Réinventer le langage pour parler des femmes, c’est un peu le sujet de la création mondiale Woman at Point Zero portée par quatre artistes, la compositrice Bushra El-Turk, la metteuse en scène Laila Soliman, l’écrivaine Stacy Hardy et la réalisatrice Aida Elkashef. Cet opéra de chambre inspiré du roman éponyme de Nawal El Saadawi (publié en 1975) narre l’entretien en temps réel d’une prisonnière de la prison Qanatir, Ferdaous (la note d’intention rappelle que ce nom signifie « paradis » en arabe), et de l’autrice qui cherche à comprendre les motivations de cette femme qui a assassiné son souteneur en légitime défense et se refuse à toute révision de son procès alors qu’elle est condamnée à mort. La soprano et compositrice syrienne, Dima Orsho, incarne la prisonnière, désabusée, provocatrice, qui trouve dans son enfermement une liberté dont elle n’a jamais disposé au-dehors, exploitée, soumise à la domination masculine depuis son plus jeune âge. Jusqu’à la prostitution qu’elle a tenté de vivre indépendante, mais bien vite en proie aux souteneurs de toute espèce. C’est dans la prison qu’elle se sent enfin libre, choisissant la peine capitale, dernier lieu d’un libre arbitre qui n’a jamais été le sien. La voix passe du récitatif au ton de la conversation juste modulée, avant de s’emparer, superbement lyrique de l’or brut d’une mélodie. Elle pousse son interlocutrice dans ses derniers retranchements, ses réponses sont conditionnées à ce que l’autre lui livre, rétablissant une égalité dans l’échange qui, interrogatoire au départ, se mue en réel dialogue. Sama, la superbe mezzo-soprano Carla Nahadi Babelegoto, enquête, cherche à comprendre dans une démarche qui tient de l’ethnologie et de l’étude sociale, se voit peu à peu bousculée dans son rôle, doit s’ouvrir elle aussi, partager son vécu.
Ainsi le Printemps arabe est mentionné, mettant en évidence combien il fut difficile aux femmes d’être sur la place Tahir. Les « révolutionnaires » l’étant bien peu dans leur rapport à leurs homologues féminines et les prenant davantage comme proies, consentantes ou non que comme véritables partenaires de réflexion et de révolte. L’action prend aussi une dimension universelle grâce à la multiplicité des langages qui la servent. L’Ensemble Zar au complet sur scène, offre l’écrin d’un chœur aux deux solistes et convoque des instruments classiques de diverses origines. Daegeum, grande flûte traversière en bambou d’origine coréenne (Hyelim Kim), duduk, kaval, cromorne, fujara, flûte à bec (par Milos Milivojevic), sho, nom japonais de l’orgue à bouche chinois (Chatori Shimizu), kamânche, vièle à pique (Faraz Eshghi Sahraei), violoncelle (Hanna Kölbel). Cet instrumentarium puise dans les traditions musicales de l’Europe, de l’Asie, du Moyen-Orient, renoue avec le rôle du chœur tragique des pièces antiques dans son commentaire, ses réactions. Kanako Abe dirige avec finesse cet objet musical qui oscille entre théâtre, oratorio, performance, tenant elle-même presque un rôle de coryphée (déjà son entrée en martelant le sol de ses pas évoquent les sonorités de l’univers carcéral dans lequel l’action se déroule). Des vidéos (Bissane Al Charif et Julia König) viennent compléter le tout, projetées sur le mur de gaze du fond de scène, images de femmes voilées de blanc, extraits documentaires, visages, regards qui ancrent au cœur du réel cette tragédie à portée universelle dans une mise en scène minimaliste qui sait dessiner en épure les lignes de force du texte, symbolisant l’emprisonnement par des fils tendus apparaissant par intermittence, brillants sous les effets lumineux qui ourlent les ombres où se meuvent les personnages. Une pointe d’humour vient souligner la gravité du sujet. Une sororité responsable face aux violences faites aux femmes serait sans doute l’un des piliers d’une résistance qui semble encore bien impuissante à l’échelle de notre planète…
MARYVONNE COLOMBANI
La création mondiale de Woman at Point Zero a été donnée les 10 et 11 juillet, au Pavillon Noir, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.
Andromaque, Tréteaux de France, juillet 2021, m.e.s. Robin Renucci
Phoenix : Patrick Palmero
Pyrrhus: Sylvain Méallet Scénographie : Samuel Poncet Costumes : Jean-Bernard Scotto Assistant à la mise en scène : Thomas Fitterer Production : Tréteaux de France – Centre dramatique national
Représentation du 15 juillet 2021, Draveil, Le Port aux cerises
Après ses mises en scène de Bérénice et Britannicus, et avant de créer Phèdre en mars 2023 à La Criée, Robin Renucci poursuit son exploration de la tragédie racinienne. Sa mise en scène d’Andromaque repose sur un dispositif scénographique extrêmement simple : des bancs, un gong pour marquer la fin des actes, et le texte nu, porté par des acteurs qui disent merveilleusement les alexandrins classiques. Ils montent sur le ring pour combattre, et cette allégorie de la boxe sonne juste : les coups sont portés par les mots, les dos qui se tournent, les regards, les menaces qui sont autant d’uppercuts assénés à celles et ceux qui n’aiment pas. Car la tragédie de Racine ne raconte que cela : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector, qui est mort. Si l’on ajoute au début de cette chaîne amoureuse Pylade qui se comporte en amoureux d’Oreste, et Astyanax fils d’Andromaque qui voit en lui le portrait de son père Hector, la tragédie est nouée : chez Racine il n’y a pas d’issue, on aime sans faiblir, sans se laisser convaincre, absolument. La séduction se raconte, la passion s’énonce, mais l’amour n’est jamais vécu, tout comme la mort : tout se déroule hors champ, par bienséance. Avant, entre les actes, ailleurs. Que s’est-il donc passé avant ? Pyrrhus, porté par son ubris, sa démesure, son orgueil, a massacré les Troyens vaincus, passant les enfants, les femmes et les vieillards par le fil de son épée. C’est Hermione délaissée qui rappelle cette cruauté qui a effaré jusqu’aux Grecs victorieux.
