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Les 1001 figures d’Huma Bhabah

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© X-DR

D’une telle ampleur, c’est une première, dans une institution française. Et elle est bien méritée. Il suffit de se promener au fil des salles de l’hôtel des collections du MO.CO pour s’en rendre compte. Intitulée Une mouche est apparue, et disparut, l’exposition monographique dédiée à Huma Bhabha s’y déploie avec intelligence, le fruit du travail passionné du regretté Vincent Honoré, directeur des expositions de l’institution montpelliéraine récemment décédé*. Sans jamais surcharger l’espace ni brusquer le regard, grâce à une présentation épurée qui laisse place à l’imagination, on découvre les figures puissantes et polymorphes de l’artiste américano-pakistanaise née en 1962 à Karachi. Qu’il s’agisse de sculptures, de dessins, de photos, de photogravures ou de céramiques, soit une cinquantaine d’œuvres exposées, le visiteur est invité à se plonger avec délectation dans un monde étrange fait de strates successives, physiques comme intellectuelles. Anthropomorphes et pourtant hybrides, ses impressionnantes sculptures forment une armée pacifique de vigies totémiques venues d’un autre monde, dont la présence est presque déstabilisante.

Culture populaire

L’universalisme des formes renvoie à la culture populaire, celle de la littérature de science-fiction et du cinéma d’horreur (ou l’inverse). Mais aussi à la statuaire antique ou à l’histoire de l’art, dont un clin d’œil décalé au Cri de Munch. Huma Bhabha collecte, assemble, modèle les matériaux pour les adapter à son univers singulier et leur insuffler la vie. Ses sculptures sont un enchevêtrement de couches de liège, de polystyrène et d’argile, qu’elle met parfois en forme grâce à des fils de fer, ajoutant souvent une touche de peinture. Cette complexité est contrebalancée par un aspect brut, volontairement inachevé. Qu’il s’agisse de sculptures, de dessins ou encore de céramiques, les figures d’Huma Bhabha s’affirment comme des êtres fantastiques, bien que jamais totalement effrayants, témoins sans âge du dualisme inhérent à notre humanité.

ALICE ROLLAND

Une mouche est apparue, et disparut 
De Huma Bhabha 
Jusqu’au 28 janvier 
MO.CO, Montpellier
* suite à son décès brutal fin novembre, l’exposition est gratuite pour tous les publics jusqu’à son terme. 

Un Polaroid qui ravive la mémoire

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© Denise Oliverfierro

Quel medium étonnant que le polaroid. Innovant par son instantanéité dans les années 1950, il est aujourd’hui un phénomène de mode nostalgique apprécié pour une certaine lenteur, soit une quinzaine de minutes pour se révéler entièrement. Avec le temps les images vieillissent, s’effacent, se transforment, oublient leur histoire… Paulo Duarte s’est imprégné de ce medium de l’éphémère afin de le transposer dans l’espace scénique. Sur scène, Polaroïd est une installation complexe faite de multiples écrans et projecteurs, une façon originale pour l’artiste de recomposer le parcours de son père comme on reconstituerait un album de famille à posteriori. Se pencher sur des souvenirs incomplets, c’est questionner la représentation au-delà même des notions de vrai et de faux. Que dit une image ? Que cache-t-elle ? 

Maux d’exil

La voix off de Paulo Duarte nous accompagne comme un phare sonore, tandis que l’artiste contribue au récit en se jouant des images dont certaines sont créées en live, tout comme la musique, avec l’aide de deux acolytes talentueux. Après plusieurs années passées dans un Brésil devenu le paradis des désillusions, Duarte père revient dans un Portugal sous le joug de la dictature salazariste. Dans cette pièce où le son est essentiel, il est ainsi question de mots de filiation comme de maux d’exil, de grande Histoire et de la grandeur des petites histoires. Entre marionnettes et jeu d’ombres (ainsi que de lumière), le théâtre d’objet y est poétique, touchant, innovant. La photographie se fait trace. Comme la mémoire, il est toujours temps de raviver son imaginaire. Et pour lui redonner vie, partager son histoire.

