lundi 14 juillet 2025
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La lutte et sa mémoire

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Christian de Leusse dans les années 80 © X-DR

Difficile, pour Christian de Leusse, de se souvenir de quand et pourquoi il a décidé de conserver tant d’archives. « J’ai toujours accumulé, emmagasiné. Cela remonte peut-être à ma formation à Sciences Po, et à cette habitude à laquelle nous incitaient tous nos professeurs : acheter Le Monde tous les jours. Mais, dès mon entrée dans la vie homosexuelle, j’ai ressenti le besoin, la manie de conserver des documents. J’ai vécu seul durant l’écrasante majorité de ma vie, et j’ai heureusement bénéficié d’un espace suffisamment grand pour stocker ces ressources qui s’accumulaient. Mais mes invités me demandaient souvent d’où me venait cette manie. » Aujourd’hui, les quelques quarante années conservées rue d’Aix semblent malgré tout à l’étroit : ils seront bientôt transférés au 94 boulevard de la Libération. L’association fondée par ses soins, Mémoire des sexualités, et dont il est aujourd’hui le co-secrétaire, entend dédier ce lieu à la conservation et à la consultation « raisonnée »de ces archives, qui « doivent être partagées mais aussi protégées, coûte que coûte ». Le projet, qui ambitionne également de faire de ce lieu un espace de vie et d’accueil, fait actuellement l’objet d’une campagne d’appel aux dons sur HelloAsso.

Une série d’avancées

C’est en 1979 que le militant rejoint le Groupe de Libération Homosexuelle avec grand fracas – il sera outé, cette année-là, par un reportage peu scrupuleux de Paris Match. Il constate très vite l’absence criante d’une documentation dédiée à la question. « L’association conserve à l’époque une petite année d’archives. Je l’enrichis durant les années suivantes de tous les documents que je trouve. »La tâche est alors, de son propre aveu, plutôt aisée, puisque les publications dédiées à l’homosexualité sont réduites à « portion congrue. Il y avait Gai Pied, Homophonie, Le Journal Lesbien… et c’est à peu près tout. Aujourd’hui, on recense près de 77 marches des fiertés. 77 ! Marseille avait emboîté le pas à Paris en 1994 – et j’y étais, bien entendu ! On est passés, en trente ans, de deux villes à 77 ! »Le militant de la cause homosexuelle, mais pas que, aujourd’hui âgé de 77 ans, a vu avec bonheur « les nouvelles initiales se greffer au L et au B, et les publications dédiées se diversifier, à l’infini ! ». Il y a environ cinq ans, de « jeunes militants formidables »le convainquent de céder ces archives, précieuses avant tout pour la perspective, vertigineuse, qu’elles offrent sur l’Histoire des luttes et des « nombreuses victoires et séries d’avancées »des LGBTQIA+. « On ne peut comprendre les luttes passées, comme celles d’aujourd’hui d’ailleurs, qu’en arborescence. »Le site Mémoire des sexualités, qu’il alimente abondamment, établit une chronologie documentée et problématisée de ces luttes. Il rit sous cape à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il mentionne son dernier dossier, Gaudin et les pédés, qu’il se réjouit avec une joie enfantine de voir répertorié en ces termes sur Google.

À le voir s’y plonger, commenter, se reprendre, on conçoit l’étendue de cette connaissance dédiée aux personnalités marquantes, politiquement comme culturellement. Le souvenir de l’un convoque celui de l’autre, et la conversation rebondit très vite, sur tel fondateur de tel mouvement associatif, tel créateur d’un prix littéraire gay – dont il documente scrupuleusement les palmarès successifs. La joie demeure le maître mot de ces digressions et retours en arrière, que ne viennent jamais assombrir les pourtant tout aussi fréquentes tragédies. Les violences à l’égard des personnes LGBT n’ont « hélas, toujours pas disparu. », déplore-t-il en évoquant l’agression récente d’un couple de proches. On devine également que la question des déportations homosexuelles demeure un des combats les plus délicats de cet homme ayant imposé le dépôt d’une gerbe dédiée à la mémoire des homosexuels déportés le 30 avril : « Encore aujourd’hui, je suis confronté à ces gens me disant que “très peu” de personnes homosexuelles ont été déportées en France. Voire même pas du tout, à en croire certains se réfugiant derrière l’opacité de la bureaucratie française de l’époque en la matière. » Il évoque le cas de Pierre Seel avec émotion : la documentation dédiée à la déportation compte parmi les plus importantes et les plus répertoriées de son site d’archives.

