mercredi 2 octobre 2024
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Salon des complicités musicales

Le festival international de musique de chambre de Provence fête ses trente ans. Pour le concert d’ouverture, les trois fondateurs se retrouvaient sur les hauteurs de Salon-de-Provence

Sur la feuille de salle Éric Le Sage, piano, Paul Meyer, clarinette, Emmanuel Pahud, flûte, posent « en romantiques », cheveux ébouriffés et costumes XIXème, puis en truands sortis du film French Connection. Titre espiègle pour ce trio français, qui convoque une musique romantique allemande en truands de haut vol.

Trafiquants de musique

Leur complicité y est évidente. Les duos font alterner autour du piano une clarinette au son plein et rond et une flûte aérienne. Les Trois Romances opus 94 que Robert Schumann offrit à son épouse, Clara, pour Noël 1849, étaient pour hautbois et piano (Clara, pianiste virtuose en fut la première interprète), qu’à cela ne tienne !

Dans des CD précédents, Emmanuel Pahud et Paul Meyer ont adapté la partition à leurs instruments, toujours accompagnés par Éric Le Sage. Paul Meyer apporte ainsi le velouté de son jeu plein et nuancé à cette déclaration d’amour du compositeur, puis à ses trois Fantasiestucke inspirées des contes fantastiques d’Hoffman.

Puis Emmanuel Pahud accorde sa verve à Clara Schumann, à ses audaces raffinées malgré la simplicité de ses très lyriques Drei Romanzen (Trois Romances), et enfin à Fanny Mendelssohn dont les trois lieders, Wanderlied, Vorwurf et surtout le sublime Warum sind denn die Rosen so blass transportèrent la salle dans une bulle poétique moirée de songes.

Les trois musiciens étaient enfin en trio sur deux valses de Shostakovich, toutes deux composées pour le cinéma, la Valse n° 3 extraite du film Le Retour de Maxime et la Valse n°4 de The Gadfly (Le taon).

En quelques mouvements virtuoses tout est dit de leur amitié, de leur intime connaissance musicale. Le terme jouer prend ici toute sa dimension, l’entente se glisse dans un regard, une note plus appuyée, une variation qui se déploie avec humour, un phrasé espiègle, une tonalité d’orgue de Barbarie, une conclusion  – trop vite venue pour les auditeurs qui en redemandent ! En bis le trio reprend la première valse. Une redite ? Certes non ! La richesse de la partition leur permet de brosser un paysage neuf. Facétieux, les musiciens démontrent combien l’interprétation modèle notre écoute et notre appréhension des œuvres.

Ils en parlent

« Les voir tous ensemble, c’est une chance ! On a bataillé pour ça. Il s’agit tout de même des trente ans du festival ! » s’exclame Florent Piraud, administrateur de l’association. Les trois musiciens bavardent ensemble à la fin du concert, à propos de leurs familles respectives, se donnant des nouvelles.

Lorsque la question des origines de leur amitié, et de leur rencontre est posée, les trois interprètes sourient. « On s’est rencontrés en 1982 lors du concours de l’Eurovision en finale à TF1, à cette époque la musique existait encore à la télé », expliquent Paul Meyer et Emmanuel Pahud. Cinq ans plus tard Éric Le Sage, découvert au Festival de Montpellier, rejoignait le duo.

Ce dernier explique : « De fil en aiguille le festival de Salon est né. Paul faisait déjà les couvertures de la revue Classica. Au début nous étions dans la chapelle de Vernègues, pour deux concerts. Nous avions l’ambition vaine de la faire classer pour qu’elle échappe au passage du TGV en construction. Quand elle s’est retrouvée sous le pont du train, nous avons migré à Salon. »

« Le concept, ajoute Emmanuel Pahud, n’a jamais changé : rassembler des amis, découvrir des musiciens et des œuvres. Tous les ans il y a au moins une création ; cette année ce sera une nouvelle œuvre d’Albert Guinovart composée en miroir du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. »

De deux concerts, le festival s’est étoffé à vingt-trois cette année avec quarante-cinq artistes invités. « On les connaît quasiment tous, les circuits se recoupent, certains amènent de nouveaux musiciens, les anciens élèves sont là aussi, les artistes reviennent, pour la plupart : revenir, c’est bon signe (rires). Par exemple, la chanteuse Marina Viotti qui revient cette année pour présenter son dernier album, Porque existe otro querer, accompagnée du guitariste Gabriel Bianco, a été stagiaire au festival alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans. À l’époque elle était « gothique / métal », elle a flashé sur plein de choses ici, et elle a reçu cette année le premier prix des Victoires de la musique classique en lyrique ! Il faut dire que sa famille est une grande famille de musiciens… C’est sans doute lié au cadre, les gens viennent chercher une unité ici, la salle, ce que l’on joue, la durée du concert… »

Les mots se mêlent, les phrases commencées par l’un sont finies par les deux autres. Chacun sourit à l’évocation des changements de programme de dernière minute, « une légende », puis se mettent à évoquer « les concerts-surprise, les variations au dernier moment, car un artiste a été bloqué et n’a pas pu arriver à temps ou une partition qui est coincée à l’étranger… ».

À propos des créations la question du « sur-mesure » est évoquée. « Les compositeurs ne sont pas des tailleurs, affirme Emmanuel Pahud, on leur laisse leur imaginaire, ils sont ici comme chez eux et c’est à nous, interprètes, de servir leur propos, de les encourager dans leur fibre créative. Ici, en une semaine, il se passe davantage de choses que dans la plupart des salles, de nombreux projets sont nés ici et quelques disques aussi. ».

À les entendre on pourrait dire que Salon est le centre du monde. « C’est un peu vrai s’amusent les musiciens. Le violoniste Daishin Kashimoto qui n’a pas pu se déplacer exceptionnellement cette année, a fondé au Japon un écho du festival de Salon qu’il a nommé Le Pont, nous y serons d’ailleurs ! » Amitié, confiance, plaisir d’être ensemble, de voir l’évolution de chacun, osmose entre les musiciens, sont les maîtres mots de ce rendez-vous annuel si atypique dans son fonctionnement, et si éblouissant.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert et entretien le 28 juillet, Abbaye de Sainte-Croix, Salon-de-Provence

Festival International de Musique de Chambre de Provence

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