La nouvelle d’Henry James, The Beast in the jungle, paru en 1903, l’histoire d’un homme qui attend un événement extraordinaire et demande à une femme d’attendre avec lui, a toujours bouleversé Patric Chiha, par son rapport au temps, par la tension entre la vie réelle et la vie rêvée. Il décide d’adapter l’histoire de May et de Jon qui, pour lui, a la valeur d’un mythe. On avait vu le talent de ce réalisateur pour filmer les corps qui dansent dans son film précédent, Si c’était de l’amour, le documentaire sur la vie de la troupe de Gisèle Vienne.
Traverser les époques
Dès les premières images de La Bête dans la jungle, des danseurs, des corps se frôlent au rythme du disco. La voix de la physionomiste (Beatrice Dalle), enveloppée dans sa cape noire nous guide dans ce monde étrange. « C’est l’histoire de May et de Jon. May avait rencontré Jon croisé dix ans auparavant dans les Landes, au bal de la Sardinade. Là, il lui avait confié son secret : “depuis que je suis enfant, je sais que j’ai été choisi pour quelque chose d’exceptionnel et cette chose extraordinaire devra m’arriver tôt ou tard. Et toute ma vie va être bouleversée.” » On est en 1979. Au cœur d’une boite de nuit parisienne dont on sortira peu : pourquoi sortir, c’est ici que tout se passe. Les corps dansent, nimbés de lumière, se touchent, flamboient. Et c’est là que May (Anaïs Demoustier,excellente),tout en couleurs, exubérance et mouvement, retrouve Jon (Tom Mercier) immobile, comme figé et hors du monde. Et ce sera ainsi chaque samedi jusqu’en 2004. Dans ce club on va traverser les époques, les élections de 1981, la mort de Klaus Nomi, l’hécatombe du sida, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre. May s’est mariée avec Pierre (Martin Vischer) mais continue à attendre avec Jon la chose qu’il guette, quelque chose de plus grand qu’eux. Elle aime que sa vie ressemble à un roman. « Il faut résister, il faut danser. » Dans la boite de nuit, les costumes chatoyants, brillant de mille feux ont fait place à des tenues noires Le club s’est vidé à cause des morts du sida mais les rescapés continuent de danser au rythme de la techno, filmés du balcon où May et Jon poursuivent leur quête d’absolu.
La Bête dans la jungle,histoire d’amour et sorte de documentaire sur une discothèque de 1979 à 2004 confirme le talent de Patric Chiha à filmer une atmosphère. On l’avait déjà remarqué avec Brothers of the Night ( Berlinale 2016). La Bête dans la jungle est un film envoûtant dont on n’a pas envie de sortir, attendant nous aussi, peut-être qu’une bête sorte de l’écran et bouleverse nos vies… « Vous êtes sortis, quelle drôle d’idée ? C’est ici que tout se passe. »
ANNIE GAVA
La Bête dans la jungle, de Patric Chiha
En salles le 16 août