mardi 22 avril 2025
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En bobine Simone

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Copyright - Marvelous Productions - France 2 cinéma

« Pour tout vous dire, je n’aime pas trop ça, les biopics … » L’aveu lâché au bout de quelques minutes par Olivier Dahan a de quoi nous faire sourire. Le réalisateur qui a popularisé le genre en France avec La Môme en 2008, et renchéri avec Grace de Monaco six ans plus tard, s’est pourtant heurté à ses limites. « Harvey Weinstein n’était pas très content de mon travail. Il voulait que je fasse apparaître Grace Kelly à l’écran, comme dans ces génériques qui confrontent les acteurs à ceux qu’ils incarnent. Je trouvais ça franchement con … Et je me suis fait taper sur les doigts !»

Une histoire hors du commun

Suite à cette dernière expérience désastreuse, Dahan s’était promis d’arrêter le cinéma. C’est la comédienne Elsa Zylberstein qui l’a convaincu d’y revenir avec ce projet de film autour de Simone Veil. La comédienne, qui a bien connu la politicienne, avait à cœur de porter sa vie hors du commun à l’écran. « Lorsque je l’ai connue, j’étais très impressionnée mais aussi très intimidée par elle. Nous avions déjeuné ensemble. Nous parlions beaucoup au téléphone – d’Hannah Arendt, notamment. Je serais beaucoup mieux armée pour la comprendre, pour échanger avec elle aujourd’hui. Mais j’ai au moins la chance de pouvoir emporter toujours un peu d’elle avec moi. On dit souvent qu’un acteur doit savoir se défaire de son personnage : j’ai complètement refusé de me défaire d’elle ! ». Pour l’atteindre, la comprendre, Elsa Zylberstein s’est attelée à une année « d’immersion, d’incantation, même ! Je m’étais fait faire des cassettes par Tomatis, comme pour apprendre une langue étrangère. Je voulais comprendre son phrasé, si particulier, si identifiable. Phrasé qui changeait largement selon le lieu : le privé, le monde professionnel, les conférences de presse … Je suis également partie à la rencontre de tous ceux qui l’avaient connue et avaient tant de choses à raconter sur elle. Cette projection des Justes d’Agnès Varda pendant laquelle elle avait hoqueté sans arrêt … ce genre de choses. »

Un film politique ?

Séduit par le sujet et la passion communicative de Zylberstein, Dahan s’empare de la vie de Simone Veil et la remodèle avec soin, en superposant comme à son habitude plusieurs temporalités : « les biopics sont des genres très sommaires : ils sont plus faciles à monter … J’ai tendance à me méfier de la chronologie. La tordre, la faire sauter permet d’échapper au factuel ».  Le personnage sera ainsi incarné, d’un bout à l’autre du film, par Elsa Zylberstein mais aussi par la plus jeune Rebecca Marder. Les traumatismes mais aussi les moments heureux de la jeunesse se télescopent ainsi avec les combats menés par la magistrate, puis la femme politique aguerrie. « Je ne voulais pas faire un film politicien mais un film politique. Un film qui traite de la question de la mémoire, de la parole. » Et touche en cela à un bégaiement de l’Histoire, dont Dahan, fils d’un juif rapatrié d’Algérie et ex-membre actif de la Licra, est particulièrement féru. C’est d’ailleurs à ce père disparu qu’il dédie ce long-métrage non sans faiblesses, mais indéniablement sincère. Moins « indécrottablement pessimiste » que son metteur en scène, Elsa Zylberstein s’avoue à son tour pétrifiée par la remise en cause du droit à l’avortement, « dont on voit qu’il a constitué le nœud de sa vie politique, mais aussi un jalon de l’Histoire du XXème siècle. Une Histoire qui va progressivement du monstrueux vers la  lumière. » Mais dont l’assombrissement semble aujourd’hui tangible.

