lundi 14 juillet 2025
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Giono historien

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Jean Giono © X-DR

En 1963, Jean Giono publiait… un livre d’histoire, Le désastre de Pavie, dans la collection des « Trente journées qui ont fait la France » chez Gallimard. « Un travail de romancier », argumenta-t-il, et bien-sûr, il n’avait pas tout à fait tort ; d’ailleurs les historiens de l’époque, Duby, Le Goff, étaient aussi des plumes exceptionnelles. Le thème des 17e Rencontres Giono, début août, porte sur son rapport à l’Histoire, qui le conduisit à choisir pour cadre de nombre de ses ouvrages un vaste XIXe siècle, secoué de révolutions et d’épidémies.

C’est la librairie Le Bleuet, à Banon, qui accueillera le prélude de la manifestation, le 2 août, avec une lecture d’extraits du Hussard sur le toit et la projection de son adaptation par Jean-Paul Rappeneau. Le cinéma CGR à Manosque recevra quant à lui plusieurs conférences, notamment celles de l’universitaire italien Giorgetto Giogi (La conception de l’histoire chez Jean Giono, le 3 août) et de l’historien Patrick Cabanel (Le long XIXe siècle de Jean Giono, le 5 août). Les Jardins du Paraïs seront le cadre de concerts, spectacles, temps conviviaux façon auberge espagnole, ainsi que d’une rencontre avec le producteur Alain Majani d’Inguimbert, autour de son projet de film inspiré par Le désastre de Pavie (4 août). Le 6 août au matin, s’y tiendra pour finir l’assemblée générale de l’association des Amis de Jean Giono, organisatrice des Rencontres.

GAËLLE CLOAREC

Rencontres Giono
2 au 6 août
Divers lieux, Manosque
04 92 87 73 03 
lesamisdejeangiono.fr

Drôles de choix

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Une indigente et un commercial, une rencontre pour le pire et le meilleur. PHOTO IMAGE2SLY

Un homme vêtu d’un costume crème, claudique dans un parc. Il a perdu, dans un banal accident de voiture, une chaussure, beige, assortie à l’élégance du vêtement. Une voix étrange lui a demandé de se rendre sur un banc, près du kiosque, à 12h38 précises. Intrigué, inquiet, il répond au rendez-vous mais la venue d’une indigente perturbe sa tranquillité et son toc de propreté. Une hygiène qu’il n’assouvit que pour lui-même car il jette volontiers ses papiers sales hors d’une poubelle située pourtant à deux mètres de lui. Certains se reconnaîtront dans cette attitude paradoxale. Tarabusté par cette bavarde, crampon, il livre quelques bribes de sa vie mais qu’arrivera-t-il à 12h38 ?

Confronté à ses détestations

Jean-Marc Magnoni, l’auteur, nous a habitués à des comédies légères, mais avec Le choix, comme dans Rendez-vous dans cent ans, il conduit son action hors du temps, hors d’une réalité trompeuse. Il plonge dans les strates cachées des individus ballottées entre leur bonne et leur mauvaise conscience. Agencée comme un thriller, la pièce excite notre curiosité, tend des pièges, des fausses-pistes et n’arrache le voile que dans les dernières minutes. Marc Bonzom est un cadre supérieur plus vrai que nature, arrogant, détestant les pigeons et tout ce qui rappelle la misère humaine. Il sera confronté à ses détestations, lâchées contre lui comme un boomerang. Face à lui Marine Keller compose une clocharde réaliste, tantôt attendrissante, tantôt exaspérante. Et poétique malgré tout. Sa façon d’harceler l’homme, ses ricanements et ses rires crispés cachent, on s’en doute, un secret masqué par les traces noires qui maquillent son visage. Que cache cet étrange et précis horaire : 12h38 ? La chute de la pièce n’en sera que plus forte et source de réflexions sur notre propre vie. Imprévisible et piquant.

Jean-Louis Châles

« Le choix » est donné ce samedi 29 juillet à 18h30 au Théatre de l’Albatros.

