dimanche 20 juillet 2025
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« Je m’intéresse essentiellement aux femmes en lutte »

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Depuis près de vingt ans à Marseille, Films Femmes Méditerranée affirme que le cinéma des femmes existe, et qu’il a en Méditerranée une force et une actualité particulières. Qu’il est résistant, émouvant, drôle, solidaire, du côté des victimes de l’histoire, de la jeunesse et des résiliences à construire. 

La programmation 2023 le confirme en mettant à l’honneur Sarah Maldoror. La cinéaste, qui a fondé dans les années 1950 la première compagnie de théâtre noire « pour en finir avec les rôles de de servantes », a travaillé à écrire une histoire noire et décoloniale avec ses amis Senghor, Glissant et Césaire, mais en affirmant aussi qu’il fallait filmer les femmes. Son film Sambizanga (1973) qui retrace un amour en contexte de répression coloniale, ouvrira le festival le 18 novembre, et 4 autres soirées lui seront consacrées. 

Familles et luttes

« Il faut soutenir les femmes qui souhaitent travailler dans le cinéma, affirmait-elle. Les hommes ne sont pas prêts à les y aider. » Elles filment, pourtant, des histoires de femmes, souvent des gestes de tendresse et d’amour. Le 20 novembre on pourra voir en avant-première un film de Sonia Ben Slama Machtat, qui suit un orchestre de femmes, familial, dans les mariages tunisiens. Le 21 Blackbird, Blackbird, Blackberry, troisième long métrage de la réalisatrice Elene Navariani, met en scène l’émancipation d’Etero, célibataire amoureuse dans un village géorgien.

Le 22 la présence de la comédienne palestinienne Hiam Abbas, filmée par sa fille Lina Soualem sera un événement : Bye bye Tibériade parle de départ et de liens familiaux, dans une région que le présent bouleverse une fois encore.

Le festival se clôturera le 24 novembre par l’avant-première de Madame de Sévigné, biopic littéraire en costumes d’Isabelle Brocard sur une mère qui aimait démesurément sa fille, Françoise de Grignan, principale destinataire, à Marseille, de son abondante correspondance. 

Entretemps, une programmation passionnante de courts métrages, et d’autres longs, de Dominique Cabrera, Felipa Reis, Lucie Demange, Asmae el Moudir, Zaïda Carmona. Quelques incursions hors de Marseille, un jury des lycéen·nes, une séance jeune public, une billetterie solidaire, et une fête de clôture à Covo Velten dans le cadre de la journée pour l’élimination des violences faites aux femmes et aux minorités de genre. 

SUZANNE CANESSA

Films Femmes Méditerranée
Du 18 au 24 novembre
Divers lieux, Marseille
films-femmes-med.org

Nicole Ferroni, en toute férocité 

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Nicole Ferroni © Julie Caught

Nicole Ferroni, assise derrière une table sur le devant de la scène, s’échauffe tranquillement, en proposant son aide pour mettre en contact les célibataires dans la salle, se demandant si elle a le trac ou si elle a faim, avouant attendre un signe discret de la régie pour commencer le spectacle. Le voici. Introduction en forme d’avertissement : « Si vous êtes venu·e·s me voir pour mes ex-chroniques politiques humoristiques radiophoniques, attention, ce soir, c’est pas pareil ! Il s’agit de poésie et de Marseille ! » C’est Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, qui lui a demandé, au moment de la fermeture du Théâtre du Gymnase pour travaux, à elle, ex-chroniqueuse de France Inter, d’aller « semer de la poésie » dans les bars de Marseille. Sans blague ! Et bien, chiche ! C’est au printemps 2022 qu’elle a semé ici et là, autour de quelques comptoirs, en quelques formes courtes, ses vers, écrits par elle ou par d’autres. Et ce soir, aux Bernardines, c’est l’intégrale.

« Hé DJ, mets-nous donc des femmes »

Poésie et Marseille d’accord, mais avec Ferroni c’est aussi Femmes ! L’humoriste s’en donne à cœur joie, et passe au filtre de sa lecture féministe quelques pépites textuelles et musicales patrimoniales : l’opéra Gyptis et Protis (1890) de Boniface et Bodin, interprétation du mythe fondateur de la ville, ambiance gauloise et patriarcale, dont elle joue quelques extraits à sa façon. Je danse le Mia d’IAM, qu’elle chante en le gratifiant d’un « Je te propose un voyage dans le genre, pour danser le miaou » ou d’un « Hé DJ mets nous donc des femmes ». Ou encore Bande organisée avec un « pourquoi niquer quand on peut faire mieux ! ». 