Tout aussi intéressant demeure le souvenir éclairé qu’il a des coulisses, scissionnistes et autres fausses pistes. Ces « stigmatisations isolées qui parfois bloquent une série d’avancées : la réticence de certaines féministes radicales à une prise en charge de la prostitution, ou à la reconnaissance de la transidentité en font partie, à mon sens. Mais toutes les luttes n’ont pas toujours concordé, loin de là ! »

Tabous et blocages

Ces « blocages »qui, « généralement, précèdent une avancée vers la tolérance »n’ont rien d’exceptionnel. En témoigne la bienveillance sans faille des jeunes militants et militantes de la cause, lui qui a connu « une séparation plus nette entre gays et lesbiennes, parfois mâtinée de mépris, de méfiance. »Lui-même admet « nourrir aujourd’hui une empathie et une gentillesse plus grandes à l’égard des personnes queer et trans. Moulé que j’étais dans ma propre culture, j’ai eu besoin d’évoluer, de me renseigner, de comprendre. »Les similitudes entre la transphobie d’aujourd’hui et l’homophobie d’hier lui apparaissent aujourd’hui nombreuses : « Une fois encore, la France gagnerait à moins se braquer sur une hostilité de principe et à jeter un œil là où les avancées ont lieu. Souvent, c’est en Espagne que ça se passe. La prise en compte de l’autorité parentale, et la possibilité de changer de genre dès 16 ans… Le voilà, l’avenir. En France, ce sont aujourd’hui les parents, et d’ailleurs souvent les mères, qui se débrouillent avec la transidentité de leur enfant, sans aide, sans soutien. Mais cela changera très vite, j’en suis sûr. » 

SUZANNE CANESSA

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

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Georges Brassens, né à Sète comme Jean Vilar, savait que l’identité provençale ou occitane a peu de sens et que le midi est relatif. Qu’un territoire aussi maritime, aussi frontalier, aussi sublime, se construit dans la richesse de ses métissages, de ses traversées et la multiplicité de ses histoires.  

Le petit fils de Pagnol revendique la propriété d’un château que son grand-père a acquis tardivement et revendu à des promoteurs, et qui doit sa légende au fait que l’écrivain, enfant, le traversait en clandestin, la peur au ventre. Sauvé des promoteurs, il est aujourd’hui un bien public, et si le petit-fils bénéficie encore des droits intellectuels d’œuvres qui ne sont pas tombées dans le domaine public, le Château « de » sa bisaïeule ne lui appartient pas plus qu’à elle.

À qui appartient la mémoire d’un  lieu, d’un territoire, d’une nation, la question se pose au Rocher Mistral, qui distord l’histoire, la transforme en show et détruit le terrain même qu’il prétend glorifier. L’identité provençale, revendiquée comme authentique et certifiée par les Félibriges, y fleure bon l’apologie des châteaux et des cathédrales, privilégiant une identité aristocratique et catholique chère à Vianney d’Alençon. Comment s’étonner alors si des imbéciles même pas heureux estiment qu’être né « ici » est un privilège qui vaut supériorité ? « Qu’ils retournent en Afrique » écrivent quelques crétins nuisibles pendant un concert de SOS Méditerranée à Marseille. « Retourne en Afrique », lance un policier à une femme indignée par l’assassinat de Nahel, exécuté pour un refus d’obtempérer sans mise en danger de la vie d’autrui, comme quinze autres personnes en un an. La cagnotte lancée au profit de la famille du policier assassin ne cesse de grossir, alimentée par des dizaines de milliers de donateurs. Des dizaines de milliers de personnes qui pensent qu’un enfant de 17 ans, qui ne menace personne, mérite la mort. 

Nahel est né ici, tout autant qu’eux. Il ne peut retourner nulle part. Quelle solution pour tous ces enfants français relégués dans des banlieues de plus en plus délaissées, en butte aux discriminations dans les magasins, dans les rues, lorsqu’ils cherchent un appartement, un travail, un stage ? 

