dimanche 20 juillet 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 207

Little Girl Blue : et ma mère fut… 

0
Little Girl Blue © Tandem films

« My unhappy little girl blue… Ma malheureuse, ma malchanceuse petite fille triste, compte tes doigts, compte ces gouttes de pluie… je sais que tu penses que c’est la fin pour toi mais va de l’avant et reviens t’asseoir… » chante Janis Joplin. Et le titre de la chanson devient celui du film de Mona Achache. Présenté en « Séance spéciale » cette année à Cannes, Little Girl blue, quatrième long métrage de la réalisatrice, est un film hybride : documentaire et fiction, biographie et autobiographie, enquête post mortem et résurrection fictionnelle d’une chère disparue. Plongée dans l’histoire familiale pour reconstituer des crimes non nommés, impunis.

Carole Achache, la mère de Mona, se pend en 2016. Elle laisse derrière elle des caisses de lettres, carnets, textes, agendas, cassettes, photographies. Dans une usine désaffectée qui sert de décor principal au film, Mona, au milieu des documents éparpillés comme après une perquisition ou devant des murs tapissés de photos, comme dans un polar, cherche à percer l’énigme. Elle est à la fois derrière et devant la caméra, dehors et dedans. Pour établir une distance tout en se confrontant charnellement à sa mère défunte, elle demande à Marion Cotillard, de l’incarner. Sous nos yeux admiratifs, l’actrice se métamorphose. Se glisse dans le vieux jean de Carole, adopte sa coiffure, la couleur de ses yeux, ses bijoux, son parfum et se synchronise sur sa voix enregistrée. Comment une petite fille élevée dans un milieu intellectuel et bourgeois, au savoir précoce, a-t-elle pu être si malheureuse ? Comment sa rébellion, dans l’effervescence de 1968, est-elle devenue si destructrice ? 

Qui va lire ?

Drogue, prostitution, échecs de romancière, refuge dans un conformisme social pour compenser « le bordel en elle ». Maternité qui reprend le fil des traumatismes, la « malédiction familiale », les mythologies des agressions sexuelles sublimées, la transmission de la douleur féminine. Car très vite apparaît un autre rapport filial difficile, celui entre Carole et sa propre mère, Monique Lange, écrivaine et éditrice chez Gallimard dans les années d’après guerre. Une mère sur laquelle elle a écrit. Une femme brillante qui côtoyait Semprun, Duras, Beauvoir, Yourcenar et surtout Jean Genet auquel elle vouait un amour et une admiration sans borne. Le génial Genet, manipulateur et pervers, poussant la jeune Carole de douze ans dans des défis sexuels – comme il poussa son ex-amant funambule, Abdallah vers la mort. Un grand homme dégueulasse qui instilla en Carole « une conduite d’échec remarquable ». La grand-mère Monique, violée autrefois dans les rues de Pampelune, a-t-elle su ? Ou a-t-elle considéré ce viol comme un passage obligé, tout comme Carole quand Mona lui dira ce que lui a fait l’amant de son grand-père Juan et son impossibilité de lui dire non. On pense aux témoignages de Camille Kouchner ou de Vanessa Springora. Et à tout ce silence consenti. 

« Qui va lire ce que j’écris au fond de ce dossier ? Et pourquoi cet espoir d’être comprise, trouvée et donc sauvée ? » écrit Carole. C’est sa fille Mona qui la lit, la comprend et peut-être se sauve en la sauvant, s’imaginant poser sur ses épaules, un chandail de réconfort dans un geste maternel et tendre qui anéantit le malheur. 