ALICE ROLLAND

Polaroid a été présenté du 12 au 14 décembre au Théâtre de la Vignette, Montpellier

Le Mucem sur sa réserve

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Populaire ? Scenographie Sylvie Jodar. Dec. 2023, Mucem © Julie Cohen/Mucem

C’était un exercice casse-gueule. Extraire 1 200 objets et documents des fonds du Mucem, pléthoriques parce qu’ils ont hérité de ceux du Musée national des Arts et Traditions populaires, auxquels se sont ajoutées les collections européennes du Musée de l’Homme, et ses propres acquisitions réalisées depuis le début des années 2000 dans l’aire méditerranéenne. Un million d’items, si l’on compte les archives photographiques, estampes, cartes postales… 1 200, proportionnellement, c’est peu, mais déjà beaucoup tant, à parcourir la nouvelle exposition permanente, on se sent débordé par un rendu très chargé. On aurait tort d’en rester à cet effet de vide-grenier : évidemment, le travail de réflexion mené par le commissariat collectif, assuré par les  équipes de conservation du Mucem a été poussé, la progression du parcours soignée, la scénographie élaborée par Sylvie Jodar ne démérite pas. Mais sans doute la commande, rendre populaire le Mucem en s’appuyant sur « la force émotionnelle de sa collection », selon les mots de son président, Pierre-Olivier Costa, avait-elle ses limites.

Certes, avoir la chance de découvrir le savoir-faire de bergers du XIXe siècle, qui ont conçu dans l’Eure une très belle cabane mobile, ou l’intérieur complet d’une maison bretonne telles qu’elles se présentaient encore dans les années 1960, est précieux. Certes, les masques animaliers qui ornent toute une section, comme ce bœuf, sobrement stylisé, réalisé par un sculpteur de Sardaigne, Gonario Denti, en 2005, sont de toute beauté. Certes, demander à quatre écrivains – Sophie Blandinières, Lucile Bordes, Arthur Dreyfus et Guillaume Poix – de rédiger des « cartels sensibles », pour faire « ressortir la poétique de l’objet » en y « frottant leurs imaginaires »  est une bonne idée. Toutefois, la juxtaposition, de salle en salle, d’autant d’éléments disparates, évoque surtout un vaste cabinet de curiosités.

Muscler le propos

Peut-être, pour convaincre les visiteurs, au delà des CSP+ habitués des structures culturelles, de venir dans un musée de société, faudrait-il leur proposer un peu plus de mordant. Cela pourrait passer par un traitement plus profond, au sens où il s’adresserait à tous en tant que sujets, citoyens, et non simples consommateurs de savoir. Populaire ? est frustrante à ce niveau, parce que la dimension potentiellement très politique des objets du quotidien n’est que parcimonieusement présente. Un pichet peint entre 1848 et 1852 dans la Somme, par exemple, arbore le message « Louis Napoléon est un bon Républicain, buvons à sa santé ». Il fait écho à un autre élément de vaisselle, vu dans le précédent dispositif qui permettait au Mucem de mettre en valeur ses collections, les Abécédaires. Dans Les maternités de A à Z, figuraient des assiettes en faïence produites en Moselle vers 1860, ornées de clichés visant vieilles filles et filles-mères. On rêve d’une prochaine proposition centrée sur les supports de communication idéologique : ils ont bien changé depuis le XIXe siècle, mais la propagande conserve de troublantes analogies…

Outre les Abécédaires, la thématisation a fait ses preuves dans les expositions de plus petite taille proposées au Centre de Conservation et de Ressources du Mucem, à la Belle de Mai. De même que le fait de s’emparer franchement de sujets de société encore brûlants. On se souvient avec enthousiasme de Osez l’interdit en 2019, belle réflexion sur le licite et l’illicite réalisée par des collégiens marseillais à partir des fonds du musée, accompagnés par la scénographe Laurence Villerot. Ou encore de Psychodémie, sous le commissariat d’Aude Fanlo, mettant en perspective la collecte réalisée au printemps 2020, en pleine crise sanitaire.

