lundi 10 novembre 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 208

Festival de Pâques : du classique et de l’excellence 

0
J-C Casadesus © Ugo Ponte

Grâce à l’initiative conjuguée du violoniste Renaud Capuçon, de Dominique Bluzet – et du mécénat du CIC – Les Théâtres ont ajouté un nouveau fleuron à la ville d’Aix-en-Provence, le Festival de Pâques. Au volet artistique d’une impeccable qualité, s’ajoutent de multiples actions en vue des publics empêchés, grâce à l’Assami (Amis et Mécènes du Spectacle Vivant) et au dispositif Heko, par des déplacements sur le territoire, des temps forts consacrés à la transmission avec des programmes conçus pour les enfants : concerts accessibles de zéro à dix-huit ans, ateliers enfants… Sont aussi programmées masterclass en direction des élèves du Conservatoire d’Aix-en-Provence, émissions, retransmissions et vidéo avec Radio Classique, rencontres et salons de musique.

Dès le concert d’ouverture, deux étoiles de la musique classique contemporaine seront réunies sur la scène du Grand Théâtre de Provence : Renaud Capuçon et Alexandre Kantorow. L’accent sera mis sur deux grands musiciens actuels, le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus, défenseur de la démocratisation de la musique et Gérard Caussé qui partage la scène avec son alto, un Gasparo da Salo de 1560. Célébrant la tradition pascale, La Passion selon Saint-Jean de Bach sera interprétée par la Cetra Barockorchester et le Vokalensemble Basel sous la houlette d’Andrea Marcon. Dans le même esprit seront jouées la Missa solemnis de Beethoven, par le Cercle de l’Harmonie dirigé par Jérémie Rhorer, la Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach par l’ensemble Pygmalion et son chef Raphaël Pichon, lui aussi un habitué du festival, et Le Messie de Haendel par Insula Orchestra et Laurence Equilbey qui répond à La Résurrection par le même compositeur jouée par Les Musiciens du Louvre menés par Marc Minkowski. 

Jeûne et moins jeunes 

Grâce aux « cartes blanches », Gérard Caussé réussit une prouesse : faire revenir sur scène le trop rare et spirituel pianiste François-René Duchâble, tandis que Renaud Capuçon clôt le festival en s’entourant pour une folle schubertiade de jeunes talents. La jeunesse est au rendez-vous : on peut y compter l’excellent jeune pianiste canadien Jan Milosz Lisieck, les solistes de la Menuhin Academy, dont Bahdan Luts au violon ou Victor Demarquette au piano. Pas de jeunisme forcené cependant, seul le talent importe, ainsi celui d’Elisabeth Leonskaja, l’une des plus grandes pianistes du monde, de l’ensemble Les Siècles et son chef François-Xavier Roth, du pianiste Francesco Piemontesi, du chef Tugan Sokhiev et l’Orchestre de Chambre de Lausanne, du violoniste Gil Shaham et du pianiste Gerhard Oppitz, des Trios, Zukerman ou Daniel Ottensamer, du Quatuor Psophos, de l’Orchestre de l’Opéra de Paris avec Daniele Gatti, eux aussi habitués du festival. Enfin, n’oublions pas le clin d’œil au septième art avec le conte musical d’après la BD de Joann Sfar, Le chat du Rabbin, sur la musique originale de Marc-Olivier Dupin à la baguette. Une pluie de pépites !

MARYVONNE COLOMBANI

Festival de Pâques
22 mars au 7 avril
Aix-en-Provence

Courts à Rousset

0
Cuerdas d’Estibaliz Urresola Solaguren © filmin

Ca va bouillonner fort dans la salle Emilien Ventre de Rousset le 23 mars. Pour la 19e fois, l’équipe des Films du Delta nous propose sa journée consacrée aux films courts, et projette seizecourts métrages venus de septpays . On pourra aussi  découvrir la bouillonnante énergie créatrice des futurs talents de l’animation française avec 18films d’école.

Trois séances « Coup de cœur » 

Seize films très variés, créatifs, drôles, émouvants parmi lesquels A Short Trip qui débutera la journée. Le réalisateur albanais Erenik Beqiri a installé son deuxième film en France dans la cité phocéenne. Il nous raconte l’histoire d’un couple albanais qui a décidé de marier la femme à un français pendant cinq ans contre de l’argent, pour obtenir la nationalité française. Ils vont alors devoir choisir le bon mari. 