La tragédie de Racine raconte donc combien il est difficile de se relever de la cruauté de la guerre. Question qui demeure d’une telle actualité qu’elle ne peut que résonner avec notre présent. Mais faire entendre le texte, sa prosodie, laisser monter sa violence, cadrer les regards et les gestes au millimètre, suffit-il à construire un point de vue, une interprétation ? Marilyne Fontaine (Hermione) marque indéniablement les esprits avec sa voix grave, sa façon différente de rythmer ses tirades, sa colère et sa douleur qui donnent une force toute contemporaine à chacune de ses répliques. Mais que nous dit-elle, que nous disent-ils, toutes et tous ?
Andromaque, depuis sa création devant la cour de Louis XIV, n’a connu qu’un long et constant succès. Pourtant ce roi tout puissant refuse qu’Andromaque, sa prisonnière, son butin, lui dise non : il veut la faire venir dans sa couche. Il a tué son mari, détruit sa ville, et menace de tuer son fils si elle ne cède pas. Or Sylvain Méallet interprète le violeur comme un amoureux transi qui ne songe qu’à la sauver, à l’élever à la dignité de reine, à adopter ce fils dont il a tué le père.
Faut-il continuer à monter Andromaque, avec ses serviteurs serviles, ses violeurs et ses assassins par « amour » ? Certainement. Mais doit-on, pour respecter le texte, ne pas interroger son sens, et les rapports de domination qui le sous-tendent, avec un regard contemporain ? Les rapports maître/valet, le mariage forcé par la menace, le meurtre passionnel, peuvent-ils apparaître sur scène, aujourd’hui, sans signe de réprobation, ou du moins de distance ?
SARAH LYNCH
Andromaque a été joué du 7 au 17 juillet, au théâtre du Chêne Noir, à Avignon, dans le cadre du festival Off.
Le domaine de Fontblanche recevait un florilège inspiré de musiciens de jazz. Le projet The Fuse du claviériste Tony Paeleman déclinait ses effets électroniques sur la petite scène de l’espace du Moulin. Accompagné du bassiste Julien Herné et du batteur Stéphane Huchard, le compositeur joue avec les résonances, parfois une main seule sur le piano se plaît à se fondre dans le frémissement du chant des cigales. Voici le morceau Afterglow, qui évoque les dernières lueurs du jour enserrées dans l’éternel retour des ostinatos. Hypnotiques, piano et batterie tournoient dans l’air du soir. Les notes d’un clavier se détachent sur de larges nappes sonores, les grands arbres rêvent, ourlés des notes cristallines. Les instruments dialoguent, s’écoutent, ici, un solo de basse ouvre le morceau, construit une solide charpente sur laquelle s’appuient des chromatismes aériens, là, le son se chaloupe et rejoint des tonalités funk. The Fuse, pièce éponyme du spectacle, s’ouvre sur d’amples accords d’orgue, plaqués et enchaînés. Les ruptures à l’intérieur des morceaux tissent des fragments oniriques d’où jaillissent des rythmes affirmés qui flirtent avec l’électro. Un cocktail qui groove diablement bien ! Mais, vite, un ultime bis intense avant de partir vers la grande scène des Platanes où se produit le saxophoniste Jan Garbarek et son trio, Trilok Gurtu (percussions), Rainer Brüninghaus (piano) et Yuri Daniel (basse).
Tellurique
Légende du jazz – une de plus tant le festival vitrollais sait inviter et convaincre les plus grands ! – le saxophoniste norvégien qui a fait partie du quartet Européen de Keith Jarrett et sait aujourd’hui conjuguer cet univers à celui de Coltrane, de la musique indienne (représentée ici par Trilok Gurtu) et de la musique norvégienne. Les univers dialoguent mais aussi se déploient dans leur spécificité : chaque musicien aura ses moments solistes tandis que ses complices s’éclipsent, laissant toute liberté à l’interprète. S’étirent alors amples mélodies, rythmes ébouriffants, improvisations d’une inventivité sans limites. Le pianiste abandonne les effets du clavier numérique pour la souplesse classique du Steinway, ses puissants graves, son espièglerie sensible jusque dans ce qui pourrait être perçu comme de l’emphase. Le percussionniste reprend les rythmes de la musique indienne à la voix puis délaisse les instruments pour les objets les plus loufoques : un seau empli d’eau métamorphose les vibrations d’une pièce métallique, les tempi s’accélèrent prennent une tournure tellurique alors que le saxophone s’empare d’une flûte indienne, nous entraîne dans un voyage autour du monde. Les traditions se confondent, l’univers très « classique » de ces géants du jazz transportent le public conscient de la chance de pouvoir les écouter (seulement deux dates en France dont celle de Vitrolles).