GAËLLE CLOAREC

Populaire ?
Mucem, Marseille
04 84 35 13 13 
mucem.org

Autour de l'exposition
Durant les deux semaines des vacances de fin d'année, le Mucem veut « faire rimer Noël avec arts populaires ». Au delà de cette formule un tantinet maladroite, il sera sans nul doute délicieux, pour les bambins, de retrouver le rat Raoul Lala, marionnette animée par Cyril Bourgois, en conférence-spectacle (le 27 décembre, à partir de 7 ans), d'écouter la conteuse Jeannie Lefebvre lors d'un goûter gourmand (les 28, 29 et 30 décembre), ou encore de découvrir Ce matin-LÀ, spectacle de clown et théâtre de papier par la Cie Chouette il pleut !, (les 3, 4 et 5 janvier).
Noël pop
Du 27 décembre au 7 janvier

Une rencontre improbable

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Ma France à moi © Marvelous Productions

Une success story où la chance sourit à un réfugié afghan dans un Paris globalement bienveillant, ça peut paraître relever du conte à dormir debout. Pourtant – on le précise dès les premières images – l’histoire est tirée de faits réels. Son authenticité sera même certifiée à la fin du film par le glissement du personnage principal à la personne qu’il incarne. Ma France à moi, septième long-métrage de Benoît Cohen, est l’adaptation de son propre livre Mohammad, ma mère et moi paru en 2018 et dans lequel il racontait l’accueil d’un migrant afghan par sa mère. Un projet familial nourri d’une histoire commune, avec une adaptation d’Eléonore Pourriat, compagne du cinéaste, et une musique signée par son fils Aurélio

Le Mohammad du livre et de la vraie vie devient Reza, interprété par Nawid Elham, un acteur non professionnel, de l’ethnie Hazara comme lui. La mère du réalisateur Marie-France devient France dont les contradictions seront jouées à la perfection par l’impériale Fanny Ardant qui sauve son personnage d’un aspect archétypal, voire caricatural.Son fils Benoît, rebaptisé Joseph, aura les traits de Pierre Deladonchamps. Quant à l’association qui met en contact France et Reza, elle garde son nom qui est aussi son programme : J’accueille

Deux mondes 

Juchée sur ses talons aiguilles, maquillée et manucurée, vêtements stylés, France est une grande bourgeoise formatée par sa classe sociale mais anticonformiste par nature. Elle réside dans un hôtel particulier du XIe arrondissement, près d’un génie de la Bastille qui n’en finit pas de briser ses chaînes. Elle est généreuse et fantasque, tyrannique et altruiste, exaspérante et désarmante, maternelle et brutale. Veuve depuis peu, vivant loin de son fils unique, financier expatrié à New York, elle se sent seule, vide malgré son trop plein d’amour et d’argent. 

Reza a échappé à un attentat tout jeune en Afghanistan. Il a quitté sa famille, sa sœur chérie, son père qui voulait en faire un iman. Il a fui un pays qui ne lui offrait aucun avenir, assoiffé de connaissances, avec pour ambition d’intégrer Sciences Po. Le film met en scène cette rencontre improbable, cette cohabitation, les maladresses de chacun, les malentendus, les frictions, les rapports forcément déséquilibrés – quelles que soient les bonnes intentions – entre celui qui donne et celui qui reçoit. Sans doute politiquement trop « lisse », dans l’euphorie d’une histoire exemplaire qui donne victoire à l’impossible, et ignore les méchants, Ma France à moi se veut celle de l’ouverture. Dans le contexte actuel, ce ne peut être qu’un plus.