Les nazis avant d’exterminer les juifs et les tziganes, les ont déclaré apatrides. Nés nulle part, comme Nahel. La première marche avant le génocide.

AGNÈS FRESCHEL

FESTIVAL D’AVIGNON : Envoûtantes Inventions

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INVENTIONS Mise en scene Maria Munoz, Pep Ramis, Textes John Berger, Nick Cave,
Erri de Luca © Christophe Raynaud de Lage

C’est une parenthèse douce, une heure lente qui s’ouvre dans la cour du lycée Saint-Joseph. Un quatuor à cordes s’accorde avec quatre chanteurs baroques, et huit danseurs exécutent leur partition captivante, entre les arches de la Cour Saint Joseph. Ainsi Pep Ramis et Maria Munoz poursuivent leur « Projet Bach », avec ce troisième volet consacré aux Inventions à trois voix, accompagnées d’improvisations, et de textes d’Erri de Luca, Nick Cave et John Berger. 

Car les interprètes parlent aussi, déclament des textes, comme plongés dans une perpétuelle recherche. Celui d’un endroit pour s’installer ? Ou sur la trace de mystérieux chevaux de lumière ? Peut-être simplement à la recherche de la valeur retrouvée des choses ? La narration est abstraite, faite d’éléments contraires et de tableaux qui se succèdent, mais le public se laisse porter…

Traversée céleste

Les pureté des voix lyriques se fond avec les envolées des cordes frottées et la chorégraphie. Musique et danse s’imbriquent et offrent comme une traversée céleste, où la danse contemporaine se serait débarrassée des carcans physiques du classique, retrouvant le naturel baroque, les techniques contemporaines libérées, un rapport égalitaire entre les corps d’hommes et de femmes. 

Les solos de danse légers, naturels, et laissent place à des duos nettement plus physiques et rythmés, comme si la rencontre des corps les sortait de leur état paisible. Les moments d’emballement collectif succèdent à des séquences de marche. Tantôt délicats, tantôt brutaux, les corps se cherchent. 

Les danseurs et les musiciens vêtus de noir, et d’un peu de couleur bois, contrastent avec le décor blanc épuré mais se répondent, comme la musique baroque et la danse contemporaine, comme les moments d’apaisement, de tranquillité qui ne durent qu’un temps, et sont suivis de montées en tension. Jusqu’à l’explosion finale, sonore et chorégraphique, où les notes filent sur les cordes dans un mouvement perpétuel, en rythme avec la danse.

RAFAEL BENABDELMOUMENE

Inventions était à voir jusqu’au 25 juillet dans la cour du lycée Saint-Joseph

JARDIN SONORE : Le baroud d’honneur du singe

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Sam, leadeuse militaire de la contestation © Mathieu Freche

La scène est impressionnante. Alors que moins d’une heure avant elle était montée pour le rappeur Zola, la grande scène du parc de Fontblanche montre à présent un décor totalement différent. Des hautes piles de livres et un décor de salon rococo donnent une ambiance particulière, et l’on sait que du très gros son va arriver. La tension monte alors que les techniciens sortent,  laissant le public à son impatience grandissante. Enfin les lumières s’éteignent, enfin résonnent les premières notes. 

C’est par I’m Picky que le show commence, l’un des gros hits des débuts du groupe. Le nom de Shaka Ponk a d’ailleurs longtemps été associé à l’un de leur plus gros succès commercial : le pop et reggae My Name Is Stain, issu du même album. Mais les albums plus récents du groupe français sont bien plus teintés de hard rock et de métal, et offrent un son plus propice à l’engagement politique et la critique sociale. 

Dansez sans moi

Un vaste écran entre les deux groupes de choristes projette des images du public et de Goz, la mascotte singe du groupe. Sam et Frah, les leaders de Shaka Ponk illustrent aussi leur interprétation de Tout le monde danse. Sam est assise au bord de la scène, habillée en treillis et chantant calmement le début de la chanson. Le reste du groupe libère ensuite un riff des plus lourds alors que sur l’écran s’affichent des images de confinement, de guerre, d’usines. 

