dimanche 9 novembre 2025
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De 1900 à nos jours, Marseille dérange toujours 

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Le vernissage du nouveau parcours permanent « La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 » Un an après la commémoration des 80 ans de la rafle du Vieux-Port et de l’Opéra, Marseille se replonge dans son passé pour en comprendre les causes. « Un parcours qui revient sur le contexte idéologique, politique et militaire à la source des heures sombres de 1943 », déclare Jean-Marc Coppola, adjoint au maire en charge de la Culture à propos de l’exposition La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 qu’il a inauguré ce 8 février au Mémorial de la Déportation. Ces rafles de l’Opéra et du Vieux-Port ainsi que la destruction des vieux quartiers de Marseille par les nazis surviennent dans une atmosphère de réputation délétère pour la ville. Pour comprendre cela, les commissaires scientifiques à l’origine de l’exposition ont effectué un immense travail de récolte de documentations. 

Un travail scientifique et artistique 

Les historiens ont analysé les romans, les essais, les journaux, les films et les témoignages de l’époque. Il en ressort que dans les années 1920, la cité phocéenne jouit d’une bonne réputation. Celle-ci attire notamment des artistes d’avant-garde en quête d’aventure. Malgré tout, la haute société voit d’un mauvais œil le cosmopolitisme de Marseille et les années 1930 sont celle du mépris et de la xénophobie. Une société qui selon l’historien Edouard Mills-Affif veut « à tout prix en découdre avec le petit peuple des Vieux-Quartiers qui a le malheur d’être à la fois pauvre et d’origine étrangère, en plus d’être le repaire des prostituées, des bandits, des marginaux et des rouges ».

Le commissaire scientifique revient aussi sur le sens derrière l’affiche de l’exposition : « Il s’agit de l’architecte Eugène Baudoin qui se met en scène en train de mettre un grand coup de balai sur le Vieux-Port. Les intentions sont claires… Les nationalistes en ont rêvé, les nazis l’ont fait ». L’historienne Céline Regnard le souligne, c’est un ensemble de « représentations de la ville [qui] a rendu possible cet événement ». De cette étape préalable de collecte découle par la suite un travail multidisciplinaire à l’origine de l’exposition. Quatre thèmes composent le nouveau parcours permanent du Mémorial, à savoir le cosmopolitisme de la ville, son port colonial, le parfum de scandale du Panier, tout cela amenant à la thématique finale qui traite d’une Marseille vue comme « ingouvernable » et dont on souhaite que les étrangers et leurs habitats mêmes disparaissent. 

C’est ainsi qu’avec le soutien volontaire de René Bousquet aux nazis, sur ordre d’Hitler, 1642 personnes – dont la moitié sont juives – sont déportés vers les camps et les 14 hectares des vieux quartiers dynamités. Face à la stupeur, le Mémorial de la Déportation ne reste pas que dans l’analyse, mais laisse une place bienvenue à l’émotion. Les huit créations sonores de l’exposition interprétées par les comédiens Claude Leprêtre et Jean-Rémy Chaize sont accompagnées d’une musique inédite composée par Singhkeo Panya. Pour Edouard Mills-Affif, « la musique y est la voix des habitants des vieux quartiers, le contrepied de ceux qui les regardent en se bouchant le nez. »

Et aujourd’hui ?  