FESTIVAL D’AIX : Gémellités encordées

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Le trio Gharbi, accord des cordes et du monde © Peter Adamik

Les Gharbi Twins, malgré leur nom, sont un trio constitué de deux frères jumeaux  et de leur cousin. Tous trois sont des figures majeures de la musique classique tunisienne actuelle. Bechir Gharbi, maitre du oud, Mohamed Gharbi, violoniste hors pair et Sami Gharbi, un prodige du qanûn. 

La complicité qui unit ces musiciens accorde à leur jeu une liberté inégalée.  Un regard, un sourire, l’effleurement d’une corde, l’esquisse d’une note et la magie opère. Dès les premières mesures, un vol d’oiseau s’élève au-dessus de la cour de l’hôtel Maynier d’Oppède. Plus tard, un pigeon roucoulera entre deux accords de l’incipit d’Espoir

On sourit : tout se conjugue autour des instrumentistes à qui l’on doit toutes les compositions du concert. Chacune est un condensé d’émotion, convoquant les motifs de la musique classique du Moyen-Orient, usant des maqâms qui associés aux quatre éléments, au jour et à la nuit, insufflent un caractère différent à chacun des morceaux. 

Fusion spirituelle intercontinentale

Dans la touffeur de l’été, le trio invite la douceur d’un Parfum d’hiver, reprend ostinato le motif d’Espoir, l’irisant de variations subtiles, nous invite à plonger dans son Enfance où les instruments se métamorphosent insensiblement, le oud prend des allures de guitare, le violon s’évade en rêveries tziganes… 

Avant l’été nous transporte dans des sonorités d’outre-Atlantique où la country flirte avec les quarts de ton de l’Orient tandis que les musiciens se lancent dans des soli ébouriffants : inventivité, humour, virtuosité qui préparent au duo/duel de Contemplation. Les deux frères jouent en miroir, poussant l’autre à se surpasser, en une émulation espiègle et brillante. Le oud alors s’hispanise, adopte des phrasés dignes de Paco de Lucia et offre des pages d’anthologie d’une musique universelle. Le violon côtoie les étoiles et le qanûn s’exacerbe, les mains du musicien frappent, volent, redessine les rythmiques, soutenant de ses articulations sûres les débauches oniriques des deux autres. 

Nomade tunisien poursuit avec plus de netteté encore « le voyage entre toutes les cultures » : les accents venus de tous les coins de la planète fusionnent ici, une respiration de l’Inde, un écho d’une musique de la Grèce, un soupir d’Asie Mineure, une fragrance des airs classiques de la Tunisie, un soupçon de danse balkanique, un effet de jazz… Tout simplement éblouissant !

MARYVONNE COLOMBANI

Ce concert a été donné le 21 juillet dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence

Aux Orres, l’écologie à bonne attitude

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Game of Trees © Aurélie Bellet/Les Orres

Perché en altitude aux Orres, le festival Game of Trees donne à réfléchir quant à l’avenir du monde montagnard face au réchauffement climatique. Pour sa deuxième édition, il proposera du 31 juillet au 4 août une programmation aussi prestigieuse qu’éclectique, ainsi que de nombreuses activités en symbiose avec la forêt environnante.

La gapençaise Lou Dassi,récente candidate de l’émission The Voice, et Yannick Noah, qui interprétera des extraits de son dernier album, ouvriront le bal le 31 juillet. Le 2 août, la jeune révélation pop Kalika précèdera la désormais incontournable Suzane, fortement engagée face à l’urgence écologique – on se rappelle son concert à la Mer de Glace il y a deux ans.

dB vs CO2

Le 3 août, le public des Orres pourra entendre la révélation belge Mentissa, protégée de Vianney, et la chanteuse Joe Bel. Le 4 août, le groupe electropop aixois Deluxe délivrera un concert déjanté, à l’esthétique visuelle spectaculaire, suivi du duo fusion Supamoon

Au-delà des concerts, qui se prolongeront par des DJ sets, le festival proposera le 1er août le one-woman-show de Noëlle Perna, Mado fait son cabaret, dans lequel elle reprendra son personnage de niçoise gouailleuse et théâtrale. Une rencontre avec l’auteur Pablo Servigne aura lieu le 31 juillet. Mais le festival sera aussi et surtout l’occasion pour locaux et vacanciers d’envisager un monde de demain souhaitable, au cœur du village des Alchimistes. Le festival cherche par ailleurs à réduire son empreinte carbone : 100 tonnes de CO2, soit 3 220 smartphones !

