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« La Bête dans la jungle », en quête d’absolu

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La nouvelle d’Henry James, The Beast in the jungle, paru en 1903, l’histoire d’un homme qui attend un événement extraordinaire et demande à une femme d’attendre avec lui, a toujours bouleversé Patric Chiha, par son rapport au temps, par la tension entre la vie réelle et la vie rêvée. Il décide d’adapter l’histoire de May et de Jon qui, pour lui, a la valeur d’un mythe. On avait vu le talent de ce réalisateur pour filmer les corps qui dansent dans son film précédent, Si c’était de l’amour, le documentaire sur la vie de la troupe de Gisèle Vienne.

Traverser les époques

Dès les premières images de La Bête dans la jungle, des danseurs, des corps se frôlent au rythme du disco. La voix de la physionomiste (Beatrice Dalle), enveloppée dans sa cape noire nous guide dans ce monde étrange. « C’est l’histoire de May et de Jon. May avait rencontré Jon croisé dix ans auparavant dans les Landes, au bal de la Sardinade. Là, il lui avait confié son secret : “depuis que je suis enfant, je sais que j’ai été choisi pour quelque chose d’exceptionnel et cette chose extraordinaire devra m’arriver tôt ou tard. Et toute ma vie va être bouleversée.” » On est en 1979. Au cœur d’une boite de nuit parisienne dont on sortira  peu : pourquoi sortir, c’est ici que tout se passe. Les corps dansent, nimbés de lumière, se touchent, flamboient. Et c’est là que May (Anaïs Demoustier,excellente),tout en couleurs, exubérance et mouvement, retrouve Jon (Tom Mercier) immobile, comme figé et hors du monde. Et ce sera ainsi chaque samedi jusqu’en 2004. Dans ce club on va traverser les époques, les élections de 1981, la mort de Klaus Nomi, l’hécatombe du sida, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre. May s’est mariée avec Pierre (Martin Vischer) mais continue à attendre avec Jon la chose qu’il guette, quelque chose de plus grand qu’eux. Elle aime que sa vie ressemble à un roman. « Il faut résister, il faut danser. »  Dans la boite de nuit, les costumes chatoyants, brillant de mille feux ont fait place à des tenues noires Le club s’est vidé à cause des morts du sida mais les rescapés continuent de danser au rythme de la techno, filmés du balcon où May et Jon poursuivent leur quête d’absolu.

La Bête dans la jungle,histoire d’amour et sorte de documentaire sur une discothèque de 1979 à 2004 confirme le talent  de Patric Chiha à filmer une atmosphère. On l’avait déjà remarqué avec Brothers of the Night ( Berlinale 2016). La Bête dans la jungle est un film envoûtant dont on n’a pas envie de sortir, attendant nous aussi, peut-être qu’une bête sorte de l’écran et bouleverse nos vies… « Vous êtes sortis, quelle drôle d’idée ? C’est ici que tout se passe. »

ANNIE GAVA

La Bête dans la jungle, de Patric Chiha
En salles le 16 août

Plongées romantiques

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Une carte blanche

« La valeur n’attend point le nombre des années », sans doute rarement l’adage né de la pièce de Corneille n’a été aussi bien illustré que la soirée « Carte Blanche » offerte au jeune pianiste Alexandre Kantorow, lauréat à vingt-deux ans en 2019 de la Médaille d’Or du prestigieux Concours Tchaïkovski ainsi que le Grand Prix, décerné seulement trois fois auparavant dans l’histoire de ce concours (né en 1958). Le programme consacré à Beethoven et à Schubert abordait diverses configurations, forme concertante avec le Sinfonia Varsovia dirigé par Gordan Nikolitch, puis chambriste, réunissant Liya Petrova et son violon Hélios fabriqué à Crémone en 1735 par l’héritier de Stradivari, Carlo Bergonzi, Violaine Despeyroux et son alto Jacquot de 1863, Aurélien Pascal et son violoncelle « Maisky » réalisé par David Tecchler à Rome en 1703, Yann Dubost et sa contrebasse de Giuseppe Zanotti de 1733, et soliste enfin, sans doute les instants les plus attendus par le public tant le jeu du pianiste conjugue avec brio élégance, poésie et virtuosité. 