ÉLISE PADOVANI

Little Girl Blue, de Mona Achache
En salles depuis le 15 novembre

La Friche défriche Guédiguian

0
© C. Dutrey

Organisée par Pilotine Production et Agat Film & Cie/Ex Nihilo (Collectif de producteurs auquel appartient le réalisateur), soutenu par la Ville de Marseille et parrainée par Télérama, l’exposition Robert Guédiguian – Avec le cœur conscient propose un voyage immersif en Guédiguianie. Un véritable territoire, ancré dans une géographie personnelle, possédant sa propre langue et ses mots-clés : Estaque, Arménie, universalisme, humanisme, révolution permanente, politique, tribu, fidélité, combat. Chaque thème se déclinant dans des îlots de visionnement par un montage d’extraits de films. Un territoire avec son histoire, ses histoires, ses figures tutélaires. Entre autres, Pasolini dont les derniers vers des Cendres de Gramsci donnent son titre à l’exposition : « Mais moi, avec le cœur conscient de celui qui ne peut vivre que dans l’histoire, pourrais-je désormais œuvrer de passion pure puisque je sais que notre histoire est finie ». Tolstoï aussi qui nous souffle : « si tu veux parler de l’Universel, parle de ton village », et Brecht, et Jaurès, et Marx, et Saint Matthieu.

43 ans de cinéma, 24 films, dont une Pie Voleuse à venir. De Dernier été en 1981 qui réunissait Ariane Ascaride et Gérard Meylan au tout récent Et la fête continue ! – Ariane en fil conducteur, donnant réplique à Jean-Pierre Darroussin, son éternel complice.

Un long parcours jalonné de photos de tournages tous formats, d’archives personnelles, d’affiches, d’articles engagés du réalisateur parus dans Libération, le Monde, l’Humanité, de documents de travail – comme ces cahiers d’écoliers manuscrits où s’esquissent des projets parfois inaboutis, ces story-boards, ou ces découpages de scènes par Robert Sassia. L’emblématique  BMW 50/2 61, moto que le réalisateur avait acquise après son bac et qu’il a fait « jouer » dans Twist à Bamako, trône là, emblématique des liens étroits entre sa vie et son cinéma.

Dans les coulisses de Guédiguian

Cette rétrospective part d’une hypothèse de Robert Guédiguian : « peut-être ne fais-je du cinéma que pour perpétuer ma tribu d’origine ». Origine prolétaire matérialisée par des bleus de travail qui tapissent un mur entier. Le cinéma pour continuer, après l’écroulement des utopies,  à vivre des moments d’utopie. Le cœur – mélodrames, tragédies, comédies, associé à l’éveil de la conscience.

Ceux qui suivent le réalisateur depuis ses débuts n’apprendront rien ici, mais découvriront les coulisses de l’œuvre, reverront avec plaisir les scènes cultes, retrouveront, dans des films qui se déroulent loin de Marseille et de la Côte bleue, l’incroyable Michel Bouquet dans le rôle de Mitterrand et Simon Abkarian incarnant Missak Manouchian. Ils percevront la profondeur de champ que donnent les années. De film en film, Ascaride, Meylan, Darroussin, Guédiguian, Boudet, vieillissent. De jeunes comédiens viennent s’agréger à la troupe initiale : Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin. Grégoire Leprince-Ringuet. Parmi ceux qui ont connu Le Perroquet bleu, Pascale Roberts et les coups de klaxon sous le tunnel du Rove certains éprouveront un peu de nostalgie. Mais tous percevront la cohérence d’une œuvre qui loin de tout folklore, et de tout passéisme, ne cesse d’affirmer des valeurs universelles et actuelles.

