vendredi 18 avril 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 232

Alma Viva, le sens du rite

0
ALMA VIVA © Tandem films

C’est une petite fille espagnole de 8 ans, Sofia Otero qui a remporté cette année le prix d’interprétation à la Berlinale. C’est une petite fille encore qui, au dernier Festival de Cannes, était une des plus jeunes stars de la Croisette. Du haut de ses 11 ans, Lua Michel incarne Salomé, le personnage principal d’Alma Viva, réalisé par sa mère, Cristèle Alves Meira

Sélectionné à la Semaine de la Critique, ce premier long métrage nous emmène au nord-est du Portugal, dans un village peu touristique loin des cartes postales. Une région montagneuse où subsistent les superstitions et des rituels païens. Salomé, comme d’habitude, y passe ses vacances dans la famille de sa mère, restée en France. Il y a Avó la grand-mère (Ester Catalão) une sorcière qui aide les morts à trouver le repos, et reconnaît en sa petite-fille ce don héréditaire de s’ouvrir aux Esprits. Il y a l’oncle aveugle qui chante les airs anciens, et celui, émigré, qui revient au pays, pour les vacances, dans sa grosse voiture pour superviser le chantier d’une villa avec piscine. Il y a la tante célibataire restée auprès de sa mère, frustrée, brutale et aimante, jalouse de ceux qui sont partis.

À vif

 Il y a l’été, la maison rurale, les rideaux qui filtrent la lumière violente, la télé allumée en permanence, les bougies qui aident les défunts à trouver leur chemin. Côté jour, la rivière, les jeux d’eau, la pêche à l’explosif, une vieille effrayante à la voix rauque, qui éventre les poissons au fond de sa cuisine-antre. Côté nuit, les lits partagés, la fête votive, les rêves, et le Saint Georges lumineux qui projette son ombre de tueur de dragon. La grand-mère meurt brutalement d’un AVC – pour le docteur –, d’un envoûtement pour Salomé. Tandis que ses enfants se disputent trivialement autour de son corps enveloppé de dentelles et que les ressentiments de chacun remontent à la surface, la fillette déchirée, la venge s’exposant à la colère villageoise. 

Entièrement vu à hauteur des yeux de la silencieuse Salomé, le tragi-comique du monde se révèle. La matière et l’esprit, la chair abîmée des vieux corps et le visage enfantin de l’héroïne, la vie et la mort sans tabou, le silence et les cris, jusqu’à des funérailles sur fond d’incendie, qui tournent au grand guignol. La réalisatrice franco-portugaise a tourné dans son village d’origine et mis beaucoup de ses propres souvenirs dans ce conte initiatique. Elle signe ici un beau film sur les racines, la filiation, la transmission : Alma Viva, qu’on y croit ou pas, l’âme reste vivante ou à vif. Sans jamais juger, Cristèle Alves Meira nous offre comme elle l’a déclaré « un film de terrain » qui rappelle comme le fait Avó, que si les Vivants ferment les yeux des Morts, les Morts eux, ouvrent ceux des Vivants.

ÉLISE PADOVANI

Alma Viva, de Cristèle Alves Meira
En salle depuis le 12 avril

The Quiet Girl, un été salvateur

0
The Quiet Girl © Asc Distribution

Après un court métrage semi-autobiographique, Le Fils de son père, le réalisateur irlandais  Colm Bairéad reste dans une thématique familiale pour son premier long métrage : The Quiet Girl.

Est-elle si tranquille que ça cette fillette aux yeux saphir perçant le masque lisse d’un visage au teint pâle ? Cette gamine au verbe rare et bas, presque chuchoté, aux longues jambes qui lui permettent de courir vite, de s’enfuir pour se cacher sans cesse ? « La vagabonde », comme l’étiquette son père sans l’ombre d’une intention affective. Cáit (Catherine Clinch) ne rit jamais. Isolée à l’école où elle peine à déchiffrer. Seule dans une fratrie nombreuse, sans complicité. Négligée par sa mère, une nouvelle fois enceinte, peinant à nourrir la marmaille, tandis que le père boit des bières au pub et joue l’argent du ménage. 

Scénario ténu

Nous sommes dans la campagne irlandaise des années 1980. On parle gaélique et anglais. Les pâturages jouxtent la mer. Et, comme d’habitude, on cherche Cáit, dans les hautes herbes des champs. Pour se débarrasser d’elle, le temps des grandes vacances, on l’abandonne à trois heures de route de là, chez de vagues cousins : un vieux couple de fermiers sans enfants : Eibblin et Séan Kinsella (Carrie Crowley, Andrew Bennett). Auprès d’eux, elle va découvrir la tendresse, le respect, l’écoute de l’autre, l’entraide ainsi que le fantôme qui hante les lieux et leurs cœurs.  

