mardi 15 juillet 2025
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Des cœurs gros comme ça

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Cinq merveilleux acteurs caressent notre imaginaire avec « Amour ». PHOTO GUILLERMO CASAS

Deux petites filles habitent dans des maisons mitoyennes. Elles jouent, se disputent, se réconcilient aussi vite, et laissent courir leur imagination, entraînant avec elles celle des spectateurs. Ici tout est suggéré : quelques morceaux de craie dessinent des objets qui prennent vie : sonnette de porte, radio et même toilettes ! Masqués, les comédiens ne diront pas un mot ; seuls leurs corps bavardent, leurs attitudes trahissent leurs émotions et leurs pensées. Les acteurs, enfants turbulents, retrouvent les gestes enfantins, leur maladresse, leur spontanéité et leur désir d’imiter les adultes. Des querelles sans importance, des réconciliations attendrissantes succèdent aux éclairs de jalousie. Les petites amies jouent mais la venue d’un petit garçon suffit à les séparer avant de les réunir.

Pièce précieuse

Magie du théâtre, en un éclair, les années leur tombent dessus et les voici vieilles dames, toujours aussi querelleuses, toujours aussi complices. Les mouvements s’alourdissent, le cœur est toujours vaillant. Dans un décor mobile en structures métalliques et tiroirs secrets, très finement éclairé, la représentation décroche très vite un sourire sur les lèvres des spectateurs, de tous âges, ravis de se laisser embarquer dans cette histoire imagée, où l’esprit gambade, guidé par des souvenirs lointains ou par le temps présent : il suffit de prendre le temps d’observer les jeunes enfants ou les vieilles personnes que nous côtoyons. Une bande-son évocatrice soutient une mise en scène soignée sans être encombrante ni trop démonstrative assurée par Jokin Draji auteur du texte chorégraphié de Amour. Une pierre précieuse dotée d’un cœur gros comme ça, qui brille de sa plus belle eau dans un univers poétique sans jamais être mièvre.

Jean-Louis Châles

« Amour » est donné jusqu’au 29 juillet au Théâtre de l’Oulle (Avignon).

Quand Solaar groove

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Sur la scène de l’amphithéâtre du Domaine d’O à Montpellier, MC Solaar était accompagné de trente musiciens. PHOTO MARC GINOT

À peine est-il monté sur la scène de l’amphithéâtre du domaine d’O, que le voilà généreusement ovationné. Malgré sa relative absence des projecteurs – seulement deux albums en seize ans – MC  Solaar n’a pas perdu son public, au contraire. La salle est comble, 1800 spectateurs de tous âges, avec ou sans cheveux blancs, quelques enfants. Il faut l’avouer, l’invitation était aussi attrayante qu’atypique : sur scène, il est accompagné d’un big band de trente musiciens. Soit une section cuivres, l’ensemble de cordes de l’Orchestre national de Montpellier, une poignée de choristes, deux guitaristes, un batteur. Au clavier, le directeur musical de ce New Big Band project : Issam Krimi, pianiste, compositeur et producteur, montpelliérain depuis plusieurs années, également connu pour avoir porté le projet Hip Hop symphonique avec l’orchestre philarmonique de Radio France.

Hasta la vista

Cette nouvelle orchestration des titres-phares d’un des plus grands poètes du rap français, portée par des musiciens qui ne cachent pas leur plaisir à accompagner sur scène un MC Solaar aussi rayonnant que modeste, met en lumière tout le génie d’un artiste qui a puisé dans la diversité du hip-hop, mais aussi la musique africaine et les classiques noirs américains. Quel bonheur de réécouter en live Prose Combat, Qui sème le vent récolte le tempo, Victime de la mode, Nouveau western ou encore Caroline. Solaar pleure sonne comme une apothéose, MC Solaar insuffle toute l’énergie dont il est porteur, son flow, longtemps timide malgré un timbre reconnaissable entre mille qui n’a pas pris une ride, retrouve enfin du pep’s. La foule danse. Sonotone clôt le bal, clin d’œil au temps qui passe autant qu’acte de résistance face à la morosité des râleurs ridés. Non, on ne baissera pas le son. Et on le montera d’un cran, les bras levés, perfusés à un rap qui n’a pas perdu son sens, tout en envoyant bouler les diktats de la société pour Hasta la Vista. Pas de doute, Solaar pleure, mais son groove demeure.

