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« Se battre pour les droits de tout le monde » 

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L'Assignation © Giovanni Cittadini Cesi

Zébuline. Dans Assignation, récit publié en 2018 et sous-titré Les Noirs n’existent pas, vous affirmez que « la Race est une vue de l’esprit » et « la mort de l’autre par essence ». Refusant d’être assignée à un être à identité Majuscule, vous voudriez être noire, et non Noire. Que voulez-vous dire ? 

Tania de Montaigne. Il s’agit de faire un pas de côté. Le racisme existe mais il naît d’une notion de race qui, elle, n’existe pas. Elle n’est qu’une assignation, fondée sur des préjugés, qui produit du vocabulaire, comme l’expression « français de souche » qui établit des hiérarchies entre les Français. Formulée par le Rassemblement nationale, elle se généralise un peu partout… Que faire avec le vocabulaire, les néologismes ? Comment est-ce qu’on nomme l’autre ? C’est pour cela que l’exposition s’appelle Noire. Le problème n’est pas le mot, mais quel préjugé on met derrière. Ce sont les préjugés qu’il faut neutraliser, pas les mots.

C’est le sujet de votre dernier livre, Sensibilités, qui raconte comment on ôte les mots des livres pour ne pas heurter les sensibilités. Mais que pensez-vous de l’emploi d’un mot tel que « nègre » par exemple ? 

Il est fortement connoté. Mais le sens d’un mot, ça change tout le temps. Senghor et Césaire ont retourné ce mot, en ont fait une arme, ce n’est pas rien ! Il y a des moments où il doit être prononcé, pour qu’on n’oublie pas l’histoire. Et puis aujourd’hui, alors qu’on est prêt à se jeter dans le fascisme et l’extrême droite, l’urgence n’est pas d’interdire les mots.

Mais d’interdire les préjugés ? 

Même pas, on en a tous. Si notre but est de parvenir à fabriquer une société où ils n’existent plus, on n’y arrivera pas ! Réfléchir ensemble, c’est cela qui m’intéresse. Aucune lutte n’existe portée par une seule personne, mais par un continuum, une intelligence collective.


Augmenter sa réalité
Noire, la Vie Méconnue de Claudette Colvin, propose une stupéfiante plongée dans l’Alabama des années 1950, côté noire
Les casques visuels et audio, à conduction osseuse et à lunettes transparentes, laissent voir le décor dans lequel vous évoluez et les autres spectateurs, qui vous entourent. Mais des hologrammes d’auteurs jouant Claudette Colvin et ses juges, de personnages historiques comme Martin Luther King ou Rosa Parks, viennent à votre rencontre, s’assoient près de vous, sur vous parfois, devenant vos bras et vos corps. Pas de réalisme pourtant, le décor vole comme du coton blanc, celui des champs d’esclaves, et l’image de Claudette adolescente se double parfois du corps plus douloureux, plus vieux, qu’elle est devenue. 
Le procédé de cette réalité augmentée qui n’est pas seulement virtuelle, de cette exposition immersive qui n’est pas seulement un spectacle, colle parfaitement à son objet : il s’agit d’éprouver l’eau qui coule, l’étroitesse des murs de la prison, l’oppression des corps. D’entendre à la fois les dialogues des scènes et leur commentaire par Tania de Montaigne. D’éprouver. De lever aussi les yeux vers le plafond de la salle, devenue un ciel démesuré peuplé d’arbres blancs qui se balancent, de comprendre que l’effacement forcé n’est que temporaire, un repli de l’histoire, et que la mémoire de Claudette Colvin est aujourd’hui, réellement vivante. On n’efface plus les femmes noires pauvres. 
A.F.
L’exposition de Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud, visible jusqu’au 21 décembre au Théâtre Liberté de Toulon, a été produite par le Centre Pompidou et le CNC.
Expo Noire © Guillaume CASTELOT – Châteauvallon-Liberté, scène nationale

Refuser l’assignation à une catégorie majuscule, est-ce aussi penser les luttes dans leur globalité, leur intersectionnalité, leurs convergences ? 