ÉLISE PADOVANI

Robert Guédiguian - Avec le cœur conscient 
Jusqu’au 14 janvier
Friche la Belle de Mai, Marseille

Sens dessus dessous

0
Antipodes © Yvon Alain

Josette Baïz ne cesse de se lancer des défis, auxquels elle associe d’autres chorégraphes, et dans lesquels elle embarque les danseurs de sa compagnie, Grenade. Ceux-ci, pour Antipodes, sa dernière création, ont dû s’éloigner des bases de leur formation essentiellement contemporaine. Ils  interpréteront des extraits de The Roots, signée Kader Attou, auprès de qui ils ont expérimenté les gestes hip-hop, break et popping. Petite dernière, œuvre de Nicolas Chaigneau et Claire Laureau, les emmène vers la danse théâtre, pratique hybride dont les deux artistes sont coutumiers. Par ailleurs, Josette Baïz a également fait appel à son confrère espagnol Iván Pérez, lequel présente un extrait de Young Men, portant sur la Première guerre mondiale, et le destin militaire de jeunes gens « tentant de maintenir leur humanité dans un cycle sans fin de combat et de mort ». Enfin, deux membres de la troupe, Maxime Bordessoules et Rémy Rodriguez, sont aux manettes pour chorégraphier – SIAS, une pièce inspirée du personnage de Tirésias, passé d’un genre à l’autre dans la mythologie grecque. À noter : la représentation du 7 novembre, à 20 h, sera précédée d’une avant-scène débutant à 19 h : une rencontre avec Josette Baïz, animée par Marina Lhuillier, au bar d’entracte du GTP.

GAËLLE CLOAREC

Antipodes
6 et 7 novembre
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
lestheatres.net

Une grande première ? 

0
How not to have sex © Condor

Si l’intérêt d’un film se jauge aux plans qu’il laisse dans la mémoire, How to have sex de Molly Manning Walker est vraiment un film intéressant. Premier long métrage de la jeune réalisatrice britannique, il donne promesse d’un après. Et, aborde, sans discours moralisateur, le sujet complexe du consentement féminin si longtemps esquivé, en adoptant un dispositif immersif qui permet de ressentir l’euphorie, le malaise et la confusion des émotions. 

Skye (Lara Peake),Em (Enva Lewis) et Tara (Mia McKenna Bruce) sont trois amies qui viennent de passer leurs examens de fin de lycée. Les deux premières, « intellos », sûres de leur réussite. La troisième, plus jeune, plus fragile et sûre de son échec. En attendant les résultats, elles partent en vacances à Malia en Crète. Le cordon ombilical à peine coupé – les mères encore au téléphone –, il s’agit de s’éclater et pour Tara de perdre sa virginité. À l’hôtel où elles s’installent, leurs voisins de balcon et de chambrée ont le même âge. Deux bogoss : Badger, le blond maladroit et doux (Shan Thomas), Paddy, le brun, caricature de mâle alpha, pas très futé (Samuel Bottomley), et Paige (Laura Ambler), lesbienne, un peu en retrait. Le chassé-croisé des désirs, des dits et non-dits peut commencer. Jours et nuits de fêtes ininterrompues, de bitures, d’ébats aquatiques, d’euphorie, mais aussi de gueule de bois, de gerbes et finalement de tristesse pour Tara. 

Acte et diktat

À l’écran, des corps de jeunes filles qui se préparent aux regards désirants, dans les fous rires complices, en se moulant dans des robes aux couleurs criardes et aux décolletés audacieux. Des corps dorés qui exultent dans la piscine surpeuplée de l’hôtel, sous le soleil exactement, ou se contorsionnent sur le dance floor dans la nuit électrique des boîtes. Se prêtent aux jeux trash des animateurs censés faire rire, « faire cool ». S’exhibent dans un concours de bandaison et fellation publique. Se cherchent, se frottent, s’éloignent. Et une main, celle de Tara qui se crispe dans le sable mouillé et froid d’une nuit-fin de partie, quand, sans désir, son corps s’ouvre à celui qui l’a entraînée là. Tara, encore, au petit matin dans une rue déserte jonchée des détritus de la fête, qui avance seule et désemparée vers nous.

La réalisatrice parle avec liberté de la prison des normes sociales : diktat de la fête avec ivresse et rires gras, transgression balisée, codifiée. Injonctions pour perdre sa virginité s’imposant sournoisement aux jeunes filles (comme aux jeunes hommes), rite d’initiation nécessaire pour appartenir au groupe. Une pression extérieure trop puissante pour Tara, qui, au lieu de découvrir le plaisir partagé, se soumet passivement à un acte douloureux et glauque non désiré. 