ÉLISE PADOVANI

Ma France à moi, de Benoît Cohen
En salles depuis le 20 décembre
Campagne d’impact avec l’association « J’accueille »
Mobilisation sur jaccueille.fr

De l’infiniment petit à l’infiniment grand 

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Dans ce roman biographique, La femme qui a reconstitué le monde, Eva Tind définit le processus d’adhésion d’une chercheuse à son objet de recherche, à la fois « utile » et « palpitant » : les acariens de mousse, leur répartition géographique validant l’hypothèse de « La dérive des continents comme une tectonique des plaques ». Côté vie minuscule, viennent les descriptions précises des petits animaux, côté vie majuscule, celles des processus propres à la constitution du monde.

La focalisation sur le personnage de Marie se fait progressivement, depuis sa place dans la fratrie, avec sa sœur jumelle notamment. La passion de Marie pour les acariens est directement liée à un quotidien générateur d’expériences. Aussi, l’érudition scientifique se mêle-t-elle aux ressentis du personnage. L’appréhension du monde, chez Marie, est fondamentalement corporelle, sensorielle, et instinctive. 

Règne animal et cause des femmes

La proximité de Marie avec la vie s’exprime dans son tropisme zoologique, mais aussi dans ses relations affectives et amoureuses. Le désir sexuel pour les hommes de sa vie s’exprime à l’état vif, tel une force magnétique : « Son corps est une bête autonome, douée d’une volonté indomptable qui fait ce qu’elle veut d’elle ». 

L’échelle individuelle, celle de l’héroïne, est en permanence confrontée à l’échelle collective du monde patriarcal, y compris au Danemark, dans toutes ses dimensions, des plus intimes, telles que la passion ou la domesticité, aux plus publiques, telles que la profession ou la célébrité. Un féminisme d’époque est cerné, qui trouve, à la faveur de ses nombreux voyages, à s’articuler à la condamnation des agissements coloniaux. Ce roman restitue ainsi la dynamique complexe d’une vie de femme, pourtant oubliée, soumise aux forces conjointes de la passion et du défi. 

FLORENCE LETHURGEZ

La femme qui a reconstitué le monde, de Eva Tind
Traduit du danois par Christine Berlioz et Laila Flink Thullesen
Gallimard – 26 €

Une Martha Argerich divine au Palais du Pharo 

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© MarseilleConcerts

Dédié à la mémoire Nicholas Angelich, le programme pensé par Martha Argerich a su faire de sa simplicité son atout principal. Soit deux concertos des plus grands maîtres du genre, Mozart et Beethoven, interprétés respectivement par Akane Sakai, grande amie de Martha Argerich dont elle dirige le festival à Hambourg, et Argerich elle-même, en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Marseille.

La pianiste japonaise s’empare du fascinant Concerto n°9 avec délicatesse et poésie. L’orchestre, à l’écoute de ses subtils changements de tempi et d’inflexion, où la pulsation s’emballe et se brouille, s’enroule dans ses arpèges aux tournants souvent inattendus. Les trilles s’y font plus mélancoliques que doucereusement mélodieux. Akane Sakaï prend le risque de la lenteur, de la dissonance exposée dans toute sa splendeur, dans ses échanges avec l’orchestre comme dans ses nombreux passages solistes, qui laissent. Cette sensibilité reste intacte dans la Mazurka de Spielmann donnée en bis, ainsi que dans les Contes de ma mère l’Oye donnés en intégralité en bis par les deux musiciennes, visiblement ravies de partager ensemble ce joli moment.