Là encore, le mot a glissé. Au départ il s’agissait pour une avocate de nommer, pour faire droit et loi, les personnes discriminées par plusieurs préjugés à la fois, femme, noir, handicapé, juif… Le glissement de la parole située, qui consiste à dire « je ne peux lutter qu’à l’endroit où je suis », me dérange. Le concept d’« allié » aussi : par définition un allié change de camp, ce qui n’est pas le cas de ceux qui sont engagés dans les luttes contre les préjugés et les discriminations. Et puis, on doit tous être capables de lutter pour le droit au logement des handicapés, qu’on soit ou non concerné, non ? En écoutant et en observant les besoins, mais ensemble, pas eux et leurs « alliés ». On peut parler au-delà de soi-même, la citoyenneté, c’est de la réalité augmentée. La mémoire d’Anne Franck n’est pas que celle des juives néerlandaises, et si on sépare et hiérarchise les luttes on est cuits.

Tania de Montaigne © Vincent Berenger — Châteauvallon-Liberté, scène nationale

C’est pour cela que vous vous êtes intéressées à une jeune noire américaine en 1955 ? 

Oui. Mon père est américain mais ce n’est pas à ce titre qu’elle m’intéresse, mais parce qu’elle refuse d’obéir à celle qui ne la considère pas comme « un être humain ». Pour cet acte, elle a été malmenée, jugée, condamnée puis effacée de l’histoire, remplacée par Rosa Parks qui était moins pauvre, plus acceptable, et pas enceinte à 16 ans comme elle. Elle a 84 ans aujourd’hui et elle est toujours aussi incroyable, elle affirme qu’il faut se battre pour les droits de tout le monde. Femme, noire, pauvre, mère célibataire, elle sait que lutter en silo, comme si les discriminations n’avaient pas de lien, n’est pas efficace. Aucune discrimination n’est spécifique. 

Que pensez-vous des agressions contre les  comédiennes de Rebecca Chaillon durant le Festival d’Avignon ?

Je n’ai pas vu son spectacle, je ne peux pas en parler. Mais quoi qu’il en soit si je ne suis pas d’accord avec quelqu’un je ne vais pas aller le taper ! C’est un mouvement de pulsion infantile. En fait c’est simple : on n’agresse pas, on ne frappe pas. Et : ce qu’elle aurait dû faire pour ne pas être agressée n’est pas le sujet, et c’est ainsi que ses détracteurs le posent. C’est inacceptable, tout simplement. 

ENTRETIEN RÉALISÈÈS FRESCHEL 


Toulon, ex-capitale FN, enterre son passé
Olivier Klein  et Charles Berling ont signé le 16 décembre un mariage de trois ans, avec Tania de Montaigne comme témoin
Olivier Klein, Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah pour les intimes) « croit à la force de la culture pour créer un narratif commun et sortir des haines multiples ». Sa mission interministérielle promeut, au sein du Gouvernement, une « action universelle et universaliste » pour « déconstruire les préjugés et mauvaises mémoires inculquées dès l’enfance et raviver les souvenirs manquants ». Il trouve que la scène nationale Châteauvallon-Liberté, « avec cette exposition ou avec ce Molière aux couleurs du rainbow flag qui nous accueille à l’entrée », est un lieu exemplaire. Charles Berling, le directeur, emploie d’ailleurs les mêmes termes etsigne en reprenant les mêmes valeurs universalistes et « humanistes », la même foi en une culture qui « nuance, raconte, rapporte, repense et fait réfléchir ». 
C’est d’ailleurs un peu gênés qu’ils passent la parole à leur témoin(e). Tania de Montaigne enchaîne, malicieuse : « Ne vous inquiétez pas les hommes blancs, on sait que vous existez, on vous aime bien, on ne va pas faire comme si vous n’aviez pas le droit d’être là. Nous voulons juste augmenter votre récit du nôtre, de celui de tous les autres qui ont été niés. Je le sais : aujourd’hui encore c’est par votre histoire que la mienne existe ». Le dos définitivement tourné au racisme et à l’extrême droite ? On veut y croire.
A.F.
Signature DILCRAH © Guillaume CASTELOT – Châteauvallon-Liberté, scène nationale

Il y a quelque chose de pourri dans nos admirations

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Le cas Depardieu nous place face à un effarement critique. Un de ces puits où comme dans un mauvais film de science-fiction on s’enfonce sans fin, contemplant en accéléré les scènes passées, les percevant sous un autre angle, avec un zoom cruel qui nous révèle son vrai visage, et met en doute ce que nos émotions, nos instincts, nos désirs, nous avaient fait éprouver. 

A-t-on aimé un monstre ? 