Cette chanson conteste l’état de la France et du monde depuis la fin de la crise du Covid-19. Elle condense les protestations les plus récurrentes et apporte la réponse du groupe, qui « ne danse pas » pour ce qui est imposé au peuple : « Tout le monde danse quand ces gens-là claquent des doigts. Mais moi je danse pas. ». L’écran affiche des images du personnel politique français et du président Macron. Réaction immédiate du public. La chanson gagne en puissance jusqu’au clou du spectacle : tous les musiciens sur scène balancent le plus gros son qu’ils ont alors que s’affiche une animation d’un Emmanuel Macron marionnettiste menant des individus à leur chute. Explicite. 

Le reste du concert est un show digne de la renommée du groupe : une énergie captivante et contagieuse pour le public, amassé devant la scène, et une vraie cohésion des artistes avec ses fans pour l’une des dernières apparitions du groupe. On aimerait en demander encore. 

MATHIEU FRECHE

Shaka Ponk s’est produit au festival Jardin Sonore au domaine de Fontblanche à Vitrolles le 21 juillet

La vie d’Adela

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Au centre de la scène du Conservatoire Darius Milhaud, Adela Liculescu et son piano ©DR

Le festival des Nuits Pianistiques demeure, depuis plus de trente ans, un rendez-vous précieux pour les Aixois. Il leur permet de retrouver des pianistes rares, menant souvent des carrières de soliste et de pédagogue hors des sentiers battus, mais également de suivre le parcours de leurs recrues. C’est notamment le cas de Jacques Rouvier, présent sur le concert de clôture du 4 août, et dont Adela Liculescufut l’élève lors de l’Académie d’été de 2010. Désormais trentenaire, l’artiste roumaine s’est adonnée ce 27 juillet à un concert particulièrement ambitieux, sur le plan de l’exécution comme sur celui de l’interprétation. 

Pistes noires

C’est en effet dans le foisonnement stylistique et l’aboutissement d’un langage hors normes que le Carnaval de Schumann se distingue des œuvres pour piano d’alors. Les vingt-deux morceaux se succèdent comme autant d’esquisse : Pierrot, Arlequin, Pantalon et Colombine se déclinent les uns les autres ; Chiarina, lyriquissime, incarne le piano tempétueux de Clara ; Paganini et Chopin convoquent le spectre de ces compositeurs admirés. L’enchaînement est tout trouvé pour la Ballade n°1 qu’Adela Liculescu exécute sans filet : du désespoir quasi muet, comme pris à la gorge, au déchaînement empressé sur les successions chromatiques d’octaves sans fin, l’enchaînement se fait dans une même impulsion, sans laisser à l’auditeur et surtout à l’interprète le temps de reprendre son souffle. 

Il y a encore du Schumann dans ce Chopin-là. L’amitié entre compositeurs, leur capacité à célébrer le langage de l’un et à faire muter le style de l’autre constitue le fil rouge de ce récital ambitieux. Les Liebesleid et Liebesfreud composés pour piano et violon par Kreisler prennent ainsi, sous la plume de Rachmaninov, des airs de pistes noires aussi fournies que de très inspirées pages de Liszt. Liszt dont la transcription de la Valse de Faust de Gounod demeure également longtemps en tête : pour le maître hongrois, comme pour ses camarades, l’art de la transcription demeurait un exercice de style réjouissant destiné, comme le rappelle Michel Bourdoncle en ouverture du concert, à mettre en lumière des artistes injustement méconnus.

Suzanne Canessa

Les Nuits Pianistiques se sont tenues jusqu’au 4 août

AVIGNON : Envoûtantes Inventions

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Inventions, Mal Pelo, 2023 © Christophe Raynaud de Lage

C’est une parenthèse douce, une heure lente qui s’ouvre dans la cour du lycée Saint-Joseph. Un quatuor à cordes s’accorde avec quatre chanteurs baroques, et huit danseurs exécutent leur partition captivante, entre les arches de la Cour Saint Joseph. Ainsi Pep Ramis et Maria Munoz poursuivent leur « Projet Bach », avec ce troisième volet consacré aux Inventions à trois voix, accompagnées d’improvisations, et de textes d’Erri de Luca, Nick Cave et John Berger. 

