lundi 14 juillet 2025
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Art-o-rama à tout prix

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Léo Fourdrinier Sans titre (en cours de production) (2023) Impression numérique sur dibond, encadrée dans une caisse américaine en bois 220 x 180 cm Courtesy de Léo Fourdrinier et HATCH Photo © Léo Fourdrinier

60 exposants dont 41 galeries, 17 éditeurs en art et en design et deux project-spaces, venant de quatorze pays et de trois continents. Le tout juste à côté des expositions Ni drame ni suspense consacrée par Triangle-Astérides aux artistes résidents des Ateliers de la Ville de Marseille, Drift avec les diplômé·es de l’École de Beaux-Arts de Marseille, et Fondant, premier solo show en France de l’artiste britannique Zoe Williams ! Bref, la Friche a été pendant ce premier week-end de septembre un vaste spot d’art contemporain, rapprochant scène locale et internationale, offrant de la visibilité, à côté d’artistes confirmés, à de nombreux·ses jeunes artistes. À Art-o-rama, les propositions des galeries invitées (dont une moitié participaient pour la première fois) se sont déclinées en 28 solos-shows et huit duos d’artistes. Quatre jours de salon ponctués de projections de films d’artistes et de cinéma expérimental et de discussions avec des artistes.

Des prix

Neuf prix ont été décernés pendant cette 17e édition, par des acteurs locaux ou internationaux, débouchant sur des acquisitions, des compensations, des résidences, de l’accompagnement et/ou de la visibilité. Les prix d’acquisitions : Because of many suns, créé par Collezione Taurisano (Naples, Italie) dans le but de soutenir « les pratiques artistiques émergentes qui présentent un regard perspicace sur la société contemporaine ». Le prix Benoît Doche de Laquintane, collectionneur bordelais, pour une œuvre « en lien avec la poésie et le temps présent ». Le prix Marval, collection privée basée entre Berlin et Milan, qui soutient de jeunes artistes innovant·e·s. Et le prix Pébéo. Pour le reste, le prix Roger Pailhas distingue le projet curatorial le plus innovant, en offrant le remboursement des frais de participation à la foire. Le prix Nice (He)art permet d’être invité à The Heart for Heart Program, résidence d’artistes basée à Nice. En art et design, le prix de la Région Sud offre accompagnement, temps de résidence, bourse de 2000 euros, et focus lors du salon Art-o-rama. Et le prix François Bret des Beaux-Arts de Marseille, décerné à deux jeunes diplômé·e·s de l’École, offre un focus lors du salon et un accompagnement. 

Des lauréats

Si comme lors des deux éditions précédentes, c’est la présence d’une peinture figurative et colorée, voire décorative qui dominait massivement dans les allées et les stands du salon, les choix des jurys qui ont décerné les différents prix ont été complètement à rebours. Ainsi, parmi les lauréats de cette année, les sculptures minuscules, assemblages de matériaux hétéroclites, de Michael Ross, fixées sur les cimaises de la Galeria Mascota, Mexico (prix Roger Pailhas). De la documentation photographique autour des trouvailles d’objets dans des espaces abandonnés de l’artiste mexicain Juan Pablo Macías, présentée par Gian Marco Casini Gallery, Livourne (Prix Because of many suns). Une « contre-archéologie » de Marseille, sculptures et images associant vestiges des mythes anciens et mise en scène futuriste du français Léo Fourdrinier, présenté par la Galerie Hatch, Paris (Prix Marval Prize). Ou bien encore une sculpture-installation-vidéo de la Lituanienne Anastasia Sosunova, présentée par eastcontemporary, Milan, œuvre inspirée de ses recherches axées sur une thérapie de l’addiction créée grâce à des études cybernétiques appliquées à l’esprit. Quant au prix Art de la Région Sud, il a été attribué à Théophylle Dcx, diplômé de la Villa Arson, qui mélange écriture poétique, performance et vidéo, en explorant « ses différentes coordonnées sociales et politiques de jeune pédé, de personne séropositive, de travailleur du sexe, d’artiste et de fêtard passionné par la musique, la danse et le clubbing ».

MARC VOIRY

Art-o-rama s’est tenu du 31 août au 3 septembre à la Friche la Belle de Mai, Marseille.