PAUL CANESSA

Game of Trees
Du 31 juillet au 4 août
Les Orres
gameoftreesfestival.fr

Jazz à Junas se conjugue au féminin pluriel

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Sandre Nkaké sur scène pour le Jazz à Junas.

Pour ses trente ans, le festival Jazz à Junas s’est offert une affiche féminine à son image : créative, débordante d’énergie et riche de mille influences musicales. À commencer par Anne Pacéo, modeste et pétillante mais qui se transforme en bête de scène une fois derrière sa batterie. À regret, on l’entendra plutôt en tant qu’accompagnatrice discrète des titres de son album S.h.a.m.a.n.e.s, lesquels font la part belle à la voix, dans la continuité de son opus précédent Bright Shadows. Le rythme y est évidemment essentiel, mais souvent en retrait pour laisser place à l’art vocal de deux chanteuses qui s’harmonisent et se complètent subtilement. Anne Pacéo s’y révèle dans tout son talent de compositrice, évoquant avec une pudeur touchante des titres comme L’Aube, écrit « quand tout s’effondrait », Healing, joué comme un mantra pendant le confinement, ou Wishes, témoignant de ce moment de bascule où les certitudes se révèlent être des mirages. À travers des mélodies inspirées de traditions chamaniques de guérison, la musique se fait apaisement, la douleur guérison.

Royale Nkaké

La résilience est ce qui lie Anne Pacéo à l’autre invitée de cette douce soirée sous les étoiles : Sandra Nkaké, la reine à la peau d’ébène et à la tessiture de velours épicée, majestueuse, impressionnante, puissante. Dans les carrières de Junas, sa voix se joue du rock, du jazz, de la soul pour se faire porteuse de sens, de révolte à travers son dernier album Scars. Son histoire, ses plaies, ses blessures, dans son corps et dans son âme, mais aussi celle, collective et plurielle, des femmes dans une société qui leur laisse peu de répit. Le point levé, la guitare en bandoulière comme une arme musicale, l’autrice-compositrice-interprète scande : « Sage-femme, femme au foyer, astronaute, cheffe d’entreprise, caissière… Nous sommes toutes les femmes que l’on peut voir si on prend simplement la peine d’ouvrir les yeux. Oui nous sommes bien là, on voudrait  nous silencier, on voudrait nous effacer, contre toute cette violence qui nous est faite on a quelques mots… » Avant de chanter comme un slogan : « My body my choice, my right my voice, we gonna kill your ignorance » (« Mon corps mon choix, mon droit ma voix, nous allons tuer votre ignorance »). Une fois partagées, racontées, assumées, transcendées par la musique, les cicatrices deviennent une force incroyablement puissante de changement.

ALICE ROLLAND

Concerts donnés le 19 juillet dans le cadre de Jazz à Junas.

À Montpellier, les talents se signalent

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La soliste Karine Deshaye sur scène

On sait quel lien unit l’Orchestre national de Montpellier à Hector Berlioz : déjà très présent et actif tout au long du XIXe siècle, l’orchestre excellait dans les pages de Berlioz puis de Meyerbeer, qu’il exécutait avec d’autant plus de plaisir que le répertoire allemand lui avait été interdit suite à la défaite de Sedan. Et si le Corum porte aujourd’hui le nom du plus célèbre des compositeurs romantiques français, c’est que Georges Frêche le tenait pour le plus illustre, et nourrissait pour la vie musicale de sa ville des ambitions à sa juste démesure.

Berlioz forever

La phalange était donc très attendue en ces lieux mêmes le 21 juillet sur les Nuits d’été, célèbre cycle de mélodies chantant, sur des poèmes de Théophile Gautier, les joies et souffrance de l’amour et de son délitement. Si le propos est, comme sur la Symphonie Fantastique, redoutablement amer, les moyens musicaux déployés sont pour le moins réjouissants. Exit le cadre intime habituellement prêté à la mélodie : le chant a ici pour complice un orchestre fourni, dont il sollicite tour à tour les timbres les plus touffus. Dès la primesautière Villanelle, la précision de la direction de Michael Schonwandt épate. L’écoute de sa soliste Karine Deshayes, est admirable. Outre la perfection de la synchronicité rythmique, la finesse des couches amalgamant les fondations posées par les cordes, les légères envolées solistes des vents, sans jamais couvrir ou contredire le timbre clair et doux de la mezzo-soprano, à l’interprétation redoutablement mélancolique. Le reste du cycle, et du programme entier, demeurera tout aussi incarné.