SUZANNE CANESSA

« Correspondances » : petits échos manosquins

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De gauche à droite, Xavier Mauméjea, Miguel Bonnefoy et le médiateur Yann Nicol © CB

On a retrouvé avec grand plaisir l’excellent et charmant Miguel Bonnefoy venu nous parler de l’amour du soleil. Non qu’il se soit converti à une lointaine religion précolombienne, mais parce qu’il a découvert au détour d’un documentaire, l’existence d’un savant français oublié, à l’origine de la première machine à récupérer l’énergie solaire. Augustin Mouchot était un être maladif et discret. Il a cependant participé à l’Exposition Universelle de 1878 où il a exposé une machine qui fabriquait un glaçon avec l’aide du soleil. L’enthousiasme communicatif de Bonnefoy et la richesse imagée de sa langue en font un des écrivains incontournables des Salons. Il fait d’ailleurs partie de la deuxième sélection du Prix Femina. Il était en dialogue avec Xavier Mauméjean, qui a imaginé l’aventure épique d’un jeune anglais parti en 1936 en Espagne, en pleine guerre civile. Le grand-père de l’auteur s’était engagé dans la Phalange ; il a voulu comprendre les deux partis et construire une structure romanesque à partir de témoignages. Autre dialogue de Bonnefoy avec l’autrice d’un premier roman, Mona Messine, dans lequel elle a voulu offrir un destin de personnage à des animaux, notamment une biche – qui donne son titre au roman – car elle perçoit des similitudes entre l’humain et l’animal. Parallèlement Mona Messine a créé une maison d’édition engagée dans la publication de premiers romans de femmes.
René Fregni n’a pas été oublié. Marseillais, il est chez lui à Manosque et parle des lectures que lui faisait sa mère, de l’aventure des émotions et de l’amour des mots. Mais aussi des engagements politiques de sa jeunesse. Notons aussi la présence de Dominique Ané, connu comme auteur-interprète sous le nom de Dominique A. et compagnon des Correspondances depuis longtemps, qui propose ici un premier recueil de poèmes. Il déclare que ceux-ci sont plus personnels, plus autobiographiques que ses chansons.
Enfin c’est au Paraïs, demeure de Jean Giono, qu’a été rendu le très émouvant hommage d’Emmanuelle Lambert au président des Amis de Giono, Jacques Mény, récemment décédé. Elle évoque leur première entrevue organisée par Jean-François Chougnet, directeur du Mucem de Marseille, qui a initié le travail de plusieurs années sur l’organisation de la grande exposition Giono de 2020. Elle revoit la grosse sacoche qui ne quittait jamais Jacques, pleine de documents essentiels. Elle rappelle son enthousiasme presqu’enfantin et choisit de lire des extraits de quelques œuvres gioniennes pour illustrer sa passion de vivre et de servir l’auteur auquel il a consacré sa vie. Dans cette confidence pas du tout universitaire, mais affectueuse et émue, elle a donné un éclairage personnel sur une « aventure de travail et d’amitié ».

CHRIS BOURGUE

Les Correspondances se sont tenues du 21 au 25 septembre, à Manosque.

L’inventeur de Miguel Bonnefoy  (Rivages)
El Gordo de Xavier Mauméjean (Alma)
Biche de Mona Messine (Livres Agités)
Minuit dans la ville des songes de René Fregni (Gallimard)
Le présent impossible de Dominique Ané (L’iconoclaste)

Marseille : les années rock

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Motörhead ? Non c'est bien le groupe marseillais Quartier Nord en 1980, dont le chanteur Robert Rossi est aussi le curateur de l'exposition © Vincent Costarella

Pendant longtemps, on ne chuchotait pas à l’Alcazar. Ce lieu était le cœur battant de la fête marseillaise, et il a vu débarquer dans ses dernières années d’existence un nouveau style qui allait révolutionner la musique dans le monde entier : le rock’n’roll. Cinquante-six ans après sa fermeture en tant que salle de concert, le site devenu bibliothèque accueille Marseille, ville rock (1956-1980) – du rock à Marseille au rock marseillais, du 7 octobre au 31 décembre. Une exposition qui repose sur la présentation d’objets appartenant à des Marseillais, et au travail de Robert Rossi, son curateur, chanteur du groupe marseillais Quartiers Nord. 