Alice Rolland

Concert donné le 23 juillet dans le cadre du Festival Radio France Occitanie.

Rocher Mistral : engatse à La Barben

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Vue aérienne du château de La Barben © Georges Somne - Creative commons

Quand on tape « Rocher Mistral » dans un moteur de recherche, il faut faire défiler quelques pages avant de passer les entrées commerciales et touristiques, pour trouver les points de vue plus critiques sur le « Puy du Fou provençal ». Les objections ne manquent pourtant pas au projet de parc de loisirs porté par un jeune entrepreneur, Vianney d’Alançon, sur la commune de La Barben (13), ou il a acquis un château pour y produire des spectacles. Xavier Daumalin est professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille ; riverain de la forteresse du XIe siècle, il a répondu à nos questions sur le contexte et les conséquences de cette entreprise.

Zébuline. En tant qu’historien, quel est votre regard sur la programmation du Rocher ?

Xavier Daumalin. C’est un parc qui a pour ambition de transmettre la culture provençale, à travers des spectacles dits historiques. Alors pourquoi pas ? Je n’ai rien contre ce genre de format. Le problème est qu’il n’y a aucun comité scientifique. C’est le porteur du projet actuel, Vianney d’Alançon, qui la plupart du temps écrit les spectacles, sans formation puisqu’il a arrêté ses études à l’âge de 17 ans. S’il reconnaissait qu’il est dans la fiction, comme le fait le Parc Astérix, ce serait différent. Mais à partir du moment où l’on aborde l’Histoire, notamment auprès du public scolaire, il faut être rigoureux. J’habite à 400 mètres, je vois les bus arriver, et cela me questionne.

« Derrière ce parc d’attraction il y a un projet politique »

De quoi ces spectacles traitent-ils ?

La noblesse apparaît toujours aventureuse, le clergé apporte l’éducation au peuple, présenté comme braillard… Il se réfère souvent au « Puy du Fou », tout en expliquant qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même chose. Mais ce n’est pas une bonne référence ! Du point de vue historique, Philippe de Villiers y a fait n’importe quoi. Ce qui me tracasse, c’est qu’il y a un enjeu de formation du citoyen, à la citoyenneté, à la démocratie, et c’est dangereux. Il est soutenu par des membres de la fachosphère. Derrière ce parc d’attraction il y a un projet politique, avec une volonté de délégitimer le savoir universitaire, au profit d’une Histoire qui serait plus sensible, plus proche du peuple… 

En tant qu’universitaire, on comprend que cela vous heurte.

Bien-sûr. Cela attaque une connaissance établie au terme d’un protocole rigoureux, de critique, de comparaison et de croisement des sources. Toutes nos sources sont vérifiables, nos notes de bas de pages servent à cela : quiconque veut aller vérifier le peut. Là, c’est quelqu’un qui fantasme l’Histoire, qui utilise ses propres conceptions et projette ce qu’il a envie de transmettre. Il a fait la même chose à Saint-Vidal, un village de Haute-Loire où il a racheté un château et essayé de promouvoir des spectacles dits historiques, avec l’appui de Laurent Wauquiez [président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, ndlr]. Jusqu’à ce que les riverains se plaignent des nuisances sonores, et que cela se transforme en une sorte d’hôtel de luxe.

À La Barben aussi, les riverains se mobilisent.

Il faut savoir que tous les spectacles organisés à l’extérieur du château, dans les jardins à la française ou le jardin potager, sont pratiqués avec des dispositifs scéniques illégaux, jamais validés par la Drac. Cela a fait l’objet de recours en justice. Ce sera jugé le 16 novembre. Un collectif de riverains s’est créé, pour dénoncer les spectacles à ciel ouvert, jusque tard dans la nuit. Deux familles de locataires ont déjà déménagé. Ceux qui sont propriétaires serrent les dents et luttent pour faire en sorte que cette société entre dans la légalité.