Sur le méconnu Aladdin d’Horneman donné en ouverture, et surtout sur le Pelléas et Mélisande de Schönberg, poème symphonique succédant de quelques années à sa Nuit Transfigurée et ne déméritant ni en densité, ni en puissance. La postérité a surtout retenu l’adaptation opératique de ce mythe si étrange ; mais la pièce, manifeste symboliste pur jus de Maeterlinck, a également inspiré nombre de compositeurs au tournant du XXe siècle, dont un Arnold Schönberg pas encore séduit par les sirènes du sérialisme. Le chromatisme teinte cette pièce s’écoulant en seul bloc d’un désespoir tranchant radicalement avec la modalité enveloppante de l’opéra créé la même année. L’amour malheureux se fait ici tragique, et les échanges entre pupitres musclés et douloureux. L’orchestre brille une fois de plus sur cette partition particulièrement difficile : les solistes sont irréprochables, à commencer par la violoniste supersoliste Dorota Anderszewska, le violoncelliste Cyrille Tricoire, mais également le hautbois de Ye Chang Jung. Pour ce dernier concert donné en tant que chef titulaire de l’orchestre, Michael Schonwandt se voit remettre le titre de citoyen d’honneur de la ville de Montpellier par le maire Michaël Delafosse, en compagnie de la directrice de l’Orchestre Opéra National Valérie Chevalier, visiblement très émue.

Play Liszt !

Voilà plus de dix ans que le génie du piano Bertrand Chamayou s’est attelé aux Années de pèlerinage de Franz Liszt. Le temps d’un enregistrement particulièrement acclamé, mais aussi de tournées présentant l’intégralité de l’œuvre en une seule représentation dans différents lieux en 2011. Les trois heures – entractes non inclus – nécessaires pour les interpréter ont par la suite poussé le pianiste à ne proposer que des extraits – une des trois années, ou quelques tableaux seulement – dans d’autres programmes ou d’autres récitals. Quelle belle idée, cependant, que d’y revenir douze ans plus tard. La technique n’a pas faibli, ni le phrasé, sublime, fin, évident : la durée du concert n’affecte ni la concentration, ni la forme physique du musicien tout juste quadragénaire, qui articule les thèmes et les architectures en perpétuelle mouvance sans la moindre difficulté. C’est, semble-t-il, l’interprétation même, et avec elle le sens et la cohérence du voyage, qui a bénéficié de cette décennie de repos. La quête de l’absolu, musical comme amoureux, animant le moindre des tableaux composés par le virtuose hongrois, s’est tempérée d’un spleen nouveau. La chute dans la Vallée d’Obermann semble se chanter dans un long sanglot ; la Tarantelle étourdissante danse avec une folie nouvelle, moins méphistophélique qu’étrangement solaire ; la Marche funèbre semble moins redouter la mort qu’en appeler à un perpétuel renouveau. Donné dans le cadre plus intimiste de l’Opéra Comédie le 22 juillet, le récital remporte l’adhésion d’un public tenu en haleine au retour de chaque entracte.

