mercredi 2 octobre 2024
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Métissage ou Tout-Monde

Après les Palmiers Sauvages Séverine Chavrier revient à Avignon, toujours avec Faulkner, plongeant dans le Sud sécessionniste d’Absalon Absalon et son tourbillon de points de vue narratifs

Étant donné le joyeux bazar de l’adaptation d’un roman lui-même extrêmement déstructuré, ou du moins magnifiquement polynarré, on se permettra de commencer par la fin du spectacle de cinq heures qui se déroule, se visionne, se vit et se partage à la Fabrica en ce début si politiquement perturbé du Festival d’Avignon

Puisque les choses, entre Noirs et Blancs, ont si mal commencé, comment en sortir et écrire un autre avenir ? Séverine Chavrier, au lieu de nous laisser sans réponse, cite Édouard Glissant, son Tout-Monde, la nécessaire créolisation, l’acceptation du métissage de tous par toutes les histoires. L’idée même d’Absalon Absalon, écrit en 1936, est de faire exploser le racisme d’un sud encore ségrégationniste. Et l’essence même de l’adaptation de Séverine Chavrier, conçue collectivement, s’est construite à partir des expériences des acteureuses danseureuses, racisé·es ou non, au moment où la menace Trump revient en trombe, et où l’extrême droite menace de prendre le pouvoir en France. 

Histoires percutées

Absalon Absalon raconte, dans une chronologie désordonnée, l’histoire d’un parvenu blanc, Sutpen, dans le sud raciste entre guerre d’Indépendance et guerre de Sécession. Histoire que le lecteur, confronté à des bonds chronologiques et à des points de vue divers, des récits multiples de la même scène, reconstitue peu à peu, jusqu’à la révélation raciste des motivations de Sutpen, et de son fils légitime Henry. Le titre fait référence à la Bible où Absalom, fils de David, tue son frère pour protéger leur sœur de leur relation incestueuse. C’est l’intrigue même du roman de Faulkner, qui raconte cependant une autre histoire, celle des Blancs et des Noirs, de l’esclavage et du viol, des métisses et des héritages, des relations de classes et de violence.

Séverine Chavrier rajoute six couches à cette complexité narrative, l’entrecoupant de références à d’autres relations Noirs/Blancs, actuelles, historiques, à d’autres guerres, à d’autres continents et d’autres esclavages, d’autres exploitations sexuelles et d’autres dépendances, et au capitalisme américain né de la traite et de la plantation, puis de Ford et Disney. 

Pourtant l’histoire répétée de Sutpen et ses enfants, légitimes ou bâtards, reste comme le fil du spectacle : le dispositif scénique, qui permet de superposer l’espace de la scène à un espace filmique fait d’images directes et de transmissions de coulisses, de montages, additionne les informations. Le temps parfois s’y attarde un peu trop, et les cinq heures du spectacle gagneraient sans doute à resserrer un peu certains passages, à sortir davantage des écrans. Mais le plaisir pris  à la musique, au cinéma, aux actrices virtuoses, aux danseurs formidables, aux dindons qui traversent (si si), à l’ironie mordante, à la révolte constante, à la jeunesse et aux récits, jusqu’aux révélations émaillées qui font le suspense de Sutpen, valent bien quelques passages plus faibles d’une œuvre qui défend, sans la nommer, la notion d’archipel : faire ensemble, dans la diversité des peuples et de leur relation.

AGNÈS FRESCHEL

« Absalon Absalon » est donné jusqu’au 7 juillet à la Fabrica, Avignon. 

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