MARYVONNE COLOMBANI
Concerts donnés le 3 juillet dans le cadre du Charlie Jazz Festival, à Vitrolles.
Charles et Annie Balduzzi ont porté à bout de bras cette manifestation avec l’association AGUIRA dont Charles est le président. Bénévoles ainsi que toute leur équipe efficace et dévouée, ils ont su insuffler un esprit, une convivialité, une bienveillance qui ont donné un caractère unique à cette fête de la guitare. « Vingt-deux ans de service, ça suffit », souriait Charles Balduzzi en ouverture des concerts. Repreneurs du flambeau à vos marques !
Si la page se tourne, c’est avec panache. La grande guitariste Valérie Duchâteau, directrice artistique du festival, avait concocté une fois encore une programmation de haute volée, particulièrement homogène dans l’excellence. Les univers de la guitare se croisaient avec une fine intelligence sur la scène du parc Bertoglio, convoquant une phalange d’artistes virtuoses.
Des duos
La guitare se faisait romantique sous les doigts du Duo Odelia (Marie Sans et Alice Letort). La précision du jeu, l’art des nuances, l’élégante finesse de l’interprétation, la subtilité des transcriptions (faites maison), servaient avec brio les œuvres de Fernando Sor, Rameau (un Rappel des oiseaux mémorable), Chopin, Giuliani… Les compositrices avaient une place de choix avec Fanny Mendelssohn ou Élisabeth Jacquet de La Guerre – première femme de France à avoir composé un opéra-ballet – novatrice dans la cantate – claveciniste de génie sous les règnes de Louis XIV et Louis XV – mais décidément moins connue que son cousin, François Couperin dont Les Barricades mystérieuses trouvèrent une nouvelle âme dessinée par les deux guitares. Les jeunes femmes ironisent : « Fanny Mendelssohn écrivit souvent sous le nom de son frère qui était très vexé de voir que ces œuvres signées de lui mais dues à sa sœur rencontraient davantage de succès en concert ! ». Chopin aurait dit « il n’est rien de plus beau qu’une guitare sauf peut-être deux », le duo Odelia ne le fait pas mentir !
Autre duo, celui composé par Valérie Duchâteau et Antoine Tatich séduisait par ses « improvisibles » mêlant partitions écrites et improvisations. Le dialogue s’orchestrait autour de compositions de Marcel Dadi, cet « ami qui nous a fait nous rencontrer », rappelle Valérie Duchâteau, « et grâce à qui nous avons trouvé un moyen de survivre durant cette période avec ses musiques toujours très positives même lorsqu’elles sont tristes », poursuit-elle. Winter Waltz, suit Blueberry, on révise les théories du picking (poum tchack, poum tchack), du super picking (poum tchack poum poum tchack…), l’art du triolet magnifié par l’accordéoniste Yvette Horner, le « son de rêve » du romantique Nous trois (« sans doute écrit à la naissance de son premier gamin », précise Antoine Tatich), auquel répond « l’hymne de Marcel Dadi », La Marcellaise, ponctuée de « traits de génie ». Le jazz et le blues s’immiscent dans les mélodies, les cigales accompagnent avec enthousiasme la subtile vivacité des deux complices. Les accords de l’un tentent de surprendre le fil de l’autre qui répond avec espièglerie puis relance la discussion par une note inattendue sur laquelle un sourire musical se noue…
Des solos
Le jeu fluide au point de faire oublier la virtuosité de Thibault Cauvin nous faisait arpenter le monde, nous conduisant de ville en ville. Berlin, Oulan-Bator, Calcutta, Istanbul, conjuguant à la magie des lieux le ton du conte : se profilent les foules animées, la douceur du soir condensée dans un râga, les chevauchées fantastiques de Gengis Khan sur ses chevaux de feu, les rencontres improbables d’un berger dans les coins reculés de montagnes inaccessibles… Le jeune artiste globe-trotteur, multi-primé lors de dizaines de concours internationaux désaccorde sa guitare tout en jouant, la transforme en sitar et nous voici en Inde. Resserre les cordes et l’on s’évade au Japon, au Brésil, aux côtés des compositeurs les plus variés, Tom Jobim, Stéphane Grappelli, Yuquijiro Yocoh, Mathias Duplessy, Carlo Domeniconi, Philippe et Jordan Cauvin (respectivement père et frère de Thibault). « J’adore jouer dehors, c’est poétique dehors », explique-t-il, et, avec une pointe de rire dans la voix, « j’adore m’accorder, je pourrais faire tout un concert en ne faisant que ça ! ». Et l’écouter régler sa guitare est déjà un moment privilégié ! Les légendes familiales se tissent : l’enfant Thibault demande un jour à son père de lui composer le morceau le plus difficile du monde. Cette musique devient l’hymne familial !
Tout aussi solaire, Samuelito, Breton né en Normandie et jouant du flamenco d’où le surnom donné par les flamenquistes espagnols au jeune Samuel Rouesnel, « Samuelito » qui reste son nom de scène, aborde en vastes improvisations un répertoire qu’il a fait sien. Retraçant dix ans de compositions, il nous initie aux arcanes des divers styles du flamenco, bulería, Alegría, Soleá… « Le plus important, c’est le lien humain, c’est ce que racontent ces mélodies ». Depuis l’Inde, la musique voyage, se nourrit des lieux traversés, affine ses modes, enrichit ses harmonies. Si les origines bretonnes sont malicieusement évoquées dans Nubes, le jazz manouche décline ses virtuoses volutes inspirées de Django Reinhardt sous la plume d’Antoine Boyer (qui a remporté avec Samuelito le 4e European Guitar Award à Dresde en 2017).