Le zoo de La Barben reçoit déjà 350 000 personnes par an. Vianney d’Alançon tablait sur 300 000 dans un premier temps, pour atteindre un million ensuite, en visant surtout une clientèle de touristes étrangers. C’est pour cela qu’il a besoin de grands parkings. On est dans du sur-tourisme, alors qu’ailleurs en Provence, dans les Calanques par exemple, on met en place des opérations de « dé-marketing » pour essayer de le limiter.

« Le projet est hors-la-loi, il pratique la stratégie du fait accompli, mais il a des appuis puissants »

La volonté des associations de protection de la nature est aussi de préserver la faune et la flore alentour ? 

Si la version maximale du permis était validée, cela entraînerait une artificialisation des terres très dommageable sur les berges de la Touloubre, renforçant les risques d’inondation. Concernant les risques d’incendie, nous sommes dans une zone classée en « aléa fort ». Faire venir tant de touristes, c’est aggraver ce risque ! Par ailleurs, il y a eu un rapport de la MRAe [Mission régionale d’autorité environnementale, ndlr] : depuis l’ouverture en juillet 2021, ont été constatées des dégradations sur la colonie de Murins [chauves-souris à oreilles échancrées nichant dans les souterrains du château, une espèce protégée]. L’aigle de Bonelli, rapace emblématique de la région, est également affecté par les pollutions lumineuses et sonores. La question de la biodiversité fait partie de ce qui sera jugé le 16 novembre.

Quelle est la position des pouvoirs publics, notamment les collectivités locales ?

Le maire a pris trois arrêtés de sursis à statuer contre le permis d’aménager. Il considère que c’est un trop gros projet, avec un impact lourd sur l’environnement, et voulait donner du temps à son évaluation. Le préfet a publié un recours contre ces sursis à statuer, et nous attendons incessamment le rendu du délibéré par le Tribunal Administratif. Renaud Muselier, président de la Région Paca, et Martine Vassal, à la tête du Département et de la Métropole, ont soutenu le projet en lui apportant plusieurs millions de subventions. Le député Manuel Bompard a posé une question au gouvernement sur la validité de ces subventions. Cela devient une question politique. 

Le projet est hors-la-loi, il pratique la stratégie du fait accompli, mais il a des appuis puissants, parmi ses actionnaires figure par exemple la famille Dassault.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR GAËLLE CLOAREC

Des poignards pour rire

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Comment décider ce qui est ou non essentiel pour l’humanité ? Pendant deux années, sous l’afflux de mensonges, de peurs distillées par certains médias, on a biaisé les réponses pour laisser « sur le côté de la route » toute l’activité culturelle. Même un acteur de cinéma fort connu a déclaré : « On peut bien vivre un an sans aller au cinéma ». No comment sur ceux qui aiment cracher dans leur potage rémunérateur. Alexis Chevalier, doté d’un optimisme à tout crin, fait confiance à l’imagination de l’acteur, à nos rêves les plus extravagants et interprète avec son co-auteur Grégoire Roqueplo, un duo presque circassien autour d’une affirmation déroutante : Ceci n’est pas une saucisse.

Malice et intelligence

Ils retrouvent l’immortelle complicité du clown blanc et de l’Auguste, attachés à déglinguer les rouages d’une société qui aimerait tant avoir la mainmise sur nos cerveaux. Thibault Truffert met en scène Guigue et Po (leurs noms de scène) avec une délirante habileté, règle au millimètre les gags, les saillies verbales qui font mouche au détour d’une réplique, d’un geste, d’une mimique. Comme chez Ionesco on se dit que tout cela est absurde mais tellement proche d’une actualité si anxiogène. L’air de rien, d’une chiquenaude aiguisée, ils frappent tous azimuts et déclenchent des fous-rires incontrôlables, de ces fous rires qui vous requinquent pour toute la journée, car on a ri de leur intelligence, de leur malice si peu conforme à la bien-pensance. Ébloui par leur talent protéiforme, leur générosité maligne, on se dit qu’avec des lascars de cette trempe, le monde pourrait mieux tourner. Il faut faire confiance aux rêves, surtout quand on démolit des théâtres pour en faire des parkings, des lieux de promenade, des supermarchés et pourquoi pas une chambre froide pour charcutiers vénaux. Si ce n’est pas une saucisse, ce n’est pas non plus une blague.