Face à ce gouffre ouvert, d’abord, on relativise. Présomption d’innocence, rien n’est jugé rien n’est prouvé, et l’effarant harcèlement qu’on le voit exercer dans Complément d’enquête sur son interprète coréenne ne prouve que sa monstruosité actuelle, maladive, pitoyable. Celui qu’on a aimé n’était pas un monstre encore, et c’est le milieu, le pouvoir, la complaisance servile, qui l’a fabriqué.

Et puis on se souvient. 

Les paroles des femmes, en particulier des petites mains du cinéma, sont concordantes, nombreuses et ne datent pas de son allégeance à Poutine. Depardieu se vantait en 1990 d’avoir participé à des viols collectifs. Quelle que soit la vérité de ces auto-accusations, comment a-t-on pu aimer un acteur qui se vantait de violer ? 

Alors les images défilent, à l’envers. 

Dans Les Valseuses son personnage, « décontracté du gland », « ramone » de tous les sexes féminins qui passent. Dans Le Sucre il les baise en groupe, dans Préparez vos mouchoirs il ne supporte pas de ne pas faire jouir sa femme… Le cinéma masculin de l’époque fait l’apologie d’une  libération sexuelle qui se passe du consentement, et on se demande à revoir ces images quel charisme on a pu trouver à ce loubard blond qui très vite pourtant est devenu difforme et gourd…

Puis on se souvient Danton, Marin Marais, Christophe Colomb, Obélix, tous ces héros qui ont aujourd’hui son visage, et parmi les 4 ou 5 films qu’il a tournés par an depuis 1970 il y a son incroyable curé dans Sous le soleil de Satan, tous les Pialat, tous les Truffaut, clairement moins contestables… 

Vraiment ? 

Dans La Femme d’à-côté Fanny Ardant cède à ses avances dans un célèbre « non non non » qui se transforme en « oui oui oui », que Catherine Deneuve reprendra dans Le Dernier métro face au même désir qui l’emporte comme un ouragan. Fantasme masculin s’il en est, qui préside à la plupart des viols réels, que les prédateurs justifient par un désir inconscient de la victime.

Nous l’aurions donc aimé parce qu’il incarnait des monstres.

Parce que cette fragilité suppliante du regard dans ce corps si puissant, parce que ce désir irrépressible, décomplexé ou quémandant, parce que cette manière de prendre ce qui n’est pas donné, d’outrepasser, de violenter, ressemble dans nos imaginaires, et dans nos critiques, à ce que l’on appelle la présence, le charisme. Le talent. 

Depardieu n’est pas le premier, mais il est pour beaucoup de Français, ceux qui sont assez vieux pour l’avoir aimé dès les années 1970, le plus frappant. Juste avant PPDA, son regard mouillé et son sourire en coin qui plaisaient tant aux Français qu’il a fallu qu’il quitte les écrans pour que la parole des victimes se libère, et soit entendue. 

Le plus grand acteur français, le journaliste préféré des Français. Il y a quelque chose de pourri dans nos admirations.

AGNÈS FRESCHEL

Champagne et Chauve-souris

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La Chauve-souris © Kévin Bouffard

Opérette viennoise par excellence, La Chauve-Souris demeure, forte de son ambiance champagne, un grand classique des fêtes de fin d’année. Pour faire honneur à ce chef-d’œuvre populaire, l’Opéra de Toulon encore en travaux s’est montré plutôt cohérent en délocalisant les représentations sur la scène du Zénith, les 27, 29 et 31 décembre.

Afin de rendre justice à cette œuvre dans laquelle les dialogues parlés tiennent une place importante, la production de Jean Lacornerie choisit de maintenir les airs dans l’allemand originel mais de confier la narration en français de l’ensemble des personnages à la talentueuse comédienne Anne Girouard, célèbre Guenièvre dans la série Kaamelott. Guidant le spectacle en maîtresse de cérémonie drôle et mutine, l’actrice anime l’intrigue avec entrain, n’hésitant à prendre chef et public à partie. 

Accents germaniques

L’ambiance pétillante du vaudeville traversera également par les nombreux tableaux conçus par Bruno de Lavenère : scénettes présentées au travers d’une galerie de portraits, soirée bourgeoise opulente, ou prison féérique… Une troupe de danseurs participera également à la fête. Remarquable d’entrain et de cohérence, la mise en scène, créée pendant le Covid et autant acclamée à Rennes qu’à Avignon, ne devrait pas décevoir le public varois. 