Sélectionné à la dernière Semaine de la Critique, Cuerdas d’Estibaliz Urresola Solaguren nous présente le dilemme éthique d’une chorale de femmes : accepter ou non le parrainage d’une des entreprises les plus polluantes de la vallée qui assurerait la survie du groupe.. L’attente d’Alice Douard nous fait partager un moment de la vie de Céline qui, à la maternité, attend arrivée de son premier enfant que Jeanne, sa compagne est en train de mettre au monde, superbement interprétées par Laetitia Dosch et Clotilde Hesme. Stéphanie Clément, ancienne étudiante à Supinfocom Arles (aujourd’hui MopA) traite le sujet délicat de l’inceste et de l’amnésie traumatique dans Pachyderme. Un film coup de poing, sélectionné au Festival d’Annecy et aux Oscars 2024. 

De l’animation

Peut-être, parmi les 18 films venus de huit grandes écoles d’animation françaises, verrez-vous un grand film de demain. On guettera le touchant Après papi des étudiants de l’école MoPA, ou le musical Dance with the Seashell de ceux des Gobelins. Dans Doudou challenge (Supinfocom Rubika) Olivia, une fillette de 10 ans accro à son téléphone et aux réseaux sociaux, est abandonnée par ses parents sur une aire d’autoroute… et dans Atomic Chiken, un poulailler au pied d’une centrale nucléaire voit son quotidien bouleversé par diverses mutations comiques (ENSI). Gabrielle Selnet (La Poudrière) nous raconte dans La Mort du petit cheval l’histoire de Gab, virée de chez sa mère sans même une paire de chaussures qui cherche un appartement dans le chaos des rues de Paris. Trois films réalisés à l’Esma, Vol 666, Coquille et  Eastern, Silhouette (Artfx) et Au 8ème jour (Pole 3D) complèteront cette sélection. Sans oublier le rituel « velouté Courts-Bouillon » offert.

ANNIE GAVA

Courts-Bouillon
23 mars
Salle Émilien Ventre, Rousset

Minots, en joue ! 

0
Babel Minots 2024 © Naïri

C’est en partie à la Friche la Belle de Mai que s’est achevée la première semaine du festival Babel Minots. Avec CordaLinge, accueilli le 14 mars, le musicien JereM revisite des souvenirs d’enfance au sein du jardin de sa maison marseillaise, le vent agitant les vêtements tendus sur une corde à linge, comme autant de surfaces de projection. Au milieu des ombres chinoises, un petit bonhomme facétieux – silhouette blanche animé en stop motion, déjà mis en scène dans sa précédente création H2hommes – revient ici se confronter au comédien manipulateur d’objets Raphaël Dalaine. Les vêtements quant à eux se transforment à l’envi, un chapeau loufoque s’improvise à l’aide de pinces à linge, une toile en plastique s’anime pour une éphémère valse tournoyante… Inventif, l’environnement sonore – composé en direct à l’aide d’un capharnaüm d’instruments et de divers objets usuels – cadence le tout, la voix ouatée du chanteur JereM ne rechignant pas à transmettre des émotions parfois rugueuses, voire carrément mélancoliques. Car ce jardinet, c’était aussi le lieu où couvaient les tempêtes familiales, quand les parents se retiraient de la maisonnée pour s’y quereller à l’abri des oreilles enfantines… Les charivaris émotionnels sont ici rejoués jusqu’à la majestueuse scène finale, de l’air pulsé agitant une bâche géante et transparente. 

Mise à feu 

Le lendemain, toujours sur le Grand plateau, place à l’azimutée compagnie Mise à feu. Mozart, Haendel, Bach… En prémisse, deux fausses conférencières égrènent des noms de compositeurs célèbres. Las, le mythe du génie sacré oeuvrant à la lumière vacillante de sa chandelle fait long feu, et les deux musiciennes nous dévoilent l’étendue du défi de leur Diva Syndicat : revisiter, en 55 minutes, 1 000 ans d’histoire musicale occidentale au féminin ! Volontiers narquoises, animées d’une belle complicité et d’une énergie complémentaire, Noémie Lamour et Gentiane Pierre font revivre sous nos yeux le répertoire d’une dizaine de compositrices : la médiévale Hildegarde de Bingen, Cécile Chaminade, Madonna… Mais aussi toutes celles restées dans l’ombre d’un homme : Clara Schumann, Alma Mahler, Fanny Mendelssohn… Acmé du spectacle : quand les deux artistes se racontent elles-mêmes, narrant, sur l’air primesautier d’une comédie musicale, leurs vocations tenaces, les déterminismes sociaux et familiaux à défier, les déceptions à surmonter. Un réel hymne à l’émancipation individuelle, qui s’achève sur un standard d’Aretha Franklin, repris en choeur par la salle en standing ovation !