Jean-Louis Châles

« Ceci n’est pas une saucisse » est donné jusqu’au 29 juillet au Pixel Avignon.

Toucher la colonne invisible

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Baptiste Caillaur et Chloé Stefani encadrent l’armoire à poésie installée chez Véronique Boulanger. PHOTO XAVIER CANTAT L.

On s’attendait à une sorte de salon littéraire où l’on déclamerait une flopée de poésies peintes en bleu et rose, on assiste à une sorte de thriller où deux individus débarquent dans un appartement vide, hésitent à faire on ne sait quel sale coup, s’apprêtent à partir quand un bruit de serrure les stoppe net dans leur fuite. La lumière éclaire une dame chargée d’un cabas… elle sursaute en apercevant les deux suspects, s’inquiète, demande une explication. Jennifer et Lucas ont organisé un procès dont elle est la seule accusée. Anciens élèves de cette frêle professeure, ils ont assisté à ses ateliers de poésie qu’elle dispensait tous les jeudis soirs. Ils ne s’en sont pas remis.

Juges et accusée

Avec L’armoire à poésie, Jacques Forgeas transmet via Madame Armand, l’enseignante retraitée, son amour de la poésie qui permet à chaque individu de vivre un ailleurs, un à-côté, un virtuel aussi nécessaire que le pain et l’eau. Denis Malleval a organisé une mise en scène tout en chassés-croisés, où juges et accusée s’évitent avant de se rejoindre. Il ne pouvait trouver meilleure interprète pour Madame Armand que la gracile Véronique Boulanger. Diction inattendue, provocante sous un voile de douceur, sourires désabusés face à l’absurdité de la situation. Quand l’atmosphère se fait trop lourde, elle rafraîchit l’air d’une réplique pointue, d’une parenthèse électrique qui provoque de jolis rires dans le public. Baptiste Caillaud et Chloé Stefani sont de bien séduisants partenaires au jeu millefeuille qui cache quelque secret, quelque reconnaissance à tous ces poètes qui nous aident à mieux vivre parce que « d’autres mondes existent enroulés au nôtre. Qu’il faut les approcher et qu’ils ne répondent que si on leur parle. » Brillant procès qui nous fait accoster la colonne invisible, « celle du mystère et des rêves… et parfois de la passion » dans une scénographie inventive et réussie de Camille Dugas.

Jean-Louis Châles

« L’armoire à poésie » est donné jusqu’au 29 juillet à L’Oriflamme (Avignon).

Rêve sur une banquette

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Quoi de plus banal que la rencontre furtive entre un homme et une femme ! Mais si l’action se situe dans une salle isolée d’un aéroport où les protagonistes sont coincés faute de voir leur avion décoller sous une tempête de neige, la scène se corse. Un lieu insolite pour un tête-à-tête hérissé de craintes, de désirs, de curiosité où se glisse le plaisir de la conversation. Auteur contemporain, Philippe Beheydt déploie une fois de plus son talent de dramaturge et de scénariste. Dans cet Aéroport on sent que quelque chose de peu ordinaire va nous ébranler. Elle, silencieuse, volontiers désagréable, rejette toute tentation de « se faire de nouveaux amis ». Lui, un rien hâbleur, s’incruste, lui propose des jeux drolatiques, invite à révéler quel était le rêve de l’enfant qu’on a été. La belle se laisse prendre, ou feint de se laisser prendre…

Escale amoureuse

Avec un dialogue calibré qui entraîne les personnages dans des aveux, des lâcher-prises déconcertants, on éprouve très vite une tendresse pour ce couple éphémère. Philippe Beheydt instille des non-dits éloquents chez ces fracturés du bonheur, ou plutôt ces autistes du bonheur. Avec L’aéroport, la solitude, le mal effrayant de ce siècle, est brisée pour un court laps de temps, suspendu dans cette salle confortable (joli décor de Géraldine Mine) où braver un interdit (aimer dans un lieu singulier) donne un piquant supplémentaire à la rencontre. Laura Favier et Philippe Beheydt jouent avec les mots, avec les gestes, avec leurs regards qui, quoi qu’il arrive, finiront par se diluer dans le vide. Émotions à fleur de silence, sourires au détour d’une réplique facétieuse, cette comédie des cœurs brisés suscite une impalpable nostalgie : pourquoi n’avons-nous jamais vécu cette jolie histoire ? Ce rêve inassouvi qu’ont vécu une femme et un homme aux prénoms aveugles.