La distribution musicale sera aussi attendue, avec Léo Warynski à la direction de l’Orchestre, et un casting vocal de qualité. Dans cette « opérette-chorale » regorgeant de rôles hauts en couleurs, le choix de la distribution s’est porté en grande partie sur des chanteurs germanophones. Ainsi le baryon Stephan Genz et la soprano Eleonore Marguerre incarneront le couple Eisenstein, le baryton Thomas Tatzl le docteur Falke et Horst Lamnek le geôlier Frank. Tous ont déjà pris leurs rôles lors de la création à Rennes et l’année dernière à Avignon. La soprano colorature canadienne Claire de Sévigné, l’exubérante mezzo américaine Tamara Gura et le français Valentin Thill complèteront la distribution. Une opérette légère mais exigeante, drôle mais ciselée avec précision, que demander de plus pour les Fêtes ?

PAUL CANESSA

La Chauve-Souris
Les 27, 29 et 31 décembre
Zénith de Toulon
operadetoulon.fr

Minuit gitan

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Ave Maria Tour © Les Théâtres, Aller vers. Photo : Clément Renucci

Quelques décennies ont passé depuis les heures de gloire des Gipsy Kings, guitaristes gitans chevronnés issus de deux familles arlésienne et montpelliéraine. La séparation du groupe n’a cependant pas empêché les membres historiques, leurs fils, neveux et autres membres élargis de faire retentir leurs tubes de part et d’autre de la France, pour leur plus grand bonheur et celui de leur public. Les sept concerts organisés par Les Théâtres dans différents lieux de culte des Bouches-du-Rhône ont ainsi fait (re)découvrir du 13 au 17 décembre les voix et le son des guitares si reconnaissables de Joseph Gautier, Georges et Patchaï Reyes dans un cadre propice aux fêtes les éloignant quelque peu du seul cadre chrétien. L’occasion de découvrir un répertoire souvent réservé aux cérémonies de la communauté gitane : fêtes de Noël, mais aussi baptêmes, mariages et autres enterrements… Louant sans ironie aucune un Jésus sauveur, tendant les mains à toutes les âmes errantes et égarées, ces chants ne manquent ni de vigueur ni d’intérêt. Les chanteurs évoquent, amusés, le contexte propre à chaque chant : Georges se fera taquin lorsqu’il reprochera à l’assemblée de ne pas avoir révisé son « Je chante comme David », connu de fidèle venus des quatre coins de l’Europe. Tous rappelleront la vitalité d’un genre se nourrissant aussi bien de références canoniques que de chants populaires ou de musiques actuelles. L’Ave Maria composé par Joseph Gautier a la simplicité et l’efficacité d’un cantique païen ; la version hispanophone et flamenca de l’Hallelujah de Leonard Cohen est redoutablement efficace ; Albéniz et ses arpèges se fraient un chemin sur l’une des improvisations du groupe. En fin de concert, Djobi Djoba et Bamboleo enchaînent sur un méli-mélo italien rassemblant Volare, Come prima et d’autres réjouissances … Avec toujours la même générosité.

SUZANNE CANESSA

Concerts donnés du 13 au 17 décembre dans le cadre de l’Ave Maria Tour dans sept communes des Bouches-du-Rhône.

Le Cantique des Cantiques version sanscrite

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Le 6mic était aux couleurs de l’Inde ce soir-là pour une première mondiale à l’occasion de la traduction française versifiée inédite par Dominique Wohlschlag aux éditions Albin Michel du Gīta-Govinda, poème du XIIème siècle sous-titré Les chants d’amour de Rādhā et Krishna. Comme dans le Cantique des Cantiques que le Roi Salomon composa pour la merveilleuse Reine de Saba, l’amour physique est une parabole de l’amour divin et de l’élévation de l’âme, la matière symbolise l’aspiration à la transcendance. Le Gīta-Govinda est considéré comme « le chant du cygne de la poésie classique sanscrite » unissant poésie, sentiment amoureux et dimension spirituelle. Nombreuses en sont les interprétations dansées et jouées encore de nos jours. 