Jeunesse de l’art

Très remplis, et complets pour certains, les concerts du midi ont permis à un public de jeunes et d’habitués de découvrir des talents à suivre avec la plus grande attention dans les années à venir. Ce fut notamment le cas le vendredi 21 juillet, qui présenta le fort charmant duo constitué de la soprano Cyrielle Ndjiki Nya et de la pianiste Kaoli Ono dans un programme se présentant de façon un brin trompeuse comme une sélection de chansons de cabaret. Les pages empruntées à Rachmaninov et interprétées avec une fou gue quelque peu outrée en début de récital ne sont ainsi pas celles qui convainquent le plus. La voix est certes puissante, et la complicité avec un piano saillant réjouissante. Le romantisme de Duparc et de son bijou inaltérable L’invitation au voyage séduit cependant totalement, de même que le très beau Au pays où se fait la guerre, et surtout la Chanson perpétuelle de Chausson, où la finesse d’articulation et les qualités d’interprète de la chanteuse se font particulièrement frappantes. Kaoli Ono entame ensuite avec le Prélude pour piano de Gershwin la transition attendue vers le cabaret, mais pas n’importe lequel : celui de William Bolcom et de son facétieux Toothbrush time, ou encore celui des Cabaret Songs de Britten, pures merveilles sur lesquelles le plaisir des deux musiciennes est particulièrement tangible.

Tout aussi trompeur, le concert concocté par Kevin Chen a fait salle comble. Outre la sublimissime Ballade n°4, on ne retrouvait guère de Chopin dans le programme interprété avec une fougue et une technicité rare par le très jeune (à peine dix-huit ans !) pianiste canadien. C’est du moins ce que l’on pouvait croire en découvrant les compositeurs choisis : Bach, Scriabine, Liszt, ou encore le compositeur australien contemporain Carl Vine. Mais on comprend dès les premières notes de la Fantaisie et fugue en la mineur BWV 904 que c’est en effet Chopin que Kevin Chen, également compositeur à ses heures perdues, souhaitait faire entendre dans ces pages voisines. Le phrasé qui prévaut à toute accumulation de notes étrangères : appogiatures, échappées, incursions maîtrisées vers une dissonance d’une modernité folle. L’instinct mélodique à toute épreuve ; l’art de l’agencement et de l’accumulation thématique, jusqu’au vertige. Une belle réussite, qui nous révèle un pianiste mais surtout un musicien à découvrir de toute urgence.

SUZANNE CANESSA

Le Festival Radio France Montpellier Occitanie s’est tenu du 17 au 28 juillet.

Les romances de Marina Viotti

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Pochette de l’album « Porque existe otro querer », de Marina Viotti et Gabriel Bianco. PHOTO APARTÉ

Si Marina Viotti revient régulièrement au Festival international de Musique de Chambre de Provence, ce n’est pas parce qu’elle a remporté les Victoires de la Musique en chant lyrique cette année, mais bien parce que ses qualités vocales lui permettent d’aborder tous les territoires avec la même intelligence et la même justesse.

Son dernier album, concocté avec la complicité de Gabriel Bianco à la guitare, Porque existe otro querer, dessine un parcours au cœur de mélodies françaises et hispaniques, de Gabriel Fauré à Jacques Brel. Les transcriptions pour guitare des accompagnements pianistiques ou orchestraux, sont d’une richesse rare, faisant écho aux pièces composées pour la guitare, comme Madroños (Les arbousiers) de Federico Moreno Torroba (un solo instrumental superbement enlevé) ou semblent évidentes pour cet instrument, comme le sublime Dos gardenias d’Isolina Carrillo, délicieusement souligné par des scansions dues au saxophone de Gerry Lopez, lorsque la voix de la mezzo-soprano ne mue pas la légèreté en emphase dramatique aussi espiègle que prenante.

Tour du monde

Se jouant de la polysémie du verbe espagnol « querer », « vouloir, aimer, quérir, chérir… » la chanteuse, qui rappelle que le titre de l’album est une référence au texte de la mélodie Quiero d’Inès Halimi, explore le thème de l’amour, de la jalousie, de la déception, de la séduction, de la quête, du souvenir nostalgique. Les mélodies puissantes, élégantes, subtiles de Fauré, Massenet, Manuel de Falla, Pauline Viardot (sublime sur un poème de l’écrivain russe Afanassi Fet, Die Sterne, « Les feuilles se taisaient, les étoiles brillaient »), croisent celles de La chanson des vieux amants de Jacques Brel, ou La vie d’artiste de Léo Ferré sur laquelle la voix récitante magnifie le texte et insuffle toute sa conviction aux paroles « moi je conserve le piano, / Je continue ma vie d’artiste ». La voix lyrique épouse avec aisance et simplicité chaque univers. L’Espagne des Siete Canciones populares de Falla répond aux quatre mélodies de Fauré, traverse l’Atlantique pour la merveilleuse Historia de un amor de Carlos Aleta Almarán (Panama). Un petit clin d’œil à l’Italie avec La danza de Rossini ajoute sa verve malicieuse sur un rythme de tarentelle et l’on regarde les étoiles aux côtés de Pauline Viardot… Un petit bijou de finesse composé de 22 tableautins ciselés !