Violon, piano et violoncelle commençaient le bal avec une œuvre de jeunesse de Beethoven, son Trio pour piano et cordes n° 1 en mi bémol majeur délicieusement volubile et brillant avant son Triple Concerto pour piano, violon et violoncelle en ut majeur, œuvre assez particulière unissant le concerto grosso et la symphonie concertante qui faisait fureur à Paris à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècles avec à côté de l’orchestre un groupe de solistes qui « concertent » entre eux et avec l’orchestre, ici, le Sinfonia Varsovia dirigé par Gordan Nikolitch. Cette conversation animée où l’écoute de l’autre permet des rebondissements, des surprises, des exclamations, des monologues, des voix qui se chevauchent, s’interrompent, surenchérissent, fut menée avec finesse par les trois instrumentistes liés par une longue complicité avant une deuxième partie au cours de laquelle Alexandre Kantorow, seul face à son Steinway, se glissait dans la Wanderer-Fantasie en ut majeur de Schubert dont les formes assez beethoveniennes par leur caractère exubérant ne dissimulent pas une intériorité sensible que le jeu subtil du pianiste épouse dans ses nuances les plus délicates, ses respirations, ses silences, ses modulations où se lovent les stridulations entêtantes des cigales, dialogue émouvant de la nature et du poète romantique.   

Le Quintette pour piano et cordes en la majeur de Schubert, seul quintette avec piano du compositeur, est désigné par le nom La Truite en raison des variations de son quatrième mouvement sur le thème d’un lied du même Schubert, Die Forelle (la truite) inspiré d’un texte de Schubart (à une lettre près on est musicien ou poète !). L’entente entre les instrumentistes, l’élégance de leur interprétation, leurs regards parfois teintés d’espièglerie, la sensation de spontanéité, n’étaient pas sans rappeler certaines soirées données au château de l’Emperi lors du Festival international de Musique de Chambre de Provence, simplicité conviviale et intelligente au service d’une expressivité sans cesse renouvelée… 

En bis, le quintette reprend avec humour le thème de La Truite puis Alexandre Kantorow s’adressa en souriant au public : « nous n’avons plus rien à jouer. On m’a forcé à jouer tout seul ». Ce sera l’Intermezzo opus 118 n° 2 en la majeur de Brahms… Délices !

Une carte concertante

Une deuxième soirée, avec une salle pleine à craquer, permettait de retrouver Alexandre Kantorow et le Sinfonia Varsovia sous la houlette d’Aziz Shokhakimov. Le pianiste offrait une interprétation très subtile et intime du Concerto pour piano et orchestre n° 1 en fa dièse mineur de Serguei Rachmaninov, œuvre de jeunesse du compositeur russe (il avait alors 17 ans) qui construisit cet opus en regard du Concerto pour piano en la mineur de Grieg. La fougue juvénile du premier mouvement, Vivace, dont le thème n’est pas sans rappeler le générique de la regrettée émission de Bernard Pivot, Apostrophes, s’emporte avec passion, en un développement ample et mélodique. La virtuosité de l’œuvre réside sans doute dans ses contrastes, puissance grandiose et repli sur soi, élans vivaces et rêveries nocturnes. Le piano sait à merveille dessiner ces atmosphères si variées, oscillant entre les ondes tempétueuses du premier mouvement et les parfums de la mélancolie de l’Andante avant de renouer avec les échos tziganes chers au compositeur. Le lyrisme romantique de ce concerto sied comme un gant à Alexandre Kantorow qui apporte sa lecture, sa sensible poésie à une partition complexe. Sa connivence avec le chef d’orchestre, chacun admirant le travail de l’autre, autorisait une liberté neuve à cette œuvre tant de fois jouée et entendue. En bis, généreux, le jeune interprète offrait la Valse Triste de Vecsey transcrite pour le piano par Cziffra puis Chanson et danse n° 6 que Mompou dédia à Rubinstein. Une bulle de rêve…

L’orchestre seul s’attacha à une interprétation enlevée de Shéhérazade, suite symphonique opus 35 de Rimski-Korsakov. La musique très imagée de cette suite s’animait avec un enthousiasme communicatif sous la direction vive et précise d’Aziz Shokhakimov qui mime, danse, vit le propos avec une intelligence parfois malicieuse et toujours spirituelle. Face à un premier violon solo dont les aigus filés tenaient de la haute virtuosité, figure de la conteuse Shéhérazade, l’orchestre, puissant, endosse le rôle du sultan. Les miniatures se succèdent, cavalcades, fêtes, tempête maritime… Les finales somptueuses figées en falaises vertigineuses et immobiles accentuent le caractère épique du conte des Mille et une nuits, les instruments solistes offrent leurs paillettes à ce kaléidoscope foisonnant (flûte, cor, basson, hautbois) qui danse dans la douceur du soir. Une nouvelle page d’enchantements à La Roque !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 7 août au parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron

Concerto pour mistral et piano  

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La programmation de La Roque d’Anthéron se plaît année après année à dénicher de jeunes prodiges dont l’aisance technique ne cesse de nous surprendre. Si certains se cantonnent dans le numéro de cirque des prouesses impossibles, la plupart font preuve malgré leur jeune âge d’une intelligence et d’une maturité qui laissent présager les grands de demain. Le festival de La Roque les fait revenir, et le public a le loisir de découvrir l’évolution de ces artistes en herbe.

L’année passée, Alexandra Dovgan, lauréate de maints concours internationaux, avait déjà séduit le public du haut de ses quatorze printemps par sa verve et son calme olympien. Fausse douceur, car il fallait un caractère bien trempé lors de l’édition actuelle de 2023 et résister au mistral qui soufflait en bourrasques folles ce soir-là, décoiffant les grands arbres du parc de Florans, emportant les notes, couvrant les piani, gommant les nuances, dévastant tout dans sa fièvre. Mais, comme la Fiancée du Froid du conte russe, imperturbable, la subtile pianiste enchaînait les danses de la Partita n° 6 en mi mineur BWV 830 de Jean-Sébastien Bach avec une constance exemplaire. Le caractère paisible de la Sarabande et ses phrasés chantants, la régularité de la Courante, l’équilibre des tempi et l’harmonie des compositions, sans doute un peu trop sages, cédaient le pas devant la Sonate n° 26 en mi bémol majeur de Beethoven, dite Les Adieux (en allemand, Lebewohl, en raison du départ de l’élève de Beethoven et dédicataire de l’œuvre, l’archiduc Rodolphe, contraint de quitter Vienne occupée avec sa famille à la suite de la guerre de Wagram). Exil, regrets, absence, y sont traduits avec une discrète nostalgie tandis que le retour final exulte d’une joie expressive. C’est cependant la deuxième partie du concert qui permit à Alexandra Dovgan de faire la démonstration de la pleine mesure de son talent qui ne cherche pas l’éclat inutile ni l’acrobatie pour l’acrobatie, mais, avec une fine élégance sait épouser les œuvres qu’elle aborde. Les Variations et fugue de Brahms sur un thème de Haendel en si bémol majeur en firent l’éloquente démonstration. Le climat poétique de l’œuvre toute de gradations avant la grande fugue finale cache les trésors de technicité nécessaires à son exécution. L’immense musicienne Clara Schumann, qui créa la pièce, se plaignit souvent des difficultés qui lui donnaient l’impression que ce monument était au-dessus de ses forces !

Les Trois Intermezzi opus 117 de Brahms, souvent considérés comme le testament pianistique du compositeur plongent dans l’intimité de son âme. Ce sont les « berceuses de ma souffrance » affirme celui « qui ne riait jamais » selon ses dires. La jeune pianiste s’empare de cet univers complexe où la nostalgie et les peines se transfigurent en une contemplation mystique. Une poésie profonde sourd de son jeu qui peu à peu s’affirme, conjuguant l’âge adolescent de l’interprète et la maturité d’une pièce qui porte ses regards sur le passé. La richesse harmonique de l’ensemble frémit sous la conque alors que le vent s’apaise. L’Étude opus 8 n° 12 en ré dièse, Patetico de Scriabine vient en point d’orgue lors du rappel avec ses extensions démesurées (la plus grande, ré# / sol# était trop grande même pour les mains de Scriabine !), son brillant, sa fièvre et son onirisme. 

Toute frêle dans sa longue robe rose (oui, c’est une fille), la jeune pianiste reste toute simple et tranquille alors que les gradins l’ovationnent et vibrent sous le martèlement de pieds enthousiastes.

MARYVONNE COLOMBANI

Le récital d’Alexandra Dovgan a été donné le 6 août à la Roque d’Anthéron dans le cadre de son Festival international de piano

Cent fois sur le métier

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Parfois il arrive d’entendre qu’à « La Roque, on entend toujours les mêmes, les mêmes œuvres ». Ce soir-là, Nicolaï Lugansky, familier, ô combien, de la scène du parc de Florans, abordait un répertoire qu’il a interprété maintes et maintes fois : Moments musicaux opus 16 (de 1 à 4), Sonate n° 2 en si bémol mineur, quatre des Études-tableaux et six parmi les Préludes de Rachmaninov, à l’occasion de la Journée Rachmaninov du festival en l’honneur du 150èmeanniversaire de la naissance du compositeur russe. 