Il est des étés de l’enfance initiatiques, où on grandit plus vite que durant tous les mois précédents. C’est ce que fera Cáit : elle aura grandi, changé. Sans bruit, sans fureur, sans crise mais en profondeur. Adapté d’une nouvelle de Claire Keegan, Foster (titre français : Les Trois Lumières), le scénario est ténu. La progression dramatique se fait, pas à pas, suivant l’évolution des rapports entre Cáit et sa famille d’accueil, par le déplacement infime des sentiments à travers les gestes quotidiens : la toilette, le bain, la préparation des repas, les soins apportés aux bêtes, la corvée de l’eau, le nettoyage des étables. À travers les rituels concrets qui s’installent, tissent les liens. Foster signifie à la fois adoption et nourriture, les Kinsella dans cette parenthèse estivale jouent bien les deux rôles, d’adoptants et de nourriciers. Cáit (merveilleuse performance de la jeune primo-actrice) est de tous les plans. Regardée regardant. Ses émotions jamais exprimées se lisent à livre ouvert. The Quiet Girl est un film simple sur la complexité des sentiments. Une observation sensible de ce qui palpite sous les silences. 

Grand Prix Génération Kplus à la Berlinale 2022, nommé aux Oscars 2023, primé dans de nombreux festivals, The Quiet Girl sans effets tapageurs et avec une grande maîtrise, sait trouver les notes justes pour nous émouvoir.

ÉLISE PADOVANI

The Quiet Girl, de Colm Bairéad
En salle depuis le 12 avril

Une adolescence molle et convenue

0
Adolescent © Frédéric Iovino

Traitées avec éclat par les chorégraphes Fabrice Ramalingom, Arthur Perole ou Gisèle Vienne, l’adolescence et la jeunesse se transforment en un objet non identifié chez Sylvain Groud. L’actuel directeur du CCN de Roubaix met en scène dans sa pièce éponyme neuf jeunes danseurs·ses uniformisé·e·s tant par leurs costumes blancs identiques (T-shirt et short) que par leur couleur de peau. Pas l’ombre d’un métissage dans ce groupe ultra homogène qui prend la pose longuement dans des tableaux composés à la manière des clichés de vacances ou de selfies redondants. S’en suit un chapelet de postures boudeuses ou rêveuses qui suintent l’ennui ou l’hébétude. Serait-ce donc l’état des adolescents durant cette « période pendant laquelle l’identité se façonne » comme l’écrit très justement Arthur Perole ?

Une pièce convenue

Une fois passés ces arrêts sur images sur fond de voiles peintes par Françoise Pétrovitch, complice de Sylvain Groud pour la scénographie et les costumes, le tempo s’accélère et les touches chorégraphiques légères font place à une danse d’ensemble nerveuse, saccadée, sur la musique électro de Molécule. Là où les toiles et dessins de corps adolescents de l’artiste plasticienne induisent une étrangeté, un sentiment d’inconfort, la chorégraphie ne dépasse jamais l’illustratif. Comme si Sylvain Groud se défendait de poser un regard – le sien, justement, celui que l’on voudrait connaitre – sur ces filles et garçons à la fleur de l’âge qui, sur scène, restent bloqués dans une espèce de neutralité. Pas d’incarnation, pas de matière, pas d’épaisseur, juste un florilège convenu de coquetteries, de copinage, de drague, de chamailleries et de jalousies. La pièce ne dépasse que trop rarement le niveau de la cour du collège ou du lycée et son manque de hauteur déclenche une grande déception. Même les œuvres de Françoise Pétrovitch qui nous avaient enchanté en 2016 sur les murs du château de Tarascon (« Verdures ») et du Frac Sud à Marseille (« S’Absenter ») font pâle figure…

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Adolescent a été présenté le 6 avril au théâtre Liberté, scène nationale de Toulon.

Les mignardises du BNM régalent le Zef

0
Les Indomptes © Thierry Hauswald

Ragaillardi par le succès, plus que mérité, de son programme quadripartite consacré à quatre grandes chorégraphes – Childs, Carvalho, Lasseindra, Doherty – le Ballet national de Marseille s’est de nouveau adonné, avec Roommates, à l’exercice délicat mais réjouissant du voisinage artistique. Où œuvres brèves et extraits se côtoient comme autant de mignardises aiguisant les appétits de chacun. Ce ne sont donc pas quatre mais six pièces qui s’enchaînent au fil de ce programme qui rappelle la vitalité et la spécificité de ce ballet devenu, depuis la nomination du collectif (La)Horde à sa tête en 2019, un des plus en vue du paysage national.

Revoir ses classiques ?