JULIE BORDENAVE

Babel Minots se tient jusqu’au 23 mars dans divers lieux de Marseille et alentours.

Quand France rime avec rance

0

L’adjectif vient du provençal pourtant, et désigne l’odeur et le goût écœurants des corps gras trop exposés à l’air du temps. Le beurre rancit, les esprits aussi. La France est-elle peuplée de corps gras ? 

On peut aimer ou non Aya Nakamura, trouver ses textes inventifs ou incompréhensibles, apprécier (ou non) ce vocabulaire teinté d’anglais, de romani et de néologismes, cette syntaxe qui accole, coupe et choque plutôt que de subordonner. On peut aimer (ou non) mais sa grammaire est clairvoyante : refuser la subordination passe aussi par l’invention d’autres phrases, à soi, et d’autres mots, à soi, qui très judicieusement ne sont pas formés par l’ajout de préfixes et suffixes à des racines pures. La grammaire académique, inventée par la monarchie absolue, a toujours été destinée à contraindre, dénigrer et confisquer les langues régionales des provinces rebelles et les parlers populaires.

Or Aya Nakamura est la chanteuse française la plus écoutée au monde et le symbole qu’elle représente pour le corps gras français est insupportable. Parce qu’elle est noire, mais aussi parce qu’elle n’en parle pas, s’attachant plutôt à affirmer sa liberté de femme contre la domination masculine, contre les « Djadja » qui la harcèlent, les « Pookie » qui trahissent et balancent, les « Jo » qui matent les fessiers des « Copines ». Elle affirme dans chaque titre qu’elle aime les hommes, mais est maîtresse de son corps.

Renverser les schémas

Le corps de la femme noire est l’objet ultime de domination du corps gras, du corps rance, de la France. Elle l’a exploité dans les plantations de sucre, les zoos humains, toutes les basses tâches du sexe, du soin et du ménage. Aujourd’hui encore, les femmes noires sont majoritaires dans ces professions dénigrées et sous payées.

Aya Nakamura, égérie de Lancôme, se filme sur des yachts, au Palais de Fontainebleau, avec des accessoires et des tenues de luxe, la robe de Michelle Obama, entourée d’une bande de copines toutes aussi belles qu’elles, et pas forcément racisées. Les garçons de ses shows l’entourent et dansent comme des Claudettes déchaînées. Elle lisse ses cheveux et s’impose sans doute des heures quotidiennes de soins esthétiques mais elle incarne l’impossibilité de la domination par les blancs, par les hommes : condamnée pour violence réciproque sur conjoint, elle n’est décidément pas maîtrisable…

Contestable sur ce point, Aya Nakamura est une icône, rassemblant des foules, générant des flux financiers. Ambassadrice du luxe, elle a été désignée par notre Président, qui est sensible aux intérêts de ces industries, pour chanter Piaf à l’ouverture des JO. Le déclenchement persistant de haine face à cette désignation opportuniste est le signe de deux choses : Macron, malgré la loi immigration et le soutien insensé à Depardieu, ne maîtrise plus les rances racistes et sexistes qu’il a laissés prospérer ; les femmes noires n’ont plus besoin de Pierre Perret ou de Revue Nègre pour dominer la chanson française.

AGNÈS FRESCHEL

Du chant et de la Pataphysique

0
Le Quatuor A'dam à L'Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence

Sur la petite scène de L’Ouvre-Boîte, lieu décidément dédié à la création, arrivent les quatre larrons, Ryan VeilletOlivier Rault (ténors), Louis-Pierre Patron (baryton) et Julien Guilloton (basse). On s’attend à une entrée par le chant, et bien non, ce sera par l’une des saynètes désopilantes et iconoclastes de Boris Vian, Conversation avec un adjudant. Le duo/duel des protagonistes, Vian et un adjudant, est porté par les interprètes qui portent les voix des deux personnages en les doublant : deux face à deux. L’être n’est jamais simple n’est-ce pas, même lorsqu’il s’agit de l’adjudant du dialogue au vocabulaire et aux intonations rudimentaires. « Ah ! Vous faites dans la littérature… J’aurais dû m’en douter. / Oh Je fais dans pas mal de choses, n’adjudant, ingénier, auteur, traducteur, musicien, journaliste, interprète, jazzologue, et maintenant directeur artistique d’une maison de disques… / (…) / Les petits malins comme vous, ça ne m’impressionne pas ! Je connais la chanson ! / (…) / Je vais vous concocter un manuel de l’aspirant chansonneur, vous m’en direz des nouvelles… »