Jean-Louis Châles

« L’aéroport » est donné jusqu’au 29 juillet à Présence Pasteur.

Le souffle du jazz au Palais Longchamp

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Universelle, la musique de Gilberto Gil a résonné avec tout le public du Palais Longchamp. PHOTO M.F.

Le Marseille Jazz des Cinq Continents est enfin de retour au Palais Longchamp. Et quoi de mieux pour débuter l’escale dans ce lieu qu’un concert d’une étoile montante du jazz moderne. Déjà récompensée de deux Grammy Awards pour son deuxième album Linger Awhile, Samara Joy a proposé un concert dans la lignée des concerts de jazz attendus dans un festival international. Habillés formellement pour l’occasion, le groupe et la chanteuse montrent que leur jeune âge est loin de les empêcher de jouer dans la cour des grand·es, non pas qu’ils aient eu besoin de le prouver. On reconnaît certaines influences de la new-yorkaise dès les premières notes du set. Il ne faut pas trop se creuser la tête pour reconnaître à la voix de Samara Joy la chaleur et l’expressivité de celle d’Ella Fitzgerald. Pour autant, la jeune chanteuse fait montre d’une technique et d’une portée vocale unique, qui lui permet de donner tour à tour à ses mélodies des accents lyriques lors de poussées aigües grandiloquentes saluées par le public ; ou des tons de soul et de r’n’b grâce à des mélismes judicieusement maniés tout au long de sa performance. L’identité jazz, pour autant, reste au cœur du concert. Des rythmiques swing nerveuses aux ballades plus douces, la voix de Samara Joy s’épanouit librement dans cet espace musical, tant dans la mélodie que dans la cadence. Comme l’a bien résumé Hughes Kieffer, directeur du festival : une voix qui touche en plein cœur et dont on n’a pas fini d’entendre le « jazz flamboyant ».

Une affaire de famille

Gilberto Gil est à Marseille chez lui. Déjà invité à de nombreuses reprises par le festival, c’est son grand retour depuis la fin de la crise du Covid-19. Très à l’aise en français, le patriarche effectue sa tournée accompagné des membres de sa famille. Le moment est impressionnant : sur scène se dévoile l’arbre généalogique Gil, entre enfants et petits-enfants. Flor, la dernière petite fille du musicien, est presque aussi connue que son grand-père et autant acclamée lorsqu’elle s’avance sur scène pour son duo avec Gilberto Gil. Surprise pour les néophytes : une seule guitare acoustique sera utilisée pendant le concert, le reste étant entièrement amplifié. Exit un set entier de bossa nova douce, une énergie contagieuse s’empare du lieu et fait vibrer le public du Palais Longchamp aux rythmes de la discographie de Gilberto Gil – et d’inédits comme Touche pas à mon pote – et d’hommages à la musique populaire brésilienne.

Car c’est avant tout de cela qu’il a été question pour ces deux concerts. Rendre hommage au Brésil et à sa musique devant un public francophone et lusophone. De quoi créer de très beaux souvenirs quand tout le public entame avec Samara Joy la chanson Chega de Saudade de Carlos Jobim, ou connaît par cœur tous les refrains de la famille Gil. Une soirée réussie donc, sur laquelle a (beaucoup) soufflé le vent de la bonne musique.

Mathieu Freche

Marseille Jazz des Cinq Continents se déroule jusqu’au 27 juillet.

Dans l’intimité de la Cour d’honneur !

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« By Heart » de Tiago Rodrigues a été donné en clôture du Festival d’Avignon 2023. PHOTO MAGDA BIZARRO

C’est un peu du Tiago Rodrigues à tous les étages. Dans ce (presque) seul en scène dans la Cour d’honneur, le directeur du Festival donne en spectacle sa propre création. Et s’il est accompagné sur scène de dix spectateurs volontaires (qui ce soir là n’étaient que des femmes) c’est bien lui la vedette de cette pièce drôle et si intime. 