Déjà présente à l’affiche du précédent opus, la pionnière Lucinda Childs, âgée de 82 ans, voit de nouveau une de ses pièces exécutées par le ballet : ce Concerto très modern jazz créé en 1993 puise, dans l’épure de ses lignes comme dans son vocabulaire même, du côté du langage classique : développés, ronds de jambe, pirouettes … Et agence les mouvements de ses danseurs au gré de la musique entêtante d’Henryk Górecki, évoquant les meilleures heures du minimalisme. L’héritière de Merce Cunningham s’immisce dans l’abstraction et l’aléatoire pour énoncer, ré-énoncer et déformer ses enchaînements, traités à la façon de thèmes musicaux. Sur cette partition passionnante, évoquant entre autres De Keersmaeker, le ballet pourtant enthousiaste et prompt à de belles échappées peine à s’entendre, à se mettre à l’unisson. Un même malentendu semble à l’œuvre sur Les Indomptés de Claude Brumachon, splendide duo créé en 1992 : les corps, d’un athlétisme et d’une expressivité rares, peinent à s’accorder sur les finitions, à entrer en dialogue.

Le fracas des corps

Est-ce à dire que le ballet n’est jamais plus à son aise que sur le répertoire d’aujourd’hui, voire de demain ? Force est de constater que le Grime Ballet de Cecilia Bengolea et François Chaignaud semble davantage inspirer la troupe. Ravis de monter sur pointe pour s’y adonner à des gainages, poses et autres freestyles empruntés au hip-hop, les danseurs s’en donnent à cœur-joie – notamment Aya Sato, placée au cœur du dispositif. Ils s’amusent enfin beaucoup sur les deux œuvres phares chorégraphiées par (La)Horde : l’extrait de Room with a view, tube tirant le meilleur des obsessions du trio, plein de vitalité, de rage et de joie quasi enfantine ; et le tout nouveau Weather is sweet, empruntant ses déhanchés au twerk, et ses vas-et-viens à un registre érotique très explicite, jusqu’aux dispensables dessous échancrés, visibles sous une jupe d’écolière. L’art consommé de la pose et du geste déclinable à l’infini est, une fois de plus, très maîtrisé : manque cependant à cette nouvelle pièce la folie et le sens de l’image qui avaient rendu sa prédécesseuse inoubliable. 

C’est finalement le dernier-né Oiwa, venu des chorégraphes belges de Peeping Tom, qui convaincra le plus. Ses portés vertigineux, ses corps à corps tantôt amoureux, tantôt guerriers, ses baisers empruntés à Preljocaj pour mieux s’étourdir au gré de rotations acrobatiques, séduisent et intriguent. Érigés sur un parterre de fumée évoquant aussi bien les nuages d’un Eden perdu qu’un sens aigu de l’artifice, les couples se font et se défont : s’y distinguent, entre autres, les visages et musculatures inoubliables de Sarah Abicht, Nonoka Kato… Qui s’animent, avec grâce et fracas, au gré des ports et transports de leurs formidables partenaires de jeu – Daniel Alwell et Dovydas Strimaitis.

SUZANNE CANESSA

Roommates a été joué le 7 avril au Zef, scène nationale de Marseille.

Au Mac, Paola Pivi en VIP

0
Paola Pivi, Free Land Scape, 2022_Steel, denim, foam variable dimensions © photography by Guillaulme Ziccarelli, Courtesy Perrotin

Artiste italienne (née en 1971 à Milan) qui vit à Anchorage en Alaska et qui expose un peu partout dans le monde Paola Pivi (Lion d’or de la Biennale de Venise en 1999) a déjà été invitée pour une réouverture à Marseille : c’était celle des Musées de Marseille, après la période des divers confinements, à l’été 2021. Elle y avait présenté 25 000 Blagues Covid (Ce n’est pas une blague), une collection d’images, de mèmes et de blagues écrites sur le virus, une multitude de « créations » d’internautes de soixante pays qu’elle avait collectées en 2020, imprimées et affichées sur des cimaises à l’intérieur de la chapelle du Centre de la Vieille Charité. L’humour comme un refuge, et des blagues perçues par l’artiste comme les archives collectives d’une expérience inédite et universelle. Une exposition résonnant également avec une part d’histoire de la Vieille Charité, lieu d’enfermement, 300 ans plus tôt, des malades de la peste qui ravagea la ville.

Au boulot !

La voici donc de nouveau invitée pour quatre mois dans cette ville qu’elle dit aimer. Pour sa dimension multiculturelle d’une part, sa nature aussi, et la façon dont les habitants utilisent leur ville comme un terrain de jeu (rassemblement improvisés, graffitis…). Mais cette fois pour une autre réouverture, celle du Mac, fermé depuis quatre ans pour travaux de mise aux normes, désamiantage surprise et rénovation. Sous le titre  It’s not my job, it’s your job / Ce n’est pas mon travail, c’est ton travail elle y présente dans le hall, qui a gagné en transparence et en hauteur, et dans les trois premières travées d’exposition rénovées (qui seront désormais dédiées aux expositions temporaires) quelques-unes de ses œuvres « iconiques » et une installation inédite Free Land Scape spécialement conçue pour l’espace architectural du musée. 