Tous ensemble
Enfin, le concert de clôture réunissait tous les intervenants, ce qui permettait une séance de rattrapage lorsque l’on avait raté l’une des soirées dont la découverte de la subtile et très classique guitariste Raphaella Smits qui nous conduisait en Amérique du Sud. L’ensemble Guitares & Co (quatorze jeunes guitaristes menés passionnément par Frédérick Maggio) flirtait avec le jazz et les traditions sud-américaines, ménageant une surprise pour « les Corses de la salle » et un très bel arrangement du Dio visalvi Regina accompagnant Antoine Tatich et l’une des guitaristes en duo vocal. L’ensemble des musiciens reprenait en tutti le célébrissime choro Tico-Tico. Entre temps on aura partagé, écouté les guitares des luthiers présents (Marc Boluda, Renaud Galabert, Vincent Engelbrecht), savouré l’exposition de tableaux d’Annie Balduzzi qui a ramené de ses voyages des scènes sensibles et poétiques. Que de magie !
MARYVONNE COLOMBANI
Le Festival International de Guitare de Lambesc s’est tenu du 5 au 9 juillet, au parc Bertoglio, à Lambesc
Décidément, Vauvenargues détient le secret pour attirer les artistes ! Célèbre pour son château de Picasso, ce village niché aux pieds de la Sainte-Victoire ajoute une nouvelle dimension à son aura artistique grâce au jeune et talentueux violoniste Bilal Alnemr. Ce dernier, en remerciement de l’accueil réservé à sa famille exilée d’une Syrie en guerre, a conçu un festival de haute volée unissant les cultures classiques des deux bords de la méditerranée.
L’espace communal « La Caserne » – un comble – écoutait avec recueillement la fantastique oudiste classique, Waed Bouhassoun et ses musiciens, Merve Salgar (tanbûr) et Neset Kutas (percussions). « Il me tient à cœur cette rencontre entre un orchestre syrien et un public occidental. Ces ponts sont essentiels », expliquait le jeune violoniste lors de sa présentation, et d’ajouter « il est aussi important de donner et de rendre ».
Peu d’explications étaient formulées pour présenter les pièces interprétées, situation géographique de l’origine de tel ou thème, son siècle, son compositeur. Que ce soit a cappella ou soutenu par le jeu subtilement orchestré des instruments, les chants nous conduisent dans leurs univers propres, content les adieux, les envoûtements soufis, les récits amoureux, les sagas familiales, les constructions de villes ou de villages… « peu importe que l’on comprenne ce qui est dit, l’essentiel est cette confrontation avec ces paysages musicaux, ces rythmes, ces accords. Comme il y a beaucoup de textes anciens, il y a des termes que moi-même je ne comprends pas », sourit Bilal Alnemr, « l’important c’est la rencontre avec cet univers, cette invitation au voyage », explique-t-il. On se laisse emporter par les introductions rêveuses du tanbûr, cet élégant instrument à cordes pincées, auxquelles le oud répond, multipliant variations et volutes tandis que les percussions dessinent un cadre irisé de nuances.
Des cigales en Écosse
En écho au classicisme oriental, le classicisme occidental trouvait dans l’écrin montagneux du Vallon des Sports un délicat accomplissement grâce au concert symphonique offert par la ville d’Aix-en-Provence et le Pays d’Aix joué par le Nouvel Orchestre Symphonique du Pays d’Aix(NOSPA) dirigé avec précision par la jeune cheffe Jane Latron. Seule, cette belle formation composée des professeurs des conservatoires et écoles de musique et de leurs meilleurs et anciens élèves livrait son interprétation de l’ouverture « Les Hébrides » de Mendelssohn, si descriptive, puis, pour clore le concert la somptueuse Symphonie n° 7 en A major op. 92 de Beethoven. Entre ces deux œuvres auxquelles Jane Latron apportait un décryptage précis et imagé, le Concerto en E mineur Op. 64 pour violon et orchestre de Mendelssohn conviait en soliste Bilal Alnemr dont la passion sembla décupler la puissance expressive de l’orchestre. Nuances perlées, sons étirés, empâtements creusés dans la matière sonore, aigus bouleversants, graves larges ourlés d’onirisme. Le subtil violoniste conviait ensuite à jouer en duo avec lui le premier violon de l’orchestre, M.D. Mabire, qui, à Damas, lors des rencontres ÉCUME, avait repéré et encouragé le jeune musicien à venir en France se perfectionner, réussissant à convaincre la mère de ce dernier de le laisser partir à treize ans à Aix-en-Provence, un pas décisif pour sa carrière, cela ne s’oublie pas ! Un enchantement bercé par le chant des cigales.
MARYVONNE COLOMBANI
Concerts donnés le 2 juillet dans le cadre desRencontres Musicales de Vauvenargues.