L’introduction ouvre le spectacle aux chanteurs qui entonnent On n’est pas là pour se faire engueuler avec un humour et une verve jubilatoire. Les chansons entrecoupées parfois par de délicieux intermèdes extraits des œuvres de Boris Vian sont mises en scène avec une intelligence et une fantaisie débridée. Les chanteurs-comédiens affublés de costumes à la fois conventionnels et délirants passent de Moi, j’préfère la marche à pied à La complainte du progrès puis au génial Vous mariez pas les filles ou à Bourrée de complexes. Les paroles résonnent fortement encore aujourd’hui : on est encore époustouflés par la modernité de Boris Vian, qui s’insurge contre les dérives du consumérisme, de la mécanisation, de l’assujettissement imposé aux femmes, du choix du genre (Vous mariez pas date de 1958). 

On se délecte des reprises des chansons que l’on connaît par cœur, Je boisLe blouse du dentisteCinématographeLa java des bombes atomiquesLe tango des bouchers de la VilletteLe petit commerce… Là encore l’actualité tragique des paroles frappe. Les velléités guerrières actuelles rappellent le poids terrifiant de l’industrie de l’armement. Il ne faut pas oublier le texte de Boris Vian : « Je vendais des canons dans les rues de la terre/ Mais mon commerce a trop marché/ (…)/ Tous mes bons clients sont morts en chantant». L’esprit du Satrape, Promoteur Insigne de l’Ordre de la Grande Gidouille, membre du Collège de Pataphysique, plane sur ce spectacle à la fois profond et déjanté, servi avec un talent fou par le quatuor dont les voix savent épouser les moindres nuances de sens, passent des aigus aux graves, font un détour par le chant diphonique, tissent des accords sublimes et ironiques, bref, interprètent avec panache. Les artistes, férus de l’œuvre du poète, n’oublient pas l’antimilitariste et controversé chant Le déserteur, écrit en février 1954 lors de la guerre d’Indochine et dont le Quatuor A’dam conserve la fin modifiée par Mouloudji : il remplaça le « je sais tirer » (sur les gendarmes) par « ils pourront tirer ».

On a du mal à s’extraire de la magie de cette soirée, de ses rires, de son intensité et se sa profondeur. En bis le duo Vian Salvador refait surface avec Donne, donne, donne. Et on en redemande !!!

MARYVONNE COLOMBANI

23 février, L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence

Femmes puissantes

0

On a tous entendu parler de la méthode Montessori, un système éducatif centré sur l’enfant qui apprend à son propre rythme. On connait moins peut-être son initiatrice et fondatrice, Maria Montessori à qui Léa Todorov consacre son film La nouvelle femme, choisissant de nous faire partager ses années d’expérimentation auprès d’enfants neuro-atypiques, communément appelés à son époque « idiots » ou déficients. La cinéaste qui s’est abondamment documentée sur Maria, a choisi de créer un personnage fictif, une cocotte parisienne, Lili d’Alengy (superbement interprétée par Leïla Bekhti) qui va nous servir de guide.

Lili est au faite de sa gloire. Elle cache sa fille, Tina, qui n’est pas comme les autres et qu’elle ne peut même pas supporter de regarder. Craignant pour sa réputation et sa carrière, elle décide de l’emmener à Rome et de la placer dans un institut. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Maria (Jasmine Trinca) et approche un monde qu’elle rejette, d’abord. Un endroit où on s’occupe de ces enfants différents : avec elle, on découvre les bains et les soins qui les calment, les jeux qui les socialisent, la musique qui les fait danser, les leçons qui les font avancer, les progrès constatés par l’élite scientifique masculine. Des séquences très émouvantes tournées avec des enfants neuro-atypiques. « C’était aussi l’idée politique du tournage, de faire se rencontrer une équipe de cinéma et ce groupe d’enfants. Tout le monde a vite réalisé qu’il n’y avait pas besoin d’être spécialisé pour être en lien, qu’il suffisait au contraire d’être dans le travail, dans l’exigence », explique la réalisatrice. 