Il faut le dire, bien que les circonstances soient loin d’être les mêmes, il n’est pas interdit de faire le parallèle entre ces sombres événements et notre actualité. « Notre pari avec cette expo c’est que le visiteur fasse de lui-même le rapprochement avec notre présent, tellement ces échos du passé résonnent avec ce que nous vivons actuellement » explique l’historien Mills-Affif. Pari réussi tant notre quotidien prend des allures de reflet du passé. Comment ne pas voir dans l’islamophobie actuelle, la même logique que dans l’italophobie des années 1930, qui est une des raisons qui poussèrent les nazis et les collaborateurs à déporter ? Récemment en Allemagne, le site d’investigation Correctiv a publié une enquête révélant que des responsables du mouvement identitaire autrichien ont rencontré des membres de l’AfD pour parler « remigration ». Le même concept putride qu’utilise Zemmour. Comment ne pas y voir un rapprochement idéologique semblable à la collaboration répugnante qui a sévi à Marseille et ailleurs ? Vivre en craignant constamment que se répète le passé n’est pas réjouissant mais nous n’avons en réalité pas le choix. À ce sujet Edouard Mills-Affif emploie une citation de Georges Bernanos : « On vous affirme maintenant, on vous répètera plus tard, qu’il ne faut pas revenir sur le passé. Mais ce n’est pas nous qui revenons sur le passé, c’est le passé qui menace de revenir vers nous ». Pour autant il y a aussi des raisons de se réjouir et d’espérer, la création de ce parcours permanent et le monde présent à l’inauguration en sont des preuves. L’adjointe à la Mémoire Lisette Narducci le rappelle : « Quand on fait histoire, quand on fait mémoire, on fait espoir ». 

RENAUD GUISSANI 

La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 
Jusqu’au 31 décembre 2024
Mémorial de la Déportation, Marseille 

Chienne de rouge : Yamina Zoutat tourne les sangs 

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Serait-ce parce qu’à sa naissance Yamina Zoutat dont les rhésus parentaux étaient incompatibles, a subi un « grand échange de sang » et porte dans ses veines la trace de son donneur inconnu, qu’elle a voulu filmer du sang ? Elle parle d’un désir profond et tenace, hantant ses rêves, que Chienne de rouge réalise, d’un film né de son propre corps de femme, défini par le sang des règles, impur pour les religions. 

Réparation

Si elle n’apparaît pas à l’écran, Yamina Zoutat est omniprésente. Elle a 28 ans quand s’ouvre « le procès du sang contaminé » – comme si c’était le sang qui était accusé, remarque-t-elle. Elle a insisté malgré les réticences de sa rédaction, pour couvrir l’événement comme chroniqueuse judiciaire. Une consigne lui est donnée : « tu ne montreras pas de sang ». Drôle de procès non filmé, qui ne se déroule pas au Palais de justice, où les victimes ne peuvent pas se porter parties civiles et où « les juges sont des hommes politiques déguisés en juges ». Par les photos personnelles montrées plein écran, le film convoque les jeunes martyres du Sida, avant leur maladie. La voix off raconte leur histoire tragique, celle de ce sang prélevé sur la voie publique, transfusé sans analyses, celle de ces donneurs qui se croyaient de vie et furent de mort. Yamina Zoutat répare le silence imposé à l’époque.  

Convergences

Comme une « chienne de rouge » – qui on l’apprend, est une chienne de chasse dressée à pister une bête blessée – la réalisatrice suit la trace. Dans les sous-bois sur le tapis mordoré des feuilles mortes. Dans les toilettes où gouttent les menstrues. Sur le sol où après l’attentat du Bataclan, des étudiants en médecine ensanglantés jouent le rôle de victimes. À l’hôpital où on transfuse, transplante, greffe. Dans les mariages mixtes où se mêlent les sangs. Dans le sourire édenté de sa fillette qui a perdu une dent de lait et retrouve le goût métallique de l’hémoglobine. Dans la mer écarlate où on harponne les gros poissons. Au cinéma où Nosfératu, triste vampire, plonge ses canines dans le cou d’Ellen, où indiens et cow-boys deviennent frères de sang et où l’ange Damiel des Ailes du désir éprouve par une plaie, la condition humaine. Documentaire hybride, tissant un réseau de destins, de vies au quotidien, d’événements exceptionnels, juxtaposant archives, images scientifiques, souvenirs filmiques et témoignages. Quête intime qui met les images en correspondance, en convergence.