Car les interprètes parlent aussi, déclament des textes, comme plongés dans une perpétuelle recherche. Celui d’un endroit pour s’installer ? Ou sur la trace de mystérieux chevaux de lumière ? Peut-être simplement à la recherche de la valeur retrouvée des choses ? La narration est abstraite, faite d’éléments contraires et de tableaux qui se succèdent, mais le public se laisse porter…

Traversée céleste

Les pureté des voix lyriques se fond avec les envolées des cordes frottées et la chorégraphie. Musique et danse s’imbriquent et offrent comme une traversée céleste, où la danse contemporaine se serait débarrassée des carcans physiques du classique, retrouvant le naturel baroque, les techniques contemporaines libérées, un rapport égalitaire entre les corps d’hommes et de femmes. 

Les solos de danse légers, naturels, et laissent place à des duos nettement plus physiques et rythmés, comme si la rencontre des corps les sortait de leur état paisible. Les moments d’emballement collectif succèdent à des séquences de marche. Tantôt délicats, tantôt brutaux, les corps se cherchent. 

Les danseurs et les musiciens vêtus de noir, et d’un peu de couleur bois, contrastent avec le décor blanc épuré mais se répondent, comme la musique baroque et la danse contemporaine, comme les moments d’apaisement, de tranquillité qui ne durent qu’un temps, et sont suivis de montées en tension. Jusqu’à l’explosion finale, sonore et chorégraphique, où les notes filent sur les cordes dans un mouvement perpétuel, en rythme avec la danse.

RAFAEL BENABDELMOUMENE

Inventions s'est joué jusqu’au 25 juillet dans la cour du lycée Saint-Joseph

ETE MARSEILLAIS : Du Square vers l’Océan Indien

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Sarah Champion Schreiber et Marien Guillé ouvrent une ombrelle balinaise © Baptiste Ledon

Avant le Soir, festival gratuit produit par la Mairie du 1/7 et programmé par la compagnie Didascalies & co, s’est poursuivi vendredi 21 juillet au pied de l’abbaye Saint-Victor, à l’ombre d’un platane, dans une canicule  un peu tempérée par une petite brise venue de la mer. Le collectif marseillais Transbordeur invitait à un voyage, en musique et en contes, vers l’océan indien et la caraïbe, intitulé sobrement Archipels, mais en référence discrète aux théories d’Edouard Glissant.

Dès l’introduction la chanteuse Nanou Payet, accompagnée de sa guitare, emmène les spectateurs d’une musique à l’autre, de l’Ile Maurice à la Jamaïque, du Sega au Reggae. Puis les comédiens Sarah Champion-Schreiber et Marien Guillé entrent en scène, et en contes. Rapportant simplement diverses légendes, des mythes fondateurs qui expliquent comment  le soleil et la lune ont mis en place le jour et la nuit… 

Harmonie des arts, harmonie des âmes

Les douces mélodies de la guitariste, le murmure des phrases, parfois en créole, la complicité des deux comédiens, s’entremêlent, créant une atmosphère très apaisée de partage. Les entractes permettent la distribution au public d’une boisson sucrée, les spectateurs participant à un jeu de questions réponses en attendant la suite… 

Heureuse coïncidence ? Au moment où les acteurs font mention d’un « dieu », les cloches de l’Abbaye sonnaient, déclenchant les sourires. Des moments drôles alternent avec des instants plus calmes, presque suspendus, où la comédienne décrit avec minutie la mer, accompagnée par une mélodie mélancolique de la guitariste.

Le spectacle se conclut avec la participation du public, transformé à son tour en îles d’un archipel, formant une ronde d’individus reliés autour des  trois artistes, tandis que la guitariste entamait  les premiers accords de « Redemption Song » de Bob Marley. Chanson reprise en chœur par tout le public, tandis que le spectacle se concluait par l’ouverture d’une ombrelle balinaise rouge, au milieu de la place et du cercle. 