« Encore ! » s’exclameront les fâcheux. Et pourtant, année après année le jeu du pianiste russe ne cesse de surprendre. Les mêmes œuvres, arpentées, réfléchies, creusées, révèlent de nouvelles nuances, se moirent de couleurs toujours plus subtiles, dévoilent des facettes insoupçonnées. L’artiste offre chaque fois une vision plus intime, plus habitée, plus construite, alliant à une époustouflante virtuosité technique, celle du fin lecteur et interprète, passeur de sens et de songes. 

Le programme, intense, bénéficiait d’une feuille de salle à conserver dans les archives. En effet, chaque morceau y était présenté par Nicolaï Lugansky lui-même en une analyse tout aussi personnelle que pertinente. Un détour par la Première Symphonie pour aborder les Six Moments musicaux, présentés comme une « romance urbaine » dotée d’une « couleur élégiaque » dans le premier « moment », « d’intonations tremblantes » pour le deuxième, du « rythme d’un cortège funèbre » quant au troisième et d’une « température dynamique et émotionnelle (…) encore plus élevée » dans le quatrième moment que dans l’Étude révolutionnaire de Chopin à laquelle on le compare en raison du « mouvement tourbillonnant turbulent des seizièmes »… En effet, on se laisse transporter au fil des variations de tempi, d’atmosphère, ici, une âme rêve, là, elle s’emporte en tempêtes, s’assagit soudain, dessine des falaises, franchit les océans. La Sonate n° 2 en si bémol majeur, composée à la veille de la Première Guerre mondiale est vue comme « une prémonition du grand artiste de la tragédie humaine à venir et, en particulier, de la tragédie de sa patrie » (cette explication de Lugansky prend aujourd’hui un relief particulièrement sombre). La version proposée de cette sonate est celle de Nicolaï Lugansky qui reprend des fragments de la première mouture de l’œuvre qui n’étaient pas inclus dans la seconde partition, simplifiée et la plus jouée. La légende veut que les difficultés techniques étaient telles que peu se décidaient à les affronter. Sans aucun doute, rares sont les pianistes de la trempe de Lugansky capables de rendre avec tant de justesse et de netteté une telle œuvre : le jeu d’une précision envoûtante et d’une clarté qui s’articule jusque dans les rythmes les plus rapides (les mains volent alors, défiant la pesanteur) sait être puissant tout en restant éloquent, sensible, murmure tout en gardant une fermeté souple dans le phrasé. La succession des Études-tableaux opus 39, n° 4, 5, 6, 8 fait un détour au pays enluminé des contes, déclame des poèmes ciselés et se perd dans l’évocation nostalgique et émerveillée d’une beauté disparue. La rêverie fluide frisonne comme une rêverie de Debussy, se fait espiègle, marque les temps, se love dans une histoire puis, fantasque, s’anime de pas de danse, à l’instar des bras de l’interprète qui s’élancent au-dessus du clavier en arabesques de danseur. Généreux, le poète du piano accordait trois bis, Liebesleid(Kreisler/Rachmaninov), le septième des Dix Préludes en do mineur et pour signifier la fin, une Berceuse (opus 16 n° 1 Tchaïkovski/Rachmaninov). Une bulle poétique hors du temps.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 5 août, Parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de la Roque d’Anthéron

Des promenades pour se ressourcer

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Le Festival international de musique de chambre de Provence a un talent bien à lui de nous emmener en voyage. Les compositeurs joués ne sont pas parmi les plus connus, et pour les plus célèbres, les œuvres choisies ont toujours une particularité attachante et neuve, que ce soit par leur histoire ou les instruments parfois inattendus qui leur sont dédiés. 

C’est l’été, la légèreté est de mise, les programmes des concerts sont harmonieusement concoctés : variété des pièces, des univers, en un dosage de haute gastronomie, rien de trop, rien d’inutile, et une envie de revenir goûter aux délices à venir. La soirée intitulée Promenades d’après le titre de la première pièce du concert, Promenades de Bohuslav Martinů, invitait à suivre Jacques Ibert, Florent Schmitt, Max Bruch, Johannes Brahms et Felix Mendelssohn. Avouez que la célébrité de ces musiciens est assez inégale !

