Pour le meilleur comme pour le pire, le metteur en scène Ted Huffman s’est toujours distingué par son désir de fidélité. Fidélité aux œuvres et à leur propos, y compris quand celles-ci se font réactionnaires – le plaidoyer puritain du Triomphe du temps – ou nécessiteraient une certaine distance – le récit d’horreur ordinaire de Denis et Katya. Fidélité également à une musique qu’il sait servir, accompagner, sublimer plastiquement parlant. Son Couronnement de Poppée ne déroge pas à la règle : dans l’écrin idéal du théâtre du Jeu de Paume, l’orchestre et le plateau vocal se déploient avec grâce. La fosse retentit de couleurs et d’inflexions d’une inventivité folle : la Cappella Mediterranea sublime sous la direction de Leonardo García Alarcón le moindre trait de la partition, le moindre assemblage de timbres. Le jeu d’acteur, millimétré, les déplacements et contacts des corps confinant à la chorégraphie, sont d’une sensualité et d’une justesse rares. Si bien que les trois heures et demie sembleront s’écouler dans un seul souffle – performance assez rare, dans le genre casse-gueule de l’opéra baroque, pour être soulignée.
Le bien et le mal
Jacquelyn Stucker incarne le rôle-titre avec appétit : dans le plus simple appareil ou en déshabillé suggestif, elle fait entrer sur la scène politique, où le costume trois-pièces est de rigueur, la chambre à coucher, second lieu du pouvoir. La scène se fait également coulisse : les tenues s’y échangent, les personnages s’y épient les uns les autres comme dans toute cour qui se doit. Poppée y règne en séductrice aguerrie : elle sait charmer le très solide Néron de Jake Arditti à coup d’aigus tendres et de vocalises légères, mais aussi se faire d’une cruauté sans nom le temps de graves autoritaires et d’éclats puissants. Elle dissout ainsi son mariage avec le timide mais émouvant Othon (Paul-Antoine Bénos-Djian)– sans détour ni pitié, pour s’unir à Néron. Lequel outrepasse l’autorité morale de Sénèque – renversant Alex Rosen – et répudie une Octavie qui, sous les traits de Fleur Barron, se fait double inversé de Poppée. Sous l’apparente autorité d’un personnage aux contours vocaux bien définis viennent pointer un vertige tragique et une fragilité certaine. La symbolique des décors de Johannes Schütz et Anna Wörl n’est pas toujours d’une grande subtilité : la palme revenant à ce tube en noir et blanc suspendu au plafond et oscillant d’un personnage à l’autre pour illustrer leur capacité à se situer tantôt du côté du bien, tantôt du côté du mal (!). Monteverdi ne se faisait pourtant aucune illusion quant à la vacuité et à la dangerosité des monarques : s’il les peignait parés du plus beau des chants, c’était pour mieux en imposer la vue aux premiers intéressés et échapper à la censure. Mais une fois de plus, Ted Huffman se refuse à choisir. La sauvagerie du meurtre de Sénèque et la suavité du Pur ti miro final, réunissant enfin Néron et Poppée, sont déclinées comme autant de faces d’une même pièce, rassemblant querelles de pouvoir et romance à l’eau de rose. Quitte à sombrer dans un contresens tout de même gênant.
SUZANNE CANESSA
Le Couronnement de Poppée a été donné du 9 au 23 juillet, au théâtre du Jeu de Paume, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.