Pourquoi 1956 ?
Comme pour son livre au titre éponyme de l’exposition, Robert Rossi a choisi de faire démarrer son récit en 1956. « C’est la plus vieille trace de rock à Marseille que j’ai trouvée », explique-t-il. Une présence dénichée dans Marseille Provence Magazine, où un article relate un concert des Rock’n’roll Cats, au Saint James, rue Venture. « On y voit le patron danser le rock avec d’autres personnes, ce qui laisse penser que ces soirées étaient déjà habituelles », ajoute-t-il. Une date qui remet en question un vieux poncif de l’histoire du rock en France. « On considère souvent que le rock avait débarqué avec les “marines” américains dans les ports militaires. Or il n’y avait pas particulièrement de “marines” à Marseille, et si la naissance du rock est officiellement datée en 1954, on voit bien que son arrivée à Marseille s’est faite très vite. »

Contributions et archives
Dès lors, le rock et tous les styles qu’il a engendrés soufflent sur la ville. Les pionniers dans les années soixante, le psyché à la fin de cette même décennie, puis le rock fusion, le hard rock et enfin le punk à la fin des années soixante-dix. Tous les courants sont représentés à l’aide d’objets appartenant aux musiciens de cette période, qui ont répondu à l’appel à contribution lancé plus tôt dans l’année. En plus de cet appel, l’exposition se construit aussi autour des archives de l’Alcazar. « L’équipe a recherché dans leur fonds et dans celui de Radio France. Ils ont retrouvé beaucoup de vinyles qui seront exposés. »

Pour l’inauguration, l’Alcazar offre un concert des Batmen, dont le chanteur Henry Sanchez faisait partie du groupe Why Not qui, en 1966, avait ouvert pour les Rolling Stones à la salle Vallier. « Mick Jagger s’était pris un barreau de chaise dans la tête à ce concert. » Une anecdote qui, comme tant d’autres, écrit la légende de cette musique à Marseille, et est à retrouver dans cette exposition événement.  

NICOLAS SANTUCCI

Marseille, ville rock (1956-1980) – Du rock à Marseille au rock marseillais
Bibliothèque L’Alcazar, Marseille
Du 7 octobre au 31 décembre
marseille.fr

« Azor » démonte le système bancaire en petites coupures

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Image tirée d'Azor d'Andreas Fontana ©Next Film Distribution

Le banquier suisse, Yvan De Wiel (Fabrizio Rongione) débarque à Buenos Aires avec son épouse Inès (Stéphanie Cléau) pour « récupérer » les riches clients argentins de la banque Keys Lama de Wiel. Keys, son associé, en place jusqu’alors, a brusquement disparu comme tant d’autres, en ces années 80 où la dictature militaire « éradique la vermine » dans tous les milieux. Qu’est-il devenu ? Qu’a-t-il fait ? Qui était-il ? Un débauché ? Un manipulateur dangereux ? Un homme bon ? Un voyou exubérant qui aurait trop parlé ? Charmant ? Ou laid comme un pou ? L’« absent » est partout, au croisement de témoignages contradictoires. Yvan va devoir se mesurer et se substituer à ce disparu, gagner sa place dans la guerre des banques qui, en ces temps incertains, proposent des refuges aux capitaux de la grande bourgeoisie ou à ceux récemment acquis par les nouveaux maîtres du pays. En cinq chapitres titrés, on suit l’itinéraire de De Wiel. « La tournée des chameaux » d’abord, rite d’initiation où il se présente aux gens qui comptent – dans tous les sens du terme. « Les visites »où il démarche les gros clients« Le duel » dans lequel il découvre le « cercle des armes », club privé fréquenté par le gratin de la junte et les concurrents américains. « Le gala »qui réunit tous les protagonistes et où il  « perd la face ». Et enfin « Lazzaro »,dernière étape qui le conduit hors des salons feutrés dans les ténèbres d’une jungle où il va enfin pouvoir se démarquer de Keys.

Grands hôtels, estancias luxueuses, intérieurs aux boiseries sombres, statuettes de bronze et sofas en cuir, les bruns et les crème, poudrés de lumière dominent à l’image. Tout est chuchoté, allusif, étrange et familier. La peur suinte mais l’horreur restera hors champ. Ambiance lourde, fantomatique, mortifère soulignée par la musique de Paul Courlet aux notes funèbres.