La série de petites pièces ciselées qui constituent l’ensemble Promenades de Martinů était jouée avec une fine élégance par Bilal Al Nemr (violon), Emmanuel Pahud (flûte) et Orlando Bass (piano). Les trois interprètes rendirent la diversité des sensations que peut éprouver le promeneur en ses déambulations qui le mènent à découvrir cafés ou bouquinistes le long de la Seine. On baroquise un peu, les phrasés se mêlent, se croisent, se répondent, c’est spirituel, imagé, délicat et prépare aux charmes contrastés de la Sonatine opus 85 de Florent Schmitt où la clarinette de Paul Meyer vient remplacer le violon. La combinaison des trois voix instrumentales tisse un filet sonore brillant où les émotions se déploient dans toute la richesse de leurs nuances. On retrouvait le violon aux côtés du piano et de la flûte pour Deux Interludes de Jacques Ibert et un détour par une Espagne fantasmée aux lignes mélodiques flamencas. Quatre des Huit pièces (Acht Stücke) que Max Bruch écrivit en pensant probablement à son fils, clarinettiste, rassemblaient autour de Paul Meyer l’altiste Lilli Maijala et le pianiste Frank Braley. La finesse des trois chambristes et leur complicité servit la profondeur et l’intensité de ces tableautins rondement menés. La seconde partie convoquait les plus célèbres, Brahms pour son Trio opus 114 pour piano, clarinette et violoncelle (respectivement Frank Braley, Paul Meyer, Claudio Bohórquez) et Felix Mendelssohn dans son Trio n° 1 en ré mineur opus 49 pour flûte, violoncelle et piano (Emmanuel Pahud, Claudio Bohórquez, Éric Le Sage). La clarté du jeu, la finesse des interprètes, l’évidence avec laquelle ils abordent les traits les plus virtuoses, la sensibilité de leur approche, leur talent à partager une palette vibrante de couleurs avec leur public, dessinaient les élans les plus échevelés et les variations les plus fantasques avec un bonheur rare. « Ce soir, c’était vraiment pour ceux qui aiment la musique, confiait Paul Meyer en souriant. »

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 31 juillet, cour du château de l’Emperi dans le cadre du festival international de musique de chambre de Provence

« Les Filles d’Olfa », la Tunisie dans l’entre deux

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Au dernier festival de Cannes Cannes, Les Filles d’Olfa a obtenu quatre prix dont le prix du Cinéma positif et l’Œil d’or du meilleur documentaire, un prix crée par la Scam en 2015 (ex æquo avec La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir).

C’est en effet un documentaire que Kaouther Ben Hania a voulu réaliser au départ, en 2016, au moment où l’histoire d’Olfa a été très médiatisée en Tunisie et ailleurs. Olfa Hamrouni, avait rendu publique la radicalisation de deux de ses filles Rahma et Ghofrane. Les deux sœurs avaient quitté la Tunisie pour aller combattre aux côtés de Daech en Libye, où elles ont été arrêtées et incarcérées. « Je voulais comprendre la tragédie, et voulais en faire un documentaire classique. Mais cela ne marchait pas. Je n’arrivais pas à ramener les absentes ! J’ai amené des acteurs, un cliché que j’ai détourné. » Et c’est réussi.

On a un film hybride, entre fiction, documentaire et making-of. Rahma et Ghofrane, les absentes sont jouées par deux actrices, Nour Karoui et Ichraq Matar qui font la connaissance de leurs sœurs, Eya et Tayssir, sur le plateau le jour du tournage : une véritable alchimie s’opère. Et c’est la star Hend Sabri, qui jouera Olfa pour les scènes trop dures à revivre, lui explique Kaouther, qui la rassure quand elle craque : « On va tout revivre, ca va être très douloureux ! » Quant aux hommes qu’elles ont côtoyés, c’est un seul acteur qui les interprètera, Majd Mastoura. Parfois, quand une scène est trop dure émotionnellement pour lui il quitte le plateau et veut discuter avec la réalisatrice. Une scène importante car elle brouille toutes les frontières entre fiction et documentaire : un acteur qui a peur, une femme qui dit qu’elle joue, une réalisatrice qui quitte le plateau pour s’expliquer.

