mercredi 2 octobre 2024
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L’art pour faire le deuil

Tiziano Cruz a réalisé trois spectacles autobiographiques conçus comme des chants pour surmonter le drame de la mort de sa sœur. Dans Wayqeycuna, l’artiste se met en quête de lui-même et de la paix par un retour aux rituels bouleversant et sensible

Le son irrégulier des clochettes enveloppe les spectateurs d’une atmosphère apaisante. Sur des toiles tendues, une chaîne de massifs montagneux. Derrière ces toiles, Tiziano Cruz s’avance accroupi, semblant traverser la vallée. Une corbeille de pains côté cour. En une mise en scène sobre, l’artiste transpose avec sensibilité au gymnase du lycée Mistral les paysages et la culture de son enfance. Issu de la communauté autochtone Wayqeycuna, qui, en quechua, signifie « mes frères à moi », Tiziano Cruz conclut sa trilogie de spectacles sur la mort de sa sœur, commencée avec Adios Matepac et Soliloquio, par un chant de paix et de réconciliation avec ses racines, et un retour au nord de l’Argentine, dans les hauts-alpages où il a grandi.

Paroles d’autochtone

Tiziano de Cruz porte à la scène une parole que les spectateurs occidentaux n’ont pas pour habitude d’entendre : celle des autochtones. Et elle est éminemment politique puisqu’ils sont pauvres et que l’art leur est refusé. Il s’interrompt d’ailleurs souvent pour se faire spectateur des images de ses proches, filmés dans leur quotidien. Tiziano Cruz a joué le jeu de l’acculturation. Sous son poncho traditionnel, une simple combinaison blanche, signe de l’effacement de sa culture. Mais les couleurs reviennent peu à peu sur le plateau neutre : les drapés aux pompons multicolores sur la table dressée ou les vivres dans les paniers. Avec ce spectacle, l’artiste se sépare de la culture européenne et de la langue espagnole et revient aux rituels ancestraux dont il investit la scène : les pains assemblés qui représentent la cosmogonie andine en sont un exemple.

Spectacle de la guérison

Tiziano Cruz a passé deux années à explorer le monde artistique et théâtral. Dans l’art, il a trouvé refuge et créé un nouvel espace cathartique au sein duquel il a pu déverser ses souffrances. Comment, en effet, revenir dans des lieux chargés de traumatismes, des lieux où est décédée une sœur bien-aimée ? À présent, l’art et le théâtre lui sont-ils encore nécessaires ? Tiziano Cruz fait part de sa volonté de se retirer de cet univers. « Je fais mes adieux à ce monde. Je retourne à la montagne qui m’a vu naître […] qui m’a vu partir », est-il possible de lire à l’écran où défilent ses mots poignants. Les pains distribués à la fin du spectacle perpétuent le lien entre l’artiste et les spectateurs, et ses chants et ses saluts se poursuivent jusqu’à la sortie du public. Si les deuils ne finissent pas, l’amour non plus.

CONSTANCE STREBELLE

Wayqeycuna a été donné du 10 au 14 juillet au gymnase du lycée Mistral, Avignon.

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