Comme le flux sanguin, le film circule. Mohamed, un convoyeur de sang sillonne Paris de nuit pour livrer les poches du précieux liquide dans des caissons isothermes. On suit la professeure de médecine Nguyen, d’origine vietnamienne, spécialisée en greffes, jusque dans sa famille. On écoute son père qui pose les questions d’intégration, d’identité et de dissolution. On entend une greffée dont la famille a été exterminée à Auschwitz, lire sa  bouleversante lettre à un donneur allemand. Par intermittence le rouge envahit l’écran et un cœur pulse à gros battements. C’est le leur. C’est le nôtre. Et c’est notre humaine condition.

ÉLISE PADOVANI

Chienne de rouge, de Yamina Zoutat
En salles le 14 février

Réactions en chaîne

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The way things go - Christian Ubl © Antoine Billet

Le chorégraphe Christian Ubl avait expérimenté pour la formation professionnelle Coline Le cours des choses, la manière dont s’enchaînent les faits les plus incongrus. Ce schéma renvoie à l’œuvre de Peter Fischli et David Weiss (1987) qui filme une succession ininterrompue de réactions en chaîne improbables : une roue de voiture tourne sur elle-même, déclenche la mise en mouvement d’un autre objet qui entraîne la mise à feu d’un mini artifice qui…etc. Le rapport à l’art est interrogé par cette forme qui ne doit pas sa beauté aux matériaux utilisés mais à l’alchimie étrange de leurs interactions.
Ce principe, ramené à la danse, a conduit Christian Ubl à s’entourer d’une architecte et scénographe, Claudine Bertomeu, et d’un compositeur musicien live et batteur, Romain Constant. Sur le plateau, des traits de couleur dessinent un espace rond ouvert sur des marques qui esquissent des points de fuite. Une série de boîtes blanches disposées comme une rangée de dominos prêts à être bousculés attend sagement sur l’un des bords du cercle.

Après l’entrée désordonnée des six danseurs et du musicien, la première boîte sera saisie par ce dernier qui la tendra à l’un puis à l’autre. La passation cocasse mêle sons et mouvements, étonnements, replis, désir de possession, peurs, amusements… Chaque personnage prend à travers la présence de l’objet une identité propre que soulignent les effets musicaux de la batterie arrangée et des intrusions électro. Le groupe court, s’évade, s’empare de la forme du cercle pour des rondes, des jeux qui tiennent parfois des exercices de théâtre : un geste en entraîne un autre, les danseurs à tour de rôle incitent l’autre à initier tel ou tel geste… L’expérimentation est mise en scène en une spirale qui pourrait être infinie, abreuvée de hasards et de rencontres poétiques. On sourit, on rit, on se laisse emporter dans cette esthétique minimaliste de l’éternel retour : les différents espace-temps sont scandés par une série de gestes récurrents, mains frappées, claquements de doigts…  au bonheur de la légèreté qui s’achève en feu d’artifice !  

MARYVONNE COLOMBANI

The way things go a été créé les  8 et 9 février au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

La réparation, pour combattre l’homophobie

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Le 6 août 1942, le régime de Vichy promulgue une loi instaurant une discrimination entre l’âge légal de consentement dans les rapports hétérosexuels et homosexuels : 13 ans pour les uns, 21 ans pour les autres. À la Libération, cette loi sur la majorité sexuelle aurait pu être enterrée avec nombre d’autres lois pétainistes, mais François de Menthon, alors ministre de la Justice, a au contraire décidé de l’entériner dans l’arsenal législatif français. Selon lui, « cette réforme inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs ne saurait, en son principe, appeler aucune critique ». Cette discrimination légale a donc été maintenue en place jusqu’en 1982. Mais son abrogation n’a pas entrainé de réparations. Le 6 août 2022, le sénateur socialiste de l’Hérault Hussein Bourgi a déposé une proposition de loi visant à porter réparation aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. Il sera présent au centre LGBTQIA+ de Marseille ce vendredi 16 février pour une conférence à ce sujet.