Kathak de légende

Pour la première fois la représentation de cette poésie était donnée en danse Kathak, chorégraphiée et dansée par Pandit Ashimbandhu Bhattacharya venu spécialement du Bengale pour l’occasion aux côtés de Maitryee Mahatma, née à Calcutta et initiée à la danse dès l’âge de dix ans et qui, après une thèse de doctorat en littérature à Paris, enseigne l’art de la danse indienne à Marseille. Les deux danseurs endossaient avec une fine élégance les rôles du huitième avatar de Vishnou, Krishna, et de la « gopi » (une vachère) Rādhā, la préférée de Krishna avant son épouse principale Rukminī. Les autres « gopis » étaient incarnées par les espiègles Audray Delcamp et Pallovee Seeromben. Les rapports de Krishna avec les « gopis » ne sont guère exclusifs et le dieu volage fait souffrir la belle Rādhā, même si la symbolique du principe divin auquel toutes les âmes individuelles cherchent à s’unir pour obtenir la libération peut être invoquée… Quoi qu’il en soit, la mise en scène toute simple des tableautins qui s’enchaînent, précédés de la lecture en voix off des étapes de la narration, permettent au néophyte de comprendre la trame et les enjeux : il l’aime, elle l’aime, elle le perd, le cherche, l’attend, le retrouve enfin, le boude puis se réconcilie… L’art transcende le propos qui pourrait sembler mièvre. On est séduits par les évolutions des danseuses, la précision de leurs gestes, positions des mains, des doigts, rythmes des pieds, clochettes des chevilles, sur les enregistrements de musiques traditionnelles jouées sur sarod (sorte de luth hybride apparu au XIXème siècle au nord de l’Inde), violon, tabla. Voyage initiatique que signe son auteur dans les dernières strophes du texte : « Il connaît les secrets obscurs de la musique, / Médite sur Vishnu sans interruption. / De l’art d’aimer il sait les implications / Et passe pour un maître épris de rhétorique. / Telles sont les vertus de Srî Jayadeva, / Le poète érudit protégé de Krishna»…. 

MARYVONNE COLOMBANI

9 décembre, 6mic, Aix-en-Provence

Photographie © Véronique Marcel

« Hélène après la chute » : fastueux et fastidieux

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Brontis Jodorowsky et Aurore Frémont dans Hélène après la chute © © Antoine Agoudjian

Troie vient de tomber, après dix années d’une guerre sanglante déclarée par les Grecs en représailles dudit enlèvement d’Hélène. Pâris, son amant et ravisseur, est mort de la main du roi Ménélas, son époux. À la veille du jugement qui cèlera le sort de l’ancienne reine de Sparte, Ménélas demande à la voir. Avec Hélène après la chute, Simon Abkarian s’est donné le défi de combler un vide laissé dans la mythologie grecque en racontant ces retrouvailles, révélant les deux personnages mythologiques dans toutes les nuances qu’il leur imagine. Les spectateurs découvrent un Ménélas (Brontis Jodorowsky) vulnérable et meurtri, qui peine à répondre à Hélène (Aurore Frémont), cynique, qui le provoque, moque ses silences, et l’encourage à la violer, ce à quoi il se refuse. Dans cette joute verbale pleine de rancœur, chacun tente de blesser l’autre et de le ménager dans le même temps. Elle lui donne les raisons de son départ, assumant pleinement la responsabilité de celui-ci. Il lui parle de sa douleur. Ensemble, ils évoquent leur amour passé. De l’un contre l’autre, la colère se retourne contre leur rang et les obligations qui y sont liées. Le mariage forcé qui, même s’ils s’aimaient, leur a volé leur innocence d’enfants. L’injonction à l’honneur et à la virilité pour lui. La dépossession de son corps et de son destin pour elle. Un dialogue émancipateur, sublime, tressé de métaphores lyriques qui jouent sur les mots dans la veine de l’écriture classique, ce qui peut parfois le rendre difficile à saisir. Malheureusement, la mise en scène ne met pas toujours en valeur le texte, ne ménageant pas assez de respirations pour permettre au spectateur d’assimiler toute la beauté du discours.

Des comédiens brillants mais…

De la même façon, la scénographie contrebalance assez maladroitement l’intimité qui devrait être induite par ce huis-clos. Le décor se veut fastueux, pour un souci de cohérence dramatique – l’action se déroulant dans la chambre du défunt prince Pâris. Dans les faits, le plateau est encadré par des miroirs légèrement déformant, un choix peut-être suranné mais qui présente l’avantage de mettre en valeur le superbe travail de lumières conçu par Jean-Michel Bauer. Au centre, un canapé mobile et sur le côté, vers le fond, le piano de Macha Gharibian, qui accompagne l’action de sa musique et de sa voix. La musicienne est habilement intégrée à la mise à scène par des adresses directes des protagonistes à son égard, faisant d’elle un personnage à part entière, ce qui aurait pu être intéressant si cela était tenu tout au long de la pièce. On ne s’explique pas non plus le choix de Simon Abkarian de faire venir sur scène deux figurants qui promènent le canapé pendant les interludes musicaux, dans un ballet qui n’a pas grand intérêt.