Révolutionner sa vie

C’est dans un décor unique que tout se joue, comme une thérapie dans le cabinet du psychanalyste, où mère et filles revivent des moments douloureux comme peut l’être l’adolescence, moment où l’on quitte l’enfance et où l’on a envie de nouvelles expériences jusqu’à vouloir approcher la mort. Kaouther Ben Hania a su filmer avec distance et bienveillance les séquences où, toutes de blanc vêtues, elles rejouent la mise au tombeau de l’une d’entre elles ; où, en habits rouges de majorettes, elles chantent sourire aux lèvres ; où tout en noir, elles discutent et essaient le jijab. Quant à Olfa, constatant que la Tunisie a fait son réveil, même si elle revendique de révolutionner sa vie, et vivre ce qu’elle n’a jamais pu avant, dans cette société patriarcale qui annihile les femmes, elle ne fait que reproduire ce qu’elle a vécu et a fait subir à ses filles ce qu’elle a subi. « J’aime les histoires mère/fille »,  confie la réalisatrice qui ajoute qu’elle a fait ce film avec beaucoup d’amour. Les protagonistes l’ont bien senti : « Merci, tu as porté notre voix. »

Un film qui évoque aussi, bien sûr, la situation politique en Tunisie et la tentation de l’islamisme. Ne craint-elle pas qu’on accuse le film d’islamophobie lui demande-t-on : « Je ne fais pas des films pour caresser dans le sens du poil ; je suis en colère et dans mes films, je sors ma colère. C’est ma manière de voir les choses ! » Et de citer Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Kaouther Ben Hania, qui aime explorer les liens ténus entre fiction et documentaire, n’hésite pas à filmer le réel et ses monstres. Les Filles d’Olfa nous oblige à interroger notre regard à chaque séquence : réel, jeu ; fiction et à remettre en question nos certitudes. Une réussite.

Une réalisatrice remarquée
En 2014, son excellent faux documentaire, Le Challat de Tunis avait ouvert la section ACID à Cannes ; La Belle et la meute en 2017, sélectionné à Un Certain Regard, était inspiré d’un fait divers de même que L’Homme qui a vendu sa peau, sélectionné à la Mostra de Venise et nominé aux Oscars pour le meilleur film étranger 2021.

ANNIE GAVA

Les Filles d’Olfa, de Kaouther Ben Hania
En salles le 5 juillet

Le film a été présenté dans le cadre du FID avant le FID, qui s’est tenu du 15 au 18 juin.

AVIGNON OFF : Délire au crépuscule d’une vie 

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Anne Le Guernec, Frédéric Andreau, Francine Bergé, Jean Jacques Vanier Photo : Elie Benzekri

Quelle belle idée au trio Bergé, Pelabon et Saniez d’importer à Avignon, et espérons-le au-delà, la comédie de l’américain Richard Greenberg : « La brève liaison de maman » ! Voilà un théâtre qui s’affranchit de l’actualité et aborde des liens familiaux à l’accent plus universel. 

Dès l’ouverture il nous plonge dans un bain brûlant où ses quatre personnages crawlent en perte de repères sans jamais se noyer. Deux jumeaux, homme et femme, homosexuels tous les deux, n’ont pas grand chose en commun ; il est doux, serviable, elle pétarade au moindre accroc. Frédéric Andrau et Anne Le Guernec excellent dans cette antinomie fraternelle.  Qui va être bouleversée.

Au crépuscule de sa vie, à deux pas de l’entrée d’un EH

PAD, leur mère s’invente (ou pas) une vie éclairée par une liaison amoureuse torride qui percute l’assurance de ses enfants. Liane rouge sang, écorchée par les années, Francine Bergé irradie une lumière vénéneuse, drolatique ;  elle engage un jeu de massacre perdu d’avance contre la vieillesse galopante. Hiératique, avec sa voix inimitable aux voyelles élastiques, elle boxe nos émotions entre rires, ricanements et estomac serré. À ses côtés, Jean-Jacques Vanier est un amant sensible et discret. Un solide quatuor orchestré par Isabelle Starkier, à la direction d’acteurs impeccable.

Jean-Louis Châles

La brève liaison de maman s’est joué jusqu’au 29 juillet, Théâtre du Petit Louvre 

UN AIR DE DANSE : Pas de sacrifice au Printemps

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L’éclosion du Printemps, sous les arbres du Parc Jourdan © Jean-Claude Carbonne

La soirée d’ouverture de Un air de Danse semblait gagnée par l’air commun de l’été : gratuité, buvette et food-truck, paella partagée au Parc Jourdan ont ravi plusieurs centaines de spectateurs, nettement plus locaux que ceux du festival lyrique. 

Deux spectacles s’y succédaient, un gratuit, un payant, un local, un international. Et le local et gratuit était d’une vigueur et d’un engagement plus net que celui de Sharon Eyal !