« La discrimination, la flétrissure qu’implique l’existence d’infractions particulières d’homosexualité les atteint, et je dois dire qu’elle nous atteint aussi tous, à travers une loi qui exprime l’idéologie, la pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire. » Ces mots, prononcés par Robert Badinter le 20 décembre 1981 dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, sont issus d’un discours soutenant l’abrogation du « délit d’homosexualité ». Le 4 août 1982, la loi Forni, rapportée par Gisèle Halimi et soutenue par Robert Badinter au nom du gouvernement, est finalement promulguée. 

Si « l’époque odieuse » à laquelle il fait référence est le régime de Vichy, il est nécessaire de rappeler que certains législateurs ont eu peu de scrupules à perpétuer, voire à renforcer ce sinistre héritage pétainiste dans les décennies qui ont suivies. Ainsi, en 1960, une ordonnance prévoit que la peine minimum pour outrage public à la pudeur soit doublée dans les cas de rapports homosexuels. Cette disposition, abolie en 1980, a permis nombre de dérives, à l’image de la tristement célèbre affaire du Manhattan, un club privé parisien dans lequel des policiers ont tendu un guet-apens aboutissant à l’inculpation de onze hommes soupçonnés d’avoir eu des relations entre eux. 

L’heure est à la réparation

En près de quatre décennies d’application, ces lois ont fait condamner plus de 10 000  personnes, en immense majorité des hommes. Aujourd’hui, l’heure est à la réparation, comme en Allemagne, en Grande-Bretagne ou au Canada qui se sont déjà engagés sur cette voie. La proposition de loi portée par Hussein Bourgi reconnait la responsabilité de la République française dans « la politique de criminalisation et de discrimination » envers les personnes homosexuelles entre 1942 et 1982. Elle prévoit également une réparation financière d’un minimum de 10 000 euros pour les personnes ayant été condamnées et la création d’un nouveau délit de négationnisme visant « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière […] l’existence de déportations de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. »

Cette proposition de loi, pourtant consensuelle et cosignée par les groupes socialiste, communiste, écologiste et par Les Républicains, n’a pas été acceptée en l’état par la commission des lois. En cause, la réparation financière demandée qui présenterait « des différences substantielles » avec les dispositifs prévus par les autres lois dites « mémorielles ». La création d’un nouveau délit de négationnisme pose également problème car, selon la commission des lois, la négation de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité entre déjà dans le champ de la loi préexistante. C’est donc une version moins lourde et plus symbolique du texte qui a été soumise le 22 novembre à l’Assemblée nationale en première lecture.

La conférence de presse organisée par le centre LGBTQIA+ de Marseille et le Mémorial de la Déportation Homosexuelle, et soutenue par l’association Mémoire des sexualités, sera suivie à 18 h d’une conférence-débat autour des questions « Pourquoi cette loi ? Pourquoi si tard ? »

CHLOÉ MACAIRE

L’Astronef : un Ovni à Marseille

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Le trio à la tête du Théâtre de l'Astronef : de gauche à droite Clément Goguillot, Marie Laigneau-Bignon et André Péri © Matthieu Parent

Installé au cœur du centre hospitalier Édouard Toulouse dédié à la santé mentale, le théâtre de l’Astronef propose toute l’année des ateliers, résidences et spectacles à destination de tous les publics. Entretien avec André Péri, comédien, infirmier psychiatrique et co-directeur du théâtre

Un théâtre au cœur d’un hôpital psychiatrique ce n’est pas banal. Comment est né ce projet ?
L’hôpital se construit en 1962, et tout de suite se met en place une compagnie de théâtre, le Couffin d’Édouard, qui associe le personnel de l’hôpital (soignant ou non), les patients et des artistes : l’idée est de soigner les gens par un retour à la société, ce que l’on appelle la sociothérapie, et l’art est un des moyens de la mettre en place. Ce système a duré jusque dans les années 1980, puis ça s’est essoufflé. Quand je suis arrivé dans les années 1990, avec ma double formation de comédien et d’infirmier psychiatrique, j’ai souhaité relancer ce projet. Nous avons travaillé avec le Théâtre Off [ancien théâtre sis au Vieux-Port de Marseille, ndlr], en lançant des ateliers où sont nés des spectacles, qui ont ensuite tourné dans les hôpitaux, les maisons de retraite… Puis, en allant plus loin et en mélangeant comédiens professionnels, patients et soignants, nous avons joué au Théâtre Off, à La Criée, et au Festival d’Avignon… Mais le temps passe, les gens changent, et ça a été difficile de se redynamiser après cette expérience… jusqu’en 2021, où nous avons pleinement relancé le théâtre [hors période Covid… ndlr], avec Clément Goguillot, Marie Laigneau-Bignon et beaucoup de gens autour de nous, c’est un collectif.  

