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J’éprouve donc je fuis

Lorsqu’Ivo van Hove met en scène deux films de Bergman sur le théâtre, c’est toute la psyché des acteurs qui tremble…

Réunir Après la répétition et Persona dans un même spectacle, en faire un diptyque où les personnages se répondent sans tout à fait se correspondre, et les porter au théâtre, donne une profondeur à chaque pièce, la seconde devenant une chambre d’écho assourdissante de la première. 

C’est Charles Berling qui ouvre le bal, doucement. L’acteur campe un metteur en scène vieillissant qui reçoit une jeune actrice, venu l’interrompre Après la répétition au prétexte d’un bijou oublié. Un jeu de séduction s’installe, comme inévitable, entre celle qui veut réussir et plaire, et celui qui aime ses actrices au point de les désirer. Banalité triste, si ce n’est qu’Henri Vogler a aimé la mère d’Anna, Rachel, morte à présent, mais qui revient comme un fantôme, alcoolique, psychotique, détruite par ce qu’elle a offert sur scène, et dans son lit. La pièce, étroite, grise, est un champ d’affrontement et de fantasme, où les niveaux de fiction s’entrelacent. Celui où la mère (Emmanuelle Bercot) survient et frappe sa fille, celui où Vogler raconte ce que serait une relation avec Anna. Elle est peut-être sa fille, et l’effroi d’un inceste possible redouble quand il comprend qu’elle a avorté pour le rôle. Est-ce cela le théâtre, le jeu, renoncer à la vie, confondre l’incarnation et le réel, ne pas savoir ce qu’on éprouve, ne pas savoir aimer ? 

Retrouver les clefs

Persona déploie les mêmes questions, du côté de l’actrice cette fois. Emmanuelle Bercot incarne Elisabeth, qui pourrait être Rachel et s’appelle d’ailleurs Vogler. Internée, mutique, nue, elle s’est arrêtée de jouer et de vivre. Même si sa docteure (Elizabeth Mazef) suppose qu’elle ne joue là qu’un rôle de plus, elle aura besoin de l’infirmière Alma pour renouer avec le réel et ce qu’elle éprouve. Juliette Bachelet, aussi troublante, vivante et rugueuse en Anna qu’en Alma, saura ouvrir toutes les portes, comme la chambre grise d’hôpital qui se transforme en île, la pluie qui les lave, la musique de Charles Ives qui surgit comme la clef des émotions réelles détruites par le théâtre, ou par le jeu social qui bannit le fantasme. Le sexe, la jouissance, le désir, la maternité enfin, permettront de retrouver l’accès à ce quelles éprouvent.

Leçon de cinéma, Persona superposait les images mentales et les visages pour dire le trouble psychotique. Sur scène, nu, Ivo van Hove plonge dans l’incarnation, pour dire les limites fragiles du moi, que le théâtre peut détruire. Bouleversant.

AGNÈS FRESCHEL

Après la répétition/Persona
Du 16 au 18 octobre
La Criée, scène nationale de Marseille
Dans le cadre de la programmation du Théâtre du Gymnase

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