La mise en scène serait donc bien fade, si ce n’était pour l’excellente direction d’acteurs et, de fait, le jeu brillant des comédiens, on pense notamment à la physicalité impressionnante d’Aurore Frémont. Tous deux incarnent leur texte avec justesse, traversant tout un panel d’émotions avec subtilité, à l’exception de changements brutaux de tonalités lors d’explosions de colère, rompant le charme qui peine déjà à s’installer.

CHLOÉ MACAIRE

Hélène après la chute était présenté du 19 au 22 décembre à La Criée, théâtre national de Marseille

Au plus près des publics de la culture

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Parvis du Zef, scène nationale de Marseille ©Vincent Beaume

Voilà déjà un an que l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture a présenté ses activités au Musée d’Histoire de Marseille à un public de professionnels de la culture, d’étudiants et d’autres curieux. S’y étaient alors esquissés les enquêtes, pratiques et études en cours, ainsi que les horizons à explorer par la suite. L’Observatoire issu d’Aix-Marseille-Université, mais aussi d’une collaboration avec l’Université de Toulon, Sciences Po Aix, du CNRS et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a vu fleurir ses projets d’étude dans différents milieux : elle viendra présenter les résultats de ces enquêtes menées par différents collaborateurs et collaboratrices scientifiques le 19 décembre de 9h à 13h au Zef.

Tour d’horizon

Le domaine des cultures scientifiques, tout d’abord, se verra abordé le temps de trois interventions : celle, donnée par Maria Elena Buslacchi, dédiée à ses acteurs, publics et événements ; celle d’Alexia Cappucio dédiée à la science pour le journaliste ; et enfin, celle de la médiation de l’Histoire en ligne, donnée par Sami Dendani. La géographie culturelle marseillaise sera ensuite explorée par Elisa Ullauri Lloré, le temps d’une étude dédiée à la Biennale de la Joliette ; puis par Zohar Cherbit, qui s’est quant à lui intéressé à l’Opéra et à l’Odéon ; et enfin par Gloria Romanello autour du Musée d’Histoire du Centre Bourse. Rémi Boivin explorera ensuite les publics de la culture arlésienne, avant qu’un focus sur la jeunesse ne soit proposé. Sylvia Girel et Anaïs Mérentier évoqueront les travaux d’éducation à l’image menés par le cinéma L’Alhambra auprès des classes Segpa, avant que Matthieu Demory ne présente l’enquête conséquente consacrée aux pratiques culturelles des étudiants. De quoi esquisser les horizons, espérons-le, réjouissants, des publics de la culture de demain.

SUZANNE CANESSA

Parlons publics !
19 décembre (de 9h à 13h)
Zef, scène nationale de Marseille
observatoire-publics.univ-amu.fr

À Monaco, la danse grand format

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Répétitions de L'Enfant et les sortilèges © Alice Blangero

Du 20 au 23 décembre, Ravel sert de fil conducteur aux représentations du Grimaldi Forum en ces temps de l’Avent. Créé le 20 février 1951, le ballet La Valse, chorégraphié par George Balanchine sur les Valses Nobles et Sentimentales de Ravel, nous invite dans une salle de bal où évoluent des danseurs qui tournoient au fil de huit danses. Outre la mise en abîme de l’image même de la danse, s’ajoute une parabole de l’existence : la mort guette et séduit l’une des protagonistes qui finit par mourir. Attrait, fascination qui préfigurent d’une certaine manière toutes les fins tragiques de la littérature et du cinéma au cœur d’une foule en liesse. 

