Alors que Marseille poursuit sa politique de développement culturel et cinématographique, l’arrivée de Netflix comme investisseur privé suscite autant d’espoirs que d’interrogations. Entre soutien à l’école Kourtrajmé et perspectives autour de la future antenne de la Cinémathèque, les élus municipaux Jean-Pierre Cochet et Jean-Marc Coppola dévoilent les enjeux d’un partenariat encore en construction, dans un contexte où les subventions publiques se dérobent.
Un soutien privé en temps de retrait public
Pour Jean-Pierre Cochet, adjoint au maire chargé du tourisme durable, la présence de Netflix sur le territoire est avant tout une opportunité bienvenue dans un paysage de financement culturel fragilisé. « La participation de Netflix se ferait, de même que le partenariat annoncé avec la Cinémathèque de Marseille, par l’entremise du CNC », explique-t-il, insistant sur le fait que ce type de financement, même s’il suscite des interrogations, est « bienvenu » lorsqu’il s’inscrit dans un cadre national et reconnu.

L’élu reste cependant prudent quant à la nature exacte des engagements de Netflix : « Les intentions de Netflix sont encore nébuleuses, de même que les montants annoncés, extrêmement variables. Il faut rester prudent sur cette question. »
L’école Kourtrajmé, laboratoire d’une collaboration inédite
Dans le même temps, il dénonce les reculs de certaines collectivités, notamment la Région, qui a retiré ses subventions au projet Kourtrajmé au motif du recours de l’école l’écriture inclusive. « Les bras m’en tombent, tout simplement », déplore-t-il, dénonçant de plus une incohérence dans les priorités budgétaires : « On y trouve tout de même de l’argent pour construire des patinoires à Nice … »
Pour Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture à la Ville de Marseille, c’est clair : « C’est affligeant. Nous ne pouvons que constater que le privé, lui, tient ses engagements. Il est aujourd’hui question d’un mécénat, à hauteur de 100 000 euros à ma connaissance », détaille-t-il. Un appui privé précieux qui arrive au moment où la Région se désengage, retirant 75 000 euros. L’école Kourtrajmé s’y voit considérée comme le projet phare qu’elle ambitionne, incarnant la vitalité et la diversité culturelle marseillaises. La participation de Netflix s’inscrit par ailleurs dans un cadre plus large, celui du projet « Marseille en Grand », impulsé par l’Élysée. Le volet cinéma de ce plan, piloté via le CNC, vise à renforcer les infrastructures locales, des studios rénovés aux écoles, en passant par la future antenne de la Cinémathèque française.
Une cinémathèque à la mesure de la Méditerranée
Portée par la ville et par le réalisateur Costa-Gavras, président de la Cinémathèque française, cette antenne marseillaise ambitionne de devenir une institution autonome, enracinée dans le territoire tout en bénéficiant d’un réseau national. Jean-Marc Coppola rappelle la genèse du projet : « En 2020, Robert Guédiguian m’avait parlé de l’intérêt de Costa-Gavras à installer ses archives à Marseille. » Mais là encore, la Région se retire. « La Région a décidé de se désengager du projet d’antenne de la Cinémathèque française à Marseille, même si elle soutient encore l’école CinéFabrique », précise Coppola. L’implication de Netflix, forte de son partenariat historique avec la Cinémathèque française, serait donc également à l’étude. « Rien n’est encore défini concrètement, mais leur implication est réelle », affirme Coppola.

Les deux élus partagent un diagnostic proche d’une situation en tension. Jean-Pierre Cochet reconnaît que le « tour de table peine à se concrétiser », notamment du fait du retrait de la Région. Toutefois, il souligne l’importance du soutien étatique et métropolitain. Jean-Marc Coppola complète : « La Ville, l’État et la Métropole maintiennent, et même renforcent, leurs engagements » malgré le désengagement régional. Il rappelle que l’antenne ne sera pas une simple copie de Paris : « Marseille y apportera sa patte, bien sûr. » La gouvernance sera indépendante, avec une place au conseil d’administration pour la Ville, garantissant un contrôle local sur les contenus et une vigilance sur les valeurs promues. La cinémathèque, telle qu’elle est imaginée, ne serait ni un simple centre d’archives ni une réplique de son aînée parisienne. Elle mettrait l’accent sur « la singularité et la dimension méditerranéenne du projet », selon Cochet, en écho à une vision culturelle ancrée dans l’histoire plurielle de Marseille.
Un appel à la vigilance
Les deux adjoints reconnaissent que la présence de Netflix est une aubaine pour la filière locale, apportant des emplois et des retombées économiques majeures : « Il faut rappeler qu’un euro investi dans le cinéma en génère sept dans l’économie locale », rappelle Jean-Marc Coppola. Pour autant, cet investissement ne doit pas faire oublier les risques liés à une influence trop grande sur un secteur culturel sensible : « « On ne dépendra pas de Paris sans avoir notre mot à dire sur les contenus : diffusion, expositions, ateliers pédagogiques… », insiste Coppola, qui promet une gouvernance partagée. « On ne laissera pas passer des prises de position comme celles de la Cinémathèque centrale, par exemple, sur Polanski. Ce n’est pas la vision qu’on veut à Marseille. S’il y a dérive, on interviendra. »
Au-delà des enjeux financiers, l’ambition municipale est de faire de Marseille un pôle culturel rayonnant, ancré dans son histoire méditerranéenne. « Marseille, c’est 2 600 ans d’histoire, une identité multiple », rappelle Coppola, qui souligne la richesse et l’importance numéraires des festivals locaux : « Nous avons des partenariats avec des festivals comme Films Femmes Méditerranée, AFLAM… et nous augmentons nos subventions pour ces événements qui portent une vision culturelle marseillaise, ouverte et diverse. On ne veut pas un seul grand festival, on veut la richesse des festivals existants. »
Vers une conjugaison des financements privés et publics ?
Le partenariat avec Netflix s’inscrit dans un contexte complexe de mutations du financement culturel, à l’heure où Marseille s’impose comme grande deuxième ville de France en termes de tournage. Jean-Marc Coppola se réjouit : « Rien que la semaine prochaine, trois nouveaux tournages vont commencer : Marseille est un vrai terrain de cinéma » Mais rien n’est encore joué : les projets avancent lentement, les financements restent incertains, et les lignes politiques sont mouvantes. Reste une certitude, que Jean-Marc Coppola résume ainsi : « Lorsqu’on conjugue investissements publics et mécénat privé dans l’intérêt général, on fait avancer des projets structurants pour la ville, pour sa jeunesse et pour sa culture. »
SUZANNE CANESSA
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