ÉLISE PADOVANI

How to have sex, de Molly Manning Walker
En salles depuis le 15 novembre
Le film a obtenu le prix Un Certain Regard 2023 

Changer les faces du monde

0
« Bankoku Meisho Zukushi no Uchi » [Énumération complète des lieux célèbres des pays étrangers]. Utagawa Yoshitora (1836-1880). Japon, 1862-1863, époque d’Edo. Estampe. Musée national des Arts asiatiques - Guimet, Paris © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

L’histoire s’écrit dans les travaux universitaires, éventuellement les journaux, mais aussi dans les musées. Trop longtemps, ces institutions ont présenté au public de quoi conforter le « roman national » – et parfois international – avec les préjugés propres à chaque époque. La nôtre a évidemment les siens, mais elle essaie tant bien que mal de desserrer l’étau des intolérances, d’ouvrir l’historiographie à d’autres cultures que celle de l’Occident, hégémonique depuis peu ou prou deux siècles. Pour un établissement dit « de société », tel que le Mucem, il s’agit de sonder les courants et les contextes sans conformisme, en acceptant de remettre en question ses propres approches.

Avant de céder la place à son successeur Pierre-Olivier Costa, l’ex-président du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Jean-François Chougnet, avait programmé une exposition allant dans ce sens. Une autre histoire du monde, conçue par les commissaires Fabrice Argounés, Camille Faucourt et Pierre Singaravélou, s’ouvre en ce mois de novembre avec l’ambition de promouvoir des récits différents, en abandonnant la perspective occidentale.

Entre la présence et l’absence

Logiquement, le parcours ne présente pas de linéarité chronologique ou de préséance géographique. Le travail des trois maîtres d’œuvre a plutôt consisté à relever des parallèles, divergences, récurrences, lignes de force, dans l’infinité de représentations du temps et de l’espace que les êtres humains ont pu élaborer au fil des siècles. Ils se sont servis pour cela d’une fine sélection de calendriers et surtout cartes, très impressionnantes dans leur variété et leur profusion. Ou bien de supports de narration, tels que ce bambou gravé de Nouvelle-Calédonie qui relate en dessins l’arrivée des colonisateurs français à partir de 1853, ou cette peau de bison peinte, témoignant des exploits d’un guerrier Sioux à peu près au même moment, mais très loin de l’île. En n’oubliant pas les traditions orales, mises en valeur dans un intelligent dispositif sonore par Chloé Despax. En laissant sa place à l’inconnu (ces khipus incas, fines cordelettes à nœuds, servaient-ils à compter les jours, les données démographiques, les tributs, les inventaires ?). Ou à ce qui est perdu, du fait de l’impitoyable tri opéré par les vainqueurs dans la mémoire des peuples. Une vitrine est ainsi restée vide, car elle symbolise les « fantômes de l’histoire matérielle et culturelle de l’humanité ».

Pour aller plus loin
Le catalogue de l'exposition, co-édité par le Mucem et Gallimard, est un beau cadeau à (se) faire au moment des fêtes, afin d'approfondir la pluralité des récits historiques présentés sur les cimaises du musée, et leurs résonances actuelles. On y trouve notamment une série de créations graphiques, aquarelles, encres, gravures ou pastels, inspirées à des illustrateurs contemporains par des œuvres et objets figurant dans le parcours.
Éditions Gallimard/Mucem - 26,50 €