L’incertitude n’abolit pas l’enthousiasme

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L’été a commencé par un mouvement de révolte des quartiers populaires et des populations racisées. Réprimées férocement à Marseille, un jeune, père de famille, a été tué, un autre défiguré, un troisième violemment battu et poussé à se taire. Les commerces ont été dévastés. Puis la canicule s’est installée, touchant violemment les populations les plus fragiles socialement. Les morts violentes se sont succédées dans des quartiers aux prises avec les trafics de drogue.

Pourtant l’été culturel s’est révélé plus beau que jamais, et les soirées partagées, gratuites, joyeuses, ont rassemblé des publics enthousiastes et variés. Comme un contrepoint, un antidote à une société qui n’en finit pas de se déliter, d’exacerber des tensions installées par des décennies d’aveuglement social, de souffrance populaire et d’augmentation exponentielle des inégalités. 

Nouveaux modèles ? 

On a dansé au parc Jourdan d’Aix-en-Provence, les concerts gratuits ont fleuri dans toutes les villes, le Festival d’Avignon a battu des records de fréquentation. La présence des femmes s’est affirmée sur les scènes et sur les cimaises, comme si la domination masculine commençait enfin à céder le pas. 

Vivons-nous un magnifique chant du cygne artistique, ou le désir d’une cohésion sociale attentive au pluralisme culturel est-il en passe de proposer de nouveaux modèles intuitifs ? La réponse est incertaine.

Mais malgré une rentrée sociale tendue pour les entreprises culturelles et l’emploi intermittent, malgré des baisses annoncées de financement et les Jeux olympiques qui font peser le spectre d’annulations l’été prochain, malgré la mise à mal des budgets des collectivités qui financent la culture, l’enthousiasme pour un vivre-ensemble réinventé perdure et se renforce. 

Résister, c’est peut être aujourd’hui aller au spectacle. Sortir, parler, rencontrer. On vous attend, le choix est grand. 

AGNÈS FRESCHEL

À l’ouest, peu de nouveau

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« Dans le genre qui nous occupe le café est peu fait pour être bu. Il est davantage inventé pour occuper les femmes à l’écran, dont c’est l’une des fonctions essentielles de servir un café dont on ne peut imaginer qu’il soit buvable, vu qu’il recuit en permanence sur un coin de gazinière, matérialisant l’interminable et tiède patience des femmes de l’Ouest. » Le western, semble nous dire Maria Pourchet non sans rage et raillerie, n’est que le lieu de l’attente des femmes, propice à une confrontation oscillant entre rencontre amoureuse et duel larvé. Un « système qui doit toujours promettre la paix pour mieux la refuser », affirme-t-elle plus loin, confirmant l’impossibilité, aujourd’hui, de ce récit-là. Celui de la rencontre entre une quinquagénaire désabusée et un quadra, grand nom du théâtre en disgrâce, ne concevant l’amour que comme un assujettissement. La possibilité pour Aurore de comprendre, voire d’aimer cet Alexis semble pourtant vite compromise : elle en a vu d’autres, et ne semble que peu réceptive au numéro de ce comédien né, d’autant plus propice à séduire qu’il ne semble par comprendre grand-chose de lui-même, et encore moins des femmes qui auront le malheur de croiser son chemin.

Enthousiasme et déception

Car c’est finalement moins du côté du cinéma que de celui du théâtre que Western lorgne. Dans une langue riche et constamment en mouvement, Marie Pourchet se débarrasse peu à peu des oripeaux du sarcasme et de la charge sociétale, pourtant très bien vue, et sonde l’intériorité de ses personnages. Aurore aura beau passionner lecteurs et lectrices, c’est Alexis qui séduit jusqu’à l’autrice elle-même. Si l’acteur abandonne le rôle de Dom Juan à sa camarade de jeu, il n’est pourtant qu’une énième incarnation de son goût pour la passion fugace, la transgression, ici de classe, et finalement la révélation de sa bête conformité. Aussi réjouissant dans sa capacité à dépeindre la perversité de ses ressorts que décevant dans son désir de les absoudre, Western ne pourra à son tour qu’enthousiasmer puis décevoir. Dans la droite lignée d’une tradition douce-amère de happy ends insincères. 