Une salle d’examen collective. Des femmes gravides en culottes passent à la pesée. Leurs visages, pâles, sans maquillage, se détachent sur le poster fatigué d’un paysage de montagne. Tout est bleu lavé, gris et brun. Une étrange douceur de couleurs dé-saturées. Une lèpre ouatée. Puis, un accouchement frontal. En gros plan et dans la douleur. Un fourgon revient dans la nuit d’Odessa qu’on ne verra guère que dans ce plan d’ensemble-là, et en échappée belle, à la toute fin du film, avec l’escalier de Potemkine. Le cadre se resserre aussitôt : la jeune mère, son bébé emmitouflé dans ses bras, grave, silencieuse, rentre à la prison. Rien n’a été dit. En quelques plans, le réalisateur Peter Kerekes préface une immersion de 93’ dans un univers carcéral au féminin, mêlant l’approche documentaire à la fiction, le quotidien bien réel des détenues et de leurs gardiennes à la mise en scène de leur destin. Au final, peu d’actrices professionnelles. Peter Kerekes a passé plusieurs années à préparer 107 Mothers, s’imposant une approche respectueuse et patiente. Dans cette prison dont Surveiller et Punir de Foucault évoque l’architecture, il recueille 107 témoignages de mères-détenues. Un terreau d’authenticité dans lequel il enracine son film. Les séances de gym, les fouilles au corps, les portes grises qui se verrouillent, les ateliers de couture, la salle de classe, les tâches quotidiennes encadrées par les geôlières. Le courrier ouvert et censuré au feutre noir, les allaitements collectifs, les moments de joie passés auprès des enfants dans le bac à sable, les rires partagés entre « filles », l’hiver à déneiger, l’été à manger à pleine bouche des pastèques sanglantes.
Convergence de solitudes
« C’est ni horrible ni bien ici. C’est comme ça, c’est tout. Les jours sont monotones et passent lentement » écrit Leysa dans une lettre fictive à son mari infidèle qu’elle a assassiné. Le temps pourtant est compté pour ces mères. Leurs enfants qui vivent auprès d’elles dans la crèche de l’établissement et peuvent favoriser une éventuelle liberté conditionnelle, leur seront enlevés le jour anniversaire de leurs trois ans pour être confiés à un orphelinat, si la famille refuse de les accueillir. Dans ce portrait collectif de femmes, deux figures se détachent. Leysa (interprétée par l’actrice ukrainienne Maryna Klimova) qu’on suit, de son accouchement au rituel d’anniversaire trois ans après, entérinant la séparation poignante d’avec son fils. Leysa dont le visage impassible trahit imperceptiblement le tumulte des sentiments face à une adversité persistante. Et Iryna Kiryazeva, gardienne célibataire tout aussi taciturne, qui loge dans un appartement de fonction presque aussi étroit qu’une cellule et, qui, dans le cadre de ses fonctions, pénètre l’intimité des détenues, lisant et censurant leur correspondances, écoutant les parloirs. D’autres vies, chaotiques, dramatiques, que la sienne, vide, monotone. Entre la geôlière et la détenue, pas d’échanges directs. Une convergence de solitudes, sans commentaires. Le hors champ se dévoile par la correspondance ou quelques bribes de dialogues. Une autre violence sociale au-delà des barreaux : les hommes alcooliques, adultères, la pauvreté, la corruption, les mères défaillantes ou tyranniques, les lendemains qui ne chantent guère. Le réalisateur en complicité avec son directeur de photographie Martin Kollar, préfère la lumière naturelle, opte pour des cadres très construits, des plans fixes, des tableaux minimalistes. Ce dispositif « policé » et ce traitement de l’intolérable à bas bruit deviennent métaphores du système carcéral lui-même dans sa violence feutrée, institutionnalisée, ritualisée. Ils se révèlent particulièrement efficaces. Le film est bouleversant.
Certaines légendes racontent que le flamenco (patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2010) est né de l’observation de la danse des flamants roses, depuis les mouvements élégants de leurs ailes, leur attitude altière, les piétinements obéissant à un tempo d’oiseleur de leurs pattes fines, au large déploiement des plumes.
Le festival des Nuits Flamencas d’Aubagne, pensé par l’immense guitariste Juan Carmona, associait avec talent les compagnies locales et internationales pour une fête vraiment populaire : animations et spectacles étant tous gratuits – une exception pour un évènement international de cet ordre en France !
La fin de l’après-midi convoquait ainsi autour des professeurs des associations régionales (Aire Andaluz et Acento Flamenco) tous les amateurs et curieux de danse, surveillant pieds et mains, scandant les rythmes de talonnades et de palmas joyeuses. « Cambre-toi beau gosse, cambre-toi ! » on est presque en Hispanie aux côtés d’Obélix (le « beau gosse » de la BD) et Astérix. Les bras s’animent en volutes et s’étirent jusqu’au bout des doigts. Après l’entraînement où chacun a compté les temps, c’est le moment de la pratique avec le trio Giraldillo (dont le nom s’inspire de celui de la Giralda, l’ancien minaret de la grande mosquée almohade de Séville et monument emblématique de la ville). Antonio Vargas et Carlos Ferreiro Moya au chant et à la guitare animent, surjouent, mêlent thèmes populaires et versions moins connues, tandis que les accompagne aux percussions Alejandro Vargas. Il paraît que la sévillane est un anti-stress notoire. À voir les sourires de tous âges fleurir sur les visages, on n’est pas loin de le croire. Les enfants miment les grands, un fauteuil roulant est entraîné dans la danse. Pour tous, ô combien ! Quelle réussite !