Ce sera façon rap également qu’elle rendra hommage à Louise Michel en slamant Les œuillets rouges, l’une des femmes rebelles et d’écriture liée à Marseille, qu’elle évoque parmi d’autres : la poétesse du XVIe siècle Marseille d’Altovitis, Olympe Audouard, romancière et journaliste du XIXe siècle qui écrira Guerre aux hommes, ou encore Simone de Beauvoir. Avec habileté, entre jeux de mots et caricatures plus ou moins faciles, vulgarités jubilatoires (« Malheureuse est la pachole dont le mari est un pacha »), passant parfois imperceptiblement d’un registre comique à un registre dramatique et inversement, l’ex-chroniqueuse, jamais méprisante pour les personnages qu’elle croque, décale les regards et fait passer ses messages féministes en toute bienveillance et férocité. Sur Marseille, autre grand objet poétique, elle évoquera à travers quelques vers de son cru le « grand remplacement », celui des classes populaires par les bobos (« je le sais, parce que j’en suis »), ou encore avec un humour amer les tragédies des règlements de comptes. Pour terminer par un hommage à la Bonne Mère, et à la cagole. Car voilà un genre de femme qui ne s’en laisse pas conter : « De ton sguègue je fais une tapenade ! ». 

MARC VOIRY

Spectacle donné jusqu’au 25 novembre au Théâtre des Bernardines, Marseille.

Arthur Perole fait parler les corps

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Tendre carcasse © N.F Hernandez

La danse a pour habitude de s’emparer des corps pour leur faire narrer un récit ; elle s’est plus rarement aventurée sur le chemin inverse. Soit interroger les corps sur les récits qui les ont accompagnés, qui les ont façonnés, et leur laisser libre cours sur scène. Ils sont quatre, ce soir-là, sur le plateau du Pavillon Noir : Arthur Bateau, cheveux courts et roses, craignant une fois sa trentaine actée les débuts d’une calvitie ; Mathis Laine Silas, à la tignasse blonde mi-longue savamment coiffée-décoiffée, à l’instar de cette jupe arborée comme un pantalon large ; Elisabeth Merle, exhibant son mètre cinquante-sept non sans rage rentrée, pour prouver « qu’elle en a » ; et Agathe Saurel, heureuse de « prendre de la place », par sa taille, tout d’abord, mais également ces cheveux crêpus qui auront attiré tant de répulsion ou de fascination. Chacun racontera, au fil de confessions dansées dans un mouvement commun continu, ces moments où le corps, et avec lui ce qu’il trahit de l’identité, et de sa condamnation par le collectif. L’humour est toujours de mise, même si les récits d’adolescence voyant l’un traité sans relâche de pédé, et l’autre de singe, font froid dans le dos. Mais rien ne semble heurter ce quatuor accompagné dans ce cheminement qui semble les mener vers un dénudement, mais les conduira à exulter sur un rythme toujours plus festif, sur une création musicale très inspirée concoctée par Benoît Martin. Les chorégraphies d’Arthur Perole ont décidément foi en la jeunesse : et cela en deviendrait presque contagieux !

SUZANNE CANESSA 

Le spectacle a été donné les 9 et 10 novembre au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

À Avignon, du théâtre pour retrouver le chemin des classes

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Classe départ II - Avignon © Alexandra de Laminne

J’aime les gens qui doutent. Entonnée durant la représentation, la chanson d’Anne Sylvestre donne le ton de la proposition, écrite et interprétée par les neuf interprètes (5 gars, 4 filles) de la « Classe départ », promotion 2023. 100 000 enfants et adolescents décrochent, chaque année du système scolaire. 50% des non-diplômés sont au chômage ou inactifs, trois ans après leur déscolarisation. Face à ces statistiques, Bruno Lajara, auteur et metteur en scène, crée en 2015, dans les Hauts-de-France, le Centre d’Art et de Transformation Sociale, à l’origine des Classes Départ. Le dispositif réunit une douzaine de jeunes en rupture sociale, familiale, autour d’actions artistiques et citoyennes. Depuis 2019, par l’entremise de Pascal Keiser et La Manufacture, espace repère du Off, Avignon héberge sa « Classe départ ». 

Je cache. J’ai rien à dire. Nous vivons ! 