Enchainant les saillies, il déclenche des éclats de rires à répétition. D’autant que le texte qu’il interprète à merveille – il le joue depuis dix ans – lui permet d’improviser à foison. Charmeur, il prend plaisir, se lâche, donne à voir et à entendre un humour toujours fin et complice, à grand renfort de références à son pays et à sa langue maternelle.

Mais c’est avant tout une pièce très personnelle, sur la vieillesse et l’oubli, qu’interprète Tiago Rodrigues. Dans  cette Cour d’honneur qui n’invite pas forcément à l’intimité, le metteur en scène parvient à narrer avec délicatesse l’histoire de sa propre grand-mère. Elle qui, bientôt aveugle, lui demanda de lui choisir un livre à apprendre par cœur : By heart.

Garder une trace

Tiago tente donc de faire la même chose avec les dix spectatrices présentes sur scène. Il devient leur chef d’orchestre et essaie de leur apprendre le Sonnet 30 de Shakespeare. Entre chaque groupe de vers qu’il enseigne à ses cobayes, il parle de sa grand-mère ,  de la résistance poétique de Boris Pasternak, des poèmes d’Ossip Mandelstam transmis par sa femme qui les a appris par coeur, pour résister aux effacements staliniens.Comme dans cet extrait de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury où, à l’ère des autodafés, chaque membre de la résistance apprend un livre par cœur pour en conserver une trace. C’est un peu ce que fait Tiago Rodrigues sur scène, en même temps qu’il immortalise le geste de sa grand-mère.

Avec cette pièce minimaliste dans son dispositif, Tiago Rodrigues désacralise la Cour d’honneur habituellement occupée par les spectacles les plus attendus de juillet. Entre moments graves et esclaffements collectifs, Tiago Rodrigues crée une synergie que l’on voit rarement au Festival. Une performance qui tranche clairement avec le reste de la programmation et offre une bouffée de fraicheur pour finir cette 77e édition en beauté.

Rafael Benabdelmoumene

À Marseille, les mélodies du bonheur

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Au sein du jardin Benedetti, à quelques pas de la corniche Kennedy, Lucile Pessey, Lionel Ginoux et Mikaël Piccone ont interprété plusieurs trésors de la musique française. PHOTO S.C.

La musique acoustique continue de ravir les jardins des premier et septième arrondissements de Marseille, cadres idéaux pour des effectifs réduits. La mélodie française sous toutes ses formes semblait toute indiquée pour y proposer des grands classiques de la musique romantique et moderne, jusqu’à une incursion vers la musique contemporaine. Le genre, consistant à mettre en musique de courts textes pour voix et piano à la façon des chansons populaires d’alors, était des plus prisés par les compositeurs et compositrices à partir du milieu du XIXe siècle, soucieux de déployer leurs talents. Puisque la forme, à la fois très codée et furieusement libre, permet à ses interprètes de déployer des trésors d’expressivité et de poésie.

Un long siècle et demi

Le plaisir des interprètes à parcourir ses pages s’est révélé particulièrement communicatif. À commencer par celui de la soprano Lucile Pessey, qui sait insuffler sans peine à Fauré ou Reynaldo Hahn une délicatesse et une musicalité rares : Après un rêve ouvre ainsi les hostilités dans un silence béat et admiratif ; À Chloris rappelle de quel bois se chauffait un compositeur souvent réduit au couple secret formé avec Marcel Proust. Le baryton Mikhael Piccone, lui, nous remémore sur la musique de Lionel Ginoux créée en mai dernier qu’il sait donner à ce registre-là de belles tonalités tragiques. Mais c’est visiblement lorsqu’il s’aventure du côté du théâtre qu’il s’amuse le plus : sur Le Loup et l’Agneau de La Fontaine, mis en musique par Lecocq, ou Le Paon de Ravel, qui récoltent de nombreux rires de l’assemblée. Sur Kurt Weill, dont Lucile Pessey interprètera avec émotion Youkali, Mikhaël Piccone touche élégamment au tragique. Le long siècle et demi traversé par l’équipe n’essouffle en rien la pianiste Marion Liotard, qui se plie sans difficulté à toutes les variations stylistiques et toutes les acrobaties requises. Et se livrera à une nécessaire remise en lumière de la compositrice Augusta Holmès, honteusement effacée de l’histoire alors que ses modestes mélodies, mais également ses quatre opéras et autres œuvres symphoniques, avaient considérablement marqué leur temps.