Renversement de la carte

Avec la mondialisation, entamée bien plus tôt qu’on ne le croit souvent, les mythologies et cosmologies se sont percutées, hybridées, autant que les sciences et les techniques ont pu se répandre, se succéder les unes aux autres. Il est intéressant de voir comment l’architecture occidentale a intrigué les Indiens, comment Chinois et Iraniens percevaient les mœurs européennes. L’armement, en tout cas, a l’air d’en avoir fasciné plus d’un, si l’on en croit les scènes de chasse ou les mousquets figurant dans les œuvres picturales présentées. Les habitants d’Afrique ou d’Asie ont-ils eu spontanément envie d’adopter nos codes ? Sans doute parfois, mais l’exposition ne dissimule pas la terrible vérité : pour généraliser notre vision du monde, linéaire et évolutionniste, ce qui implique d’énormes conséquences, particulièrement le concept de progrès et celui de civilisation, il fallut partout en passer par la violence militaire, l’oppression, l’acculturation. Il est temps de renverser les perspectives, comme le revendique Chéri Samba au pied d’une grande toile, La Vraie Carte du monde, réalisée par l’artiste en 2011 : « placer l’Europe en haut est une astuce psychologique inventée par ceux qui croient être en haut, pour qu’à leur tour les autres pensent être en bas ».

GAËLLE CLOAREC

Une autre histoire du monde
Jusqu'au 11 mars
Mucem, Marseille

Les procès du siècle - Saison 3
Luttes en partage : tel est le thème prometteur de la troisième série de rencontres organisées dans l'auditorium Germaine Tillon. Au « croisement du débat, du théâtre et de l’instruction judiciaire », les échanges porteront sur les droits humains et les droits de la Terre. Après l'ouverture de saison en fanfare, aux côtés de la rock star de l'éco-féminisme, Vandana Shiva, invitée par Opera Mundi le 16 novembre, Salomé Saqué, auteure du livre Sois jeune et tais-toi, débattra avec le sénateur David Assouline, puis Mame-Fatou Niang (enseignante-chercheuse et artiste) avec Seumboy Vrainom :€ (artiste et militant) autour des notions de post, néo ou décolonialisme.
À suivre tous les lundis soirs à 19 h, en entrée libre. G.C.

Vivre en Palestine

0

Milk du palestinien Bashar Murkus, qui se joue également les 16 et17 novembre au Théâtre des 13 vents de Montpellier, a bouleversé le dernier Festival d’Avignon. Le spectacle est d’une actualité hélas saisissante, comme si les artistes et programmateurs avaient pressenti que la scène tragique de la Méditerranée et du monde se jouerait là, en Palestine, aujourd’hui. Des femmes, des mères, y portent comme une promesse des ventres énormes, puis dans le même geste les corps de leurs enfants morts. Elles déversent des larmes de lait que leurs enfants ne boiront plus, pataugent dans tout ce blanc qui se teinte de sang. Un spectacle d’une beauté sidérante, sur cet impossible deuil qui est celui de toutes les mères des pays en guerre.

Le point de vue de Samaa Wakim est tout aussi universel, bien que très palestinien encore. La chorégraphe interprète dans Losing it une danse inspirée par l’omniprésence de la menace, des sifflements des missiles et des balles, de l’arrêt du chant des oiseaux. Sur un ring, accompagné par la musique live très concrète de Samar Haddad King, elle écrit en son corps la mémoire des générations disparues, des familles sans terre et sans paix. 

Déchirement intérieur

Le monologue d’Ahmed Tobasi, And here I am,prend lui aussi racine dans les souffrances palestiniennes. Celui qui est devenu comédien y raconte sa propre histoire qui interroge profondément la notion de résistance et de combat. Scénarisé par l’écrivain iraquien Hassan Abulrazzak, son récit se décline en épisodes successifs qu’il raconte avec la distance que le temps permet. Car sa vie n’a jamais été tranquille, depuis son adolescence jusqu’à la prison, en passant par la description des amas de déchets à Jenine, et à son engagement dans le jihad islamique, son déchirement intérieur, sa façon aujourd’hui de résister en ayant déposé les armes. Sauf celle du théâtre, dont on attend qu’elle soit efficace. 