Entouré par une demi-douzaine de professionnels, la troupe livre une création pluridisciplinaire, au fil de laquelle, les unes et les autres s’expriment avec ses mots et ses capacités. Au bout du conte, illes vécurent agrège des témoignages, sublimés par un slam, une tirade, une apostrophe ou un riff, lâché par un digne émule de Jimi Hendrix et Alvin Lee. Au cœur d’une boîte noire, où sont plantées trois marches d’escalier, des corps vont et viennent, s’éloignent et souvent se rassemblent le temps d’un chœur, l’espace d’une chorégraphie. L’ensemble sonne toujours juste et révèle quelques vrais talents de plume ou d’interprétation. À la suite de la première, les « aiguilleurs » (acteurs, chanteurs, chorégraphes), ne cachaient pas leur satisfaction, tout en évoquant le chemin parcouru par ces jeunes qui, il y a moins d’un an, regardaient leurs chaussures, maugréaient ou s’emportaient à la moindre difficulté. En moyenne, depuis cinq ans, 70 à 80% des jeunes ayant participé à une « Classe Départ » retrouvent le chemin de l’autonomie, de la formation, de l’emploi. Les résultats sont encourageants et, sur le plateau, les métamorphoses impressionnantes. Une réussite sans doute en lien avec l’accompagnement talentueux et personnalisé de ces petits effectifs. Suite à une série de représentations en juillet dernier, la première promo de la « Classe Départ Avignon », entamera une petite tournée nationale. Souhaitons un futur similaire à ce beau travail de troupe, réunion salutaire de forces qui s’entrechoquent. 

MICHEL FLANDRIN

Spectacle donné dans le cadre du dispositif Classe Départ les 10 et 11 novembre au Théâtre Benoît XII, Avignon.

À l’horizon, ancien et nouveau se rejoignent

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FESTIVAL NOUVEAUX HORIZONS 2023. AIX-EN-PROVENCE. 10/11/2023. PHOTO CAROLINE DOUTRE

Au conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence, les deux représentations du vendredi et du dimanche séduisaient ainsi par leur variété, le talent très investi des artistes qui apportaient leur fougue et leur finesse aux partitions parfois diamétralement opposées qui leur étaient proposées. Passer du Trio pour piano, violon et violoncelle en ré mineur opus 120 de Gabriel Fauré, subtilement servi par le piano souverain de Guillaume Bellom et le dialogue des cordes, Irène Duval (violon) et Maxime Quennesson (violoncelle) à la création de Sasha J. Blondeau, Muter pour deux violoncelles (Maxime Quennesson et Ivan Karizna) relevait de la prouesse. Cette pièce puissante use de toutes les capacités sonores de l’instrument, cordes pincées, frottées, frappées, « oiselées », sons menés de leur plénitude expressive à la saturation, pour une performance qui dessine des paysages urbains puis les quitte, habitant l’âme de résonances nouvelles, une réelle performance ! Le Quintette avec piano (1919) du trop peu connu Frank Martin, faisait dialoguer avec souplesse les violons de Renaud Capuçon et Irène Duval, l’alto de Sara Ferràndez, le violoncelle d’Ivan Karizna et le piano de Guillaume Bellom. Le septuor de Sofia Avramidou What can that be my apple tree?, inspiré du conte La jeune fille sans mains, invitait aux côtés des musiciens précédents le violon d’Anna Göckel, l’alto de Gérard Caussé et le violoncelle de Maxime Quennesson. L’œuvre transmute en sons une idée poétique du propos, métamorphose les timbres, joue des contrastes en une horlogerie minutieuse avant l’éclosion d’une mélodie profonde et salvatrice. 

Traditions

Le premier jour, la fine pianiste Julia Hamos s’attachait au Trio avec clarinette (éblouissant Joë Christophe) de Beethoven puis au très beau Quatuor pour piano et cordes en si mineur de Guillaume Lekeu. Si la création très millimétrée de Christopher Trapani, Slow smoke, donnait une partition particulièrement chargée et délicate à la clarinette, accompagnée de l’univers sonore tissé par violons, alto et violoncelle, elle était fortement datée des débuts des travaux de l’Ircam. En revanche, la pièce nouvelle de Camille Pépin, Si je te quitte, nous nous souviendrons, subtil duo entre le violon de Renaud Capuçon et le piano de Guillaume Bellom, taillée sur mesure pour ces deux brillants interprètes, mélangeait les couleurs, jouait des contrastes, lyrique et fluide, un petit bijou !