Paola Pivi, Yellow again_, 2016_Aluminium, ostrich feathers, engine, Ø 210 × 41 cm_Courtesy Massimo De Carlo and the Artist

L’art de Paola Pivi mêle le familier à l’étrange, on y rencontre par exemple des ours polaires à plumes de couleurs s’adonnant au yoga ou se suspendant à des trapèzes, des zèbres gambadant dans l’Arctique, des poissons rouges prenant l’avion… Un art à l’aspect bon enfant, décoratif, décomplexé tout autant qu’ironique, aux titres décalés, crées par l’auteur-compositeur Karma Culture Brothers. Des titres qu’elle voit comme des fragments de poésie, une façon de suggérer au public : « Vous êtes les bienvenus ici, profitez-en ! ». D’ailleurs, certaines de ses œuvres sont participatives, dans le sens où les visiteurs sont invités non pas seulement à contempler ses productions, mais à y entrer, à les traverser, ou à y rester un moment. Comme par exemple dans son Installation de matelas présentée en 2019 au Maxxi de Rome, gigantesque étendue de matelas couvrant plus de cent mètres carrés, dominée par une autre, identique mais à l’envers, qui créait une sorte de caverne feutrée. 

Bleu Denim

À contempler donc dans le hall du Mac la légèreté de ses jantes de vélos de toutes tailles, garnies sur leurs pourtours de plumes d’oiseaux divers, tournant sur elles-mêmes à l’aide de petits moteurs électriques. Plus loin dans les travées, la même petite ambiance de cirque empaillé, avec ses ours polaires fluos grandeur nature, tout en plumes colorées, gros doudous dans diverses positions, près desquels on peut se photographie gaiement, en se doutant, ou pas, de l’allusion ironique de l’artiste sur le réchauffement climatique. Et à pratiquer, en enlevant vos chaussures, Free Land Scape, créée spécialement pour l’espace architectural du Mac, proposé par l’artiste à la fois comme une installation, une sculpture, et une réflexion sur l’architecture : une structure en U en métal disposée à la verticale, profonde, parcourant l’espace des premières travées, sur laquelle est installée une grande toile en jean, appelée aussi toile Denim, qui était, avant l’appropriation américaine des années 1950, le « bleu de Nîmes » ! 

Vue de l’exposition © Malaika Mariejeanne – Agence Jam Teery

Une passerelle suspendue, une grande vague bleue dans laquelle on avance en étant déstabilisé, déséquilibré. Présentée comme un clin d’œil ludique et métaphorique au visiteur à propos d’un espace qu’il découvre ou redécouvre par le déséquilibre, l’hésitation, tout comme l’expérience que l’on peut faire de la création artistique. Ou de la globalisation économique du monde dans laquelle tout un chacun est également pris. Lorsque personne n’est installé dans l’œuvre, ou lorsqu’une personne y avance, mais qu’on le voit depuis un autre espace, on voit la toile qui bouge, comme une vague bleue : une connotation méditerranéenne revendiquée.

MARC VOIRY

It’s not my job, it’s your job / Ce n’est pas mon travail, c’est ton travail
Jusqu’au 6 août
Musée d’art contemporain, Marseille
musees.marseille.fr

Débordé !

La cour du Mac était noire de monde en cette soirée d’inauguration, quatre fois plus de monde qu’attendu ! Autant dire que l’accès à l’exposition (et au buffet…) ont été complètement pris d’assaut, il a fallu patienter un bon moment ! Auparavant, prise de parole surprise au son de « Macron démission » par une vingtaine de jeunes gens munis de banderoles CGT Spectacle et Snap (Syndicat national des artistes plasticiens), dénonçant la réforme des retraites, mais aussi la paupérisation et le mépris que subissent aujourd’hui les écoles d’art et leurs étudiant·e·s. Pas d’occupation du Mac néanmoins, le maire Benoît Payan a pu ensuite faire l’éloge de celles et ceux qui ont œuvré pour la rénovation du musée. Et annoncé le nom de sa nouvelle directrice : Stéphanie Airaud, nourrie de sa longue expérience du Mac Val, à Vitry-sur-Seine. Se ménageant un cercle dans le nouveau hall, au milieu d’un public compact, cette soirée d’inauguration s’est terminée par une danse sexuellement suggestive, interprétée par six danseur·euse·s de (La)Horde, Ballet national de Marseille. M.V.