SUZANNE CANESSA

Western, de Maria Pourchet
Stock - 20,90 €

Le parlement des intimes

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© X-DR

La venue de la compagnie Rara Woulib s’inscrit tout naturellement dans cette démarche avec Moun Fou, imaginé, explique Julien Marchaisseau, directeur artistique et fondateur de la compagnie, à partir d’un travail très fin sur les exclus pour un « parlement des intimes ». « Les comédiens ont tous passé une année en immersion dans diverses structures en lien avec la santé mentale et la grande précarité à Marseille, afin de s’imprégner de la réalité des choses en les vivant ». Après ce travail, chaque comédien et comédienne (issus eux-mêmes de métiers différents et avec des statuts variés, infirmière en milieu psychiatrique, éducateur spécialisé, sans papiers…) a écrit son propre texte. Les histoires foisonnent, les échos se tissent entre les musiques familières. Le bien commun des références rassemble. Des baffles colorés diffusent des voix qui témoignent, tranches de vies, mal-être, interrogation sur la place que l’on occupe, sa légitimité. Les comédiens arrivent l’un après l’autre, s’installent sur des chaises aux couleurs d’arc-en ciel, font face au public, se lèvent, se disent, questionnent leur rapport au monde. Depuis la placette située derrière la grande Halle on se dirige vers la mairie de Martigues, on la traverse, on s’installe dans ses jardins, face au canal. La scénographie (Adrien Maufay) instaure une prise d’assaut des espaces, les chaises grimpent sur les toits du bâtiment, traversent en funambule la cour pour se poser sur une terrasse, s’empilent ici, se propulsent au sol, échafaudent des collines, tandis que de petites scènes disséminées accueillent les artistes qui se livrent à l’interprétation de passages dansés tels des Krumpers (le Krump, danse née à Los Angeles dans les quartiers pauvres représente la vie) : pendant que les textes sont dits en voix off, les corps formulent alors l’indicible, prenant le relais des mots. La liberté d’être un autre, de se réinventer, propre à la création théâtrale devient celle de tous en une apologie espiègle du mensonge qui est aussi une vérité. La jonction entre l’intime et le collectif, le politique, se noue là, dans ce mouvement d’ensemble fluide, où s’esquisse une nouvelle poétique de la ville et des relations entre les êtres. On ne se quitte pas vraiment, un verre de bissap (hibiscus) réunit encore artistes et public, les conversations s’attardent. L’humanité est vivante et belle.

MARYVONNE COLOMBANI

Moun Fou a été joué le 4 août (nuit de l’abolition des privilèges en 1789, aucun hasard !) à Martigues 

Objet cinématographique non identifié

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Günter, la quarantaine, a été trouvé à 4 ans dans une forêt germanique. Si on excepte le fait qu’il n’a jamais été malade et n’a qu’un seul poumon, l’homme est assez insignifiant. Sa vie va devenir « signifiante » lorsqu’un inconnu croisé sur un pont lui glisse à l’oreille, un mot dans une langue inconnue. Voici le pitch de N°10, le dixième film du réalisateur-écrivain-metteur en scène-plasticien, néerlandais, Alex Van Warmerdam

Son protagoniste (Tom Dewispeleare)est comédien, répète une pièce mise en scène par Karl (Hans Kesting). Sa partenaire à la scène, Isabel (Aniek Pheifer) est dans la vie, l’épouse de Karl, et sa maîtresse. Les répétitions sont perturbées par Marius, (Pierre Bokma) dont la femme malade l’empêche d’apprendre son texte.

Collage surréaliste

N°10 est un vaudeville minimaliste doublé d’un polar qui bascule dans la science-fiction et la fable politique, un collage surréaliste transgenre, surprenant de bout en bout.

Du théâtre , on a les répétitions sur un plateau (c’est une des pièces d’Alex Van Warmerdam, Bienvenue dans la forêt qui est montée ici), des personnages-acteurs, des dialogues épurés, des plans structurés comme des décors, une stylisation qui ne s’embarrasse pas de vraisemblable. Du cinéma, les extérieurs, les paysages, la fluidité du mouvement, les filatures filées  comme une métaphore, le cadrage et le jeu des points de vue. Les scènes sont souvent enregistrées et le REC rouge, au bas de l’image, rappelle que ce qu’on voit est vu. Par qui ? Pourquoi ? Le personnage principal Günter est suivi et filmé par sa fille Lizzy (Frieda Barnhard), elle-même suivie et espionnée par de mystérieux sbires aux ordres d’ecclésiastiques prêts à tuer pour accomplir un projet dont on ne connaîtra la teneur qu’à la fin.  

Lorsque Karl ayant appris l’infidélité de sa femme, se venge de Günter en lui enlevant le rôle principal, il bouleverse la logique de sa pièce et, péremptoire, affirme à une comédienne qui demande quels seront leurs repères, qu’il n’y en a pas. Avec humour, le film suit cette même voie, plus noire que lactée, nous projetant dans un vaisseau spatial puis dans un espace intersidéral improbable, où flottent un archevêque fanatique et une statue de Jésus.