MARYVONNE COLOMBANI

Concerts données du 10 au 12 novembre au conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence.

Défaite dans un verre d’eau

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© X-DR
© X-DR

L’Opéra Grand Avignon dispose décidément de moyens rares et inespérés. À commencer par la qualité de l’Orchestre National Avignon Provence qui, sous la direction musicale de Benjamin Pionnier, sublime la délicatesse de la partition de Dvořák, pétrie d’influences folkloriques et d’un tragique tout droit sorti de chez Wagner. 

Même son de cloche du côté de la distribution vocale, irréprochable : la princesse d’Irina Stopina impressionne, de même que la basse tchèque Wojtek Smilek, grand connaisseur du rôle de Vodnik. Le prince, campé avec vigueur par le ténor ukrainien Misha Didyk, bénéficie d’une projection à toute épreuve, tandis que le rôle-titre, tenu par la soprano arménienne Ani Yorentz Sargsyan, s’érige tout en aplomb et en délicatesse, notamment sur le célébrissime chant à la lune du premier acte porté par son très beau timbre sombré. Sans faute également du côté des facétieuses nymphes – Mathilde Lemaire, Marie Kalinine et Marie Karall, à la complicité tangible.
Tout aurait donc pu être réuni pour que cette collaboration entre Bordeaux, Nice, Marseille et Toulon, sublimée par ses chœurs, compte parmi les productions opératiques les plus réjouissantes du pays, sur cette saison ou la suivante. Mais il y a fort à parier qu’elle ne fasse parler d’elle que l’effarante bêtise de sa mise en scène.

Fermer les yeux

 Il y aurait pourtant eu tant à dire aujourd’hui de cette petite sirène adaptée très strictement d’Andersen par Dvořák et son librettiste. Devenue alors allégorie d’une impossible union entre peuples, Rusalka pourrait aujourd’hui revêtir les traits originaux de l’homosexualité tue, se faire transgenre, transclasse … Car nombreuses sont aujourd’hui les déclinaisons de ce mythe évoquant en premier lieu la mue de l’adolescence.

Mais les metteurs en scène Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeil se sont contentés d’explorer deux idées  peu inspirées. La première consistant à faire des sirènes une équipe de natation synchronisée, avec force vidéos et chorégraphies embarrassantes à l’appui. La seconde consistant à piller toutes les piteuses idées du déjà dispensable clip que Luc Besson consacra à Pull Marine : tête dans un aquarium, poissons en chocolat et piscine gonflable. Le tout est d’une misogynie à couper le souffle : talons aiguilles vertigineux contraignant toutes les chanteuses à une immobilité certaine ; scène de viol greffée au livret sans explication aucune, dans un opéra labellé pourtant « opéra en famille ! ». 

Un accident industriel inexplicable.

SUZANNE CANESSA

La production, partagée avec les autres opéras de la région dans le cadre de l’initiative « Opéras au Sud », fera escale à Nice du 26 au 30 janvier, et les saisons prochaines à Marseille et Toulon.

Les hommes de Rio

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© X-DR

C’est à un rare mais très pertinent jumelage que se sont attelés les deux musiciens, venus à Marseille le temps d’une masterclasse : celui de la musique de chambre injustement méconnue du groupe des Six et du répertoire brésilien, et tout particulièrement de la musique de Villa-Lobos. 

Les œuvres pour piano seul de ce dernier trouvent dans le toucher et la technique ahurissante de César Birschner une richesse d’interprétation rarement entendue. Le pianiste brésilien, fort d’une réelle personnalité, sait cependant se mettre au diapason de son partenaire. Le violon tout aussi bouleversant de Grégoire Girard déploie une richesse de son et une dextérité sans faille. Sur les sonates de Francis Poulenc et Georges Auric, le lyrisme à l’œuvre impressionne, notamment sur les largo – l’Intermezzo du premier, le mouvement lent du second. Autant de raison de reconsidérer ce répertoire, souvent oublié au profit de l’œuvre opératique de Poulenc, et de la musique de film d’Auric. 

Les influences se conjuguent et se transforment sur la très virtuose Cinéma-Fantaisie d’après le Bœuf sur le toit, traité halluciné de Darius Milhaud entremêlant sur une même phrase différents plans, tempi et styles. 