Maryvonne Colombani

« Le Cid » prend un coup de jeune

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Deux beaux et jeunes acteurs au service d’un trentenaire célèbre : Pierre Corneille. PHOTO DR

Après avoir écrit de joyeuses comédies, Pierre Corneille s’attèle à une tragi-comédie : Le Cid. Il n’a que trente ans lorsqu’il écrit ce chef d’œuvre qui, aujourd’hui encore, passionne la nouvelle génération. Il circule en effet dans cette pièce un souffle juvénile où l’on s’aime à en mourir, où l’on manie l’épée pour une simple gifle, où l’on part au combat pour accrocher victoire et honneurs concomitants. Rodrigue et Chimène, héros légendaires, voient leur amour contrarié par l’égoïsme, l’intransigeance bétonnée par la notion d’honneur de leurs pères respectifs. L’un insulte l’autre. Le fils doit venger cet affront dans le sang au risque de perdre sa belle… et sa gloire guerrière. Fameux dilemme cornélien !

De la musique aussi

Pour redonner vie à ces amours difficiles, Marc et Claire-Estelle proposent un arrangement en jouant de larges extraits de la tragédie. Ils laissent le soin à Don Sanche (le rival malheureux de Rodrigue) de résumer la situation. C’est diablement efficace et peut donner l’envie aux nouveaux spectateurs de se plonger dans l’univers cornélien magnifié par la beauté des alexandrins, la psychologie rigide des héros embarqués malgré eux dans des situations tortueuses. Grâce à leur jeunesse, leur beauté et surtout leur plaisir évident d’interpréter un tel texte, les deux comédiens rajeunissent une œuvre digne d’un film de cape et d’épée. La mise en scène minimaliste laisse le champ libre aux mots du poète et aux musiques délicates composées et interprétées par Chimène elle-même ! Claire-Estelle aussi à l’aise au piano qu’à la flûte, glisse dans la représentation une élégance douloureuse qui sous-tend les conflits politiques ou amoureux. Les voix sont belles et se répondent à merveille dans les duos les plus célèbres où l’aurait préféré l’absence de piano en accompagnement ; elle dilue la beauté de la musique de Corneille qui n’a guère besoin d’être surlignée.

Jean-Louis Châles

« Le Cid » est donné jusqu’au 29 juillet à 19h au Théâtre des Trois Raisins (Avignon).

La poésie complice d’Aylen Printchin et Lukas Genusias

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Pochette de l’album « Debussy//Hahn//Stravinsky » de Aylen Pritchin et Lukas Geniusas. PHOTO MIRARE

Deux musiciens hors pair pour trois chefs-d’œuvre ! L’album concocté par le violoniste Aylen Pritchin et le pianiste Lukas Geniusas nous embarque dans un voyage qui suit trois compositeurs majeurs des débuts du XXe siècle par le biais de trois œuvres qui marquent aussi l’itinéraire qui a façonné la complicité du duo des deux interprètes. La troisième Sonate pour violon et piano de Debussy les a réunis lors de la demi-finale du concours Tchaïkovski 2019 et le Duo concertant de Stravinsky accompagna leur premier récital, il y a dix ans. Quant à la Sonate en ut majeur pour violon et piano de Reynaldo Hahn, elle est « au cœur de [leur] duo » ainsi que le précise Lukas Geniusas : la poésie du Colloque sentimental de Verlaine (« Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux ombres ont tout à l’heure passé […] / Tels ils marchaient dans les avoines folles, / Et la nuit seule entendit leurs paroles ») y croise une expression élégante et resserrée qui semble charmer l’essence même du temps, l’enveloppant dans l’orbe de ses phrasés.

