mercredi 2 octobre 2024
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De l’intime à l’univers

Maud Blandel et Dorothée Munyaneza érigent l’intime en force soufflante universelle. Un beau Parallèle, pour deux propositions très différentes

Dorothée Munyaneza est chanteuse, actrice, danseuse, traductrice, polyglotte, autrice. Née au Rwanda, réfugiée en Angleterre après le génocide qu’elle a vécu à 12 ans, elle crée des spectacles performances qui portent la trace de ce passé, mais s’inscrivent au présent dans une capacité hors du commun à porter l’émotion. Elle a créé sa performance A Capella au Théâtre de la Ville de Paris, avant de la donner au  [MAC] de Marseille, à domicile : l’artiste anglo-rwandaise, associée au Théâtre National de Chaillot comme à la Fondation Camargo de Cassis, vit et travaille à Marseille. Arpentant les divers espaces du musée, elle instaure avec le public une intimité physique autour de son corps de femme noire qui porte la mémoire de l’esclavage, du rejet, de la violence et du deuil. Parlant peu, mais quelques mots forts dans toutes les langues – you’re not welcome, vous pillez nos richesses, blumen für mein kind – elle évoque l’esclavage et la perte d’un enfant, le meurtre et le deuil, par son chant, son corps qu’elle présente à terre, renversé, brisé, souriant pourtant, approchant les spectateurs qui l’entourent, l’enserrent entre les murs très blancs et sages. Levant le poing finalement, en signe d’une révolte évidente contre toutes les dominations coloniales et postcoloniales. Tranquille, complice, comme une force en cours que rien ne pourra arrêter. 

Explosions fondamentales

Parallèle produit aussi une autre artiste, Maud Blandel, depuis ses débuts. L’Oeil nu, sa dernière création, a marqué le Festival d’Avignon 2023 avant Genève puis les centres nationaux de la danse d’Angers et de Pantin. Une consécration pour la chorégraphe suisse, qui tente pourtant un grand écart difficile entre le traumatisme personnel, un « petit bang », le suicide de son père d’un coup de feu dans le cœur, et le « big bang », la vie et la mort des étoiles. 
Entre ces deux bangs d’échelle si différente une série de chocs et de circularités, violence militaire, coup de feu, mais aussi ballet répétitif des six danseuses et danseur tous vêtus de jeans et tee-shirt : autour d’un pivot changeant, dans des mouvements tourbillonnants où l’attraction des corps se vit comme celle des planètes, où les regards s’échangent comme une force gravitationnelle, un point d’ancrage physique et relationnel, où les bras s’élèvent peu, et s’évitent. 
La simplicité subtile de la danse qui tourne en rond est comme obturée par une bande son, assourdissante dans ses paroxysmes, qui reprend en boucle, comme autant de coups de poings, les mots d’un Bugs Bunny qui parle de coup de feu et de mouvements réactifs. Enfance, violence et cosmos se catapultent, et les vers de T.S. Eliot « C’est ainsi que finit le monde/ Pas sur un Bang mais sur un murmure » concluent un spectacle qu’on aimerait parfois plus explicite, mais dont on sort hagard, à dessein.

AGNÈS FRESCHEL

A Capella et L’Oeil Nu étaient donnés au [MAC] et au Ballet National de Marseille les 3 et 4 février 
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