Que sait-on, scientifiquement, de l’impact d’une pratique artistique sur le parcours de soin ?
Scientifique n’est pas le bon mot. Il y a des velléités de soigner la folie par des moyens modernes qui reviennent régulièrement – et celle-ci est à la mode en ce moment… Ce que l’on sait en revanche, c’est que travailler la psychothérapie institutionnelle et la sociothérapie a un vrai impact sur le quotidien des patients. La pratique artistique, c’est un moyen d’expression, d’aller vers l’autre, faire avec l’autre. Un mélange se fait, sans étiquette.

Du mélange et de la création artistique, c’est justement ce que vous faites avec le spectacle Le Monde de Don Quichotte, en cours de création à l’Astronef (à découvrir les 1er et 2 juin).
C’est la première création made in Astronef, en collaboration avec L’Officine théâtrale Barbacane, et soutenue par la Drac et l’Agence régionale de santé. Nous sommes en train de le mettre en place avec des ateliers théâtre en direction de tous les publics. Un premier avec des comédiens amateurs, débutants ou non, et un autre avec des patients et des soignants. À terme, on va les mélanger pour créer le spectacle. Il y aura aussi des ateliers de cirque, de scénographie, de musique – où les participants fabriqueront leurs propres instruments. Ce spectacle sera une déambulation dans le centre hospitalier à la rencontre du personnage de Don Quichotte.

Le théâtre assure aussi une programmation tout au long de l’année. Comment la construisez-vous ?
Tout d’abord on évite de faire quelque chose de trop ciblé, trop « psy » : on va voir des pièces et on marche au coup de cœur. On accueille par exemple la Compagnie Thespis et son spectacle L’Iliade – accessible aux amoureux d’Homère comme aux ados – que l’on a découvert cet été à Avignon (13 avril). Le 17 février on a La piqûre du taon de la compagnie Hangar Palace qui nous fait un vrai délire – on est au bon endroit pour ça – autour de Socrate. On a aussi un partenariat avec La Criée : le 1er mars avec Midi nous le dira, un spectacle autour du foot féminin, puis avec Nos Héroïnes que l’on accueille le 3 mai.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Théâtre de l’Astronef
Centre hospitalier Édouard Toulouse
Marseille
astronef.org

Réchauffer février

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Anne Dancausse alias Peur Bleue

Le collectif marseillais IDEM – Identité, Diversité, Egalité, Méditerranée – qui organise chaque année le festival queer Transform, propose le 17 février une journée d’exception au Théâtre de l’Œuvre. Pour réchauffer l’hiver, il sera question d’érotisme féministe et/ou lesbien, par celles qui revendiquent aujourd’hui une intersectionnalité joyeuse apte à faire valser en éclat la société patriarcale postcoloniale qui modèle encore les représentations dominantes.

Seront présentes, Rebecca Chaillon et son Boudin Beguine Best of Banane, texte qu’elle performe comme autant de coups de poing salutaires, portant définitivement atteinte aux normes du corps féminin blanc et filiforme ; Romy Alizée qui dira les vertus orgasmiques de la randonnée ; et Azani V. Ebengou qui avec sa mère et sa compagne danse et performe des « Réponses au désespoir »,  celui qui vous saisit chaque matin morne face aux « violences quotidiennes » qui traversent les vies des lesbiennes noires. À partir de 17 heures, de 16 ans, et de 9,50 euros (15 euros en tarif plein).