Et dansent les lumières
À la nuit, sur la grande scène installée sur la place Charles de Gaulle, la compagnie d’Antonio Najarro (diplômé du Real Conservatorio Profesional de Danza « Mariemma » de Madrid, danseur étoile du Ballet Nacional de España avant d’en être le directeur artistique) se lançait dans l’interprétation vive de sa nouvelle création, Alento. Musique et danse y sont indissociables : la partition était jouée sur scène par le guitariste et compositeur Fernando Egozcue et ses musiciens, Laura Pedreira (piano), Martín Bruhn (percussions), Tomas Potirón (violon) et Miguel Rodrigáñez (contrebasse). Le flamenco bien sûr est central dans cette œuvre qu’irriguent aussi tous les styles de danse, escuela bolera, danse classique espagnole, une pointe de tango, quelques notes de jazz, des échos de castagnettes, on croit même retrouver un souvenir de Echad Mi Yodea d’Ohad Naharin lorsque les artistes dansent leurs rythmes assis sur des chaises. Mouvements d’ensemble au cordeau, géométries prises au ballet classique, finement réorchestrées, pas de deux lyriques, soli enflammés. Le spectacle offre une variété de tons, de registres, de couleurs qui font percevoir la richesse des écoles qui l’ont nourri, caressé par les éclairages de Nicolás Fischtel qui épousent de leurs mouvements les évolutions dansées et les rythmes musicaux. Les vêtements portés par les quinze danseurs (conçus par les créateurs Oteyza, Víctor Muro et Antonio Najarro himself) ne sont pas là pour éblouir le public de la beauté des formes et des matières, mais font partie intégrante de la chorégraphie, prolongent les corps, deviennent outils chorégraphiques, dissimulant, ouvrant, magnifiant tour à tour tel geste, telle attitude, multiplient les effets, accordant une nouvelle ampleur au moindre pas. Se conjuguent ici folklore au sens noble du terme, classique, contemporain avec élégance. Le public ne s’y trompe pas et acclame debout la troupe.
Il faut « de la sensibilité et de l’émotion pour créer un nouveau monde » souriait le chorégraphe lors des remerciements. CQFD.
MARYVONNE COLOMBANI
Vu le 1er juillet dans le cadre du festival Les Nuits Flamencas, à Aubagne.
Un triptyque de 204 minutes signé Daniel Eisenberg. Trois films d’une heure qui peuvent s’appréhender distinctement ou se trianguler en un seul long-métrage, nous immergeant dans la durée des tâches individuelles et collectives, dans l’organisation des procédures de fabrication, dans l’histoire et la géographie d’un travail contemporain multiforme. Trois lieux, trois environnements, trois modes de production. D’abord, un atelier allemand de prothèses : pieds, jambes et mains. De leur conception à leur réalisation. Travail de précision, nécessitant la collaboration de divers spécialistes. Ce premier volet s’offre comme un puzzle : on va de la partie au tout, le spectateur ne sachant pas immédiatement ce qu’est ce tout-là. La main « fait » la main et les doigts de l’ouvrière-sculptrice se mêlent dans une trouble caresse, aux doigts factices si patiemment modelés. Puis, comme par métonymie, un atelier de ganterie à Millau : la Maison Fabre. La main, encore, experte à découper, assembler, coudre pour ganter au plus élégant. Le passé de l’usine en arrière plan, une collection de machines sur une étagère, la tradition de la marque made in France siglée et la vitrine d’une boutique de luxe comme destination finale.
Fascinante bobine
Enfin, l’usine RedKom à Istanbul d’où sortent quotidiennement des milliers de jeans. Le corps, la machine, le corps-machine, le geste, la posture, la chorégraphie des process industriels, la concentration des ouvriers·ères, l’alternance des plans serrés et des plans larges, leur fixité, l’étirement des séquences, à l’instar de celle où les employées turques arrimées à leur machines à coudre positionnent et piquent les pantalons à la file. Gestes précis rapides comme accélérés dans un temps dilaté et tendu, jusqu’à la pause et à la dispersion souriante des travailleuses. Le silence des hommes et des femmes, le bourdonnement, le cliquetis ou le souffle des mécanismes, la répétition, l’accumulation : sans un commentaire, les images peu à peu exercent sur le spectateur une forme de fascination. Le précédent opus de Daniel Eisenberg (The Unstable Object, au FID en 2011) explorait déjà la documentation si particulière du travail et des hommes, sur trois fronts : une usine automobile high-tech de Dresde, un atelier vintage d’horlogerie à Chicago et une fabrique de cymbales à Istanbul. Projet plus ambitieux, plus long, tout aussi exigeant, cette « suite » se déploie ici dans toute sa dimension. « Je m’intéresse à la manière dont l’observation prolongée ouvre la pensée, permettant aux expériences et aux associations d’être produites par le spectateur plutôt que par le créateur », explique le réalisateur, et ajoute : « C’est une réponse à ce que je considère comme des approches et des procédures fatiguées qui ferment la pensée et exécutent publiquement des préjugés inconscients, des préjugés culturels et des hypothèses non vérifiées. » Le résultat est à la mesure de cette ambition.