AGNÈS FRESCHEL

Focus Palestine 
Milk le 21 novembre à 19h
And Here I am le 21 novembre à 21h et le 22 novembre à 19h
Losing it le 23 novembre à 20h
Théâtre Joliette, Marseille
theatrejoliette.fr

Le Songe éveillé de Gwenaël Morin

0
« Le Songe » de Gwenaël Morin est donné dans les jardins de la Maison Jean Vilar. PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

La comédie estcomplexe. Écrite en 1595 mais située dans l’Athènes antique, elle entremêle plusieurs histoires et oppose le jour à la nuit. Une troupe de comédiens amateur, formée d’artisans, prépare une pièce de théâtre, tandis qu’un couple d’amoureux, les nobles Hermia et Lysandre, fuit la ville pour échapper au mariage avec deux autres jeunes nobles…  et que s’affrontent le roi des elfes et la reine des fées, et que le roi et la reine d’Athènes observent le tout. Tous vont se retrouver dans une mystérieuse forêt le temps d’une nuit et d’un songe.

Gwenaël Morin fait jouer le texte dans son intégralité, et sur un rythme soutenu. Et pour ne rien simplifier à l’enchevêtrement, chaque comédien joue plusieurs rôles. Ils sont six. Les historiques du Théâtre permanent d’Aubervilliers fondé il y a 20 ans par le metteur en scène -Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung et Grégoire Monsaingeon- ainsi que deux acteurs amateurs, Jules Guttier et Nicolas Prosper. Tous interprètent quatre ou cinq personnages.

Pour être distingués dans les différentes intrigues qui se jouent en parallèle, ils changent de costumes, sur scène. Leurs tenues symboliques -une branche de lierre, une toge athénienne, de simples habits de ville, ou juste leurs sous-vêtements noirs- sont souvent le seul indice qui indique au spectateur le changement. Qui se surajoute au changement d’amoureux, puisqu’il est question en cette nuit de songe de philtre d’amour, et d’aveuglement.

L’amour est théâtre

La pièce se joue dans le jardin de la rue de Mons de la Maison Jean Vilar, une belle parenthèse sauvage au milieu de la ville. La scène, à même la terre battue et sans délimitation, permet aux comédiens de se cacher dans la végétation, de courir autour des gradins, d’occuper l’espace. Un espace épuré, avec juste deux grandes lampes, quelques chaises en plastique et deux tableaux.

Pas de féérie dans cette mise en scène, mais une réflexion sur les jeux de l’amour, et leur représentation. Baroque, le Songe de Shakespeare présente l’amour comme changeant et passager. Celui de Gwenael Morin propose une mise en jeu de l’amour au théâtre. Les sentiments exaltés, celui de quatre jeunes gens, mais aussi le désir grotesque mais très charnel, de la reine des fées pour un âne, ou l’amour de Pyrame et Thisbée joué par les artisans travestis. Comique de répétition, petite danse au milieu d’une tirade, et bien sûr quiproquos alimentent la quadrangulaire amoureuse. La représentation finale grotesque de la pièce dans la pièce par les comédiens athéniens conclut le spectacle sur un fou-rire collectif du public.

Le Songe est la première des quatre pièces, une par été, que va présenter Gwenaël Morin. Démonter les remparts pout finir le pont, c’est le nom provocateur qu’il a donné à cet engagement qui a vocation à construire un répertoire de « grands classiques » choisis en fonction de la langue mise à l’honneur par le Festival.

Rafael Benabdelmoumene

Le Songe a été diffusé sur France 3 Provence-Alpes-Côte-d’Azur le 27 juillet, et sera joué  à Martigues le 21 novembre 2023.