A.F.

17 février
Théâtre de l’Œuvre, Marseille

Théâtre obligatoire au collège. Quand l’école doute 

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Quelques jours après la nomination du gouvernement Attal et en pleine polémique Oudéa-Castera, Emmanuel Macron tenait le 16 janvier une conférence de presse télévisée durant laquelle il a fait nombre d’annonces concernant l’Éducation nationale. Le président de la République avait notamment déclaré vouloir rendre le théâtre obligatoire au collège, expliquant que « cela donne confiance, apprend l’oralité et le contact avec les grands textes ». Une proposition qui pose question aux enseignant·e·s et aux artistes intervenants auprès des élèves. En cause, les moyens qu’un tel projet nécessiterait, mais aussi l’argumentaire développé par le président.
En question d’abord, l’idée que le théâtre « donne confiance ». Un argument que le metteur en scène Renaud-Marie Leblanc, qui intervient régulièrement dans le cadre scolaire, ne réfute pas, mais tempère : « C’est évident que cela donne confiance de s’exposer, surtout à l’adolescence, mais encore faut-il pouvoir mettre en œuvre cette confiance, ce n’est pas automatique ou thérapeutique ». Et cela demande du temps, des groupes réduits… un certain nombre de conditions dont les enseignants doutent de la mise en place. Selon Marion Chopinet, professeure de théâtre en lycée Antonin Artaud à Marseille, « la confiance vient davantage du groupe et de la cohésion, ce qui va à l’encontre de ce que toutes les réformes depuis Blanquer ont fait, c’est à dire contribuer à éclater le groupe classe ». 

Artistes ou communicants ? 

Pour certain·e·s, l’image que le président donne du théâtre entre en directe contradiction avec ce qui, dans la pratique de cet art, peut permettre de développer de la confiance en soi. « Je pense que dans le théâtre il y a l’idée d’aller trouver la singularité de chaque personne, d’augmenter cette singularité, et non pas de faire des exercices d’articulation, ce n’est pas la priorité » avance Marie Astier, metteuse en scène et comédienne. « Il confond cours de théâtre et cours d’éloquence » tranche-t-elle. 
Les professionnel·le·s contacté·e·s dénoncent dans l’argumentaire présidentiel une vision utilitariste du théâtre. Il sous-entendrait que l’art n’a d’intérêt que comme un moyen et non comme une fin en soi. « Il y a une demande croissante de la part des entreprises d’avoir des employés qui sachent bien parler, et cela se répercute à l’école » décrypte Renaud-Marie Leblanc. « Ce n’est pas pour en faire des artistes, c’est pour en faire de bons communicants » résume pour sa part Marie Astier. 
Au-delà de l’argumentaire utilitariste que sous-tend la proposition d’Emmanuel Macron, le lien nécessaire entre pratique théâtrale et « contact avec les grands textes » établit par le président agace également les professionnel·le·s interrogé·e·s. Pour Marion Chopinet, « c’est une vision extrêmement clichée, voire réactionnaire, qui ne couvre pas la réalité du théâtre tel qu’on le connait aujourd’hui et l’ampleur des créations qui existent ». « Commencer le théâtre en faisant les grands classiques, c’est anti-pédagogique » juge de son côté Renaud-Marie Leblanc. Constat partagé notamment par Marie Astier : « Il faut expliquer aux élèves que le théâtre peut parler de problématiques contemporaines, peut parler d’eux et peut les toucher, sinon ça peut vite les braquer ».

Un effet d’annonce ? 