Dans les tourments d’une époque

C’est ainsi que l’on entend ce diamant taillé après la fluidité foisonnante de la Sonate de Debussy qui convoque pour les deux artistes les vers d’Anna Akhmatova, (« Si vous saviez de quels débris se nourrit / Et pousse la poésie, sans la moindre honte, / Comme les pissenlits jaunes, comme l’arroche / ou la bardane au pied des palissades »). Les désordres de l’âme sont ici coulés dans une sculpture moirée où se dessinent les impatiences, les étonnements, les élans, les exacerbations d’un esprit qui semble chercher à tout appréhender. Le duo devient alors le support unique d’une pensée qui se déverse sur le monde, l’effleurant, le recomposant, unissant dans un même regard la réalité et l’image que l’on s’en fait. Le Duo concertant de Stravinsky éclot ensuite dans la netteté de ses orchestrations, de sa rigueur quasi mathématique et pourtant (ou sans doute en raison de), d’une émotion complexe et vive où affleurent les bouleversements du monde à l’instar de ceux d’une psyché en proie aux tourments d’une époque. La fragilité des deux compositeurs précédents qui rend compte, en misant sur un sentiment d’étrangeté, des remuements tragiques des débuts du XXe, se replie sur les échappatoires du rêve, reste sensible dans l’acharnement des cordes, des rythmes marqués du piano, leurs assoupissements, leurs hésitations, leur finesse marmoréenne. La fusion spirituelle des deux instrumentistes permet une transmutation de la matière en idéal. On est subjugué par la beauté de l’ensemble.

Maryvonne Colombani

Lukas Geniusas est en concert le 31 juillet au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron.

Quand « Avant le soir » ose la science-fiction

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Les comédiens de « Fahrenheit 451 » au milieu du public réuni au square Labadié. PHOTO MAIRIE 1-7

Le roman de Ray Bradbury compte parmi les plus célèbres du domaine de la science-fiction, y compris par ceux qui ne l’ont pas lu. Plus nombreux sont ceux qui l’ont découvert à travers l’adaptation de François Truffaut, signée en 1966, soit treize ans après la parution du best-seller. Comme avec toutes les dystopies de cette époque, on est frappé par son actualité – montée des fascismes, des inégalités sociales, du virtuel, de la guerre – mais aussi par ce qui n’a pas été anticipé, en particulier au sujet de la place des femmes et des racisés.

Ainsi la charge que l’auteur signe à l’encontre des digest et autres résumés synthétiques prônés par l’audiovisuel, déclamée avec conviction par Stéphane Pastor, sonne un peu en décalage avec le dispositif. Celui qui pousse la troupe du Badaboum Théâtre à transposer pour la scène ce texte très précurseur en son temps, mais décalé 70 ans plus tard. Pour les exemples de livres « dangereux » bannis par cette société totalitaire, dont La Case de l’Oncle Tom perçu par Ray Bradbury comme un brûlot anti-esclavagiste, quand sa réception aujourd’hui est tout autre ; ou pour ceux qu’ambitionnent de sauver les marginaux en les apprenant par cœur, qui incarnaient alors la modernité, mais n’évoquent aujourd’hui que le siècle dernier, exclusivement masculin…

Le goût du théâtre

Cela est d’autant plus dommage que la mise en scène d’Anne-Claude Goustiaux ne manque ni d’idées, ni de pertinence, et qu’une très légère adaptation de ces références suffirait en actualiser sa création, très ambitieuse ! Le goût du théâtre et du romanesque transpirent de cette pièce rythmée par l’électro joliment rétrofuturiste de Phabrice Petitdemange. Les voix non amplifiées des comédiens nous parviennent de part et d’autre du parc, rappelant l’essence d’un théâtre sans artifice et affectation. Face au Montag troublé incarné avec tendresse par Frédéric Schulz Richard, les personnages campés avec une énergie communicative par Stéphane Pastor, Sophie Pichon et Peggy Péneau font mouche – mention spéciale à l’épouse apeurée maîtrisée à la perfection par cette dernière. De quoi redonner de la saveur, sinon à la science-fiction et à la dystopie, à ce goût-là du jeu.

Suzanne Canessa

« Fahrenheit 451 » est rejoué ce vendredi 28 juillet au square Labadié et mardi 22 août au Jardin Benedetti (Marseille).