50 danseurs, 90 musiciens, 100 choristes

Clou de la soirée, créé en 1925 à l’Opéra de Monte-Carlo, L’Enfant et les Sortilèges, composé par Maurice Ravel sur un livret de Colette dont on fête cette année les 150 ans de la naissance, est une fantaisie lyrique qui met en scène un enfant de sept ans qui n’a guère envie de faire ses devoirs de vacances. Sa mère le gronde. Pris d’un accès de colère, l’enfant fait pis que pendre, détruit les objets, martyrise les animaux : « je suis libre, libre, méchant et libre ! ». Épuisé, il s’effondre dans le vieux fauteuil qui se recule. Les objets s’animent, les animaux se mettent à parler et s’apprêtent à se venger des maux que leur a infligés le capricieux… La scène intimiste connaîtra cette année un développement fantastique grâce à la nouvelle interprétation, taillée sur mesure pour les danseurs d’exception que sont ceux de la troupe internationale monégasque par leur directeur, le chorégraphe Jean-Christophe Maillot qui met 240 artistes sur scène : les Ballets de Monte-Carlo, l’Orchestre Philharmonique et les Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo, une Académie de jeunes chanteurs créée spécialement par Cecilia Bartoli, et le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III. Bref, les grandes institutions artistiques monégasques se fédèrent autour du projet. Quel panache !

MARYVONNE COLOMBANI

La Valse 
L’Enfant et les Sortilèges 
20 au 23 décembre
Grimaldi Forum, Monte-Carlo
balletsdemontecarlo.com

OCCITANIE : Les joyeuses fêtes de l’Opéra de Montpellier

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LA VIE PARISIENNE - Compositeur : Jacques OFFENBACH - © Vincent PONTET

Pour le premier opéra de sa saison, l’institution montpelliéraine frappe fort. La Vie Parisienne, grand opéra d’Offenbach, s’installera à l’Opéra Comédie du 20 décembre au 4 janvier pour six dates très attendues. Celles-ci mettront à l’honneur le livret et la partition originale de La Vie Parisienne, souvent amputé de passages pourtant cruciaux pour la compréhension de l’ensemble – et notamment de l’acte IV, dans lequel brille Madame de Quimperkaradec. C’est au Palazetto Bru Zane et à ses recherches musicologiques dédiées, entre autres, au XIXème siècle français, que l’on doit la recréation à l’Opéra de Rouen en 2021 de cette version originale malmenée, et depuis partie pour une tournée à Tours, au Théâtre des Champs’Elysées ou encore à Limoges … Comme toujours chez cet orfèvre de l’opéra bouffe à la française, on y rencontrera une foule de personnages issus du vaudeville : comtesses, baronnes, militaires, millionaire brésilien, courtisanes et autres amants, campés, entre autres, par les formidables Flannan Obé, Jérôme Boutillier, Eléonore Pancrazi … Trois heures trente de grand spectacle empruntant sa finesse mélodique à Mozart et son apparat au grand opéra à la française. Le couturier Christian Lacroix, déjà sollicité sur des costumes et décors, notamment à l’Opéra de Versailles,y signe sa première mise en scène, en collaboration avec Romain Gilbert et Laurent Delvert. Dans la chorégraphie, rassemblant huit danseurs sur scène dont son assistant Mikael Fau, la jeune Ghysleïn Lefever promet de conjuguer les multiples talents que sa carrière de danseuse, comédienne et metteuse en scène lui a permis d’aborder. 

Babar et son orchestre
Un poil plus court – quarante minutes seulement – le chef-d’œuvre de Poulenc dédié à l’enfance sera également joué à l’Opéra Comédie, salle Molière. Composée pour piano, L’Histoire de Babar, le petit éléphant y sera joué dans sa version brillamment orchestrée par Jean Françaix. Le texte, facétieux et décidément intemporel, de Cécile et Jean de Brunhoff, sera interprété par le comédien Damien Robert et la comédienne et traductrice en Langue des Signes Françaises Wafae Ababou le 16 décembre à 11h et 17h. 