Suzanne Canessa

« Avant le soir » se tient jusqu’au 17 septembre dans divers lieux des premier et septième arrondissements de Marseille.

Avignon : la « fête civique » est finie

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Lors de la conférence de presse de clôture du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues a condamné les attaques racistes dont a été victime Rébecca Chaillon. PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

Tiago Rodrigues a dressé un bilan à chaud de sa première édition comme directeur du Festival d’Avignon, rappelant son attachement aux deux piliers du Festival, cette « fête civique ». Premier axe, la prise de risques aux côtés des artistes dans le processus de création, et dans leur liberté d’expression. Tiago Rodrigues a d’ailleurs condamné fermement les agressions physiques et verbales racistes qui ont émaillé les dernières représentations de Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon. Il s’est dit « fier » de présenter ce spectacle, comme il pourrait être fier de la représentation des queers dans The Romeo, des crève-la-faim dans Welfare, des insurgés dans G.R.O.O.V.E. etc.

Premières fois

Deuxième axe, un accès démocratique au théâtre, pour le plus grand nombre et pour le public le plus divers possible. De ce côté-là aussi, c’est plutôt réussi ! Le taux de remplissage des salles approche les 94%, en hausse par rapport à l’année dernière. D’autant que 15.000 places de plus étaient proposées à la vente. 44 spectacles étaient présentés cette année dans 42 lieux, dont la Carrière Boulbon retrouvée, et la nouveauté que constituent les espaces naturels de Pujaut et Barbentane. Une délocalisation en milieu naturel qui va se poursuivre lors des prochaines éditions.

Avignon, c’est une manifestation culturelle portée par l’attachement du public à « son » Festival, mais qui doit s’ouvrir à d’autres ! Grâce au dispositif « Première fois », engagement phare de la nouvelle direction, le Festival a compté 5000 spectateurs nouveaux, et 2 800 personnes ont suivi des médiations, des visites et des ateliers. Les jeunes, également, étaient plus nombreux dans les salles.

Coté scène, 75% d’artistes faisaient également leur première fois à Avignon. Le pari de la langue invitée a été tenu avec quatorze projets liés à la langue anglaise, ce qui a logiquement permis une augmentation du public international, grâce aussi à 64 % de la programmation surtitrée ou accessible à un public anglophone.

Avant-goût

L’année prochaine, la langue invitée sera l’espagnol. Une langue « qui raconte une histoire de l’Europe dans le monde » et « qui se parle dans des pays avec une grande richesse des arts vivants », a justifié le dramaturge portugais. Quant aux dates, le Festival sera légèrement décalé en raison des Jeux olympiques. Il se tiendra du 29 juin au 21 juillet 2024, soit deux jours de plus que cette année.

Côté programmation, Tiago Rodrigues mettra en scène d’Hécube d’Euripide, avec la Comédie-Française, pour faire résonner Antiquité et problématiques contemporaines.

Le spectacle itinérant produit par le Festival, sera conçu par Mariano Pensotti, metteur en scène argentin.

Mothers. A Song for Wartime de Marta Górnicka qui devait se jouer cet été sera présenté l’année prochaine. Si réunir le cœur composé de 21 mères ukrainiennes, polonaises et biélorusses s’avère, enfin, possible.

Caroline Guiela Nguyen, nouvelle directrice du Théâtre National de Strasbourg, réserve Lacrima, sa nouvelle création, pour cette 78e édition. Elle y suivra le parcours de fabrication  d’une robe, d’Alençon où travaillent les dernières dentelières, à Mumbay (Inde) où sont conçues les broderies. Un parcours géographique et historique qui mêlera secrets, violences, comédiens amateurs et professionnels et quatre langues. Du pur Festival d’Avignon !

Rafael Benabdelmoumene