Affirmer sa place

Tina, incarnée par la bouleversante Rafaelle Sonneville-Caby, fait des progrès et peu à peu, Lili d’Alengy prend conscience que sa fille est un être humain. Elle se rapproche aussi de Maria qui lui confie son secret : un enfant né hors mariage, qu’elle a eu avec son collègue médecin Giuseppe Montesano (Raffaele Esposito) et qu’elle a été obligée de placer en nourrice à la campagne pour pouvoir exercer. En ce début de siècle, être femme médecin est loin d’être évident. Lily va l’introduire dans le monde des puissants : pour être libre, une femme doit être riche ! Car « peut-on vraiment confier son destin à un sentiment aussi inconstant que l’amour ? »Avec l’aide de Betsy (Nancy Huston) une femme puissante, Maria va pouvoir « révolutionner l’école et libérer l’enfance ».

Une mise en scène classique, des décors soignés, des plans superbement éclairés participent à la réussite de ce film dont le titre La nouvelle femme vient de l’expression utilisée par les historiens pour désigner les femmes féministes, éduquées et indépendantes de 1900 qui affirmaient une place dans la société par le savoir. Si Maria Montessori a ouvert la voie aux générations qui ont suivi, beaucoup reste encore à faire dans le domaine de la condition féminine comme dans celui de l’éducation !

ANNIE GAVA

La Nouvelle Femme, de Léa Todorov
En salles le 13 mars

La Nuit de la guitare joue la corde féminine

0
Eleonora Strino © DR

Le flamenco est une musique métissée, qui aime se confronter à d’autres styles. C’est justement ce que propose le guitariste Juan Carmona dans cette nouvelle édition de la Nuit de la Guitare. Au Théâtre Comoedia d’Aubagne le 23 mars, il invite quatre femmes guitaristes, toutes dans des horizons musicaux divers. Sont attendus le jazz d’Eleonora Strino, la pop de Virna Nova, du classique pour Sandrine Luigi et le Brésil de Cristina Azuma. Autant de rencontres qui risquent de créer quelques étincelles acoustiques dans la nuit aubagnaise.

JOURNAL ZÉBULINE

Christine Angot : dire ou ne pas dire ?

0

« Papa » est le premier mot du film Une famille. Une fillette, une baguette de pain à la main marche, filmée parle le camescope de son père le 12 mai 1995 : la fille de l’écrivaine Christine Angot qui réalise là son premier documentaire, revenant sur le viol commis par son père. Déjà raconté, cet inceste est au cœur de son film, mais cette fois pour tenter de savoir l’effet que cela a eu sur les autres et tenter d’effacer le déni familial.

Suivie et filmée de près par la directrice de la photo, Caroline Champetier, Christine Angot, toute de noir vêtue, s’introduit presque de force dans l’appartement de celle qui a partagé la vie de son père, Elizabeth Weber, pour la mettre face à son silence. « Qu’est-ce que je peux te dire ? » S’engage un non-dialogue d’une violence terrible. Christine Angot a beau lui rappeler les propos obscènes que lui tenait son père « je bande quand j’entends ta voix au téléphone » ou lui rappeler qu’elle était violée par lui à partir de ses 13 ans, le week-end ou pendant les vacances, sa belle-mère continue à affirmer qu’elle admirait cet homme, que c’était l’homme de sa vie. Un non dialogue brut filmé sans effets de montage. Champ, contre-champ : l’une parle, l’autre répond, et c’est terrifiant. Et quand elle va jusqu’à reprocher à Christine d’être venue chez elle se faire violer par son père, sous son propre toit, faisant qu’ainsi son mari la trompait, on est dans l’abjection la plus totale. Christine Angot va aussi essayer de comprendre le silence de sa propre mère ; elle regrette que sa fille se soit éloignée d’elle lorsque son père la violait et dit : « Je ne suis pas capable d’en parler. »

Une histoire qui appartient à tout le monde

La photo du père est là, sur une étagère. Une séquence troublante mais pas aussi glaçante que celle des images d’archives de Christine Angot face aux moqueries misogynes sur le plateau d’Ardisson en 1999 au moment de la sortie de son livre L’Inceste. Et quand elle apprend que la veuve de son père et ses deux demi-frères ont porté plainte pour violation de domicile et atteinte à sa vie privée, son avocat lui dit : « Ton histoire, d’une certaine manière, appartient à tout le monde. […] On peut faire autant de mal en ne disant rien, qu’en disant les choses. Et parfois on fait beaucoup plus de mal on ne disant rien. » L’échange,  émouvant, avec sa fille Léonore prouve qu’il a sans doute raison.