Avignon, ou le changement en douceur

0
Black Lights, Mathilde MOnnier © Marc Coudrais
Tiago Rodriguez présente la 77e édition du Festival d’Avignon © Christophe Raynaud de Lage

Le nouveau directeur du Festival d’Avignon avait promis de ralentir. De proposer moins, en accueillant mieux le public et les artistes. Pourtant, ce ne sont pas moins de 125 000 places qui sont proposés à la vente, soit 12000 de plus, avec 45 spectacles à l’affiche, pour près de 250 représentations. Sans compter les propositions gratuites, les rencontres et les lectures…  Comment, dans le contexte économique actuel, et sans augmentation de subventions, l’équipe parvient-elle à une telle offre ? 

La première recette est la diminution des propositions gratuites, qui ont un coût, et la légère augmentation du prix des places, jusqu’à quarante euros dans la Cour d’Honneur. La seconde, la réouverture de la Carrière Boulbon, avec sa grande jauge. Plus de places, un peu plus chères, devraient garantir des recettes (budget global de 17 millions), et compenser un peu l’explosion des coûts des voyages, des hébergements, et des fluides…

Mémoire et héritages

Quant aux productions et coproductions, elles semblent moins nombreuses : Tiago Rodrigues ne présentera pas de spectacle, et le nombre de coproducteurs impliqués dans chaque spectacle est symptomatique de l’état actuel de la production théâtrale des grandes maisons européennes, qui consacrent des sommes de plus en plus faibles aux spectacles qui font leurs saisons. 

Néanmoins, l’empreinte du directeur est là. Parce que le Festival se conclura par une représentation exceptionnelle de By Heart dans la Cour, un merveilleux spectacle sur la disparition des mots qui touche au cœur, par cœur, la mémoire des spectateurs invités sur la scène, entre Shakespeare et la vieillesse. 

Le rapport au répertoire shakespearien passe aussi par la création de The Romeo dans la Cour, du chorégraphe Traja Harwel autour de l’archétype de l’amoureux ; ou la rêverie de Gwenaël Morin, autour du Songe d’une nuit d’été et de son quadrille amoureux.

La marque de la programmation de Tiago Rodrigues se perçoit aussi dans le retour d’une certaine danse, celle de Mathilde Monnier, qui met en gestes et en scène la mini-série féministe H24. Et la double présence d’Anne Teresa de Keersmaeker, pour une création, et la reprise de En Atendant où les corps sont musique, chant, renaissance, jubilation.

Luttes internationales

Mais ce qui caractérise sans doute le mieux cette programmation est la diversité des générations et des esthétiques, la dimension internationale, la parité acquise, l’intersectionnalité et la lutte politique en scène. 

Ainsi Julie Deliquet ouvre le festival dans la Cour, avec Welfare, inspiré du film de Frederik Wiseman sur les sans-abris ; une création précédée, de quelques heures, par la celle de Bintou Dembelé, qui chorégraphie les souffrances et les révoltes des corps noirs opprimés, introduisant la force du hip-hop jusque dans l’opéra, et le racisme des Indes Galantes

On retrouvera Milo Rau, pour une Antigone amazonienne créée avec le Mouvement des Sans Terre (ou la lutte politique au Brésil) ; Julien Gosselin, pour un petit marathon de cinq heures autour de l’ Extinction inspiré de Schnitzler et Thomas Bernhard (ou la peur européenne de la disparition) ; Philippe Quesne pour un Jardin des Délices rétro-futuriste, ou le seul avenir possible semble un retour ironique vers les temps pré-modernes ; et  Krystian Lupa, polonais qui met en scène les récits croisés de l’allemand Sebald, Les Emigrants, pour revenir sur les traumatismes historiques d’un XXe siècle qui décidément ne passe pas.

Tragédie, Olivier Dubois © Christophe Raynaud de Lage

Une expérience forte à ne pas rater : Carte Noire nommée désir, un spectacle de Rebecca Chaillon pour huit performeuses noires. Une lutte contre les obscurantismes masculinistes, mais aussi contre tous les petits préjugés essentialistes qui restent ancrés dans bien des consciences. 

Vous pourrez aussi aller passer une journée de sept heures dans les Paysages et Forêts de Stefan Kaegi qui avec la curatrice Caroline Barneaud a proposé à sept artistes une création, plastique, théâtrale, dansée, sur le paysage, et notre inscription, artistique et scientifique dans sa cartographie réelle. 

Et comme chaque année, allez jeter un œil à Vive le sujet, où un artiste en choisit un autre pour une collaboration plus ou moins impromptue et éphémère. On aura le plaisir de retrouver dans l’un d’entre eux Balkis Moutashar. Une des très rares propositions d’artistes de la région, ce qui est une constante lorsqu’une nouvelle équipe de direction arrive, mais n’arrange pas l’économie culturelle régionale… 

Les réservations sont ouvertes, bien plus tôt que d’habitude, et pour tous. La promesse de mieux accueillir le public est déjà, en ce sens, à l’œuvre !