ELISE PADOVANI

Photo : Copyright ED Distribution

SORTIE: 30 Août 2023

À Gréoux, un bon bain de jazz

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Anna Stevens © X-DR

La programmation du Gréoux Jazz Festival détonne dans le paysage régional. Ce sont des formations traditionnelles, d’un jazz qui fait simplement danser et chanter, reprend des standards et a le sens de la fête. La première soirée, le 13 septembre, sera endiablée. Anna Stevens Sextet et ses danseurs swing présentent un concert spectacle, avec démonstration virtuose de lindy hop, de booggie, de rock, et un répertoire de jazz des années 1930. Un big band de dancing et une chanteuse qui swingue à tout va ! 

Le lendemain L’Orchestre syncopatique, qui pratique le New Orleans dans l’Hérault, fera lui aussi un bond dans le temps jusqu’aux racines du jazz, et des parades dixies : trompette bouchée, clarinette, batterie légère et clavier sautillant, thème, solos et chorus, comme aux origines ! Et de jolies voix croisées sur des standards éprouvés. Jazz manouche le 15 : la Dorado Schmitt family reprend le répertoire de Django Reinhardt. Le père et ses fils, aux violon et guitare, accompagnés par la contrebasse de Gino Roman, font chanter les cordes, avec une belle délicatesse, une virtuosité impressionnante dans les solos, et une complicité… familiale !

Le 16, place à Nicole Rochelle. Ou plutôt à Billie Holliday. Cet hommage à la grande chanteuse de jazz puise dans ses années de jeunesse, et s’appuie sur le talent de la Hot Suger Band, piano, guitare, percussions et une section de vent (clarinette, trompette et saxo) très swing. La voix de Nicole Rochelle a le grain, les inflexions et tout le cool de Billie. Mimétique, mais pas tout à fait, transcendant les interprétations par un phrasé plus « hollidien » que nature. Gréoux Jazz festival se conclut avec Rhoda Scott. La vraie ! Et son Lady quartet : Anne Paceo à la batterie, Sophie Allour au sax ténor, Géraldine Laurent au sax alto, Julien Alour, seul homme de la formation, à la trompette. De sacré·e·s musicien·ne·s, à l’invention constante, qui construisent des univers en mouvement perpétuel, des harmonies inattendues et précieuses, que l’orgue hammond de Rhoda Scott vient compléter de ses nappes mystiques. 

Dîners jazz

Avant ces cinq jours de fête, le festival convie à des dîners en musique, au restaurant, avec des duos de musiciens tout aussi formidables. Les 4, 5 et 6 septembre, avec Patrick Ferney à la guitare et au chant et Karim Tobbi à la contrebasse, c’est le Bakélite duo qui revisitera les standards américains préférés des grands crooners. Dans trois restaurants différents, on peut aussi choisir son menu, traditionnel ou provençal. Jean François Bonnel (clarinette) et Auguste Caron (piano) prendront la suite les 7, 8 et 9 septembre, toujours dans un répertoire de jazz traditionnel des années 1930/40. Le dernier diner jazz sera plus chaloupé, avec le guitariste Émile Mélenchon, et la chanteuse Andrea Caparros, qui revisitent joliment le répertoire brésilien, mais aussi La Vie en rose… 

AGNES FRESCHEL

Gréoux Jazz Festival
Du 4 au 17 septembre
Divers lieux, Gréoux-les-Bains
greouxjazzfestival.com