Insuffler du génie

Au retour de l’entracte, Martha Argerich s’impose dès l’introduction orchestrale du Concerto n°2, menée tambour battant par la direction énergique de Lionel Bringuier. Le toucher est ici tout aussi cristallin, mais redoutablement articulé. Chaque note semble ici se voir accorder la même intention, et chaque trait, chaque thème, chaque mélodie chante avec le même supplément d’âme, la même intensité. L’adagio central rappelle évidemment Mozart : ses chromatismes singuliers et prodigieux, ses changements d’humeur imprévisibles. Les gavottes de la Suite anglaise n°3 données en bis rappellent habilement ce que le piano concertant de Mozart doit au contrepoint de Bach. Les voix se chamaillent, s’imitent et se répondent sur des phrases touchant tour à tour au tragique, au grotesque ou à la plaisanterie. Rares sont les interprètes sachant insuffler du génie à des partitions pourtant déjà sublimes : Martha Argerich est de celles-là, et le public, lui hurlant des « je t’aime ! » à chaque sortie de scène, ne semble pas s’y tromper. 

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 17 décembre à l’auditorium du Palais du Pharo, Marseille. 

On n’est pas fatigués

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Et demain le ciel © Laurent Quinkal

Enfin, pas seulement « pour les ados », explique Marie Levavasseur, metteure en scène de Et demain le ciel. « Les jeunes sur le plateau s’adressent aussi aux adultes, pour leur renvoyer à quel point c’est dur de s’entendre dire que le monde va à sa perte, que les générations précédentes ont bien profité et n’aimeraient pas être à leur place. » Elle a travaillé, pour concevoir cette pièce, avec douze garçons et filles de 16 à 20 ans. Deux saisons durant, ils ont échangé sur ce que cela signifie de grandir dans un monde de plus en plus instable, où les oiseaux se meurent et la pollution croît. Des oiseaux, il y en a beaucoup, sur le mur du fond où ils s’envolent au ralenti, en de somptueux battement d’ailes. Dans le ciel de nos vies, ils meurent en cascade, comme les éphémères, comme les libellules. « Vous nous dites : c’est le prix du progrès. Pourquoi avez-vous si peur de la beauté ? » s’insurge Cassandre. Les garçons sont inquiets parce que les filles n’ont pas très envie d’avoir des enfants, dans ces conditions. Tous ont besoin de croire à quelque chose qui fait du bien, peut-être le groupe, où l’on peut s’épauler, se contredire sans rompre les liens, agréger l’espoir. Un lieu où vivre ensemble, pour Youssef qui vient de loin et n’a pas ses racines estampillées. Ils sont en ébullition, leur énergie pulse sur scène. « Nous n’avons pas encore votre fatigue ! » Marie Levavasseur s’émeut, croit en l’avenir si nous ne les laissons pas seuls avec un triste héritage. Ces jeunes sont encore très jeunes, ils ont besoin de nous : « Et vous madame, demande l’une d’elle à une femme dans le public, je peux m’asseoir sur vos genoux ? J’ai besoin d’un câlin ».

GAËLLE CLOAREC

Et demain le ciel a été donné le 15 décembre au Théâtre Massalia, Marseille

Vague bleue à Marseille

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© VilledeMarseille

Il y a comme une douce sérénité qui se dégage des murs du Mac de Marseille. Un ballet de bleu, de vert et de rivages qui s’entrechoquent, dans une harmonie consensuelle de teintes froides mais élégantes. C’est l’œuvre de Marc Desgrandchamps, artiste lyonnais connu pour sa peinture figurative et métaphysique, dont on découvre les dix dernières années de création avec l’exposition monographique Silhouettes qui se tient jusqu’au 31 mars. La dernière exposition voulue par Thierry Ollat, l’ancien directeur du musée, qui en assure le commissariat avec Pauline Nobécourt. Une quarantaine de toiles sont ainsi présentées. Des huiles, beaucoup, des gouaches, un peu, presque toutes en grand format, où apparaissent paysages et scènes de vie quotidienne, empreintes d’un univers vaporeux, à cheval entre surréalisme et classicisme. 