AGNÈS FRESCHEL

Festival d’Avignon 
Du 5 au 25 juillet
festival-avignon.com

Arthur Perole au Pavillon Noir : « J’ai voulu travailler sur cette génération sacrifiée »

0
Nos corps vivants © Nina-FloreH ERNANDEZ

Zébuline. Vous êtes artiste associé au Pavillon Noir et vous avez monté cette pièce avec le Ballet Junior. Quel est votre lien avec ce lieu, et avec son directeur, Angelin Preljocaj ?

Arthur Perole. Je suis originaire de Cannes, et comme tout danseur de la région, j’ai été biberonné aux pièces d’Angelin. J’ai notamment dansé ses Noces à l’Opéra de Paris. Avant ça, j’avais effectué mes premiers stages, au Pavillon Noir, où j’avais eu la chance d’interpréter ses pièces. Il est aujourd’hui incontournable pour tout danseur qui se respecte ! Mon partenariat avec lui, en tant qu’artiste associé, se fait aujourd’hui sur tous les plans. Artistique, mais aussi du point de vue de la production, de la communication avec les équipes. Jusqu’à ce projet un peu tentaculaire avec le Ballet Junior. Celui-ci est composé de douze danseurs : six filles, six garçons, de toutes origines (portugaise, espagnole, norvégienne…) et très jeunes. Soit âgés de 18 à 23 ans. Ils sortent tous de formations de grandes écoles et vivent un moment de professionnalisation, de mise à l’épreuve. J’espère leur apporter un travail différent, complémentaire de ce qu’ils ont l’occasion d’apprendre au Ballet.

© Nina-Flore HERNANDEZ

Avez-vous l’impression de leur apporter un univers, une méthode différente du monde qu’ils connaissent ?

Mon approche est en effet très différente. Il y a forcément une porosité entre nos travaux respectifs, une similitude dans l’espace, dans la gestion du groupe ou de la partition. Mais je n’apporte pas ma matière : je propose un univers, et non pas du geste, ou du mouvement. Contrairement à Angelin, je ne fabrique pas le geste. Je pars des gestes des danseurs ; d’états de corps empruntés à la vidéo, au slow motion, au morphing… J’emprunte à la pop, et à son univers. J’essaie également de travailler sur la grimace, le pantomime. Le kitsch, et ce que le kitsch peut provoquer comme émotion, comme réaction, me passionnent. De même que tout ce qui touche à l’exagération, à l’extravagance dans la vie de tous les jours. Tout cela a toujours été présent chez moi. Le travail de Marlene Monteira Freitas, sur Les Bacchantes ou Prélude pour une Purge me parle énormément. 

Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec eux sur une œuvre aussi iconique que Le Sacre du Printemps ?

Cette création s’inscrit dans un travail de plus longue haleine, et même à vrai dire dans un long processus que j’ai lancé sur la question de la jeunesse. Au point que j’en suis venu, en collaboration avec Pascal Catheland, à mener à son sujet une démarche documentaire en coréalisant la série Rêves. J’ai voulu travailler sur cette génération sacrifiée. Je voulais connaître, comprendre cette jeunesse confrontée, entre autres, au Covid, et à tant de déconvenues. Comment font-ils pour vivre ? Plus je m’y suis intéressé, et plus j’ai trouvé que cette génération était très loin des clichés qu’on lui adosse. Je la trouve très respectueuse, très constructive : je trouve ces jeunes gens très bienveillants les uns vis-à-vis des autres. Socialement comme humainement parlant. Ouverts, solidaires, imprégnés… Ils ne sont pas du tout ce qu’on imagine, soit des êtres retranchés, coupés du monde et omniprésents sur les réseaux. Je suis peut-être trop utopiste, mais ce n’est pas grave !

N’est-ce pas difficile, pour un chorégraphe, d’apporter sa pierre aux déjà nombreuses adaptations qui en ont été faites ? Notamment celle de Dada Masilo, qui fait non pas d’une jeune fille, mais de la plus vieille membre de la tribu, incarnée par elle-même, la personne à sacrifier ?

