dans la Légion étrangère qui brasse les nationalités, efface les identités, les passés difficiles et assure à ses recrues, une nationalité française au bout de cinq ans de service. Une de ses missions le conduit au Niger où Jomo (l’acteur gambien Morr N’Diaye) mène une rébellion contre les compagnies pétrolières qui pillent et saccagent le pays, soutenues par l’armée gouvernementale et les dirigeants corrompus. Une vue aérienne montrera une forêt déjà bien grignotée par les exploitations écocides.

Possession et dépossession

Cette jungle appartient à son peuple et Jomo appartient à cette jungle. Jomo aux yeux vairons. Beau et étrange. Au pays de l’animisme, de la transe, de la spiritualité des corps, de la médiation entre les vivants et les morts. Dans la nuit, autour du feu, il danse avec sa sœur Udoka (l’Ivoirienne Lætitia Ky) aux mêmes yeux dotés d’iris différents, charbon et or, dualité jumelle. Les destins de Jomo et Aleksei se croisent, alors que les milices pro-gouvernementales massacrent les habitants du village de Jomo. Dans un combat au milieu du fleuve Niger, filmé en caméra thermique, comme un clip psychédélique, les deux hommes s’affrontent. Jomo mourra. Mais est-ce si sûr ? Aleksei reviendra à Paris attiré par un night club, possédé par ses fantômes et ses remords jusqu’à une transmutation dont on ne dira rien ici.

On commence par un cinéma naturaliste qui met en scène l’immigration, documente l’intégration impitoyable des recrues dans la Légion – un entraînement-dressage qui n’a rien à envier à celui des marines américains –, si souvent montré sur les écrans. Les séquences qui suivent nous orientent vers le film de guerre canonique : arrivée nocturne d’un commando par le fleuve, avancée dans la jungle hostile, scène de guerre, hélitreuillage. Mais déjà, la réalité s’altère, puis se fantasme. Ce qui pourrait être assimilé à un stress post-traumatique chez Jomo, devient un voyage intérieur qui se substitue au périple géographique, bouleverse la linéarité du temps, le cloisonnement des espaces et s’arrête dans un night club parisien où danse sur scène, étincelant de sequins miroitants, la belle Udoka. Magnifique photo de la géniale chef opératrice Hélène Louvart !

La narration, elliptique (on ne saura rien du passé biélorusse du protagoniste dont le corps porte les tatouages des prisonniers), suit un rythme en ruptures constantes. Ruptures reprises par la BO qui intègre les bruits naturels de la jungle, les chansons de Piaf et de Lio, et l’électro du compositeur français Vitalic – signant ici une partition admirable. Discoboy est un premier film réussi qui, malgré son titre pailleté, nous plonge dans une noirceur inquiétante.

ÉLISE PADOVANI

Disco Boy, de Giacomo Abbruzzese
Sorti le 3 mai

Le film a été présenté par le festival Musique & Cinéma (compétition internationale).

L’éolienne prend le temps du récit

0
Karine Mazel © X-DR

Ne pas se fier à sa dégaine d’éternelle adolescente, arborant blue jean et perfecto, ou à sa timide entrée en matière : « ça commence ? Bon, je vous préviens, ça va être long ! ». Karine Mazel est une oratrice redoutable : forte d’un jeu d’actrice si naturel et travaillé qu’il se laisse oublier, et d’un indéniable talent de conteuse, elle sait s’imposer le temps d’un seule en scène s’apparentant autant à la conférence théâtralisée qu’au one-woman-show vitaminé. Le principe de ce Tu parles, Charles ! est transparent dès l’ouverture : démêler la douzaine de pelotes de laine entortillées les unes sur les autres ; et avec elle, les nombreux malentendus autour des contes, décriés alors qu’ils sont, peut-être plus que jamais, indispensables. 

C’est l’intention qui conte

L’heure et les poussières qui s’ensuivent passent à une vitesse folle : on y assiste, amusés, à la confrontation de Karine, conteuse et fière de l’être, et de son amie Isa, qui lui avoue sa réticence à conter les grands classiques du genre à ses enfants. Sexistes, réactionnaires, ces contes si violents, si crus parfois qu’on se demande s’ils se destinent bien à des enfants ? C’est normal, répond-on à Isa : la plupart des contes merveilleux se destinent aux adultes, et seule une partie d’entre eux se révèlera appropriée pour les tous petits. Et quel besoin de se confronter encore et toujours aux mêmes histoires ? Mais pour les rafistoler, décortiquer et réinventer à notre tour, pardi ! Si tout un chacun ne sera peut-être pas en mesure d’apporter au Petit Chaperon Rouge ou encore au Prince Serpent la matière et la puissance que sait leur prêter la conteuse, ce réjouissant plaidoyer a de quoi les convaincre d’essayer. Et de quoi œuvrer pour un nouveau temps des récits.

SUZANNE CANESSA

Tu parles, Charles ! a été joué le 6 avril à L’éolienne à Marseille.

Apprivoiser l’ogre

0
Dans mois © Hugues Cristianini

Dans moi est un petit livre pour enfant (d’Alex Cousseau et Kitty Crowther) qui raconte comment un enfant apprivoise ses peurs, figurées par un ogre : en les écoutant, puis en les exprimant. La fable est simple, mais le dispositif mis en place par Maud Hufnagel et Claire Latarget, qui ont conçu et interprètent ensemble le spectacle, lui donne une poésie et une profondeur inattendue. Poésie de la sérigraphie, qu’elles produisent et expliquent en direct, profondeur d’un théâtre qui se cache sous les allures d’un atelier d’art plastique… 

Car les spectateurs, petits et grands, sont invités à passer un tablier et à se protéger des encres. Mais de fait, c’est un espace de fiction qui s’ouvre sous leurs yeux, avec des figures qui naissent malicieusement sous le cadre de la sérigraphe, et se transforment en théâtre d’objets sur une table d’abord, puis en dessins et ombres sur des murs de papier blanc que les actrices-marionnettistes déchirent. 