Il est des moments de grâce. Comme le concert de Stacey Kent programmé le 16 juillet par le Marseille Jazz des Cinq Continents au Théâtre Silvain : même la canicule semblait s’apaiser, les avions passer en silence, lentement, comme s’ils voulaient écouter…
La chanteuse maîtrise chacune de ses inflexions. En français, en anglais, en espagnol, c’est le sens des paroles qui l’anime, et qu’elle parvient à faire ressentir jusque dans chaque détail des phrases, des notes. Dans un registre allant du murmure au mezza voce, rarement à pleine voix, qu’elle a pourtant fort belle, elle entre en dialogue constant avec chacun de ses musiciens, leur laisse la place de solos magnifiques et inspirés et chante véritablement à deux voix avec le saxo de Jim Tomlinson, qui compose aussi quelques unes de ses chansons, et arrange le reste. Elle dit, comme à chaque concert, qu’il est son mari, et cette intimité partagée vibre jusqu’en haut de l’amphithéâtre de verdure.
Car l’exploit de cette crooneuse au swing tranquille et aux gestes doux est d’installer une relation d’intimité avec chacune des deux mille personnes venues l’écouter. Diplômée de littérature comparée, elle connaît le poids des mots, leur rapport aux notes, et aime chanter en français. Son interprétation de Avec le temps a conclu le concert en apothéose. Douloureuse, sublime, comme si elle seule pouvait toucher au chef-d’œuvre de Ferré.
SARAH LYNCH
Stacey Kent était sur la scène du Théâtre Sylvain, le 16 juillet, dans le cadre du festival Marseille Jazz des Cinq Continents.
C’est la saison où dans les champs s’activent les abeilles. À Marseille, c’est le moment où les cinéphiles d’ici et d’ailleurs se pressent devant les salles pour voir les films que nous offre le FIDMarseille. Pour cette 33e édition, 123 films sont venus de 37 pays. Comment choisir ? Un thème, un pays, un·e cinéaste, un film en compétition, un autre joyau, ou encore un lieu, un horaire. Ou tout simplement, butiner au hasard, d’un film à l’autre, recueillant au fil des jours images, sons, paroles et musique que l’on va précieusement garder dans la ruche pour l’hiver.
Mercredi 6 juillet. Dépaysements
Un espace coincé entre ville et désert, à Daggett, pas loin de Los Angeles. Un lieu découvert par hasard par Bob Rice qui, fasciné, y revient et décide d’y faire son premier film, Way Out Ahead of Us. Un regard bienveillant et politique sur des déclassés de la low middle class blanche, autour d’une famille. Celle de Mark, gravement malade et Tracy, mariés depuis 25 ans qui ont élevé leurs enfants respectifs. C’est leur vie quotidienne, loin du rêve américain, au milieu des baraques et des carcasses de voitures que filme Bob Rice ; leur donnant, le temps du film, la fille qu’ils n’ont pas eue ensemble, jouée par une comédienne professionnelle (Nikki DeParis). Un regard qui peut-être change le nôtre, remettant en question nos clichés. Une déambulation dans la ville de Tobako, double fictif de Kawaguchi, banlieue de Tokyo en compagnie de Sakaguchi, (Marino Kawashima) embauchée, alors qu’elle n’est pas vidéaste, pour réaliser une vidéo touristique de cette ville industrielle dont les fonderies se sont arrêtées peu à peu. C’est ce que nous propose Yukinori Kurokawa dans son nouveau film, Garden Sandbox (Niwa no Sunaba). On y rencontre un « ouvrier au repos, un grand classique », un ancien prof qui pêche à la ligne et offre des bonbons spéciaux, une couturière, une bourgeoise qui transforme des robes de mariée en les découpant, une architecte avec qui Sakaguchi entretient une relation ambigüe, sans oublier Kitagawa auquel elle doit ce job improbable. Ainsi, peu à peu, Yukinori Kurokawa, inspiré par le roman graphique Time of Blue de Fumika Inoue et fan de Jerry Lewis dessine le portrait d’une ville désertée – le tournage s’est déroulé pendant le confinement – à travers la déambulation un peu claudicante d’une jeune femme qui la découvre. (Compétition GNCR et compétition internationale)
Jeudi 7 juillet. Monstres sacrés
Quand la cinéaste iranienne Mitra Farahani propose à Jean-Luc Godard une correspondance avec l’écrivain et cinéaste iranien Ebrahim Golestan, la réponse est immédiate : « Commençons par une correspondance, peut-être que ça ne correspondra pas. » Effectivement, au départ les (non)réponses du franco-suisse déroutent un peu l’Iranien. Et durant vingt-neuf semaines, ces deux penseurs du cinéma et de la vie vont s’envoyer, chaque vendredi, un message. Cette correspondance, fragmentée, hachée, que nous offre Mitra Farahani est jubilatoire, drôle parfois, mélancolique aussi car les deux, presque centenaires, savent que la fin est proche et les photos qu’ils s’envoient de leurs séjours à l’hôpital sont comme un clin d’œil à la Faucheuse. Certes, ils ont du mal à trouver un langage commun. « Il y a quelque chose de prétentieux chez Godard, ça doit être lié à son éducation chrétienne », ironise Golestan. Mais au fil des vendredis, on voit se tisser quelque chose qui ressemble à de l’amitié. Ceux qui aiment Godard le retrouvent avec bonheur, ceux qui ne connaissaient pas Golestan, ont découvert un artiste, un homme qui pense. Et ce dernier opus de Mitra Faharani, À Vendredi, Robinson confirme le talent de celle qui avait réalisé en 2012 le superbe Fifi hurle de joie.(Compétition GNCR)