La commande faite à Karol Beffa, Un français à Rio,célèbre la liberté de cette musique-là, riche de rythmes syncopés et de couleurs mouvantes, forte d’un désir de narration impliquant un investissement total de ses interprètes. La complicité des musiciens se révèle particulièrement émouvante : la moindre fin de phrase, la moindre modification de son de l’un entraînant, sans un regard, l’approbation de l’autre. Aucune imprécision, aucune sècheresse de son et aucun désaccord ne vient entacher ces très belles pages, que l’on souhaite pouvoir bientôt découvrir le temps d’un enregistrement. 

SUZANNE CANESSA

Ce concert a eu lieu le 4 octobre au Palais du Pharo dans le cadre de la saison de Marseille concerts

Angelin Preljocaj en trios

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Annonciation © Jean-Claude Carbonne

Une grâce, une ferveur nouvelle semble animer le familier tableau d’Annonciation, créé en 1995. Donné en préambule de ce programme unissant des pièces séparées par trente ans de création, le duo, sans changer, revêt des traits inédits. La Marie de Verity Jacobsen est d’une grâce loin de toute candeur virginale, la vigueur et la douce robustesse de Mirea Delogu en font un archange à l’autorité enveloppante. Une complicité nouvelle opère entre ces deux personnages qui semblent contraints d’œuvrer ensemble pour une force, que l’on désigne en pointant vers le haut, dans ce goût du geste devenu signe emprunté au Trecento et déployé sur le registre du théâtre dansé. 

Cette complicité souvent résignée demeurera le fil rouge de cette trilogie où les corps des femmes, leur capacité d’engendrement mais aussi leur objectivisation se verront savamment scrutés.

S’affaisser ensemble

Torpeur, création de 2023 conçue donc vingt-huit ans après ce duo canonique, déploie un effectif et des modalités d’interaction démultipliés. On se croirait, durant les premières minutes, revenus à une danse naturelle proche de Lucinda Childs, scandée par les pulsations rassurantes d’une musique joyeusement répétitive dont les corps s’emparent avec frénésie. 

La danse d’aujourd’hui se nourrit de  désarticulation, de saccadé, de lâcher-prise ? Qu’à cela ne tienne, semble répondre Angelin Preljocaj : les battements s’espacent, les gestes s’étirent, et les corps s’alanguissent. Si bien qu’ils semblent imposer à une musique flottante leur propre rythme, et non pas que celle-ci leur dicte  comment faire battre leurs cœurs. 

Les douze danseurs et danseuses se rapprochent, s’explorent et se dénudent dans un mouvement inédit de sensualité. Exit les pas-de-deux délimitant hommes et femmes : c’est presque uniquement en trios, puis entre hommes et entre femmes que tous s’unissent et s’accompagnent, comme les corps exultants de Deleuze/Hendrix. De ces architectures de groupes, autonomes et un brin anthropophages, pointe cependant une inquiétude…

Mariages aveugles

On revient alors en 1989, année où Preljocaj s’imposa comme une voix majeure de la danse contemporaine. Les Noces de Stravinsky y avaient  voyagé, passant de la Russie paysanne du compositeur aux Balkans, à l’Albanie dont Preljocaj est originaire. 

Ces images gardent la couleur inaltérée du cauchemar, celui des mariages mal consentis : une fois de plus, ce sont les yeux bandés que les jeunes femmes avanceront vers leur destin. Elles auront beau échanger regards entendus, caresses chaleureuses, quitte à s’emparer elles-mêmes de dociles poupées de chiffon pour jouer le jeu, elles sortiront éternelles perdantes d’une partie jouée d’avance. Celle du rapt matrimonial. 

Engoncés dans des costumes cravates soulignant leur air juvénile, les hommes semblent à peine moins perdus. On croirait presque, le temps de ces sauts du haut de bancs d’école, où les femmes s’élancent, tournoyant comme des toupies, qu’un autre monde, qu’un envol est possible. La chute, amortie in extremis par les bras de leurs partenaires, n’en est que plus tragique.

SUZANNE CANESSA

Le programme s’est donné du 11 au 15 octobre au Pavillon Noir, Aix en Provence

Collège Attitude

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J'ai trop d'amis © Christophe Raynaud de Lage

La conclusion de J’ai trop peur laissait son jeune narrateur face aux portes du redouté collège le jour de sa rentrée en sixième, après tout un été d’angoisse et d’hésitation. J’ai trop d’amis s’ouvre sur la suite immédiate : l’entrée dans ce lieu si intimidant, et la répartition des jeunes recrues dans différentes classes. À la peur d’aller en sixième succède celle d’aller dans la mauvaise sixième : celle où ne seront pas inscrits les anciens camarades de l’école. 