Le cœur battant de la maternité

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"Sages femmes"© Geko Films

Dès que Sofia (Khadija Kouyaté) et Louise (Héloïse Janjaud),deux amies,prennent leur poste à la maternité, elles sentent, et nous aussi, la tension qui règne dans le service. Une caméra nerveuse les suit, alors qu’elles reçoivent les instructions d’une autre sage-femme exténuée. Sofia veut travailler à la salle de naissance, pas s’occuper du travail de préparation à l’accouchement. Douce et efficace, elle prend des initiatives mais parfois manque d’assurance pour les cas difficiles ce qui lui vaudra d’être affectée à la préparation des accouchements, poste qu’elle refuse. Toutes sont sur les nerfs car le personnel est en sous effectif, il n’est pas rare que chacune se retrouve avec trois accouchements à assurer et quand il faut réanimer un bébé, quand le matériel pour les péridurales tombe en panne, quand une parturiente arrive sans aucun suivi médical, la salle de naissance, ressemble aux urgences. Quand une SDF qui vient d’accoucher se retrouve à la rue et que Valentin (Quentin Vernède), leur colocataire, l’accueille sans leur en parler, la tension monte entre Sofia qui comprend et Louise qui refuse. Et dans le service, le stress est permanent, la fatigue, extrême, poussant certaines à démissionner. « Je ne veux plus maltraiter les parents ! », pleure Bénédicte (Myriem Akheddiou) qui vient d’apporter le corps d’un bébé mort à ses parents abandonnés pendant cinq heures dans une chambre. Léa Fehner a su aussi ponctuer ce film nécessaire et politique de séquences drôles comme la garde de Noël où Valentin apporte un gâteau qu’il a décoré… d’une vulve en sucre ou celle où Louise parvient à chasser de la salle de naissance la mère de Réda (Tarik Kariouh) seul homme sage-femme du service : elle voulait prendre à tout prix les décisions à la place de Souad, sa fille qui allait accoucher.

Ecrit et tourné avec des comédiens sortant du conservatoire d’art dramatique de Paris qui ont construit leur personnage à partir des témoignages d’une dizaine de sages-femmes, Sages femmes est un film sous haute tension comme l’hôpital aujourd’hui. « Ce cœur battant de la maternité, je voulais qu’on puisse le sentir dans le film», explique Léa Fehner. C’est chose faite.

ANNIE GAVA

Aix en juin et à l’heure américaine

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Concert de la Résidence de chant de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence le 22 juin 2023 à l’Hôtel Maynier d’Oppède. Récital dans un programme musical d’Amérique du Nord : Samuel Barber, Leonard Bernstein, ou encore l’Allemand Kurt Weill.

C’est à un programme inhabituel que l’académie a convié son public d’habitués et de curieux. Pensé en écho à L’Opéra de Quat’Sous programmé au festival, avec pour point de jonction la musique de Kurt Weill en exil, le concert s’est finalement pensé comme un panorama de la musique lyrique moderne et contemporaine des États-Unis. L’absence des mezzo-sopranos Eugénie Joineau et Niamh O’Sullivan pour raisons de santé avait certes de quoi nous chagriner. Mais c’était oublier que le carré d’as féminin offrait déjà un nuancier très riche de sopranos en tous genres. La colorature Seonwoo Lee est peut-être davantage taillée pour le belcanto que pour ce répertoire-là, même si l’on aurait rêvé de l’entendre en Cunégonde. Elle livre cependant une Willow Song, extraite d’un opéra de Douglas Moore, de très bonne facture ; et une tout aussi mélancolique lecture des poèmes d’Emily Dickinson mis en musique par Copland. La très wagnérienne Hedvig Haugerud enveloppe ses morceaux choisis de Samuel Barber et de Ned Rorem de sa belle voix sombrée. Plus légère mais non moins solide, Sandra Hamaoui s’impose avec grâce sur les extraits de Susannah et Our Town. Amanda Batista se révèle particulièrement émouvante sur l’adieu de Beth à Jo, extrait du Little Women de Mark Adamo. Anthony León s’approprie avec pudeur et une belle musicalité le répertoire mélodique de John Musto et Florence Price. Plus théâtraux, le baryton Andres Cascante et la basse d’airain Mark Kurmanbayev déploient de beaux ambitus, et pour le second un goût consommé pour le comique de Bernstein et de Fiddler on the roof, qui lui permettent d’outrer son accent russe. Mais le ténor Jonah Hoskins est sans nul doute celui auquel le répertoire réussit le plus : le Being Alive extrait de Company, chef-d’œuvre de Stephen Sondheim, laisse l’assemblée encore tremblotante. 

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 22 juin à l’Hôtel Maynier d’Oppède, dans le cadre d’Aix en juin, à Aix-en-Provence

Les Solitudes plurielles de Paolo Giordano

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Voilà désormais quinze ans que Paolo Giordano s’est imposé sur la scène littéraire internationale avec le best-seller La Solitude des nombres premiers. Alors primo-romancier, le jeune turinois se voyait récompensé du Prix Strega, soit l’équivalent italien du prix Goncourt, dont il demeure à ce jour le plus jeune lauréat puisqu’il n’était alors âgé que de vingt-huit ans. Si La Solitude des nombres premiers avait alors tant séduit, au-delà de ses indéniables et nombreuses qualités littéraires qui ont donné lieu depuis à trois autres romans, c’était également pour sa capacité à saisir l’air du temps, et à conjuguer au tournant du millénaire littérature et sciences. L’histoire d’amour qui unissait ces deux êtres singuliers de leurs traumas infantiles à l’âge adulte filait la jolie métaphore de chiffres trop proches pour pouvoir s’unir ou du moins se rencontrer ; elle exposait également le monde de la recherche scientifique, ses modalités et principes, dans tout ce qu’il pouvait avoir de romanesque.