On croise un ambassadeur frileux, un prélat fasciste, une bourgeoise nostalgique, un chauffeur « qui rend des services spéciaux », des salauds ordinaires en costards cravates, complices. Azor signifie : « fais attention à ce que tu dis » ou mieux « tais-toi ».  Le « doux » Yvan dont la médiocrité est rehaussée par l’intelligence de sa femme, est un de ces monstres polis et policés, au langage et au comportement strictement codés. Le réalisateur dit ne pas s’intéresser à la psychologie, ce sont les environnements professionnels qui créent les récits. Les dictatures révèlent la vraie nature de la banque privée comme elle va révéler celle du protagoniste. Et le sourire d’Yvan, au dernier plan du film, est tout simplement glaçant.

ÉLISE PADOVANI

Azor d’Andreas Fontana
En salle le 12 octobre
Le film écrit en collaboration avec Mariano Llinas, concourait à la Berlinale 2021, section Encounters

Annie Ernaux, JE est une autre

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Image tirée du documentaire "Les années super 8" d'Annie Ernaux et David Ernaux-Briot © Les films Pelléas

Parce qu’Annie Ernaux, lorsqu’elle écrit, décrit toujours le monde à travers son propre point de vue, parce qu’elle parle de ce qu’elle sent, toujours, à la première personne ou à la troisième, féminine, JE commencerai par parler non de moi, mais depuis moi.

Depuis l’enfance, j’ai appris, comme toutes les femmes de mon âge, plus encore les plus âgées, et guère moins les plus jeunes, à lire des récits masculins. Pas forcément masculinistes, mais les auteurs hommes racontent le désir, le rapport à leur mère, fusionnel, à leur père, conflictuel, à leurs enfants (rarement !), à l’intime, au corps, au vieillissement, à la beauté, à la guerre, à tout ce qui s’érige ou tout ce qui se fend, au progrès ou au cycle… comme les hommes le perçoivent et le vivent. Ils sont socialement et historiquement conditionnés, malgré eux, comme cela.

Parce que j’ai toujours adoré lire, comme toutes les femmes de ma génération, j’ai appris à faire avec cette discordance entre ce que je lisais et ce que j’étais. À m’identifier plutôt aux personnages masculins qui désirent, à repérer les auteurs gays qui décrivent la beauté des hommes, puis à être enfin sidérée, soulagée, par le sentiment de familiarité dans les nouvelles de Colette, parfois dans George Sand, Simone de Beauvoir aussi, même si ses carcans étaient plus bourgeois que les miens, et bien sûr dans Duras. À chaque page, son JE fut un moi qui m’a construite : ses amants, ses couples, ses phrases mêmes, coupées, ressassantes, et cette Histoire qui balaye si particulièrement les femmes.

Après cela bien sûr il y a eu Sarraute, Nathalie. Son Enfance, et la plongée dans l’éveil au monde d’une petite fille, son regard dédoublé. Puis, très vivement, Annie Ernaux.

1983, La Place. Elle est une autre, plus âgée que moi, ses souvenirs ne sont pas les miens, je n’ai pas ce rapport-là à mon père, ni à sa mort. Pourtant, oui, tout me parle de moi, enfin, avec cette limpidité d’évidence.

La suite ne me décevra jamais. Dans Les Années, publié presque vingt ans plus tard, elle décrit ses souvenirs à partir de photos, dans une quête de vérité qui fait immanquablement penser à Nathalie Sarraute, parce qu’elle travaille page après page à définir la notion même de souvenir, et la façon qu’on a d’être aussi, au fond de soi, tous les autres qu’on porte en soi. Les armoires vides qui font écho à La Place, L’événement publié juste après Les Années, et Le jeune homme tout récemment, racontent comment un avortement a marqué son existence, et modifié son désir, sa relation à ses parents, puis aux jeunes hommes. Comment un homme pourrait-il écrire cela ?

Nul besoin d’avoir vécu ce qu’elle décrit pour éprouver cette familiarité, jusque dans son rapport intime au politique. Je n’habite pas Cergy mais je transpose naturellement vers la cité marseillaise de mon enfance le film de Régis Sauder J’ai aimé vivre là. Parce qu’elle y raconte comment on peut être heureux dans une ville nouvelle où l’on veut encore faire cité commune. Et c’est en lisant Les Années que j’ai compris comment la violence de la consommation s’exerce particulièrement sur la conscience des femmes, ménagères chargées du foyer et de l’en-commun.