Apocalypse soon

0
Avocate, présidente de l'association Wild Legal et porte-parole du colectif Or de question, Marine Calmet est une des intervenantes du film © K2 Productions

Le 30 novembre s’ouvrira la COP 28. La conférence onusienne sur le climat devrait, comme ses prédécesseurs, n’aboutir qu’à des espoirs déçus et se tiendra cette année aux Emirats Arabes Unis sous la présidence du PDG de la Abu Dhabi National Oil Company. C’est au cœur de cette actualité écœurante qu’Arte programme le documentaire L’Horloge de l’Apocalypse – quelques secondes pour sauver le monde.

Les réalisateurs Pascal Verroust et Dirk Van den Berg ont ramené de belles et dépaysantes images de Chicago, de Bavière ou encore du Japon pour relater la genèse de cette horloge, métaphore coup de poing créée en 1947 en une du Bulletin of the Atomic Scientists. Et ce dans le but de sensibiliser le public au niveau de danger inédit à la civilisation humaine que posait l’existence des armes atomiques. Ce n’est qu’en 2007 que les risques climatiques sont pris en compte dans le paramétrage de cette horloge qui indique désormais deux minutes avant minuit.

Parmi les interviewé·e·s, on retrouve notamment la climatologue allemande Friederike Otto, la passionnante historienne des sciences Naomi Oreskes, la directrice du Bulletin Kennette Benedict ou le physicien Sivan Kartha. La mise en avant de femmes dans ces sujets techniques trop souvent monopolisés par les hommes s’avère appréciable. Ces interventions de spécialistes apportent un recul bienvenu sur de nombreux mythes : la justification a posteriori de bombardements atomiques inutiles, l’appréhension des enjeux climatiques dans un premier temps par et pour l’armée américaine, le cynisme des pétroliers et la manipulation du grand public. La métaphore de l’horloge ne sert ici que de pivot entre la peur des armes nucléaires et la crise climatique ; deux peurs bien différentes par leur appréhension, l’une immédiate, l’autre plus pernicieuse, mais potentiellement aussi destructrices pour nos sociétés.

PAUL CANESSA

Le documentaire L’Horloge de l’Apocalypse sera diffusé sur Arte le 21 novembre à 23h40, et disponible sur arte.tv jusqu’au 8 janvier 2024.

Musiques débridées

0
Petit vacarme © X-DR

À côté de Hip Hop Society au printemps, et des Rendez-Vous de l’Été, Jamais d’eux sans toi est le troisième temps fort de l’année proposé par l’AMI (Aide aux Musiques Innovatrices) à Marseille. Un temps fort crée en 2021 à la sortie de la période Covid, car, comme l’écrivait sa directrice Elodie Le Breut « plus que jamais, il semblerait que les seules urgences dans ce monde d’après soient de défendre la liberté de tous les imaginaires, de toutes les résistances portées par les artistes ». Ce sont les artistes émergent·e·s du programme d’accompagnement Be On qui donnent le la de la programmation de JEST, en présentant leurs expérimentations en cours, à côté de productions issues des résidences et collaborations nationales et internationales organisées par l’AMI, notamment avec la Palestine, l’Algérie, les USA. 