Le Sacre du Printemps est en effet une référence immense. C’est une pièce que j’adore, musicalement comme chorégraphiquement parlant. J’adore Stravinsky, et j’adore les Ballets russes ! – même si ce n’est pas une chose très populaire à dire en ce moment. Le Sacre du Printemps n’a jamais été un ballet comme les autres. Dès sa création, il touchait à des choses qui ne relèvent pas de la danse classique à proprement parler : autour de la pantomime, donc, mais aussi de l’en-dedans. Ce sont des images qui me sont restées. Le Sacre de Nikinsky, mais aussi celui de Pina Bausch, ont beaucoup compté pour moi. J’ai voulu travailler sur le récit présent dans l’œuvre : je voulais moi aussi trouver un twist pour contourner le livret original. Car nous faisons déjà face, à mon sens, au sacrifice d’une génération. J’ai voulu aborder ce Sacre comme le rituel chorégraphique d’une génération déjà sacrifiée par les printemps. L’idée étant de soit faire revenir ces printemps perdus, soit de les vivre ensemble jusqu’à ce que tout brûle ! Et je me suis rendu compte, parfois trois, quatre semaines après les répétitions, que j’avais fait des citations. On ne peut pas faire autrement que d’être imprégné par ce ballet et son histoire… Mais il fallait également le tordre un peu. Notamment musicalement : il fallait trafiquer un peu la musique – ce que Benoît Martin a fait très bien. Et aussi compter sur mes collaborateurs et collaboratrices : sur mon assistant Alexandre Da Silva, avec qui j’ai mené le projet du début à la fin. Je ne sais pas travailler autrement qu’en équipe, dans la discussion. C’est tout de même bien plus agréable !

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA

Un sacre, des printemps
13 et 14 avril 
Pavillon Noir, Aix-en-Provence
cie-f.com
preljocaj.org

Decazeville et la Vésuve aveyronnaise  

0
DCZ © ninagazaniolvérité

L’image, qui caracole ces dernières semaines sur les murs du centre-ville, a de quoi attirer l’oeil : un enfant s’y fait tatouer « Decazeville » en lettrage gothique sur le torse. Le visuel fait s’entrechoquer avec panache et tendresse les époques et usages, appelant les revendications des temps qui s’annoncent tout en consignant les stigmates d’une ère révolue. Et c’est bien pour évoquer l’histoire de l’ancien bassin minier de Decazeville, à proximité duquel elle a passé sa jeunesse aveyronnaise, que Nina Gazaniol Vérité a conçu son installation vidéo, telle une mise en abyme. Le spectateur y est invité à déambuler au sein d’un espace symbolisant la montagne locale – aussi appelée Vésuve aveyronnaise ou « lou puech que ard », la « montagne qui brûle » – pour y découvrir des séquences visuelles mêlant réel et fiction. On nous y promet roller hockey, danses folkloriques, twirling bâton, coquilles d’huîtres vides et discussions sur l’Apocalypse. En filigrane, une manière incandescente de questionner les ravages du système néo libéral à l’oeuvre, dont les régions industrielles qui se désertifient sont le témoignage agonisant. La performance salue aussi le retour de l’artiste dans les locaux de la Cité des arts de la rue, où elle a suivi la Formation avancée itinérante des arts de la rue il y a une dizaine d’années. Elle entérine aussi l’arrivée d’Alexis Nys, à la tête du Centre national de création Lieux Publics depuis février dernier. 

JULIE BORDENAVE

Decazeville, la montagne qui brûle
20 au 23 avril
Cité des Arts de la rue, Marseille
lieuxpublics.com

La jeunesse danse le monde

0
Demain c'est loin © Leo Ballani

L’infatigable arpenteuse des chemins de la danse, Josette Baïz, sait s’emparer des chorégraphies les plus contemporaines pour les partager avec les jeunes danseurs de son ensemble Grenade. « Il n’y a pas de carcan contemporain grâce à l’ouverture du corps et du mental, car le mental aussi doit accepter les gestes que le corps porte. Si quelqu’un est fermé sur une seule technique, il n’a pas sa place à Grenade », expliquait à Zébuline la chorégraphe. En effet, ses danseurs, venus d’horizons très différents, hip-hop, classique contemporain, traditionnel, ont la capacité d’intégrer avec la fougue de leur enthousiasme les formes qui ne leur étaient pas familières, découvrent et apprennent de nouvelles techniques, se glissent avec une visible délectation dans les univers les plus différents et inspirent les artistes d’aujourd’hui qui, parfois, leur taillent sur mesure de nouvelles créations. 

Interrogations de notre temps

L’époque est difficile, on en conviendra, les inquiétudes se multiplient, et la question des lendemains pour la jeunesse ne cesse de se complexifier. Ce n’est pas une raison pour s’enfermer dans de stériles lamentations, le spectacle Demain, c’est loin ! offre en trois pièces un aperçu du talent des danseurs de Grenade. La chorégraphe australienne Lucy Guerin a composé pour les trente ans de la troupe, sur une musique d’Alisdair Macindoe, How can we live together ? (un travail qui suit une géométrie rigoureuse et s’interroge sur la possible reconstruction de la vie sur notre planète), servant une thématique que l’on retrouve dans les extraits du spectacle de (La) Horde, Room with a view : dans un monde en proie à la destruction, comment rebâtir les êtres, les relations, imaginer l’élaboration de modes sensibles qui donneraient un sens au futur. 

