dimanche 27 juillet 2025
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Sortir de sa zone de confort

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« Le FID, c’est l’espace de tous les cinémas. » Cette affirmation s’affichait à l’écran en préambule de toutes les séances de cette 34e édition d’un festival qui se veut « prescripteur » et « défricheur ». Sur les terres cinématographiques (parfois incognitas) on a découvert des formes hybrides repoussant les frontières de genre, décloisonnant les expressions artistiques, explorant les thèmes de la mémoire et de la trace.

Ainsi, en compétition internationale, La Terminal de l’Argentin Gustavo Fontán, plaçant sa caméra dans une gare routière à Cordoba. Loin d’une approche documentaire, le réalisateur prend le parti de l’ombre, du flou, des compositions serrées jusqu’à l’abstraction, de la répétition, de la succession de plans fixes, pour exprimer l’esprit du lieu. Là, le temps se suspend aux attentes. Là des amours sont nées, sont mortes, et hantent ce terminal où rien ne s’arrête. Récits racontés en voix off, interrompant de quelques mots, la musique concrète des grincements, claquements de portes et ronronnements des moteurs.

Sobriété et pudeur

Trace et mémoire encore dans le magnifique et poignant Background de Khaled Abdulwahed, auquel le jury, présidé par Angela Schanelec, a décerné le Grand Prix. Conversation du réalisateur émigré en Allemagne avec son père bloqué en Syrie. À partir de quelques photos retrouvées, restaurées, d’archives véritables ou recréées par collages numériques, il reconstitue l’itinéraire de cet homme 60 ans plus tôt, en Allemagne de l’Est où on l’avait envoyé étudier dans le cadre de l’Internationale Socialiste. Retrouver la trace du jeune étudiant qui avait des cheveux et un sourire timide, se rendre dans ses anciennes écoles, ses lieux de travail et de loisirs à Leipzig, Dresde…. Qu’importe si l’Allemagne contemporaine n’est plus celle des années 1950. Une fenêtre ouverte sur des immeubles ou sur un réverbère dorant la neige qui tombe, la façade monumentale d’une université, des cheminées d’usine, une rivière, suffisent à convoquer le passé. Par des moyens minimalistes, avec sobriété et pudeur, le cinéaste qui est aussi photographe, donne présence à l’absent et fait revenir celui qu’il n’a pas pu faire venir. Histoire intime qui croise la grande et « sa grande hache ».

Cette Histoire des massacres collectifs du XXe siècle, placée hors temps, décontextualisée par  le dispositif imaginé par Selma Doborac dans son glacial De Facto. Deux acteurs filmés séparément en plan taille, fixe, dans le même décor aseptisé, entre une table-miroir, froide comme un lit d’autopsie et en fond unique, derrière les vitres, une forêt. Le premier, jeune, vêtu de noir, impassible, monologue, en un flux rapide et continu, assumant à la première personne, le discours de tous les criminels de guerre, détaillant jusqu’au vertige l’expérience des camps de concentration, les récits des nettoyages génocidaires, les tortures, le zèle et la bestialité soldatesques, le mécanisme bien rôdé de la déshumanisation. Un discours de la méthode rationnel, froid, hygiéniste. Le second, plus âgé, dans un autre monologue tout aussi dense, manipule les concepts : le Mal, la noirceur de la nature humaine, la culpabilité, la responsabilité. Il expose la logique de l’horreur. Le « tu » qu’il emploie s’adresse-t-il à ce qu’incarne le premier ? Ou à nous, « frères humains » ?

Les films sélectionnés par le FID, en première mondiale ou internationale, ne laissent jamais indifférents. Ils nous font presque toujours sortir de notre zone de confort, déstabilisés, troublés, bouleversés. Sonnés mais éveillés.

ÉLISE PADOVANI

Photo BACKGROUND de Khaled Abdulwahed @ PONG

Le FIDMarseille s’est déroulé du 4 au 9 juillet 2023.

Palmarès de la 34ème édition :

Grand Prix de la Compétition Internationale : Background, Khaled Abdulwahed

Prix Georges de Beauregard international : O Mariheiro Yohei Yamakado

Grand Prix de la Compétition française : Dans le Silence et dans le Bruit, Clément Roussier, Hadrien Mossah

Mention Spéciale du Jury et Prix d’Aide à la Distribution (GNCR) : L’Ile Damien Manivel

Prix Georges Beauregard national : Que quelque chose vienne, Mathilde Girard

Prix de la Compétition Premier Film : Sofia Foi, Pedro Geraldo

Prix de la Compétition Flash : Trouble, Miranda Pennell

Prix Alice Guy : Two Giants that exist here-A German Fairytale, Gianna Scholfen

Prix Renaud Victor et Prix du Public : Nos Iles, Aliha Thalien

Prix CNAP : La Renaissance, Nader Ayache

Prix Européen des Lycéens : An Evening Song, Graham Swon

À Vence, de la musique malgré tout

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Maria Sigaa©XDR

Les festivals ressentent les effets de la crise économique. Celui des Nuits du Sud qui œuvre depuis quelques vingt-six ans, se heurte au budget limité de la commune de Vence, sévèrement touchée par l’inflation. Aussi, l’édition 2023, certes maintenue (la question de son arrêt pur et simple a été posée) présente une formule réduite et entièrement gratuite en guise de compensation pour les festivaliers dont le pouvoir d’achat est en baisse. La place du Grand Jardin sera investie les 28 et 29 juillet pour huit concerts (quatre par soirée) dont la programmation met en avant une palette variée dessinée par une phalange d’artistes confirmés.

Une programmation métissée

On écoutera la chanteuse, instrumentiste et compositrice Mariaa Siga qui a remporté le One Riddim Contest du label Baco Records. L’auteur-interprète niçois Mas Kit fusionnera diverses influences musicales, trap, afro, pop-pock, rap, Brain Damage déclinera les accents de son dub français, tandis que Manudigital, « le plus international des beatmakers français sur la scène reggae mondiale » offrira son show électro-dub accompagné du MC Caporal Negus qui « s’éparpille comme un puzzle ». Le lendemain sera tout aussi festif grâce au Summer feeling de Jude Todd, auteur-compositeur d’indie pop anglaise que l’on a pu découvrir en première partie de Charlie Winston, Louane ou Benjamin Biolay (ses titres Regular Guy et West Coast ont été choisis comme « chanson de la semaine » à la BBC).

Suivront les sonorités éclectiques du jeune auteur-compositeur niçois Adrï qui développe une musique singulière entre hip-hop et pop au cœur de l’émotion. Le groupe Alligatorz (qui a joué plusieurs fois en Amérique du Sud, Argentine, Brésil Colombie, Pérou) métissera les musiques latines principalement brésiliennes (samba, bossa, baile funk) et un hip-hop vocal US mâtiné d’électro. Enfin Pfel & Greem (membres de C2C, mais aussi de Beat Torrent pour l’un et Hocus Pocus pour l’autre) font s’entrechoquer l’électro, le hip-hop et la bass music. Les machines deviennent vivantes lorsqu’ils en jouent. Le Grand Jardin de Vence va danser !

MARYVONNE COLOMBANI

Nuits du Sud
28 et 29 juillet
Place du Grand jardin, Vence
04 93 58 40 17
nuitsdusud.com

Jazz à Juan se féminise

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Samara Joy ∏ Meredith Truax

Dans cet Hollywood azuréen du jazz, fondé en 1961, il y a un « Walk of Fame » du jazz, le long de la pinède Gould, qui accueille tous les concerts du festival depuis sa seconde édition (1962) : les trottoirs du boulevard Baudoin, où quelques géants du genre ont scellé leurs empreintes de mains, parmi lesquels Ray Charles, Sonny Rollins, Claude Luter, Stéphane Grappelli, Archie Shepp, Oscar Peterson, Wynton Marsalis, BB King, Marcus Miller, George Benson, Keith Jarrett ou encore Michel Petrucciani. Pas beaucoup d’empreintes de géantes, me direz-vous…. You’re right ! Mais désormais, de nouvelles empreintes vont s’y inscrire chaque année, et il se trouve qu’à cette 62e édition, elles sont enfin nombreuses les jazzwomen à Jazz à Juan. Début d’un cercle vertueux ?

Avant, pendant, après

Cette année, le festival accueillera donc sur sa scène Samara Joy (new-yorkaise de 23 ans, auréolée de deux Grammy Awards), Dee Dee Bridgewater, Lizz Wright (chanteuse de jazz et de soul originaire de Géorgie (États-Unis)), la saxophoniste française Sophie Alour, Imany (chanteuse aux accents blues-folk d’origine comorienne), Angélique Kidjo, Fatoumata Diawara, Youn Sun Nah (chanteuse jazz-pop sud-coréenne) et Melody Gardot. Côté hommes, entre autres : Mathis Pascaud et Hugh Colman pour un hommage à Dr John, Joe Bonamassa, Jacob Collier, Brad Meldhau, Branford Marsalis, Thomas Dutronc, Cory Wong, et Nile Rogers. Nouveauté 2023 du festival, un before et un after (il faudra être muni d’un billet) : le before, dès l’ouverture de la Pinède Gould à 19 h, foodtrucks, tables et chaises sous les pins, partie de pétanque et autre loisir convivial, le tout ambiancé par un DJ. L’after sera organisé sur la plage (supplément de 15 € – limité à 100 personnes), pour siroter un verre les pieds dans l’eau, au rythme des vagues et de la musique, jusqu’à 1 h.

MARC VOIRY

Jazz à Juan
Du 10 au 21 juillet
Pinède Gould, Juan-les-Pins
jazzajuan.com

Luise, entre les lignes

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Adaptée d’un court roman de D.H. Lawrence The Fox, le dernier film de Matthias Luthardt, Luise, substitue la campagne alsacienne à l’anglaise. Et l’année 1918 à l’année 1914. Par ce déplacement spatio-temporel, le réalisateur allemand s’approprie l’histoire du romancier anglais. Il en conserve toutefois l’essentiel : un triangle « amoureux » en huis clos au cœur d’un conflit qu’on ne verra ni n’entendra mais dont la lourde menace crée la situation d’exception sur laquelle repose la dramaturgie.

Luise (Luise Aschenbrenner) vit seule dans une ferme alsacienne isolée. La région est allemande depuis 50 ans. Luise parle alsacien, allemand et français. Sa mère déjà veuve vient de mourir. À voir la calme beauté des paysages, on ne pourrait pas imaginer que le front et sa boucherie quotidienne ne sont pas loin. Une jeune française Hélène (Christa Theret) fait irruption, poursuivie par Hermann (Leonard Kunz), un soldat allemand blessé. L’armée de Ludendorff recherche un déserteur, traque une française ennemie. Luise cache, héberge les deux fugitifs, et glisse peu à peu dans le jeu des désirs, des regards, des dévoilements et des dévoiements. Hermann ne parle et ne comprend que l’allemand. Hélène ne parle que le français, Luise devient peu à peu le pivot et l’enjeu de relations complexes exacerbées par le confinement. À petits pas, à petits gestes, elle va se découvrir, se dénuder, se libérer.

Entre chien et loup

Une tentative de viol, un capitaine tué en légitime défense… de ce qui s’est passé avant, on n’aura que des bribes. Des personnages, on ne saura pas grand chose non plus. On imagine la vie de Luise, fille unique élevée dans la foi chrétienne par des parents aimants. Celle plus compliquée d’Hélène farouchement athée, marquée dans sa chair par un père protestant qui n’acceptait pas son homosexualité. On devine les quatre ans de combat du pieux et rustre Hermann, sa vie antérieure bien normée dans un village teuton soudé par la parole biblique. Ce qui compte, c’est ce qui se passe là, entre chien et loup, dans la lumière naturelle des jours et le clair-obscur des nuits où les bougies et les lampes à pétrole font flotter les visages sur un fond noir. Ce qui se joue là, entre celle qui croyait au ciel et celle qui n’y croyait pas. Guettées par le Renard.

Les gestes du travail (la traite de la vache, la préparation des repas, les travaux des champs) saisis souvent en très gros plans, ancrent les corps dans la trivialité, et jalonnent la progression de sentiments qui fluctuent, comme les lignes des armées, les frontières géopolitiques, les orientations sexuelles, les limites de l’humanité. Souvent rattaché à l’École de Berlin, Matthias Luthardt – dont Cannes en 2006 avait primé le premier long métrage Pingpong, revient à la fiction après de nombreux documentaires. Dans une mise en scène sobre et épurée, il filme le trouble avec netteté et la faiblesse avec force.

ÉLISE PADOVANI

Luise, de Matthias Luthardt

photo @ Pyramide Distribution

En salles le 5 juillet

Du (très bon) jazz dès l’apéro 

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Lakecia Benjamin © Elizabeth Leitzell

Été oblige, c’est à l’heure de l’apéro que démarrent les concerts du prochain festival Jazz à Toulon. Non plus à 17h comme c’était le cas auparavant, mais à 19h, de quoi laisser le temps aux Toulonnais·es d’arriver à temps… À cette heure-ci, on y découvre une programmation estampillée « Off », consacrée aux groupes locaux, avant que les têtes d’affiche ne débarquent plus tard, à 21h30. 

C’est donc dans le cadre de ce Off que le groupe ALF & half se produit le mercredi 19 juillet place Vincent Raspail, pour faire résonner leur son particulier mélangeant groove instrumental et influences jazz et reggae. Place ensuite au BJB Quartet, comprendre « Bossa Jazz Brasil », pour un voyage depuis Toulon sans même avoir à prendre le bateau. Des arrangements de standard de Carlos Jobim, Miles Davis ou Sonny Rollins et leur son latin et jazz, c’est la recette parfaite pour un début de soirée qui swing avant le concert du soir. Et si la dose de Brésil n’était pas suffisante, on peut compter sur Cécile Messyasz et son nouvel album Du Pourpre au Blanc. Elle propose des allers-retours entre standards de John Coltrane ou de Thelonious Monk – réécrits en français pour l’occasion –, et ceux du répertoire brésilien.
Casting cinq étoiles 

Cette année encore, la programmation accueille des musiciens·nes à la renommée internationale. Depuis le projet intergénérationnel Artemis (17 juillet), dont les membres viennent des quatre coins du monde et proposent des représentations remarquées à chaque concert, à la légende de la trompette et du bugle de jazz Arturo Sandoval (18 juillet), en passant par le groupe Iroko mené par le bassiste israélien Avishai Cohen (23 juillet), les rues toulonnaises résonneront du son de ces piliers de la scène jazz contemporaine. 

Enfin, pépites de la programmation de cette année, la présence au festival de deux ex-membres de Return to Forever, mené par le regretté Chick Corea : Stanley Clarke et Al Di Meola (15 et 22 juillet), respectivement bassiste et guitariste du groupe. De quoi faire revivre la magie de ce groupe légendaire de jazz fusion dans la rade de Toulon. 

MATHIEU FRECHE

Jazz à Toulon
Du 15 au 23 juillet
Divers lieux, Toulon
jazzatoulon.com

« Alam », l’âge de l’indépendance

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@JHR FILMS

Alam – le drapeau, en arabe – est le premier long métrage de Firas Khoudry. Comme dans Les Jambes de Maradona, un de ses courts multi primé (2019), le réalisateur inscrit son scénario dans une Palestine occupée et niée. Sans dogmatisme, il rend compte de la complexité de la situation en se coulant dans la vie de jeunes gens qui ressemblent à ceux de n’importe quel autre pays du monde. Des enfants dans Les Jambes de Maradona. Des adolescents presqu’adultes dans Alam

Tamer (Mahmoud Bakri) a 17 ans. C’est un lycéen palestinien vivant en Israël. Avec ses copains, il pense davantage aux filles, à l’herbe, à la fête, à s’émanciper de l’autorité parentale, qu’à la politique. Sa révolte reste modérée. Toutefois, en cours, il grave sur son bureau un singe de la Sagesse à la bouche bâillonnée, au symbolisme clair. Et quand arrive, exclue d’un autre établissement, la belle Mayssa (Sereen Khass) auréolée de sa légende de rebelle, bousculant le machisme ambiant et tenant tête au professeur d’histoire, le jeune homme amoureux voudra l’impressionner. Une histoire racontée des milliers de fois au cinéma, assume Firas Khoudry, sauf que les bravades de cette adolescence incandescente, avec ses contradictions, ses craintes, ses audaces, revêtent ici des enjeux politiques majeurs et induisent le risque de mourir. 

Le côté burlesque de l’équipée nocturne – qui se veut « opération spéciale » pour substituer au drapeau israélien flottant au dessus du toit du lycée, le drapeau palestinien, montre bien que Mayssa, Tamer et ses copains n’ont rien d’une bande organisée. De jeunes gens comme tant d’autres, qui n’ont pas encore de maturité politique. Ecartelés entre deux histoires, celle, familiale, de l’expropriation, de la négation de l’identité palestinienne et celle, officielle, enseignée au lycée par le pouvoir dominant. Sur un mur, un tag rappelle : « Le jour de leur Indépendance [création de l’Etat d’Israël] est le jour de notre Nakba [l’Exode palestinien de 1948] ». Tiraillés entre une citoyenneté israélienne et une appartenance viscérale à la Palestine, entre des familles qui veulent s’intégrer à Israël, ne pas faire de vagues – comme celle de Tamer – et celles qui résistent. 

Alam est l’histoire d’une initiation amoureuse et politique, d’une prise de conscience, du basculement d’une relative innocence à une révolte qui passe par l’épreuve du feu et du sang.

Une histoire sans fin

L’Internationale dans la vieille maison investie par Tamer, s’entend dans un mug qu’on soulève, associée à ce gadget, mais The Partisan de Léonard Cohen qui retentit, bouleversant,  à la fin du film, devient l’hymne de toutes les résistances. Et de la lutte qui n’est jamais finale, pour la libération dont « le commencement », rappelle le père d’un ami de Tamer, est « de pouvoir hisser son drapeau et le summun d’avoir le droit de le brûler » pour échapper au nationalisme, source d’autres injustices.

La maison de Mayssa, celle des parents de Tamer et la vieille demeure familiale où s’est réfugié le jeune homme, encombrée d’objets des années 1950-60, donnent sur un même espace scénique. Une cour-terrain vague où chaque jour l’oncle de Tamer, autrefois brillant étudiant en médecine, incarcéré pour soupçon de terrorisme, et devenu fou en prison, fait brûler quelque chose. Il brûlera l’unique olivier de la place déserte et nue. Feu de colère qui fait table rase ou annonce d’autres incendies ? Une pluie se mettra à tomber. Pour éteindre le brasier ? Pour pleurer la mort de jeunes manifestants ? Ou pour laisser une chance à la vie aussi ardente soit-elle ? Belle image aux lectures multiples qui finit sans conclure. 

ÉLISE PADOVANI

Alam, de Firas Khoudry
En salle le 7 juillet

Le film a été présenté à la dixième édition du festival Aflam.

Coup de cœur du Jury Music & Cinema Marseille 2023 pour la compétition internationale.

Un cinéma venu des steppes

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L’Education d’Ademoka

Une steppe désertique d’herbes sèches, hérissée d’éoliennes qui agitent leurs ailes comme les moulins de Cervantès. Un grincement hors champ, inexpliqué jusqu’à ce qu’apparaisse un garçon tirant une voiture d’enfant rouge sur laquelle trône une fille aux cheveux flamboyants. Les premières images de L’Education d’Ademoka pose d’emblée les partis pris de son réalisateur Adhilkhan Yerzhanov : l’horizontalité, le vide, le plan fixe, l’incongruité quasi surréaliste de l’apparition humaine, de la lente traversée du champ par les personnages. Un décor minimaliste, presque abstrait, à ciel ouvert : il n’y aura pas d’intérieur dans ce film. Un stade, un camp de migrants dans un aérodrome abandonné, un coin d’immeuble tout aussi désert que la plaine, à la croisée de chemins vides, un portique de sécurité dressé au milieu de nulle part, des tables servant de bureaux aux policiers ou aux professeurs, posées sur la terre nue ou sur un miroir d’eau. Pas de digressions psychologiques. Peu de véritables dialogues. Ademoka (Adema Yerzhanova) a15 ans. Elle appartient à la communauté des Lyuli, Roms d’Asie centrale, discriminés, chassés, méprisés. Entrée illégalement, sans citoyenneté, sans papier, menacée de déportation, comme toute sa famille, elle est exploitée par des voyous qui font mendier ces parias, à leur profit. Mais Ademoka a du talent. Elle aime la littérature, dessine des histoires sur son petit cahier, rêve d’étudier, d’avoir un diplôme, de devenir dramaturge. On va la suivre dans cette quête donquichottesque. Clownesque. Tout en rondeurs, enveloppée dans une blouse noire qui bouffe entre des collants rouges et une tignasse de même couleur. Un chapeau cloche informe, aussi violemment jaune que son petit sac à dos. Ademoka est un cœur pur, capable de baston pour se faire respecter mais d’une grande douceur. Suivant opiniâtrement son étoile dans un monde corrompu où on triche, où les diplômes s’achètent, où, comme l’affirme un professeur faisant la promotion de son école et de son cours, dans un show à l’américaine, le plus important pour gagner de l’argent, c’est l’anglais, l’informatique et suivre son TikTok ! Dans son parcours de combattante, Ademoka rencontre un autre marginal, Akhav (Daniyar Alshinov). Professeur de littérature et de philosophie, aux allures de clochard, rejeté par un milieu enseignant dont il connaît les vices et les codes. Alcoolique, malhonnête, brutal, ne s’exprimant qu’en éructant les mots des grands auteurs, de Ronsard à Shakespeare, de Melville à Goethe, il va devenir le coach improbable d’Ademoka, jouant sur la loi internationale du droit à l’éducation. Pour traiter ce sujet socio-politique d’ascenseur social et de discrimination, le réalisateur kazakh choisit la poésie et le burlesque : poursuites chaplinesques des vagabonds par les policiers, comique du corps – comme quand la corpulente Ademoka, hors normes, peine à se glisser entre le banc et le pupitre devant un aéropage d’examinateurs placides.

Il retrouve ses thématiques de prédilection : un héros en butte à la cruauté d’un monde injuste et indifférent (La Tendre Indifférence du monde, 2019)  le  combat entre David et Goliath (Goliath, 2022) se calquant ici sur la candeur de son héroïne et se référant aux figures universelles de Quichotte et du capitaine Achab.

A quoi sert l’art ? Une question de cours pour Ademoka. « A glorifier notre nation » dit le dogme officiel. A poursuivre la baleine blanche, à se donner une raison de vivre, et à traverser les chemins, finit par penser la jeune fille… « Et le reste est silence ».

L’Asssaut

« Une cohabitation prolongée entre prédateurs et proie résulte en une relation mutuelle permettant le maintien des deux espèces. La perturbation d’un tel système mène souvent à un désastre écologique. Ce modèle correspond à l’équation proie/prédateur. Toute ressemblance avec des événements réels est purement fortuite. »

Avertissement ? Préambule ? Cours de math sur les équations de prédation de Lotka-Volterra que pourrait donner  Tazshi (Azamat Nigmanov), un des protagonistes du film ? Le spectateur est prévenu : il y aura des prédateurs et des proies !

 Dans une immensité neigeuse, loin de tout, un établissement scolaire. 37 heures avant l’assaut. Des cours de maths, de nunchaku car « la vie est une bagarre permanente » Personne ne semble remarquer que des hommes masqués comme des acteurs de la Grèce antique, se faufilent, jusqu’aux toilettes, armes à la main.  Le gardien somnole, abruti par l’alcool, le prof de maths est en train de refuser à sa femme, Lena, (Aleksandra Revenko) les papiers du divorce qui lui permettraient  de quitter le pays avec leur fils et enferme les enfants dans la salle de classe. Tout est en place pour la prise d’otages car on entre dans ce no man’s land comme dans un moulin. Après les premiers coups de feu, que le directeur prend pour des pétards, tout le monde est évacué, en bus, sous la neige qui tombe, inlassablement. Sauf que Tazshi a menti : il n’a pas fait sortir ses élèves. Des enfants, dont Danial, son fils, sont encore dans l’école. La police ne veut rien faire : « Je ne veux pas risquer ma vie pour un salaire de misère » clame l’un des deux policiers envoyés sur place. A eux donc de s’organiser. 31 h avant l’assaut.  Le compte à rebours qui apparait régulièrement sur l’écran commence, que nous allons suivre, entre tension et dérision. Car ces 8 hommes, qui sont loin d’être des héros, vont préparer un plan d’attaque. Ils s’entrainent à la course au milieu de nulle part après avoir  dessiné sur la neige les contours des bâtiments de l’école. Ils se disputent sur la stratégie. Ils se déguisent  en  moutons, comme Ulysse et ses compagnons dans LOdyssée. Ils révèlent au fil des heures leurs faiblesses et leurs failles. Au tir sur une cible sortie de nulle  part, Léna, la seule femme du groupe, se révèle la meilleure et sera donc chargée d’aller abattre  le premier terroriste. 

 Entre thriller et comédie grinçante, où l’absurde côtoie le tragique, L’Assaut nous donne à voir un monde malade où toute valeur semble perdue. Avec sa mise en scène au cordeau entre plans larges  de ces étendues  immaculées et  gros plans de ces visages désorientés, sa palette chromatique entre blanc et couleurs froides, son interprétation sans failles, L’Assaut  d’ Adhilkhan Yerzhanov est un film qui ne laisse pas indifférent. Dans ces étendues blanches, l’écharpe rouge de Léna est-elle un  symbole : les femmes peuvent–elles prendre d’assaut l’ancien monde  ou est-ce vain ?  Les derniers plans du film ne nous donneront pas la réponse.

A n’en pas douter, dans les steppes d’Asie, comme ailleurs dans le monde, plus que se rallier à un panache blanc, il faudra suivre le chapeau jaune d’Ademoka et l’écharpe rouge de Léna.

Annie Gava, Elise Padovani

Sortie : 12 juillet

@Destiny Films

Repères dans le In

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G.R.O.O.V.E de Bintou Dembélé © Christophe Raynaud de Lage

Créé par Jean Vilar pour être le fer de lance d’un théâtre pour tous, d’un théâtre de service public, d’un théâtre populaire, il reste un lieu de débats et de batailles. Passionnant, et risqué, comme tout festival de création. Quelques recommandations, parmi ce que nous avons vu, et celleux que nous attendons avec impatience.

KRUMP

Bintou Dembelé ouvre le Festival d’Avignon avec G.R.O.O.V.E, et c’est une révolution. Bien sûr il y a eu quelques femmes au Festival, quelques noirs, plutôt africains que français. Mais une femme noire française venue du hip-hop et traquant les traces de l’esclavage français, jusque dans les Indes Galantes de Rameau dont elle a magnifiquement dynamité la «Danse des Sauvages » ? La charge subversive de Bintou Dembelé ne s’arrête pas à ce geste opératique. La déambulation de trois heures qu’elle propose, avec quatorze danseurs, une chanteuse et un guitariste, part du cinéma Utopia qui projette un film sur le marronnage en Guyane, s’arrête sur le parvis de l’Opéra, place habituelle du hip-hop et du krump, avant d’entrer dans le théâtre, et d’y rendre un hommage aux cultures noires et aux cultures de rue. Par la danse, la musique, les mots, la voix, le rituel, qu’elle conçoit comme un tout.  Pour changer notre regard, déstructurer nos références culturelles colonisées, et nous faire voir autrement notre monde commun.

G.R.O.O.V.E
Création 2023
De Bintou Dembelé
Du 5 au 10 juillet à 17 h, relâche le 7
Déambulation

Notre grandeur

Julie Deliquet dans la Cour est une autre révolution. Parce qu’aucune metteuse en scène n’a eu cet « honneur » depuis Ariane Mouchkine, mais aussi par le sujet qu’elle aborde, et comment. La directrice du Centre dramatique de Saint-Denis aime adapter le cinéma au théâtre, y trouver des espaces nouveaux, des incarnations différentes, avec des corps vus de plus loin mais dans le réel et le présent, toujours incertain et unique, de la représentation théâtrale. Elle aime « la puissance des dialogues » de certains films, et les porte sur scène. Pourtant Welfare est l’adaptation d’un documentaire : les dialogues viennent du réel et où les personnages y sont des personnes aux parcours chaotiques et cabossés. Ce sont des oubliés, qui dans le film de Frederick Wiseman sont des candidats à l’aide sociale à New York, dans les années 1970. Mères célibataires, chômeurs, travailleurs pauvres, sans abris… Les incarner, aujourd’hui, au palais des Papes, dit leur offrir une universalité et une grandeur inespérées. Auxquelles ils ont droit.

Welfare
Création 2023
De Julie Deliquet d’après Frederick Wiseman
Du 5 au 14 juillet à 22 h, relâche le 9
Cour d’honneur du Palais des Papes
Welfare, de Julie Deliquet © Louise Guignon

Mémoire du coeur

Il faudra attendre la fin du Festival pour voir une œuvre du nouveau directeur. Avec By Heart, Tiago Rodrigues a créé une pièce bouleversante. Parce qu’il y parle de sa grand-mère qui devient aveugle et veut, très vite, apprendre par cœur ce qu’elle ne saura plus lire. Parce qu’il nous demande, à nous spectateurs, de le rejoindre sur scène pour apprendre aussi, et réciter. Parce que cela parle de théâtre, de ce que la mémoire doit au jeu, et vice versa. Des sonnets de Shakespeare, de Pasternak et de tous ceux qui ont dû apprendre par cœur pour ne pas perdre le fil. Dix ans après la création, alors que notre « mémoire » repose plus que jamais sur nos appendices électroniques, l’éloge du By Heart, est de plus en plus tendre, et nécessaire. En anglais, comme en français, apprendre Par cœur c’est mémoriser de l’amour.

By Heart
De Tiago Rodrigues
Le 25 juillet à 22 h
Cour d’honneur du Palais des Papes

Théâtre permanent

Gwenaël Morin s’installe pour quatre ans à Avignon, pour une aventure inédite. Son théâtre permanent veut créer sans rétro-planning de création et sans figer le résultat, en répétition permanente, en mouvement à chaque représentation. Cette année il monte Le Songe (d’une Nuit d’été), celui de Shakespeare, mais avec quatre acteurs seulement. Et celleux qui passeront pas loin et voudront bien venir participer à l’aventure, en répétant le jour même, pour être en représentation le soir ! Comédie du désir, du nocturne, du désordre social, théâtre dans le théâtre, Le Songe d’une Nuit d’Eté est une immense pièce du répertoire. Gwanaël Morin pourra-t-il la « dépermanentiser » ? Son projet n’est-il pas, à Avignon, de « démonter les remparts pour finir le pont » ? Boutade, certes, mais quoi de plus urgent aujourd’hui de bâtir autrement, de détruire ce qui nous enclos et construire de nouvelles voies vers l’autre ?

Le Songe
Création 2023
De Gwenaël Morin et Shakespeare
Du 8 au 24 juillet à 21h30, relâche le 19
Jardin de Mons

Et le jour va finir

Tous ceux qui y ont assisté s’en souviennent. En 2010 le Festival d’Avignon invitait le public juste à la tombée du jour pour assister au crépuscule, doucement. Face au naufrage du monde qu’elle pressent, Anne Teresa de Keersmaeker parie sur la beauté. Des corps, de la nature, de la musique. Qu’elle accorde ensemble avec une délicatesse et une précision, une élégance, infinies. En Atendant met en danse le répertoire médiéval de chansons polyphoniques profanes. Cet ars subtilior né en temps de peste noire, pour une apologie antinomique de la tendresse et de l’amour comme antipoison. En 2010, avant le Covid, avant que l’urgence climatique soit si explicite, la danse et la musique disaient déjà l’urgence de changer de mode de vie, et le lien simple au jour qui se lève, aux voix souples, aux danseurs naturels.
Avant la reprise de cette pièce majeure, la chorégraphe flamande propose une création 2023, Exit Above, où sa danse rencontre cette fois le blues. Autour de deux principes pour ces « Walking songs » : « Si tu ne peux pas le dire, chante le. Si tu ne peux pas le chanter, danse-le ». La danse de ATK pour exprimer enfin l’indicible…

En Atendant
Du 14 au 25 juillet à 20h15, relâche le 16
Cloître des Célestins
Exit Above
Création 2023
Du 6 au 13 juillet à 18 h, relâche le 9 à 18 h
La Fabrica

Vivre Avignon

Ce n’est pas la moindre des qualités du Festival d’Avignon. Au delà des spectacles, en deçà, ou à côté, on peut rencontrer les artistes, assister à des lectures gratuites dans la Cour du musée Calvet, poser un regard sur l’Afrique francophone avec RFI, échanger avec Amnesty international ou la Licra autour du Café des idées au Cloitre Saint-Louis, découvrir les jeunes talents de l’Adami, assister à la lecture intégrale de la correspondance de Vilar qui sort chez Actes Sud… Ou replonger dans l’histoire, et notre mémoire, du Festival d’Avignon, grâce à l’exposition L’œil présent continue, deuxième volet de l’exposition photographique de Christophe Raynaud de Lage, photographe du Festival depuis 2005. 18 ans de parcours où l’on sent les évolutions scénographiques, les esthétiques, et où on se souvient de grands moments parfois oubliés. Ou que l’on a raté !

Débats, lectures et rencontres
Musée Calvet, Cloître Saint-Louis, Respélid’, Maison Jean Vilar
L’Œil Présent continue
Exposition 2023
Du 5 au 25 juillet
Maison Jean Vilar

AGNÈS FRESCHEL

D’autres spectacles, vus en avant-premières ou dans les premiers jours du festival, seront chroniqués durant le mois de juillet dans les pages "l'été de Zébuline" à retrouver dans La Marseillaise 

Repères dans le Off

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Il faudra que tu m'aimes ©J2mc-photo

L’Algérie au cœur

La compagnie Artscénicum reprend un spectacle qu’elle avait créé il y a onze ans, pour le cinquantenaire de l’Indépendance de l’Algérie, et qui avait beaucoup tourné. Il se joue sur des terrains de pétanque, et met en scène quatre joueurs réunis pour une partie. Au fil des points obtenus ou concédés, les tensions naissent entre les joueurs, tous venus d’Algérie, ou y ayant combattu. Les dialogues, qui jouent des affrontements d’hier et de ceux d’aujourd’hui, retracent en creux l’histoire familiale de chacun, brandie comme un étendard ou camouflée. L’histoire du combat du FLN, des supplétifs abandonnés de l’armée française. L’histoire des conscrits dépassés par la violence, et l’exerçant ; l’histoire de la torture ; l’histoire des pieds-noirs, de l’exil surtout. De cette terre perdue dont le souvenir reste commun, et la nostalgie irréversible.

©Jérôme Quadri
Les Pieds Tanqués
Texte et mise en scène Philippe Chuyen
Du 11 au 23 juillet à 11h30, relâche le 17
Boulodrome de l’Île Piot

Les artistEs et le pouvoir

La compagnie Du Jour au lendemain a créé le texte d’Howard Baker au Théâtre Joliette de Marseille, l’a joué à Mougins et au Théâtre Durance, et la tournée continuera au Bois de l’Aune d’Aix-en-Provence et à Briançon l’an prochain. Les vingt Tableaux qui mettent en scène la peintre Galactia aux prises avec la République de Venise Renaissante, s’exécutent avec une efficacité et une force remarquable, au gré de tables qui se déploient en décors successifs et figurent l’atelier, le palais du Doge, la prison. Maud Narboni, qui incarne Galactia, y est remarquable, comme les cinq comédiens qui entourent cette femme libre. De ses œuvres, de sa parole. Une Exécution qui résonne malheureusement avec l’actualité politique : la liberté de création, et de parole, des artistes, et en particulier des femmes, est elle compatible avec un régime autoritaire ?

@Fred Saurel
Tableau d’une exécution
De Howard Baker, mise en scène Agnès Régolo
Du 7 au 26 juillet à 18h45, relâche les 13 et 20
Théâtre des Halles

Molière est à toutes

Les Estivants, ce sont quatre filles sur scène, dont une à l’écriture et à la mise en scène, et d’autres qui les aident pour les décors, la musique, les accessoires. Quatre comédiennes un peu clowns, drôles et émouvantes, et aimant le rapport direct avec le public, surtout celui qu’elles croisent sur les routes. Leur Saga de Molière a cet esprit tréteaux de notre auteur national avant qu’il rejoigne la cour. On y sent la propension à battre la campagne et à s’amuser des anachronismes. Car si elles aiment Molière, et nous entrainent au fil du spectacle à entendre ses textes, il est aussi question de la place des comédiennes, aujourd’hui et hier, et de la force revendicatrice et subversive du théâtre. Dans un dispositif scénique fait de bric et de broc qui sent bon l’artisanat haut en couleur, et est diablement efficace.

Leur Saga, coproduite par le Théâtre du Gymnase, tourne avec un succès public constant : plus de quarante dates depuis sa création en 2021, et cela continue la saison prochaine à Gap, au Zef de Marseille et à Velaux…

©Julien Gatto
La Saga de Molière
Texte et mise en scène Johana Giacardi
Du 7 au 26 juillet à 21h30, relâche les 13 et 20
Théâtre des Carmes

Molière est à tous

L’Agence de Voyages imaginaires reprend son Malade Imaginé, qui concentre le savoir faire si particulier de la Compagnie. Philippe Car et Valérie Bournet savent comme personne faire naître l’âme des textes classiques en les revisitant de leur esprit teinté de commedia, de marionnettes, de nostalgie, d’irrévérence, de musiques… et d’amour du théâtre.

À partir d’un fauteuil et de costumes ils font naître la vie, puis la mort. Celle qu’Argan redoute, celle de Molière  qui joua là son dernier rôle, et le souvenir de ses comédiens et comédiennes, spectres qui passent d’un personnage à l’autre comme on enfile des gants. C’est grave, un peu, jouissif, beaucoup, et virtuose. À voir et revoir (ils l’ont beaucoup joué !) sans modération. À partir de 8 ans.

Le Malade Imaginé
De Philippe Car, d’après Molière
Du 9 au 19 juillet à 15h30, relâche le 13
Théâtre des Carmes

Aimer pour la première fois

Alexandra Cismondi (Cie Vertiges)  a écrit un très beau texte, sorte de légère dystopie dans un futur qui nous est proche, mais où langue et les rapports parents/enfants ont évolué, intégrant des changements de genre et une vraie émancipation des ados, mais aussi un environnement extra familial plein de menaces. Lola fête ses quinze ans, et annonce qu’elle a un premier amour. Cette scène, dansée, jouée, en appelle d’autres, varie, se rejoue, se tragédise, sort du réalisme de toute part, et parle du réel pourtant. Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois contient à la fois toute la violence des cours de lycée, et toutes les aspirations, les rêves fous, d’une jeunesse qu’on a enfermée. Adolescent·e·s qui nous ressemblent, parents qui pourraient nous ressembler, par instants. À partir de 13 ans.

Il faudra que tu m’aimes… 
Texte, mise en scène Alexandra Cismondi
Du 11 au 19 juillet à 20h30, relâche le 17
L’Entrepôt

Flagrant délit de fraternité

Grand pays est une fresque villageoise, écrite par Faustine Noguès, à partir de témoignages recueillis dans la vallée de la Roya. Divisé en trois actes, le récit s’attache à une institutrice, deux militants de gauche et un sympathisant d’extrême droite. Chacun vient d’être condamné par la justice : l’enseignante pour avoir refusé de commenter la devise Liberté, Égalité, Fraternité et ses concitoyens pour avoir secouru des migrants égarés. Le second segment relate les discussions entre ces caractères, à la base inconciliables et pourtant décidés à s’unir en collectif. Le dernier volet restitue les débats de magistrats, amenés à statuer sur le délit de fraternité. À la rigueur documentaire de la troisième partie, répondent les discussions tantôt poignantes, souvent vigoureuses, parfois pittoresques, entre ces parias de bonne foi et néanmoins hors-la-loi. La façon dont le quatuor d’interprètes jongle avec registres et personnages, sans altérer le rythme et la précision de certains énoncés, relève d’une pure virtuosité. Au sortir de ce Grand Pays, on applaudit les saltimbanques et on se réjouit de vivre dans un pays de justice et démocratie, qu’il convient de préserver. Quoiqu’il en coûte.

© Kevin Buy
Grand Pays
Texte de Faustine Noguès 
Du 7 au 26 juillet, relâche les 13 et 20 
Théâtre des Carmes

La ballerine, son double et beaucoup de rouge

D’un tapis écarlate, émerge une forme en pointes et tutu. Sous nos yeux, la masse se dénoue, se dédouble, dans une lenteur inhérente à une mise ou un retour au monde. Créée, il y a deux ans entre deux confinements, InKarné est une pièce pensée comme un réveil, une lutte contre la pesanteur, un élan de mouvement, un souffle face aux entraves. La proposition confronte le langage organique et l’art marionnettique chers à la compagnie Deraïdenz. En juillet prochain, ce solo confié à Marion Gassin, sera sur le plateau du Théâtre Golovine. L’occasion de retravailler une œuvre destinée, à l’origine, à être représentée en lumière naturelle, entourée de vieilles pierres. InKarné sera accompagné d’une parade évolutive, statique ou déambulatoire, que, selon leurs habitudes, les Deraïdenz assimilent à une création autonome. Fidèles à eux-même, les Deraïdenz creusent le sillon de l’imaginaire, de la physicalité et du dialogue des formes, à travers une pièce qui interroge l’intime, dans une approche symbolisée par le double construit par Baptiste Zsilina, un corps troublant, fascinant et d’une profonde élégance. En vue de cette campagne estivale, la compagnie lance un appel à financement via le site HelloAsso.

© Serge Gutwirth
InKarné
Mise en scène Léa Guillec
Du 7 au 27 juillet, relâche le lundi
Théâtre Golovine

AGNÈS FRESCHEL ET MICHEL FLANDRIN

D’autres spectacles, vus en avant-premières ou dans les premiers jours du festival, seront chroniqués durant le mois de juillet dans les pages "l'été de Zébuline" à retrouver dans La Marseillaise 

À Marseille, l’été s’annonce spectaculaire

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Du 31 juillet au 4 août la pièce Accrorap est en tournée dans plusieurs lieux de Marseille © Cie Prélude

Côté spectacles, du 7 juillet au 3 septembre, L’Été marseillais s’empare des espaces publics de la ville : places, parcs, jardins, et même les eaux du Vieux Port pour une série de concerts gratuits et flottants face à l’Hôtel de Ville. Après les Chilo-Marseillais de la Cumbla Chicharra et Goran Bregovic, qui ouvriront les festivités le soir du 7 juillet, le public pourra retrouver entre autres Enrico Macias et Chico & The Gipsies le 15 juillet, le rappeur Soolking le 13, et le toujours très attendu Room With a View du Ballet national de Marseille le 11. 

La musique ne se limitera pas au Vieux Port et ira à la rencontre des Marseillais·es dans d’autres lieux : le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra se produiront sur le parvis le 22 juillet, celui de la Major accueillera une grande piste de danse éphémère le 29 juillet, et le parc Longchamp un karaoké géant le 18 août. La compagnie « d’intervention artistique » La CriAtura s’emparera le 30 juillet de la Plaine et le 4 août de l’Esplanade Bargemon pour un grand bal populaire à ciel ouvert. Une grande soirée « space disco » se tiendra au bas de la Canebière le 11 août, avec notamment Laurent Wolf et Paga.

Attractions littéraires, films et musées 

L’esplanade Bargemon accueillera un village écocitoyen tout l’été. Le 21 juillet, il partagera l’espace avec le Livrodrome, « parc d’attractions littéraire ». Le quai du Port, piétonnisé comme les années précédentes, accueillera un Bal de la Libération le 26 août.

Des séances de cinéma plein air animeront les parcs de la ville (Pharo, Mirabelle, Porte d’Aix…) tout au long des soirs d’été à 21h30 : le public pourra (re)découvrir E.T., Le Voyage de Chihiro ou La leçon de piano. Les espaces verts municipaux accueilleront également de nombreuses animations plus tôt dans la journée : l’initiative des bibliothécaires « Partir en livre », ou la tournée de danse hip-hop Accrorap de la Compagnie Prélude.

Les musées de la Ville profiteront de ces deux mois pour mettre en avant leurs collections et expositions temporaires, notamment le Musée d’Art Contemporain qui vient de rouvrir ses portes avec Parade ; chaque musée ouvrira à tour de rôle les jeudis soirs pour des animations et des visites nocturnes. Les autres sites municipaux, bibliothèques ou médiathèques, accueilleront des lectures, des ateliers ou des animations, comme une exposition autour des cuisines africaines à la médiathèque Salim Hatubou, ou les ateliers ludiques « Réaliser son propre film » à l’Alcazar du 26 au 28 juillet. À Marseille l’été sera show !

SUZANNE CANESSA

L’Été marseillais
Du 7 juillet au 3 septembre
Divers lieux, Marseille
marseille.fr