Pourtant cela reste aussi un atelier : les spectateurs fabriquent une partie du décor, réunis en deux équipes qui soutiennent l’ogre ou l’enfant, et repartent avec une œuvre, mais aussi le plaisir d’une jolie fable.

AGNÈS FRESCHEL

Dans moi a été joué du 12 au 15 avril à la médiathèque de Cavaillon, dans le cadre de la programmation de La Garance, scène nationale.

Notre-Dame-du-Mont fait chanter ses orgues

0
© X-DR

Quelle belle initiative que ce festival pensé par Emmanuel Arakélian et l’association des Amis de l’orgue ! Non contente d’avoir mis en lumière les instruments décidément fabuleux d’une église encore confidentiels, cette semaine aura eu le mérite de faire entendre l’instrument et son répertoire sous différentes facettes, toutes plus passionnantes les unes que les autres. Après s’être ouvert mardi sur un concert pour trompette et orgue, et avant de se voir célébrer le temps d’un concert à quatre mains (et quatre pieds !) samedi, et d’un récital placé sous le signe de l’improvisation dimanche, le choix de célébrer à la fois l’orgue de concert et l’orgue de chœur a permis à un public consistant de faire de belles découvertes. À commencer par le jeune Vincent Boccamaiello, élève de la classe d’orgue d’Emmanuel Arakélian au Conservatoire de Marseille, et plus qu’impressionnant sur la Fantaisie en sol majeur de Bach, mais aussi sur l’Andante con moto et l’Offertoire d’Alexandre-Pierre-François Boëly. Mais aussi de la soprano Davina Kint, venue prêter main-forte au chœur Pro Musica sur des pages (certes peu passionnantes) de Rutter – The Lord bless you and keep you et son plus consistant Requiem. Si l’on commence à connaître les talents d’organiste de Frédéric Isoletta, sa maîtrise des arpèges incessantes de Rutter puis du fort bien mené Cantique de Jean Racine donné en bis, rappelle qu’ils se prêtent au répertoire du chœur, bien plus délicat qu’il n’y paraît. Autant dire qu’on attendra de pied ferme les prochaines initiatives : soit les réguliers concerts – gratuits ! – du mardi midi, et bien sûr la seconde édition de ce festival.

SUZANNE CANESSA

La Semaine de l’orgue s’est déroulée du 11 au 19 avril à l’église Notre-Dame-du-Mont, Marseille. 

Dom La Nena en lévitation

0

Le nouvel opus de Dom La Nena, Leon, scelle une rencontre éblouie entre le violoncelle et la musique classique. Dom La Nena (Dominique Pinto), née à Porto Alegre au Brésil, étudie d’abord le piano dès l’âge de cinq ans puis le violoncelle à huit. Elle devient l’élève de Christine Walevska, « la déesse du violoncelle ». Comme elle est la plus petite des élèves de la maestra, elle a alors treize ans, elle est surnommée « La Niña » (la petite), elle le gardera en nom d’artiste en portugais, La Nena… Elle suivra la tournée de Jane Birkin, jouera avec Jeanne Moreau, Étienne Daho, Sophie Hunger, Piers Faccini… Les enregistrements s’enchaînent.

Une danse sur Glass

Son dernier opus, quatrième album solo de la musicienne, entérine sa rencontre avec la musique classique et marque son retour aux sources dédié au violoncelle, à son violoncelle, nommé Leon, d’où le titre de l’album, déclaration d’amour à cet instrument qui a été le compagnon, le confident. La violoncelliste enregistre toutes les pistes, crée un univers sonore envoûtant proche des mantras par ses mélodies ostinato, ses envolées oniriques, ses ondes larges superposées à des cordes pincées, rythmiques élargies sur le ventre de bois de la caisse de résonnance. On discerne ici et là un écho de Chopin, un tournoiement de Philip Glass, un élan de danse traditionnelle (dans 2022 par exemple).

Des paysages intérieurs se dessinent, émergent d’une esquisse, d’un bourdon, d’un trait souple qui enrobe le cercle des émotions en un lyrisme délicat. La matière de l’instrument devient centrale, offrant une palette nuancée porteuse de rêves. Chaque morceau est un monde dans lequel on se love avec délectation. Le minimalisme est de mise et nous emporte dans son orbe méditatif et lumineux. On suit le parcours de la pionnière du cinéma, Germaine Dulac, pulsé par le tempo d’un cœur qui bat lentement alors que le son se double et se nourrit de palpitations invisibles, dans la pièce intitulée tout simplement Dulac. Puis on se laisse emporter dans la Valse d’Anna Karénine emplie d’échos de Chostakovitch. Un parfum du passé affleure dans Février, cédant la place au plus moderne Longe. On voyage dans les époques et la littérature au fil d’orchestrations épurées. On sort de l’écoute apaisé, en phase avec le monde. Une vraie déclaration d’amour à l’univers.

MARYVONNE COLOMBANI 

Leon, de Dom La Nena
Sabia / Big Wax / Alter K