Qu’on apprécie ou non la personne et/ou l’écrivaine, le premier film de Christine Angot, présenté dans la section Encounters de la 74e Berlinale, d’une force incroyable, ne laisse pas indifférent.

ANNIE GAVA
À Berlin

Une famille, de Christine Angot
En salles le 20 mars

OCCITANIE : Le temps des mues est arrivé

0

Le théâtre est une bulle, un moment suspendu et expérimental dans un lieu fictif. Quand Marie arrive en tenue de randonnée dominicale dans le décor fantaisiste de Mues, mélange de nature sauvage et de rustres demeures où habitent d’étranges personnages masqués, on se dit aussi qu’on assiste à une parenthèse de ce genre. Potentiellement à un choc des civilisations. Au fil de conversations surréalistes et souvent décousues, le spectateur découvre qu’une rumeur affirme que dans ce coin perdu des Cévennes vivent des femmes « handicapées », ou « inadaptées », disons des femmes qui flanchent. Marie dit elle-même (à la troisième personne) que bien qu’elle soit très fatiguée, elle ne veut surtout pas mourir, ni devenir folle. Non, elle doit encore trouver quelque chose. Mais la frontière est si mince entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. D’autant plus que les autoproclamées « Gogoles » l’incitent à se perdre, dans l’espace comme dans la temporalité. 

Une fable déconnectée, féministe et décroissante

De toute évidence, Marion Aubert, autrice et comédienne de ce texte, et Marion Guerrero, la metteuse en scène, se sont amusées à créer cette fable déconnectée, féministe et décroissante qui frôle parfois avec le grotesque comme avec le mythologique. Alors oui, il faut parfois grossir les traits pour saisir l’essentiel, rire fort pour sourire un peu, se jeter à l’eau pour se sentir vivre. Les femmes qui arrivent ici sont vieilles ou moins vieilles, parfois fêtardes, ou méditatives, ou randonneuses… Peu importe. Ce sont des femmes. Quoique… Henriette la Gardoise ne semble pas bien les distinguer de ses vaches. Après tout, elles aussi ont leurs secrets et leurs blessures. Pour Marie, il arrive ce qu’il arrive aux autres : la mue. Ce moment où on enlève les couches qui nous pèsent pour révéler ce qui se cache en dessous, où au lieu de voguer en surface sur les eaux limpides des Cévennes, on choisit de sauter dans la cascade, se laisser attirer par les profondeurs, prendre le risque de se noyer. Alors seulement, le laisser-aller commence. Dans une transe étrange portée par sept comédiennes survoltées, Marie s’ensauvage, se laisse gagner par ses pulsions, vit l’extase de la nature. À travers les couleurs brutes des « Gogoles », elle se libère d’un traumatisme qui n’est pas jamais clairement nommé sans pour autant nier son existence. Contre toute attente, Marie se retrouve et sort de cette bulle salvatrice visiblement changée. Sûrement plus elle-même que jamais. 

ALICE ROLLAND

Mues par la Cie Tire pas la nappe a été présenté le 13 mars au Théâtre des 13 vents, Montpellier