La puissante énergie des danseurs trouve ici des voies nouvelles et passionnées où les corps exultent dans un dépassement perpétuel d’eux-mêmes. En incise, l’œuvre de Josette Baïz, 25e Parallèle, avec laquelle elle a remporté le fameux concours de Bagnolet en 1982, sert de jonction poétique où le jour et la nuit se conjuguent en une élégance mutine qui nourrit l’onirisme du propos. Les jeunes gens passent par tous les registres mus par une exigence qui les implique tout entiers, et c’est très beau et bouleversant. L’avenir se réfléchit et se modèle grâce à la danse qui apporte son regard sur les êtres et le monde, véritable caisse de résonance des remuements de nos sociétés. Les enfants irradient sur scène et s’approprient avec une justesse qui se retrouve autant dans leur technique souvent impressionnante que dans leur capacité à rendre les intentions des chorégraphes. Leur spontanéité et leur fraîcheur apportent au propos une réalité prenante qui subjugue les publics les plus exigeants. 

MARYVONNE COLOMBANI

Demain, c’est loin ! 
14 et 15 avril
Les Salins, scène nationale de Martigues
04 42 49 02 00
les-salins.net

Le théâtre amateur fait son festival

0
© X-DR

Exit les grands noms, place aux amateurs. Jusqu’au 10 juin, le Festival national de théâtre amateur se déplace dans quelques unes des plus belles scènes de la région : La Criée, Les Salins, Théâtre des Bernardines… Une initiative née il y a 24 ans et portée par la Fédération nationale des compagnies de théâtre amateur – et de son combatif président Alain Sisco – qui revendique pas moins de 1700 compagnies et 20 000 licenciés. Cette année, parmi les 72 candidatures recueillies, quatorze compagnies venues de toute la France s’y produisent. Au programme des pièces, des lectures, rencontres et autres répétitions publiques ; pour un événement qui se veut convivial et ouvert à tous les genres.  

Matei Visniec en ouverture

C’est le 1er avril au Théâtre Joliette (Marseille) que le festival s’est ouvert. Pour l’occasion, était jouée une pièce de l’auteur franco-roumain Matei Visniec. Poète en son pays, auteur de pièces de théâtre interdites sous le régime de Ceausescu, il s’est exilé en 1987 en France, deux ans avant la chute du dictateur. Depuis il ne cesse d’écrire, est joué de partout – et surtout en Roumanie. La Cie Théâtrale IL de La Garde (Var) a présenté avec brio Richard III n’aura pas lieu. Cette pièce met en scène le grand metteur en scène russe Meyerhold qui a obtenu l’autorisation de monter la pièce de Shakespeare. Meyerhold veut y dénoncer le régime totalitaire de son pays de façon détournée, mais le régime communiste est à l’affût et au fur et à mesure que se déroulent les répétitions le pouvoir exerce sa censure idéologique. Meyerhold est arrêté. Puis sauvagement exécuté. Cette histoire douloureuse est interprété par dix comédiennes et comédiens qui se partagent le plateau avec talent et énergie. Des trouvailles de mise en scène permettent une certaine légèreté du propos, laissant souvent place à l’humour et même parfois au comique, malgré le côté glaçant de l’anecdote qui n’est pas sans évoquer les tragédies contemporaines qui se déroulent encore de nos jours. Une équipe engagée dans un travail d’amateur dans le sens noble du terme.

Le festival se poursuit ce week-end au théâtre de La Criée. D’abord avec Que la noce commence, de Didier Bezace, par Le Théâtre des 400 coups (Rhône). Une pièce dont l’action se situe également en Roumanie, et dans laquelle une équipe de tournage débarque sur une zone où des phénomènes paranormaux auraient été vus… Le même théâtre accueille le lendemain Edmond – l’immense succès d’Alexis Michalik. Un hommage à l’une des pièces les plus connues au monde, jouée cette fois par la compagnie La Trappe, originaire d’Orsay dans l’Essone. Il faut jeter un œil aussi au Repas des Fauves le 29 avril au Centre culturel Busserine (compagnie Le Théâtre Russa Lux), à la Cendrillon de Joël Pommerat reprise par la compagnie Deux Filles en aiguilles, ou encore au Ce n’est pas parce qu’on est mort qu’on a rien à dire de Patrick Kermann par Le Théâtre de la Spirale. Une belle vitrine pour toutes ces compagnies, maillage essentiel de l’art théâtral en France. 

CHRIS BOURGUE AVEC NICOLAS SANTUCCI 

Festival national de théâtre amateur
Jusqu’au 10 juin
Divers lieux, Marseille
fncta.fr