Écrite sur commande du Théâtre de la Ville, où le dramaturge et metteur en scène David Lescot avait créé J’ai trop peur en 2015, J’ai trop d’amis explore avec malice et ingéniosité le langage de la fin de l’enfance, et les possibles du théâtre pour lui donner corps. La boîte mobile déjà effective sur l’opus précédent embarque de nouveau un jeune public ravi dans les salles de classes, la cour de l’école ou au domicile familial. Une fois de plus, c’est un trio de comédiennes qui incarne la totalité des personnages, en alternance les unes avec les autres. Les Bernardines ont ainsi accueilli une Camille Roy redoutable de drôleriedans le rôle principal, l’air souvent ahuri par ses découvertes successives : les statuts de « populaire » ou de « normal », les conventions amoureuses… Dans les rôles de son camarade Basile, de la brute du collège Clarence ou encore de sa soupirante Camille, Lia Khizioua-Ibanez se révèle particulièrement versatile, et toujours inspirée. C’est enfin Camille Bernon qui s’empare de la petite sœur de trois ans découvrant à son tour les joies de l’école maternelle. Gonflée à l’hélium, sa voix et sa diction délicieusement approximatives continuent de dérouter son grand frère passablement énervé par les égards redoublés de ses parents et ses facilités d’intégration. Sur un tube pop plutôt bien troussé, le bébé se fait chanteuse minaudière qu’on découvre en partageant ses écouteurs sur les bancs de l’école. Un joli moment parmi tant d’autres.

SUZANNE CANESSA

J’ai trop d’amis a été joué au Théâtre des Bernardines, Marseille, du 24 au 27 octobre

Un humour bien trop facile

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Une année difficile © Gaumont

En près de deux décennies, le duo Toledano-Nakache s’est imposé comme un mètre-étalon de la comédie française. Il en a remodelé les codes, notamment sur le terrain particulièrement délicat du film choral, et ce pour le meilleur. Les deux cinéastes disposent en effet d’un don rare pour filmer le collectif et ses joyeux dérèglements : Le Sens de la fête, le mésestimé Tellement proches, ou encore Nos jours heureux comptent parmi les comédies populaires les plus enlevées et efficaces de ces dernières années. 

Le résultat est nettement moins convaincant lorsque le duo se pique de parler de social, ou carrément de politique. Par le biais intime d’En Thérapie et le truchement de comédiens  excellents la pilule passait encore ; mais on ne peut pas en dire autantd’Intouchables, Samba ou  du plus récent Hors Normes. Les protestations bienvenues d’associations d’autistes face à cette ode peu subtile aux éducateurs du Silence des Justes, auront tôt fait de rappeler où se place ce cinéma-là, né du désir surplombant de filmer la différence et l’inclusion à tout prix. Quitte à procéder par mariage de raison : entre neurotypiques et neuroatypiques, entre juifs et arabes, comme, au temps d’Intouchables, richesse et pauvreté, handicap et racisme … La pauvreté du regard, l’artificialité des échanges apparaît ici crûment, et avec elles le mépris pour ceux qu’ils exposent aux rires.

Rire des autres

Une année difficile est peut-être ce que le duo aura fait de pire : ici encore, on se targue de s’être documenté auprès d’associations, dont certains membres apparaîtront à l’écran. Crésus, œuvrant auprès de surendettés auxquels les géniaux Pio Marmaï et Jonathan Cohen prêtent leur bagout et leur fragilité. Mais aussi Extinction Rébellion, nettement plus chargée par les cinéastes, qui trouve dans les visages plus juvéniles et maniérés d’une Noémie Merlant particulièrement malmenéeet d’un Grégoire Leprince-Ringuet plus en retrait. Des cibles idéales pour cet humour qui ne s’apparente qu’à de la dérision. 

Car c’est bien de ces militants écologistes que l’on rira tout au long du film : de leurs origines bourgeoises mal dissimulées, de leur immaturité affective, et de leur indécrottable naïveté. Les endettés se révèlent certes plus humains, plus malhonnêtes, et par là-même plus sympathiques. Ils font cependant les frais d’un sadisme inédit des réalisateurs, heureux de filmer leurs économies de bout de chandelle, et même la prostitution à peine voilée de l’un d’entre eux, devenue objet de comique récurrent. Impardonnable. 

SUZANNE CANESSA

Éric Toledano et Olivier Nakache, Une année difficile, est sorti le 18 octobre