Les couches multiples du silence

0

Que sait-on de l’Afghanistan ? Le nom de ce pays nous est familier par des informations de guerres sans fin, d’abolition des droits les plus élémentaires, le trafic d’opium et les forces opposées, britanniques, russes, américaines et talibanes… Mais la culture de cette région du monde, étouffée par les occupations successives ne nous est guère familière. Pourtant, point de passage incontournable de la route de la soie dans l’antiquité, ses reliefs furent le centre de grands empires, dont la Bactriane ou l’empire Kouchan. Aujourd’hui, on ne perçoit plus que l’ombre. Aussi, la représentation d’une pièce écrite de nos jours par un auteur issu de ce pays est à marquer d’une pierre blanche. Durant plus de vingt ans la scène artistique et culturelle s’était tue (de 1979 à 2001, occupation soviétique, puis guerre civile et enfin gouvernement des talibans, hostile à la pratique artistique et à toute forme de représentation). « Le pays s’est retrouvé coupé du monde, l’éducation a été interrompue et des millions d’afghans ont migré à l’étranger, explique Guilda Chahverdiles salles de spectacle se sont transformées en espaces de refuge, en terrains de combat ou en salles de torture ». Si en 2001 avec la chute des talibans, une certaine effervescence intellectuelle s’est dessinée, l’attentat suicide dans la salle de spectacle de l’Institut français d’Afghanistan à Kaboul du 11 décembre 2014, année du début de l’écriture de La Valise vide, marque un tournant tragique : la scène culturelle et artistique qui résistait encore disparaît quasiment en Afghanistan. Depuis le retour des talibans au pouvoir, en 2021, la culture a totalement cessé d’exister publiquement. 

Un fragment d’histoire

Le sujet de l’œuvre de Kaveh Ayreek s’inspire des exils des Afghans. L’arrivée des talibans a suscité une vague de départs. Les parents de Maryam et Hamid, les deux protagonistes de la pièce, s’étaient réfugiés en Iran lors de la longue série des guerres afghanes. Les jeunes gens nourris par les images d’un Afghanistan fantasmé, d’abondance, de joie, de jardins paradisiaques, d’eaux vives et libres, de raisins mûrs aux « cent-vingt-et-unes variétés », de grenades gorgées de jus, décident de retourner à Kaboul d’où leurs familles sont originaires. Malgré les mises en garde des parents, le couple part. Peu à peu la violence s’installe, -un jeune homme exécuté devant eux lors du voyage en car, la vision des maisons détruites par la guerre, l’expulsion de leur maison pour y faire loger un « personnage important » que même la police ne peut empêcher-, s’immisce dans le quotidien, pervertit les esprits, détruit lentement les relations de confiance, la spontanéité. La dernière scène scelle le départ et la séparation : désormais deux personnes et deux valises vides… 

Naissance d’un nouveau théâtre

Le texte, tout de tension, est très court, une vingtaine de pages. Il nous livre des fragments, utilisant un vocabulaire dépouillé, en une prose qui s’appuie sur des faits simples, concrets. Les douze scènes de la pièce sont autant de tableaux, chacun baigné dans une lumière particulière, crue, ombrée, flirtant avec le clair-obscur. Les gestes des personnages sont symboliques, marche ralentie, courses, regards qui suivent le même mouvement… On croirait voir émerger ces couples des portraits flamands du XVème au XVIIème siècle, unis parfois sans se toucher, et d’une infinie complicité.  Les deux acteurs, magnifiques Alice Rahimi et Shahriar Sadrolashrafi, interprètent aussi les rôles de la grand-mère, de la mère, du père des jeunes voyageurs. Ils avertissent en vain : « ton identité, c’est ta pensée pas cette terre de mépris. Là-bas, la terre est devenue sale ». Les dialogues sont peu nombreux cependant. Maryam et Hamid se racontent, font la narration de leurs états d’âme, de leurs vies, face au public, entrelaçant leurs récits. Si la jeune femme s’enthousiasme au début : pas d’eau courante, pas d’électricité, seulement des bougies ? « Comme c’est romantique ! », elle devient rapidement celle qui doit prendre des décisions pour survivre, jusqu’à vendre en cachette les tableaux de son compagnon et les présenter sous son nom… La peur qui règne autour d’eux s’infiltre dans leur relation. L’écriture accorde une place essentielle aux silences. Ils nimbent les moments de parole, accordent aux mots de nouvelles résonances, soulignant la chappe de plomb qui jugule les êtres. La lenteur liée aux silences laisse émerger les fragments de scènes, de textes, comme un puzzle que le spectateur doit reconstituer. Se compose ainsi un long poème empli de vides, d’ellipses, d’absences, de dilatations du temps. Pas de pathos ou de digression enflammée mais une tentative très aboutie pour narrer l’histoire d’un peuple sous le joug. Magistralement beau et bouleversant.

MARYVONNE COLOMBANI

Le 21 février, théâtre Vitez, Aix-en-Provence

La Valise vide, Kaveh Ayreek, texte traduit par Guilda Chahverdi, publié aux éditions L’Espace d’un instant