La mer, le sillage d’un ferry, une fille appuyée au bastingage, un concerto de Vivaldi. Nous voilà embarqués avec Lena qui doit retrouver à Arles Marius, un ancien amour de vacances qui tarde à arriver. Elle y rencontre Maurice et son ami Ali. Ces quatre jeunes vont passer ce premier été ensemble, tout en retenue, en désirs qui ne se disent pas. Badinage amoureux, amitiés vagabondes, conversations existentielles. Ils vont se retrouver les deux étés suivants, au bord de la mer encore, à Étretat puis à Ibiza. Les trois courts métrages tournés par trois amis, Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon sont devenus un long, Mourir à Ibiza (Un film en trois étés). Un conte d’été, un peu maladroit parfois mais plein d’énergie qu’on regarde avec plaisir malgré l’image défaillante du premier chapitre. (Compétition Premier mention spéciale, prix Marseille Espérance, prix Lycéens européens)
Samedi 9 juillet. Portraits
Une cage d’escalier en colimaçon, une femme allongée qui parle. C’est Kristina Milosavljević, une travailleuse du sexe, transgenre, délicate et élégante, que Nikola Spasic a filmée dans son quotidien, pendant cinq ans, lui faisant jouer son propre rôle. En plans fixes comme des tableaux impressionnistes, il nous montre sa maison, meublée avec soin, de beaux objets chinés chez des brocanteurs. Ses rituels : ses clients doivent se déchausser en arrivant. Et surtout, il nous la donne à voir, elle, odalisque ou icone comme celle de Sainte Petka qu’elle achète dans une église. Car Kristina est croyante et elle nous livre, frontalement ou, se confiant à Marko, qui a fait des études de théologie, sa difficulté à vivre sa foi et son métier. Kristina, un superbe portrait (Prix Compétition Premier)
Maîtres anciens – comédie publié en 1985, avant-dernier roman de Thomas Bernhard. Un ouvrage repéré dès sa parution par Mathieu Amalric. Un roman dont s’empare Nicolas Bouchaud avec ses amis, Éric Didry et Véronique Timsit, qui devient une pièce jouée avec succès au Théâtre de la Bastille, mais dont la pandémie empêche la reprise en mars 2020. Alors quand Nicolas Bouchaud demande à Mathieu de faire quelque chose, ce sera un film, pas une captation. Un film dans un théâtre fermé, vide. Maîtres anciens – comédie se passe au musée d’art ancien de Vienne, où Reger, un homme âgé, vient depuis prés de 40 ans s’asseoir sur la même banquette, dans la salle Bordone, devant L’Homme à la barbe blanche du Tintoret. La caméra du cadreur Berto suit Nicolas Bouchaud sur la scène d’une salle aux fauteuils rouges vides, dans les coulisses, dans la régie et même dans la rue de la Roquette devant des passants masqués et abasourdis. La caméra frôle son visage, où passent tour à tour la colère, la hargne, le désespoir aussi de cet homme qui renverse tous les piliers de notre culture occidentale, Beethoven « qui est d’un sérieux ridicule », Le Greco « qui n’a jamais su peindre une main. » Tout le monde y passe ; Heidegger, Mozart, Stifter … même « Bach, ce gros puant !… » Sans oublier tous ceux qui veulent apprendre aux enfants cette culture, les professeurs, suppôts de l’État, tous ceux qui font de l’enfance un enfer. Ce qu’a été la sienne. Les choix de mise en scène de Mathieu Amalric pour ce monologue corrosif, plans, longs, sobres, cadres larges ou serrés associent à merveille théâtre et cinéma. (Programme La Folie Amalric)
Dimanche 10 juillet. Mystères
La tête d’un bébé qui s’endort. Un enfant qu’on douche. Un camping balnéaire. Assis au bord d’une piscine, un retraité raconte la disparition d’un enfant, quelques années plus tôt à trois adolescentes, toutes ouïes. À partir de là, rien n’est plus pareil pour elles. Cet homme qui passe, déguisé en ours, sorte de mascotte du camping, n’est-il pas étrange ? Dangereux ? Œil des fillettes, œil de la caméra, tout a une impression d’étrange étrangeté. Jeux sur la plage, parties de cartes, bains, jambes des filles, herbes folles, promenades nocturnes, alentours qui deviennent des jungles de tous les dangers. On joue à se faire peur. Peur amplifiée par l’absence (passagère ?) d’un autre enfant. On se perd délicieusement dans Aftersun, inspiré à Lluís Galter par un fait divers, la disparition d’un enfant suisse, René Henzig, qui passait ses vacances avec ses parents à Sant Pere Pescador, sur la Costa Brava, en 1980. Tournées avec une petite handycam, les images ont le charme délicat des souvenirs ou des rêves de l’enfance. (Compétition Internationale)
La clôture de la 33e édition du FIDMarseille a eu lieu au Mucem en présence de nombreux réalisateurs et des jurys. Le jury de la Compétition internationale présidé par Mati Diop a attribué le Grand Prix à Unstable Object II de Daniel Eisenberg. Le Jury de la Compétition française présidé par Dounia Sichov a donné le Grand Prix à On a eu la journée bonsoir de Narimane Mari. Kristina de Nicola Spasic a obtenu le prix Premier et Sappukei de Chun Wang et Hikky Chen le prix de la Compétition Flash. Le palmarès complet ici : https://fidmarseille.org/festival/fid-2022/palmares/
ANNIE GAVA
Le FIDMarseille s’est déroulé du 5 au 11 juillet dans divers lieux, à Marseille.