Jours de panique

C’est de nouveau par le prisme des sciences, dont Giordano, également docteur en physique, sait parler sans jamais alourdir le discours, que Tasmania aborde le monde d’aujourd’hui et son parfum de déchéance. Des attentats de 2015 à la veille de l’épidémie de COVID-19, l’auteur scrute la fin du monde attendu et la possibilité d’un renouveau tout autre. Le narrateur Paolo, journaliste et romancier, peine ainsi d’autant plus à répondre aux questions urgentes que lui posent, entre autres, la crise climatique, que celles de sa crise conjugale l’accaparent davantage qu’il ne le souhaiterait. Le portrait émouvant de sa compagne Lorenza se teinte du pessimisme que Paolo nourrit à l’encontre du monde, mais aussi des espoirs contrariés de Novelli, qui partage avec Giordano le métier de climatologue spécialiste des nuages. Ou encore des aspirations par Karol, prêtre songeant à renoncer à sa foi pour vivre un amour interdit. La peur face au terrorisme, face à l’effondrement dont Giordano esquissait les contours dans son essai Contagions, paru en pleine épidémie, entrave la quête pourtant nécessaire d’un idéal, cet eldorado qui pourrait être l’île de Tasmanie. Mais qui semble, plus que jamais, hors de portée. 

Suzanne Canessa

Paolo Giordano, Tasmania, traduit de l’italien par Nathalie Bauer. 
Éditions le Bruit du monde, 23 €

Retour de flamme

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On en attendait beaucoup de Chloé Delaume après le doublé gagnant de Mes bien chères sœurs et Le cœur synthétique. Le premier des deux ouvrages, paru en 2019, s’appropriait avec une joie et un humour si singuliers la forme de l’essai et du renouveau de la pensée féministe. Le second opérait un virage vers le roman « normal », et plus précisément vers son pendant sentimental – « l’histoire d’une fleur bleue qu’on trempe dans de l’acide » – qui aura valu à l’autrice le Prix Médicis en 2020. Pauvre folle marque un retour de Chloé Delaume vers l’autofiction, genre dont elle a toujours su explorer la multiplicité des possibles. Ainsi que la réapparition d’un alter ego familier : Clotilde Mélisse, « double fantasmé » aperçu entre autres dans Certainement pas et Au commencement était l’adverbe, de nouveau prise entre plusieurs feux et couches de récits. Ici, entre l’histoire vécue et l’histoire en cours d’écriture. L’Adélaïde d’Un cœur synthétique s’interrogeait déjà avec inquiétude sur la possibilité de l’amour à l’aube de la cinquantaine ; Clotilde sait bien, quant à elle, que la passion à peine ravivée qu’elle voue à Guillaume est sans issue. L’objet de son affection, homosexuel et heureux en ménage, ne saura de nouveau répondre à ses élans qu’en clairières et falaises : lieux imaginaires d’un amour poétique se nourrissant de son propre inassouvissement. Ce segment, condamné d’avance, est inévitablement et certainement délibérément le moins stimulant et le moins enthousiasmant de Pauvre Folle. Il s’accompagne fort heureusement d’envolées bien plus inspirées, à l’humour comme toujours ravageur. La Petite typologie du mâle hétérosexuel post #MeToo se réhaussant du ton gentiment transgressif de Mes bien chères sœurs vaut notamment à elle seule le détour. Mais c’est comme toujours avant tout par le style que Chloé Delaume séduit, et dans sa capacité à ouvrir, sous les traits d’esprit bien sentis, des béances de douleur et de désolation. On retrouve comme toujours, en filigrane, la mère disparue, tuée par le père sous les yeux d’une Clotilde à peine âgée de neuf ans. Les années de prostitution, facilitées par les capacités de dissociation de Clotilde, qui « habitait très peu son corps » ; les pensées suicidaires, omniprésentes. Et pourtant, on rit, une fois de plus, de bon cœur : 

SUZANNE CANESSA


Chloé Delaume, Pauvre Folle, éditions du Seuil, 19,50€