Depuis le 16 janvier, cette proposition n’a plus été évoquée et, a priori, aucun moyen ne sera mis en place à la rentrée prochaine. Selon Nicolas Bernard-Hayrault, secrétaire départemental du SNES-FSU, la dotation globale horaire (c’est-à-dire le nombre d’heures dont dispose chaque établissement pour assurer tous les enseignements) ne permettra pas d’ajouter des heures de théâtre. Si ces cours doivent être donnés, ils devront donc l’être sur les moyens préexistants. Toujours d’après Nicolas Bernard-Hayrault, un recensement des pratiques en terme d’enseignement théâtral dans les collèges a cependant été lancé. Cela pourrait permettre de mettre en lumière la diversité des dispositifs déjà mis en place dans le cadre scolaire et auxquels enseignant·e·s comme artistes sont déjà habitué·e·s. « Il y’a déjà des choses qui existent et qui ont un sens, peut-être qu’il n y a pas besoin de tout repenser », conclut Marie Astier. 

CHLOÉ MACAIRE

Wajdi Mouawad : une bouteille à la Mère

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Mere © Tuong-Vi Nguyen

Pour héberger toutes les idées de Wajdi Mouawad, il en faut de la place. Et le grand plateau du Théâtre des Salins n’était pas de trop pour accueillir la création de cet auteur libano-québécois maintes fois salué pour ses pièces, films ou romans. En guise d’introduction, c’est le metteur en scène lui-même qui prend la parole au plus près d’un public encore bruyant. Il est drôle, caustique, et confie : « je n’ai pas pleuré depuis la mort de ma mère en 1987 ». Dans Mère, Wajdi Mouawad poursuit le cycle autobiographique qu’il a entamé avec les solos Seuls et Sœurs. Un troisième opus où il s’intéresse aux cinq années passées à Paris après avoir fui le Liban en guerre dans les années 1980, avec sa mère comme personnage central.

Sur la scène, nous voici dans l’appartement qui accueille cette famille de réfugiés. Sa mère cuisine, silencieuse – elle ne le restera pas longtemps – et l’on comprend rapidement toute la détresse de cette femme contrainte à l’exil. Autour d’elle il y a Wajdi, jeune, interprété par Loucas Ibrahim et sa sœur, Odette Makhlouf, qui apprennent tous deux à vivre à la française. Wajdi Mouawad reste souvent sur scène, aide à la scénographie, tel un fantôme regardant son passé. Toute la famille est tiraillée entre son obligation de vivre en France – où le taboulé n’est pas bon – et la difficulté à prendre des nouvelles du père, resté à Beyrouth pour le travail, faisant craindre le pire à la mère.

Cette dernière, interprétée par une formidable Aïda Sabra, n’est que bruit et fureur. À la fois drôle et pathétique, elle dirige sa famille d’une main de fer, hurle toute sa haine des chrétiens, des arabes et des juifs. On apprécie aussi cet incroyable relation avec Christine Ockrent, qui était alors la présentatrice du journal d’Antenne 2, attendue comme le messie chaque soir pour avoir des nouvelles du Liban. Une Christine Ockrent qui tient d’ailleurs son propre rôle sur scène, avec la rigueur et la classe qu’on lui connaît.

Mal de mer
Avec Mère, Wajdi Mouawad prouve une nouvelle fois son incroyable talent d’auteur et de metteur en scène. Il sublime pendant deux heures tout ce que le théâtre peut offrir de liberté créative. Il y a le jeu des comédien·nes bien sûr, mais aussi les odeurs qui se dégagent de la cuisine qui fleurent bon l’orient. Et cette langue arabe, traduite littéralement, qui offre de merveilleux ressorts comiques et poétiques. Ou encore la lumière, qui donne à chaque scène sa propre teinte, tantôt chaude, sombre ou éclatante de froideur, qui nous propulserait presque dans le cinéma de Bong Joon Ho.

Mais le talent n’excuse pas tout. Et on ne pourra que reprocher à Wajdi Mouawad d’avoir inscrit Bertrand Cantat au générique de la pièce, dont on entend quelques reprises chantées. L’auteur dit qu’il n’a plus pleuré depuis 1987, et visiblement il n’a pas versé la moindre larme pour Marie Trintignant, pourtant comédienne comme lui.