Depuis Les Années, publié en 2000, le rapport des Français aux autrices a changé. On a vu timidement, marginalement, quelques textes de femmes apparaître dans les programmes du bac. Aujourd’hui, dans les rencontres littéraires, 80% du public est féminin, et enfin des autrices écrivent des romans qui ne parlent pas forcément de leurs amours ou de leur enfance.

Aujourd’hui enfin, une femme française est prix Nobel de littérature. C’est une magnifique victoire.

Enfin, je peux expliquer pourquoi lire des femmes me repose de la lecture de ces centaines de milliers de pages écrites par des hommes qui se croient universels. De Houellebecq, qui fait dire à Christine dans Les Particules élémentaires : « J’ai jamais pu encadrer les féministes. En quelques années, ces salopes réussissaient à transformer les mecs de leur entourage en névrosés impuissants et grincheux. ». Non, jamais une femme ne dirait cela.

Non, je n’ai plus envie de TE lire.

AGNÈS FRESCHEL

Heure de pointes 

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Trois gnossiennes Ludmila Pagliero Hugo Marchand -©Svetlana Loboff OnP-140

Événement au Grand Théâtre de Provence ! Cinquante-cinq danseurs de l’Opéra de Paris dont cinq étoiles, débarquent sur scène devant une salle comble. En ouverture, la pièce très académique de Forsythe pour quintette de danseurs, The Vertiginous Thrill of Exactitude, décline le vocabulaire du ballet classique dans ses différentes combinaisons : solos, pas de deux, pas de trois, section d’ensemble. Le tout sur pointe et en tutu, démonstration brillante de la maîtrise physique nécessaire à la moindre figure de danse. L’émotion arrive avec les Trois Gnossiennes de Hans van Manen. Accompagnées sur scène par le piano d’Elena Bonnay, les deux étoiles Ludmila Pagliero et Hugo Marchand épousent les harmonies sonores, se livrant à une interprétation subtile de la musique de Satie, conjuguant orbes poétiques et fluidité des gestes en une ensorcelante cérémonie. La virtuosité des corps n’est que l’instrument malléable d’une expression libérée de toutes les contraintes physiques pour atteindre le sublime.

The Seasons’ Canon Musique Max Richter Recomposed : Antonio Vivaldi The Four Seasons Chorégraphie Crystal Pite Décors Jay Gower Taylor Costumes Nancy Bryant Lumières Tom Visser


Tandis que And…Carolyn d’Alan Lucien Øyen propose aussi un superbe pas de deux où le quotidien laisse libre cours à l’expression de ses émotions sur des extraits de la bande originale d’American Beauty de Sam Mendes (Thomas Newman). La deuxième partie convoque cinquante-quatre danseurs sur le plateau avec la somptueuse chorégraphie de Crystal Pite, The Season’s Canon, composée pour le Ballet de l’Opéra, sur une musique de Max Richter. Les corps sont orchestrés en architectures mouvantes, tableaux bouleversants d’intensité où les danseurs forment un organisme vibrant, unique et multiple à la fois, transcendé par un rituel venu de la nuit des temps, nimbé de lumières d’apocalypse et d’ombres ocrées. Communion cosmique géniale d’où émergent quelques solistes chamaniques à l’ombre d’aurores boréales qui semblent sceller la destinée des mondes. On se laisse transporter par ces sculptures vivantes, la puissance de cette œuvre magistrale.

MARYVONNE COLOMBANI

Le Ballet de l’Opéra national de Paris s’est produit du 22 au 25 septembre au Grand Théâtre de Provence, à Aix-en-Provence.

Locus Solus s’éloigne et se raccroche 

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Locus Solus-Mutatis Mutandis © Thibaut Aymonin

Deuxième version de l’exposition Locus Solus qui était proposée par Vidéochroniques jusqu’au 16 juillet dernier. Locus Solus – Mutatis mutandis propose jusqu’au 8 octobre une nouvelle scénographie des œuvres des huit artistes invités (quatre femmes, quatre hommes), vivant et travaillant à Marseille. Réunis par Édouard Monnet, directeur artistique du lieu, pour la double influence qu’il perçoit dans leurs travaux, celle de l’écrivain J.G. Ballard et de l’artiste Robert Smithson. Il explicite cette démarche dans les pages du livret de l’exposition, soulignant également les liens (science-fiction, entropie…) entre ces deux figures artistiques des années 1960-70. Livret dont il est conseillé de se munir si l’on souhaite également s’informer sur les œuvres, qui sont exposées sans cartels. L’atmosphère générale se revendiquant d’un « dynamisme ballardien fondé sur une insaisissable géographie et une temporalité hésitante, entre présent visionnaire et futur imminent ». 

Demain peut-être 
N’ayant pas vu la première version de l’exposition, on ne pourra pas jouer ici au jeu des sept différences-pertinences entre les deux accrochages. Mais effectivement, question « insaisissable géographie » et « temporalité hésitante », le compte y est. On pourrait également rajouter : ruines et no man’s land. Hormis les deux vidéos de Gilles Desplanques, mettant en scène une sorte d’individu un peu clown, survivant au hasard de zones désertées, et quelques rares silhouettes humaines sur la collection de cartes postales d’utopies géodésiques vintages rassemblées par Stefan Eichhorn. On n’a affaire qu’à des traces, fossiles, pierres, ciment, objets-déchets variés, tentes vides, automatismes aveugles. Une ambiance muette d’après on ne sait quelle catastrophe – quoique… – où, de plus, chaque œuvre semble contenir son propre effacement. Paysages fossilisés dans des cairns ou dans des moulages de coque de smartphone (Sibylle Duboc), pierres hybrides, détritiques, à la physique déviante (Rebecca Brueder, Valentin Martre), écroulements suspendus (Chloé Chéronnet, Antoine Bondu), vaches laitières impavides filmées dans les boucles d’une étable entièrement robotisée (Sarah del Pino). Les traces, les indices ou les reliques d’un monde d’où l’homme semble s’être absenté, qu’il semble avoir déserté. Science-fiction ?

MARC VOIRY

Locus Solus – Mutatis mutandis
Vidéochroniques, Marseille
09 60 44 25 58 
videochroniques.org

David Lopez se remet en selle

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David Lopez semble aimer les titres courts : après le très remarqué Fief (lauréat du prix du Livre Inter en 2018), voici Vivance.Un drôle de récit relaté par un drôle de narrateur. Dont on ne sait pas grand-chose au départ, si ce n’est qu’il n’a pas eu l’occasion de prendre de douche depuis un bail, et qu’il a débarqué là, dans la grande maison solitaire où vit Noël, sur son vélo prénommé Séville. D’où vient-il ? Pourquoi parcourt-il plaines, vallons et montagnes (les trois parties du roman s’intitulent ainsi) ? Quelques retours en arrière permettront d’en savoir plus : des souvenirs émergent au fil des étapes, des lieux, des sensations en rappellent d’autres … Mais là n’est pas l’essentiel. Ce que dessine subtilement Vivance, au fil d’un parcours initié par la recherche d’un chat perdu et poursuivi à l’aventure « la tronche dans le guidon, à fixer la sphalte (sic)… », c’est un retour dans le vif de la vie. Au gré des rencontres, des vies qu’on lui raconte, de celles qu’il s’invente, c’est la sienne qui se remet à pulser. Malgré la mort qui rôde, malgré les pentes à gravir. Dans une jouissance de l’instant et une captation de l’éphémère revigorantes. 