C’est avec ses paysages littoraux, chers à l’artiste, que l’exposition s’ouvre. On est immédiatement frappé le coup de pinceau de Marc Desgrandchamps, qui, peignant avec peu de matière, laisse de la transparence dans ses représentations. Les personnages, tongs aux pieds et/ou smartphones à la main, s’évanouissent dans des paysages marins, toujours froids, emplis de solitude et de nostalgie, sans jamais être totalement hostiles. 

Peinture d’antan

On découvre aussi de nombreux diptyques et triptyques. « Des références aux grandes peintures d’histoire » renseigne Stéphanie Airaud, la nouvelle directrice du musée, pour cet artiste qui a été « très influencé par le musée des Beaux-arts du Palais Longchamp. » Mais de ces influences classiques, l’artiste en joue et surprend, replaçant l’héroïsme d’antan dans des scènes de vies quotidiennes, dont la lecture est plus floue et équivoque. Comme lorsqu’il s’amuse des narrations, à la manière d’un surréaliste, faisant apparaître ou disparaître telle partie du corps ou tel personnage d’un tableau à l’autre. 

On retrouve aussi de nombreuses références à l’antiquité dans son travail. À l’instar de cette Vénus se faisant photographier par une jeune femme en bikini, dans un jeu de miroir entre passé et présent que l’ont sent transparaître régulièrement chez lui. Des références classiques et antiques, qui ont fait de Marc Desgrandchamps un artiste souvent taxé « d’académisme », mais à Stéphanie Airaud de rappeler qu’il souhaite avant tout « parler du présent », tout en étant « accessible par les motifs proposés. » 

L’exposition se termine par Desgrandchamps temps mélangés, un film réalisé par Judith Du Pasquier, qui a suivi l’artiste entre 2009 et 2022 et qui nous permet de découvrir le travail de l’artiste derrière ces tableaux.

NICOLAS SANTUCCI

Silhouettes, de Marc Desgrandchamps
Jusqu’au 31 mars
Musée d’art contemporain, Marseille

La mémoire des émotions

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Très respectée dans son Danemark natal et alentour, notamment en Allemagne, Stine Pilgaard était encore jusqu’à peu une totale inconnue en France. La parution au Bruit du Monde du Pays des phrases courtes a permis, l’an dernier, cette belle découverte. Rares sont en effet les écrivains ayant à cœur d’explorer un registre comique, et tout particulièrement à la première personne. Quelque chose d’un David Lodge ou, plus récemment, d’un Fabrice Caro, émane de ces ruminations désabusées, au fil desquelles la narratrice semble échapper, grâce à force traits d’esprit et rebondissements bien sentis, aux affres de la dépression. 

Le pays des phrases courtes scrutait avec délice la solitude d’une jeune mère dans la petite ville de Velling, partageant son quotidien entre les collègues de son compagnon, enseignant dans une sorte d’école Montessori, et des leçons de conduite bien peu concluantes à l’auto-école du coin. En cours d’adaptation pour le cinéma, ce texte paru en 2020 avait été précédé en 2012 d’un premier roman qui avait fait grand bruit, Min Mor Singer – « ma mère dit ». Bien en a pris à la traductrice Catherine Renaud de le re-titrer Les monologues d’un hippocampe, référence à la zone du cerveau responsable de la mémoire émotionnelle, faisant de régulières apparitions dans la parole de l’autrice. La langue demeure redoutablement drôle mais également très travaillée : les dialogues indirects entre la narratrice, tout juste larguée par sa petite amie, et sa mère décidément combattive, sont notamment particulièrement savoureux. De même que la galerie de personnages – un père pasteur, un médecin dépassé, une amie très portée sur la bouteille – qui accompagne ce léger passage à vide vécu comme une tragédie. Et le transforme en une charmante histoire d’amour.

SUZANNE CANESSA

Stine Pilgaard, Les monologues d’un hippocampe, roman traduit du danois par Catherine Renaud, Le Bruit du monde, 160 pages, 21 €