BAPTISTE LEDON

Archipels sera repris le 23 août au Square Labadié et le 30 août au Jardin Benedetti, dans le cadre de Avant le Soir, programmation gratuite de la Mairie du 1/7 de Marseille

AVIGNON OFF : Telle quelle

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Jean-Pierre est devenue Marie-Pierre avec le désaccord total de son père © MARINE CESSAT-BEGLER

En 2009, Emmanuel Darley écrit un brûlot, un monologue qui met en scène celle qui s’appelle désormais Marie-Pierre et que son père feint toujours d’ignorer dans un silence hostile. Pour lui Jean-Pierre ne peut pas disparaître. Pourtant, tous les mardis elle lui rend visite pour nettoyer son appartement, laver et repasser son linge et l’accompagner faire des courses au Monoprix, situé au bout de la rue droite. Dans le supermarché les gens dévisage Marie-Pierre, dans la rue les voisins qui ont connu Jean-Pierre s’interrogent ou détournent le regard. 

Sans caricature

Dans le rôle délicat de Marie-Pierre, Thierry de Pina déploie un capital sympathie qui permet d’adhérer immédiatement à un personnage pétri de douleur face à la rigidité du comportement paternel. Comme nous, Marie-Pierre veut exister « telle quelle » mais dès que les autres décèlent la moindre différence, les langues s’enveniment, les regards s’aiguisent. Le comédien dit simplement un texte écrit au cordeau dans une apparente banalité et ne cède jamais aux pièges de la caricature. Les mots saignent à travers les phrases, Marie-Pierre panse ses plaies dans des sourires tristes, presque désabusés. À la sortie du théâtre des larmes ont mouillé pas mal de cils. Le dénouement tombe comme la lame d’une guillotine, sans crier gare. Sans aucune note mélodramatique, ce qui renforce un propos que chacun méditera à sa guise.

Jean-Louis Châles

Le Mardi à Monoprix  a été donné le samedi 29 juillet au B.A.Théâtre

Interpréter Chopin 

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Bruce Liu à La Roque d'Anthéron

Les gradins du parc de Florans étaient combles pour assister au retour de Bruce Liu qui avait conquis La Roque d’Anthéron le 25 juillet 2022 (journalzebuline.fr/bruce-liu-une-revelation-a-la-roque/) avec le même piano, un Fazioli de concert, sur lequel il avait remporté le 18ème concours international Frédéric Chopin de Varsovie en 2021. 

L’Orchestre Philharmonique de Marseille, créé en 1981 par Janos Furst, offrait avec ses quatre-vingt-huit musiciens un écrin particulièrement heureux aux traits pianistiques du jeune artiste. Sous la houlette de Lawrence Foster qui a propulsé cette belle formation à un niveau international, l’orchestre s’attachait d’abord à l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, démonstration de l’étendue de sa palette au fil des quatre parties de la célèbre partition : incipit par les premières notes veloutées du violoncelle solo, calme alpin des montagnes suisses en un quintette arpégé empli de lyrisme, tempête orageuse peinte par les trémolos des violons, le crescendo de l’orchestre, le déchaînement des cuivres, le retour à un paisible tableau pastoral où le cor anglais réitère un « ranz des vaches » que la flûte vient bercer avant le brillant et brusque fortissimo d’une cavalerie (sans doute le passage le plus connu !), les galops s’éloignent puis éclatent en une étourdissante coda avant l’exultation finale et victorieuse.  

Double défi 

À la demande du directeur artistique du festival, René Martin, Bruce Liu avait accepté le pari impossible d’enchaîner les Concertos n° 1 et n° 2 de Chopin, une véritable prouesse physique (un marathon musical aux infinies exigences !).  Le pianiste retrouvait un Fazioli pour l’occasion (pas « le » Fazioli du concours cependant) dont les sonorités moelleuses se marièrent à la finesse du jeu tout à la fois, élégant, virtuose, dépouillé, de l’interprète qui, s’il prit quelques libertés avec le texte, rendit avec justesse l’esprit du compositeur, tel que la légende nous l’a transmis. Après une introduction orchestrale de quelques trois minutes, le piano entre en scène sur le Maestoso du Concerto n° 2 en fa mineur opus 21 (oui, foin des élucubrations mathématiques, le deux a été chronologiquement composé avant le un, et la soirée redonnait sa place temporelle aux deux œuvres !).  La solennité du début cède vite le pas à un chant intime. « Il faut chanter avec les doigts » disait le maître polonais à ses élèves. Bruce Liu en apporte l’éblouissante démonstration : pas de recherche de virtuosité tonitruante, le jeu est tout de simplicité, d’évidence. Le chant du piano a le ton d’une conversation semée d’orages passionnés… la légende veut qu’à l’époque de la composition de ce concerto, Frédéric Chopin était amoureux de Constance Gladkowska, chanteuse rencontrée au Conservatoire de Varsovie (même si la dédicace est au nom de la comtesse Delphine Potocka). Peu importent les potins ! Le deuxième mouvement, Larghetto, a les couleurs d’un nocturne aux variations lyriques dont les phrasés s’achèvent en murmures. Le piano chuchote, habité des frémissements mouvementés d’une âme, le fil musical tutoie l’infime et l’universel tout à la fois, se lie au chant des cigales. L’allegro vivace retrouve une respiration échevelée emportée par un rythme de mazurka dans le ruisseau fougueux des notes. 

Le deuxième Concerto, le n° 1 en mi mineur opus 11, plus ample que le précédent est teinté d’un climat pensif où le piano love ses modulations comme de délicates improvisations. Le cor occupe une place toute particulière sans doute pour sa sonorité pastorale qui renvoie au paradis perdu d’une utopie joyeuse de la campagne. La romance du deuxième mouvement prend des allures de rêverie onirique. Le jeune interprète apporte sa lecture fine à l’œuvre, inclut l’assistance dans sa rêverie, dans le filet arachnéen des inflexions de son jeu. La complicité entre l’artiste et le chef d’orchestre est sensible, l’un séduit par l’autre. Lawrence Foster au pas duquel le jeune homme adaptera le sien lors de leur départ, adressera un clin d’œil espiègle au pianiste lors d’un passage particulièrement réussi. La légèreté de cette musique s’accorde aux souffles du vent dans les grands arbres du parc, tout n’est plus que vibration, échos, ondes spirituelles où affleure parfois un discret amusement. En bis, avant de mimer son besoin de repos, Bruce Liu offrira le Prélude en si mineur BWV 855 de Bach et la Valse en ré bémol majeur (« valse minute ») de Chopin. Nuit enchantée ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 30 juillet au Parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron     

AVIGNON OFF  : Les monstres du consumérisme

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Face aux caddies Bérenger ne capitule pas © Luana Popa

Quels monstres menacent la société roumaine ? Alain Timar, qui avait déjà mis en scène un Rhinocéros coréen anti-capitaliste, n’y va pas par quatre chemins : ses rhinocéros, transformés en bibendums qui rappellent les bonhommes Michelin, poussent des caddies d’un air réjoui, et décervelé. Et la montée des totalitarismes dénoncés par le dramaturge franco-roumain -nazisme, stalinisme et fascismes en tous genres- apparaît comme transposable aux sociétés de consommation dans lesquelles le monde, dans sa globalité, est aujourd’hui plongé. 

Dans cette société roumaine contemporaine, marquée par l’histoire communiste, les individus séduits par cette nouvelle rhinocérite mettent en pièce leur héritage. Ionesco s’y connaissait en conversion totalitaire, lui qui fut élevé en partie en Roumanie par un père successivement carliste, fasciste puis stalinien, puis qui assista à l’arrivée des nazis en France, et à la conversion des Français au régime de Vichy. Mais il n’imaginait pas cette forme d’absolutisme. 

Pourtant la métamorphose des humains en bêtes y suit le même processus logique : il y a les enthousiastes qui suivent d’emblée, les incrédules qui cèdent par pragmatisme, les suiveurs, les idéalistes qui changent d’idéal, les syllogistes qui construisent des raisonnements pervers. Puis Daisy, qui ne se sent pas apte à sauver le monde. Bérenger, fêtard, paresseux, inadapté à la société, est finalement le seul qui résiste. 

La scénographie resserre l’espace autour de lui, envahi jusque dans son intimité. La langue roumaine, magnifique, sonne comme un chant latin pas tout à fait inconnu. Et si on regrette par moments un jeu burlesque appuyé, et des valses de caddies qui reviennent trop souvent, la transposition de la fable est efficace, et Răzvan Bănuț particulièrement convainquant en Bérenger nonchalant.

AGNES FRESCHEL

Rinocerii s'est joué au Théâtre des Halles, Avignon, jusqu’au 26 juillet