FRED ROBERT

Vivance de David Lopez
Éditions du Seuil    
19,50€ 

Avec « Qui vive ! », l’intranquillité se sublime 

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Foin des hiérarchies ! Il n’est que des « musiques savantes », « actuelles », « populaires », s’exclame Bruno Allary. Guitariste, compositeur, directeur et fondateur de la Compagnie Rassegna, il signe le troisième opus de son triptyque entamé avec Il sole non si muove. Poursuivi par Contretemps et Qui vive !, il se réjouit ici d’effectuer la réunion improbable d’univers habituellement fermés, jouant sur leur porosité, leurs modes, leurs tonalités en un somptueux opéra baroque en trois actes précédés d’un prologue et scandés d’interludes, « Théâtre de l’amour, Théâtre de la folie », « Théâtre de la mort »

Le XVIIe siècle à l’honneur
L’album devient un spectacle vivant, au cœur duquel tous les registres semblent convoqués. Enjouement espiègle d’À la fin cette bergère d’Antoine Boësset, délicatesse nostalgique d’Augellin de Stefano Landi que vient bousculer une intrusion scratchée et un final électro. Poésie de Se l’aura spira de Frescobaldi entre guitare électrique et flûte à bec, travail en échos de l’incipit de Che si può fare (Barbara Strozzi) mené par le platinage de L.Atipik dont l’ouverture emportait tous les possibles avec de larges vagues sonores, rêverie du passage instrumental Mantovana (Zanetti) scandé par une voix qui se pose en gouttes de pluie… Un élan de blues mâtiné de platine laisse la mélodie vocale s’étirer avec souplesse dans Comme un écho (C. Salvado/B. Allary). 

On se laisse emporter dans cette invention musicale et rythmique où tout nous est familier et surprenant à la fois. Purcell, Moulinié, Merula, peu importe le compositeur originel, la pâte finale est d’une actualité bouleversante, servie avec une sensible intelligence par Nolwenn Le Guern (viole de gambe, guitare basse), Clémence Niclas (chant, flûtes à bec), Carina Salvado (chant, percussions), L.Atipik (platinage artistique) et Bruno Allary (guitares, chant et même danse endiablée lors du spectacle). Un bijou taillé à écouter en boucle !

MARYVONNE COLOMBANI

Qui vive !, Compagnie Rassegna
Buda Musique
16,50€ 

Planète mobile

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Molyvos Lesbos 2020 © Mathieu Pernot

Depuis l’éclat au grand jour de la crise de l’accueil, la question migratoire est un sujet que bon nombre d’artistes s’approprient. On pourrait ranger Mathieu Pernot parmi ceux-là. Lui qui pénétra dans l’emblématique forêt – plutôt que le terme avilissant de jungle – de Calais en 2009. Pourtant le photographe, remarqué dès 2001 pour son précieux travail documentaire sur l’ancien camp de tsiganes à Saliers, près d’Arles, s’inscrit dans une démarche qui le distingue de ses pairs. Avec L’Atlas en mouvement, exposition incluse dans la programmation hors les murs des Rencontres d’Arles 2022, il globalise l’acte migratoire dans une histoire commune au vivant, à partager avec toute la communauté humaine. Scénographié en onze chapitres, le parcours prend la forme d’une narration visuelle polyphonique, s’engageant dans une approche pluridisciplinaire et participative, en écho aux pratiques artistiques contemporaines. Trouvant des déclinaisons dans l’astronomie, la cartographie, la botanique, la question environnementale, l’habitat, la notion de déplacement, le traitement des corps, l’écriture et la langue, cet atlas rassemble, au-delà des photographies de l’auteur, de multiples objets. Et de se lire à travers divers supports. Plusieurs éléments exposés semblent se répondre. Ici des scènes de vie dans le camp surpeuplé de réfugié·e·s de Mória, sur l’île grecque de Lesbos, non loin d’images de ville en ruines en Syrie : point de départ et point de chute d’un parcours qui s’est imposé. Là un amoncellement de gilets de sauvetage que l’on ne peut s’empêcher de mettre en miroir avec une carte marine des naufrages. Ailleurs, des cahiers scolaires où sont écrits des récits d’exilé·e·s répondent ironiquement à d’autres pages d’écoliers datant, eux, de l’époque coloniale. Dans la « Black box », des vidéos envoyées par des migrants eux-mêmes à Mathieu Pernot viennent nous rappeler l’évidence. Ces hommes et ces femmes ne sont pas les sujets anonymes d’une actualité désincarnée mais les actrices et les acteurs d’une histoire qui se construira avec eux. Quoi que les décideurs croient décider.
LUDOVIC TOMAS

L’Atlas en mouvement
Jusqu’au 9 octobre
Mucem, Marseille