Son « Soul Chain », ballet essoufflant de la compagnie allemande Tanzmain, reste un discours glacé posé sur de l’électro pourtant sur mesure, riche et narrative, d’Ori Lichtik. La « chaîne des âmes » repose sur les unissons parfaites des corps, dont se détache parfois un individu, et qui parfois superpose deux voix, deux groupes de danseurs, presque constamment sur demi-pointes, dans des vêtements couleur chair invisibles qui effacent les différences entre les genres. Virtuose et abstraite, la danse reste froide, répétitive, sans contact entre les corps séparés, même si le public, à Aix comme lors de Montpellier danse, applaudi très longuement l’engagement sans faille de danseurs d’exception.

Cohorte de jeunes danseurs

L’enthousiasme quelques heures avant était plus joyeux et populaire. Avec « Un Sacre, des Printemps » Arthur Perole fait le pari de la jeunesse, de sa force de révolte face aux catastrophes auxquelles elle est confrontée. 

Pas question ici de sacrifier une  élue  pour que le groupe survive, comme les centaines de chorégraphies du Sacre le proposent, suivant l’argument de Stravinski. Pas question non plus de rapport de domination entre femmes et hommes, strictement égaux. Leur force est commune, et leur groupe pourtant cherche peu l’unisson, chaque individu scandant à sa manière la violence orchestrale de Stravinski, ses alanguissements aussi, traversés de samples et de battements électro qui ajoutent leurs emballements frénétiques et leurs nappes sonores sans dénaturer la partition. 

Les danseurs ne lâchent rien, confrontés aux agressions, à la transe, au show bizz, à l’impossibilité de vivre leur printemps dans une société qui semble sans avenir. Semblant mordre dans la vie avec une sauvagerie qui n’est jamais menaçante, mais une démonstration de leur appétit de vivre

Ce sacre avait été créé par le Ballet Preljocaj junior en avril, Arthur Perole y étant en résidence durant toute la saison. Ballet junior augmenté, pour cette version, de 9 danseurs de l’Ecole Nationale Supérieure de Marseille : là encore, une alliance inédite, dont  il faudra poursuivre l’élan !

AGNES FRESCHEL

L’ouverture de Un Air de danse  a eu lieu au Parc Jourdan le 21 juillet 
Le festival s'est poursuivi jusqu’au 2 août avec, en particulier, un solo de Ana Perez, deux pièces de Kader Attou, et les Mythologies d’Angelin Preljocaj dans la Cour de L’Archevéché

Lorsque le hip-hop rencontre le ballet…

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Prélude © Agnès Mellon

La deuxième édition du temps fort Un air de danse offre décidément une programmation d’une richesse et d’une variété qui hissent la ville musicale qu’est devenue Aix-en-Provence, grâce au foisonnement de ses festivals, au rang des lieux incontournables de la danse. 

La programmation concoctée par Nicole Saïd (Ballet Preljocaj) aborde avec bonheur et éclectisme les divers aspects de la danse aujourd’hui. Parmi les spectateurs, danseurs et chorégraphes de la région affluent, tant ces instants sont précieux. La formule est simple : un premier spectacle gratuit précède un second payant (mais à des tarifs abordables, 10 à 20€), pour une forme plus longue. Jeudi 27 juillet, la scène ombragée du parc Jourdan recevait pour deux pièces aux univers très différents le chorégraphe Kader Attou, fondateur de la Cie Accrorap, directeur du Centre chorégraphique national de La Rochelle en 2008 à la suite de Régine Chopinot et enfin implanté dans la Région Sud et installé à la Friche de la Belle de Mai depuis 2022. La première œuvre, Prélude, fait se rencontrer la musique de Romain Dubois, toute de crescendos ad libitum, en une spirale ascendante sans fin, et les corps des danseurs emportés dans une houle d’énergie. Véritable hommage au hip-hop, Prélude pour neuf danseurs s’articule sur les pas de cette danse, invite les artistes à se surpasser en des soli d’une éblouissante virtuosité ; les évolutions d’ensemble, dont certains passages semblent être des échos de chorégraphies de La Horde : face au public, en une affirmation réitérée des gestes libérés de toute contrainte, habités de la sève même de la vie. Les respirations dessinent les mouvements, se plient aux rythmes, apportant une intensité ébouriffante au propos. 