Musiques de chambre en vadrouille
Une foultitude de concerts en petits comités sera également donnée hors les murs. Au Théâtre Bassaget de Mauguio, les bassons et contrebassons de Magali Cazal, Blandine Delangle, Arthur Antunes et Rodolphe Bernard proposeront un programme s’étendant de Vivaldi aux Beatles dimanche 17 décembre à 18h. Même jour, même heure pour le trio constitué du violoncelliste Cyrille Tricoire, de la pianiste Anne Pagès-Boisset et de la soprano Hwanyoo Lee, mais c’est cette fois-ci au Théâtre de l’Albarède à Ganges qu’une sélection plus qu’éclectique fera voyager le public du Paris d’Offenbach au Bréil d’Heitor Villa-Lobos, en passant par la mélodie coréenne de la compositrice Wonju Lee. Du 5 au 7 janvier, trois jolis programmes s’enchaîneront. La salle Jacques Brel de Prades-le-Lez accueillera le violoncelle de Pia Segerstam et la harpe d’Héloïse Dautry pour un concert tout aussi éclectique le vendredi 5 à 20h30, où l’on retrouvera notamment un extrait du ballet Maa en hommage à la compositrice Kaija Saariaho. Dimanche 7 à 16h à la salle multiculturelle de Bagnols-sur-Cèze, c’est un concert « multitimbré » que la violoniste Ekaterina Darlet-Tamazova, l’hautboïste Tiphaine Vigneron, l’accordéoniste Simon Barbaux, le contrebassiste Tom Gélineaud et le percussionniste Pascal Martin nous promettent, avec un programme explorant aussi bien l’Europe de l’est que l’Amérique latine. Le plus sage quatuor réunissant les violonistes Sylvie et Olivier Jung, ainsi que l’altiste Florentza Nicola et le violoncelliste Alexandre Dmitriev explorera des chefs d’œuvre transcrits à l’Eglise Saint-Hilaire de Mèze le dimanche 7 à 17h.

Fêter dignement la nouvelle année

C’est enfin la jeune cheffe napolitaine Clelia Cafiero qui prendra la tête de l’orchestre au Corum pour deux éditions du concert du Nouvel An, le dimanche 31 janvier à 18h et le lundi 1er janvier à 12h. La soprano Charlotte Bonnet l’accompagnera sur un programme réunissant les inévitables valses de Johann Strauss, deuxième du nom, mais aussi des pages inoxydables de Gounod – dont le célèbre Air des bijoux – et de Franz Lehár, dont l’ouverture célébrissime de La Veuve joyeuse, suivie de l’air de Vilya. De quoi donner à ce début d’année ce qu’il faut d’allant et de bonne humeur.

SUZANNE CANESSA

La Vie Parisienne, du 20 décembre au 4 janvier, Opéra Comédie

L’Histoire de Babar, le petit éléphant, 16 décembre, Opéra Comédie

Concerts décentralisés, 17 décembre et du 5 au 7 janvier, Maguio, Ganges et divers lieux

Concert du Nouvel An, 31 décembre et 1er janvier, Opéra Berlioz, Corum

Enfants sacrifiés de l’exil

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Élégie d'exil © Berger Alexandra

« Comme vous me voyez-là, je n’ai rien d’un daron comorien, j’ai écrit une fiction que je porte en scène… » répond Soly lorsqu’on lui demande s’il raconte son histoire. Jusqu’ici il avait deux identités, celle de B.Vice, du hip-hop, de la mémoire de son ami assassiné Ibrahim Ali, et celle de M’Baé Tahamida Mohamed, le travailleur social et militant. En écrivant et en jouant Elégie d’exil il noue ces deux fils par la langue, le théâtre, mettant en scène les destins tragiques des Comoriens des quartiers marseillais. « Qui pourraient à quelques détails près être Algériens ou Marocains, enfants de la colonisation française. »

Révolte tragique

Au Théâtre de l’Œuvre la salle hypercomble (sur les marches, debout au fond, dans les travées…) d’un public marseillais majoritairement noir attendait la pièce avec fébrilité. Il est rare de voir quatre Noirs au jeu, à l’écriture, à la mise en scène (Estelle Ntsende, qui joue aussi la fille) Profondément hip-hop par le mélange de musiques live (Salif Diarra) et samplées (Mozarf), par la danse krump, par le rythme slamé des mots et des rimes, Elégie d’exil raconte une histoire simple. Celle d’un Comorien qui peine à vivre à son arrivée à Marseille, réussit pourtant à se marier, à fonder une famille, à élever trois enfants, dont deux meurent. Dans une rixe idiote pour l’aîné, victime d’un règlement de compte, troué de balles et jeté dans un coffre pour le plus jeune. Comment un fils dérive-t-il ? Les ravages du trafic de drogue sont décrits mais aussi le poids des traditions communautaires, les difficultés d’un enfant à accepter l’humiliation constante de ses parents qui enchainent ménages et petits boulots…  Sa révolte, tragique parce qu’elle se retourne contre lui et les siens, semble, dans ce contexte social délétère, inévitable.

AGNÈS FRESCHEL

Elégie d’exil a été créé le 6 décembre au Théâtre de l’Œuvre, Marseille.
À venir 
Mtoulou fait son safari musical
Ahamada Smis
16 décembre à 18h
theatre-oeuvre.com