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SOS Méditerranée à Avignon : « Les artistes sont nos porte-voix contre l’indifférence et l’habitude»

SOS Méditerranée est au Festival d’Avignon ce 19 juillet. Sophie Beau, directrice de l’association, nous explique pourquoi le soutien des artistes est essentiel à ses yeux

Zébuline. La maison Jean Vilar organise avec vous une après-midi de projections et débats, qui se conclut par la lecture de La Pêche du jour d’Éric Fottorino par Jacques Weber. En quoi cette présence au Festival d’Avignon est-elle importante pour vous ?

Sophie Beau. Ce n’est pas la première fois que nous y venons, le Festival a organisé des débats déjà, une exposition en 2019. Nous sommes heureux que cela continue à l’invitation de la Maison Jean Vilar. Cela a un sens symbolique fort et la programmation de cette journée repose sur des oeuvres puissantes.

Le film de Hara Kaminara, qui sera projeté en sa présence, a été tourné à bord. Vous embarquez systématiquement des photographes pour documenter vos sauvetages…

Oui, mais ce n’est pas un film documentaire, c’est un projet très personnel, un questionnement sur le sens des images et son propre vécu à bord, qui est très intime puisqu’elle est tombée amoureuse d’un marin sauveteur, et que « Lettre à Nikola » est adressé à leur enfant. Elle y questionne la vie et la mort, sa grossesse. C’est un film bouleversant sur l’arrivée de ce petit garçon dans un monde où d’autres se noient. Il est rare que les artistes qui créent des oeuvres sur nos sauvetages soient présents à bord. C’est extrêmement précieux.

Pourquoi ce regard des artistes est-il si précieux pour vous ?

Les artistes, les écrivains, sont nos porte-voix contre l’indifférence et l’habitude. On en est à un stade où les naufrages, les morts, ne bouleversent plus autant. Une acceptation s’installe autour de ces naufrages inacceptables. On a tous la nausée de cette indifférence, mais on ne parvient pas à la combattre, à la médiatiser comme le font les artistes. Nous devons de la pudeur aux victimes, pour leur protection. Les artistes, par le biais de la fiction, des mots, des images, des musiques, peuvent combattre l’indifférence beaucoup mieux que nos communiqués de presse. Par rapport au public, par rapport aux politiques aussi. Et aux sponsors, qui s’engagent plus facilement sur un événement artistique que par un don direct à l’association. Le texte d’Éric Fottorino est un coup de poing, asséné à un endroit où on n’aurait jamais pensé à le porter.

Il sera lu par Jacques Weber, qui l’a créé au Rond Point dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes. Est-ce une commande ?

Non, c’est Jacques Weber qui nous a contactés. Il a lu La Pêche du jour, il a été bouleversé et l’a monté. On ne peut pas rester indifférent à ce texte, qui va au bout de la nausée. Le pêcheur de migrants déclare « Le Yéménite c’est plus fin que la bonite ». Éric Fottorino m’a expliqué que cette phrase lui est venue une nuit, et qu’il a écrit le texte dans la foulée. Tout vient d’eux, tout est allé très vite, le partenariat s’est monté en un temps record.

Comme ces textes publiés par Gallimard sous l’impulsion de Jean-Marie Laclavetine. Cela nous a fait du bien de constater que notre indignation est partagée. Qu’elle est portée par ces 17 écrivains qui ont donné leur texte, pour que tous les bénéfices nous soient reversés, grâce à l’engagement de Gallimard. Nous sommes présents dans les festivals littéraires grâce à eux, comme lors de Oh Les Beaux Jours à Marseille. La Pêche du jour au Rond Point nous a permis d’être aussi à Paris, de rassembler une audience différente, des responsables politiques… À Avignon nous sommes au cœur de la vie théâtrale, c’est important aussi.

Marseille est votre port d’attache, le concert du 24 juin a rassemblé beaucoup de monde…

C’était exceptionnel. Il y avait plus de 8 000 personnes, pour un événement très populaire, un nouveau public pour nous, jeune, et très concerné, autour du rap. Et de Massalia Sound System aussi qui a rassemblé des plus vieux ! On avait l’impression d’être au bon endroit, à la maison. J’étais très émue, je le suis encore. Cela nous a redonné à tous de la force et de l’énergie.

Des recettes aussi.

Oui 110 000 euros. Tous les coûts directs et indirects ont été pris en charge par la Solimut, les mutuelles et la Ville de Marseille. L’intégralité des recettes de ce concert gigantesque nous est revenue.

Où en est votre situation financière, qui était alarmante en 2022 ?

Effectivement, nous avons frôlé la catastrophe, et poussé un cri d’alarme. Nous restons en déficit sur l’exercice, mais cela s’est un peu amélioré, en fin 2022 nous avons reçu de nombreux soutiens, et depuis l’engagement des artistes et des sponsors qui les suivent, nous permet d’envisager 2023 plus sereinement.

Les artistes se produisent gratuitement ?

Oui, les artistes, les écrivains. Quelquefois nous donnons des défraiements minimes qui couvrent leurs coûts, mais qui n’ont rien à voir avec leurs cachets habituels. Leur engagement est total. Et nous en avons besoin aujourd’hui, au-delà de ce que cela nous rapporte.

Pourquoi aujourd’hui plus qu’hier ?

Parce que les paroles qui surgissent dans les sphères politiques et médiatiques, cette haine de l’étranger, deviennent insoutenables. Ce n’est pas possible d’accepter que notre pays régresse à ce point. Il n’y a pas assez de paroles qui nous réveillent. À SOS Méditerranée nous devons rester pragmatiques et négocier avec ceux qui nous bloquent au port. Seuls les artistes peuvent s’indigner et dire que, pendant ce temps, en plein été, il y a des naufrages sur la route libyenne, et des centaines d’humains qui se noient.

Entretien réalisé par Agnès Freschel

SOS Méditerranée, les artistes s’engagent
19 juillet
Maison Jean Vilar, Avignon
maisonjeanvilar.org
Au programme
15h : Projections de vidéos et reportages sur les missions de SOS Méditerranée. 
17h : Lettre à Nikola, suivi d’un débat avec la réalisatrice Hara Kaminara. 
19h : Rencontre « Les artistes s’engagent » animée par Laure Adler, avec Jean-Baptiste del Amo, Ananda Devi et Éric Fottorino, Hara Kaminara, et Sophie Beau.
20h : La Pêche du Jour d’Éric Fottorino par Jacques Weber et Emmanuel Noblet.
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