Aux sources des émotions

Symfonia Pieśni Żałosnych, inspirée au chorégraphe en 2010 par la Symphonie n° 3 dite « des chants plaintifs » de Henryk Mikołaj Górecki, lui permet d’inscrire son travail dans l’humus des émotions. Cette écriture de l’intime qui évoque souffrance, douleur, amour, joie, emprunte aux divers vocabulaires de la danse, depuis le hip-hop fondateur dont les élans sismiques parcourent les corps de quelques danseurs, à des formes de ballet très contemporaines en passant par des références venues des danses populaires. Vue par Kader Attou comme un hymne à la mère, à la création, sur la version de la soprano Dawn Upshaw avec le London Sinfonietta, la musique aérienne laisse toute latitude aux dix danseurs pour inventer leurs propres scansions atteignant une universalité délicate à l’image des bras mouvants de la danseuse qui ouvre la pièce après des arrêts sur image de l’ensemble. Les ralentis poussés à l’extrême, les accélérations, les courses croisées où personne ne se rencontre, les amas de corps qui suivent les mouvements insensibles d’une danseuse tel un pistil debout, les effets des amples manteaux doublés endossés pour le final, tout concourt à une poésie étrange et envoûtante jusqu’au bout des doigts des danseurs en une humanité qui se réconcilie.

MARYVONNE COLOMBANI

Spectacles donnés le 27 juillet au parc Jourdan, Aix-en-Provence, dans le cadre de Un Air #2 Danse.

JAZZ DES 5 CONTINENTS : Bain de soul au Palais Longchamp

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Selah Sue © M.Freche

Le jazz est un terme « parapluie », au sens où plusieurs musicien·nes de jazz peuvent proposer des musiques radicalement différentes. En ce sens, le festival marseillais assure une couverture très large et promeut ce qui se fait de mieux sur la scène jazz actuelle internationale. En faisant jouer des groupes locaux comme Marie Carnage, qui propose un swing artisanal diablement efficace ; ou des pointures internationales souvent difficiles à voir en live, comme les Anglais de Morcheeba. 

Planant 

Morcheeba fait du jazz comme Pink Floyd faisait du rock. La formation basse, batterie, guitare, clavier et voix nous emmène pour une expérience hors du commun, entre soulaérienne et rythmiques solides. Le concert commence avec des instrumentations qui soutiennent la voix de Skye Edwards, qui donne un son inimitable au groupe. D’une présence scénique fascinante, elle attire tous les regards et sa voix hypnotise le parc du Palais Longchamp. Sur une rythmique enveloppante se rajoutent des nappes électroniques et électriques grâce au clavier et à la guitare, laissant le champ libre à sa voix chaude pour finaliser la formule magique. Pourtant, l’ambiance change après une sortie de scène de la chanteuse. Tout le groupe se sert un verre, et Ross, deuxième tête de Morcheeba et guitariste sur scène, introduit la chanson : « This song is about drinking, so cheers ! » [« Cette chanson parle d’alcool, alors santé ! »]. L’ambiance reste mais se fait plus nerveuse, alors que Skye devient une véritable pile électrique avec la scène comme terrain de jeu. Le groupe fait montre d’une vraie synergie et l’on ressent qu’ils passent tous un bon moment jusque dans la fosse. Pour notre plus grand plaisir. 

Clou du spectacle

Le jazz de Selah Sue, lui, mélange soul, pop et reggae. Et ce dernier se fait entendre dès le début du concert, quand la chanteuse interprète son titre phare Raggamuffin seule avec sa guitare et sa voix reconnaissable entre mille. Pour autant, le reste de son concert, qui présente son dernier album Persona, sonne très gros et dans tous les styles grâce à des musiciens et des choristes de très haut niveau. Tous les arrangements poussent à danser, et offrent une démonstration de relief et de dynamique. L’énergie monte et les solos s’enchaînent pour donner au concert un son énorme, qui dans un autre contexte aurait déclenché un pugilat, pour finalement revenir à des grooves simples. Moment marquant : seule avec sa guitare, Selah Sue prend des suggestions pendant une quinzaine de minutes et interprète les chansons voulues par le public, pour un hommage aux mères et à une fan, avant de terminer son concert sur des chansons explosives comme Alone, où les fans ont pu tout donner. 

Conclue pour de bon après un mois de juillet bien rempli, cette 23e édition du festival est déjà couronnée de succès, et restera dans les mémoires comme un très bon cru.

MATHIEU FRECHE

Marseille Jazz des Cinq Continents s’est déroulé du 8 au 27 juillet, dans divers lieux de Marseille