Ouvrez (grand) vos oreilles

L’ouverture de JEST ce sera le 18 novembre rue Sainte, dans l’espace de la Galerie Zemma, avec un double concert : celui de Quel Enfer ! duo d’improvisation formé par Luci Schneider et Tyfen Guilloux, où se rencontrent bandes magnétiques, cordes amplifiées, direct radio, K7 et objets glanés. Et celui de Julie Rousse, artiste sonore, improvisatrice et compositrice électroacoustique qui propose Horizon(s) un espace d’expériences sensorielles, sonores et visuelles, habité par le motif de l’eau. La clôture du festival se fera le 26 à la fois au Gyptis et à L’Embobineuse. Au Gyptis, ce sera avec l’ARFI (À la Recherche d’un Folklore Imaginaire), sept musiciens qui réécrivent la bande-son du film La nuit des morts-vivants, et la jouent intégralement en direct : musiques, bruitages, voix, ambiances, dialogues, sons illustratifs ou abstraits. Quant à L’Embobineuse, elle recevra la Palestinienne Makimakkuk, qui tisse électronique, expérimental, freestyle avec des histoires mixant l’intime, le social et le politique. Fulu Miziki Kolektiv collectif d’artistes « Eco- Friendly-Afro-Futuriste-Punk » basé à Kinshasa, maniant des instruments faits à partir d’objets de récupération trouvés dans les poubelles, sans cesse en mutation, toujours à la recherche de nouvelles sonorités. Et le DJ set « Cosmogonic Techno / Hardgroove Stellaire » des Marseillais Vague Alarme. Entre ces deux dates, il y aura des concerts tout aussi ébouriffants à la Friche (le 21 : Natacha Muslera, Chœur tac-til & Lionel Marchetti, le 25 : Confuse, Cheval de Trait, Moon Squad), au Théâtre de L’Œuvre (le 23 : Emmanuel Scarpa, Fanny Lasfargues & Mike Ladd, Symo Reyn) au Conservatoire (le 24 : L’Ensemble In(dé)fini, Kebbi Williams meets Raphaël Imbert & Co, Petit Vacarme), un repas solidaire et une table-ronde à Coco Velten (le 22) et un atelier et village prévention, J’crains degun à la Mairie du 1/7 (le 24/11).

MARC VOIRY

JEST
Du 18 au 26 novembre
Divers lieux, Marseille
lejest.fr

Place aux compagnies : une première sortie de résidence prometteuse

0

Le dispositif de Place aux compagnies 2023 (lire ici notre entretien avec Christophe Cave, directeur de La Distillerie) a démarré avec la présentation d’une première partie du spectacle écrit et mis en scène par Clara Chrétien qui permet d’apprécier le travail accompli. Au début plongé dans la fumée, le décor inquiétant installe d’emblée le spectateur dans une atmosphère étrange. On ne discerne pas tout de suite la forme humaine tassée dans un coin du plateau. Le fond est occupé par une porte percée d’un hublot qui laisse passer une lumière blafarde. Un homme surgit et appelle « Esther ! », la lumière monte peu à peu et l’on distingue la femme assise dans un fauteuil roulant. L’homme demande où il est, la femme au regard noir, excellente Zoé Guillemaud, répond par signes, puis un dialogue confus s’installe. On comprend peu à peu que derrière la porte se trouve un monde mystérieux auquel on ne peut accéder qu’avec une autorisation spéciale. La lumière dévoile alors une autre femme derrière un bureau sur lequel trônent deux vieux téléphones qui vont sonner l’un après l’autre dans un silence pesant. L’autre femme, étonnante Juliette de Ribaucourt, décroche avec des gestes lents et dialogue avec un haut responsable administratif.

Un univers kafkaïen 

Clara Chrétien et la dramaturge Nina Ayachi, qui ont pensé ensemble l’univers scénique, ont su rendre l’atmosphère lourde et menaçante, aidées en cela par les sons et lumières de Guillaume Ohrel. Questionné, l’homme, Stéphane Monpetit, déclare rechercher une jeune femme qui est peut-être de « l’autre côté ». Les deux femmes semblent vouloir l’aider mais la procédure est longue et les autorisations difficiles à obtenir. Cela donne des dialogues cocasses, des regards, des rires fous. Clin d’oeil aux lourdeurs administratives que nous connaissons tous…

À ce stade du travail, on n’en saura pas plus. Il faut attendre une deuxième résidence dont le lieu d’accueil n’a pas encore été trouvé. Qu’adviendra-t-il de cette histoire qui semble s’apparenter à celle d’Orphée descendant aux Enfers pour trouver Eurydice ?

CHRIS BOURGUE

La compagnie des oiseaux par la Cie Le vaisseau a été donné le 11 novembre à La Distillerie, Aubagne.