NICOLAS SANTUCCI

Mère de Wajdi Mouawad était donné les 9 et 10 février au Théâtre des Salins, Martigues.

Gémellité circulaire

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Elle/s © Ian Granjean

L’Envolée cirque est une compagnie qui aime les chapiteaux, la circularité, la proximité, l’exploit qui se partage sans démonstration de force et sans forcément d’effet « waou » mais plutôt un effet grâce, lenteur, poésie. Quand cela commence les deux femmes sont lovées corps à corps, tout en haut du chapiteau, et un homme chemine au long d’un cerce d’eau, au sol, chantonnant au micro, jouant quelques notes, percutant quelques surfaces, puis synthétise et diffuse. Là-haut les corps s’éveillent, et les deux femmes déploient leur gémellité fusionnelle…

Elles et lui
L’histoire qui se raconte entre les trois, comme toutes les histoires sans paroles, peut se lire avec nuances. L’une, en tous les cas, cherche à descendre, explore la toile qui strie l’espace, s’affranchit, revient, tandis que l’autre se balance en haut et attend de retrouver leurs moments fusionnels. Des fils arachnéens servent à descendre, à jouer, mais aussi à retenir les corps qui se suspendent à tout ce qui vient, jusqu’aux cheveux de l’autre. Jusqu’à toucher terre, enfin, qui est tout autant toucher l’eau, s’éclabousser, rencontrer l’homme qui entre dans l’eau à son tour. Et puis jouer encore avec la sœur qui reste suspendue mais se laisse atteindre par les éclaboussures, et rit avec eux.

Une histoire simple qui tient dans l’expressivité des regards, la puissance et la souplesse des acrobates. Elle permet la lenteur pure et parfaite de chaque déplacement, renversement, lâcher, porté au son d’une musique inventive, parfois trop forte (masculine?) pour accompagner la subtilité des mouvements (féminins?).

AGNÈS FRESCHEL

Elles a été joué du 9 au 11 février dans le cadre de l’Entre2 Biac au Domaine de Fontblanche, Vitrolles.

Arcadie heureuse

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La Pastorale ©Olivier Houeix

Le chorégraphe Thierry Malandain articule sa rêverie en tableaux mouvants habités par ses vingt danseurs dans les lumières savamment orchestrées de François Menou. En préambule à la Symphonie n° 6 de Beethoven, il reprend un extrait de sa Cantate Les Ruines d’Athènes tandis que le plateau, occupé par des barres de studio de danse disposées en damier, isole les trois personnages de la première partie dans des cases où les gestes de la grammaire classique se déploient et se réinventent.

Le protagoniste central, « Lui », fantastique danseur Hugo Layer, passe de la vie à l’immobilité de la mort, reprend souffle, opposant à la contrainte rectangulaire des lieux le mouvement cyclique des saisons. Les barres hissées dans les cintres, les costumes d’ombre, longues jupes-manteaux, cèdent le pas à des tuniques blanches évoquant une antiquité fantasmée. La luminosité s’accentue, les ombres s’effacent en une réconciliation de l’être et de la nature.

Avec une grande sobriété contrastant avec le foisonnement musical, la chorégraphie de Thierry Malandain ne cherche pas à illustrer mais convie à un voyage intérieur où les images de l’Arcadie heureuse s’esquissent avec vivacité. Pas de deux, trios, courses, retours, diagonales, grands jetés, tournoiements, peuplent la scène de leur brillante virtuosité. Les danses d’ensemble semblent émaner de sculptures antiques en leurs gestes précis aux angles géométriques et rappellent les univers de Nijinski ou d’Isadora Duncan, fluidité en épure, hymne à l’harmonie.  Si les ombres reviennent avec l’orage, elles sont vite dissipées par le cercle incantatoire des petits pas courbés d’Hugo Layer dessinés tout autour du plateau. Sa danse hors du temps donne à percevoir la fragilité de la beauté… et c’est une autre histoire.

MARYVONNE COLOMBANI

La Pastorale a été dansée les 8 et 9 février au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence