La Fiesta des Suds fête ses trente ans ! Au-delà de sa longévité, c’est sa persévérance dans la sphère indépendante qu’il se doit d’être saluée. Car le monde culturel n’est pas épargné par les appétits financiers. Depuis plusieurs années, dans tout le pays, des mastodontes de ce qui est devenu un marché jettent leur dévolu sur des projets initialement portés par des structures fragilisées par la course à la rentabilité. Particulièrement dans les métiers de la musique. Ce phénomène de rachat démarré avec les maisons de disque s’est déployé dans le secteur des salles de spectacle et des festivals, créant, à l’instar de nombreuses autres activités, une concentration de toute la chaîne musicale entre les mains de requins de la culture. Parfois, avec la complicité des pouvoirs publics comme c’est le cas à Marseille avec le Cepac-Silo, dont la gestion depuis son ouverture est déléguée à la holding Fimalac du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, à la tête d’une des principales agences de notation et ancien propriétaire de la très conservatrice Revue des deux mondes (oui, oui, celle qui a employé la peu besogneuse Penelope Fillon)…
En cette année marquée par le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le sujet de la colonisation, de sa logique comme de ses continuités pernicieuses, habite de nombreuses œuvres contemporaines. Le feuilleton théâtral d’Adeline Rosenstein, Laboratoire Poison, joué cette semaine à la Friche la Belle de Mai, est d’une habileté documentaire réjouissante. La Région Sud commémore elle aussi les six décennies des accords d’Évian. À sa manière, par le prisme du « rapatriement », en mettant en lumière une autre indignité : le sort des Harkis. L’exposition consacrée aux hameaux de forestage en Provence-Alpes-Côte d’Azur participe au devoir de mémoire. Comment célébrer l’indépendance sans évoquer la tragédie ukrainienne. Instrumentalisant le droit des peuples à l’autodétermination, les référendums bidons organisés par Poutine font monter d’un cran l’inacceptable entreprise de recolonisation des anciens territoires soviétiques. Confirmant l’inefficience de toute option guerrière.
Sur quelle échelle positionner alors la bataille pour l’indépendance de la presse dans ce cortège de calamités ? Ni plus ni moins au niveau d’une condition indispensable pour dénoncer et affronter les oppressions d’où qu’elles viennent.
Voilà dix-sept ans que le Festival Musiques Interdites, fondé par Michel Pastore, explore la face cachée de l’histoire de la musique. Celle qui, entre autres, a tu les « musiques dégénérées » et autres arts « non prolétariens » au nom du nazisme ou du stalinisme. L’ouverture donnée aux Conservatoires de Marseille et d’Aix-en-Provence les 8 et 9 octobre rassemble ainsi deux compositeurs phares de ces ères tourmentées : Dmitri Chostakovitch et ses renversants Sept Préludes, mais également Gustav Mahler et sa dixième symphonie, transcrite pour piano à quatre mains par John Warner. Cet arrangement, interprété par Elsa Blanc et Vladik Polionov, est donné en création mondiale. Côté voix, le programme est également alléchant : la mezzo-soprano Aude Extrémo interprète les Trois Lieder de Jeunesse de Mahler mais aussi et surtout les Six poèmes de Marina Tsvetaïeva, poétesse russe condamnée à une vie d’horreur par le régime soviétique, à laquelle Chostakovitch rendit honneur à peine un an après sa propre mort.
Cette année – comme souvent ! – les fans de Mahler auront de quoi faire. Le concert du 15 octobre à l’Opéra de Marseille unit la voix d’Aude Extrémo à la phalange phocéenne, sous la direction du chef et compositeur Frédéric Chaslin. Au programme : la Symphonie n°1 mais également Les Chants d’un compagnon errant.
Les temps se prêtant malheureusement à de nouvelles mises au ban par de nouvelles dictatures, le festival donne à découvrir sur cette édition le compositeur ukranien Vsevolod Zaderatski et ses Vingt-quatre préludes et fugues. Entonnés les 11 et 13 octobre aux Conservatoires de Marseille et d’Aix-en-Provence par les professeurs de piano de ces deux établissements, les douze premiers préludes seront également joués courant 2023 par leurs élèves. Belle initiative que cette volonté de mettre en perspective ces œuvres composées par le dissident durant ses années de goulag avec la guerre sévissant aujourd’hui aux portes de Kiev.
Le festival n’oublie enfin pas de se faire contemporain, ou du moins actuel : le Bestiaire Humain – Desnos-Kafka composé par Frédéric Chaslin est ainsi donné le 18 octobre au Théâtre Toursky : cette pièce de théâtre musical porté par la comédienne Judith Magre promet de passer au prisme du cauchemar kafkaïen l’œuvre du poète surréaliste, farouchement résistant.
SUZANNE CANESSA
Festival Musiques Interdites
Du 8 au 18 octobre
Conservatoire de Marseille et d’Aix-en-Provence
Opéra de Marseille
Théâtre Toursky, Marseille
musiques-interdites.fr
Lorsque Marie-Ange, l’assistante sociale, lui annonce qu’elle est convoquée pour son entretien de naturalisation, Layla devrait se sentir « la plus heureuse du monde ». Or ce n’est pas tout à fait ainsi que ça se passe. Car ce n’est pas une mince affaire que de s’appliquer à devenir française lorsqu’on a dû quitter son pays, sa famille, qu’on vit dans un hôtel sordide, et qu’on nettoie les toilettes d’un café pour gagner quelques sous. Le deuxième roman de Leïla Bouherrafa, Tu mérites un pays, retrace, en une succession de brefs chapitres aux titres parfois surprenants, les étapes de la vie de Layla entre le moment où elle reçoit sa convocation et celui du fameux entretien. Un entretien décisif, auquel elle s’est préparée avec sérieux, apprenant les paroles de La Marseillaise, les noms des « grands hommes », essayant de retenir tout ce qui fait la grandeur de la France. Difficile pourtant d’adhérer aux sacro-saintes valeurs de la République lorsque tout, dans la vraie vie, montre qu’elles sont bafouées.
Layla côtoie l’indigence des autres réfugiés, la précarité des retraités français condamnés à la rue, l’indifférence des pouvoirs publics, les humiliations, bref la misère sous toutes ses formes. Le récit est pourtant tout sauf misérabiliste. Leïla Bouherrafa se glisse habilement dans la peau de la narratrice, au plus près de la langue qui pourrait être la sienne : une langue qui prend les expressions au pied de la lettre, qui se répète – comme des mantras que la jeune femme se réciterait pour se rendre plus forte ? – une langue pleine d’empathie, d’images. Une langue vivante, à apprivoiser, pour la rendre enfin aussi soyeuse que la langue maternelle. Au fil de pages sensibles, d’épisodes marquants, dans l’absurdité et la violence d’un système qui dysfonctionne et malgré les désillusions, Layla évolue. Car le roman est aussi, et peut-être avant tout, un roman d’émancipation. Une libération qui ne va pas sans révolte. Mais qui conduit Layla au plus près d’elle-même. Un émouvant parcours de combattante.
FRED ROBERT
Tu mérites un pays, de Leïla Bouherrafa Allary Éditions 18,90€
Depuis trente ans, les cinéastes de l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) choisissent des films afin de faire émerger de nouveaux regards et de nouvelles voix. Neuf étaient présentés au dernier Festival de Cannes. Du 6 au 9 octobre Reprise Acid Cannes 2022 propose six longs métrages, deux fictions et quatre documentaires. À découvrir à Marseille en avant-première au Gyptis et à La Baleine, accompagnés par les équipes des films.
À découvrir
Jacky Caillou de Lucas Delangle nous emmène dans les Alpes où Gisèle, une magnétiseuse commence à transmettre son don à son petit-fils quand…
C’est dans la banlieue Est de l’Ile-de-France, et plus précisément dans les méandres de ses lignes de RER, que nous entraine Grand Paris de Martin Jauvat en compagnie de Leslie, un jeune banlieusard.
Dans How to Save a Dear Friend de Marusya Syroechkovskaya nous suivons le jeune couple formé par Marusya et Kimi, son premier amour ; mal dans la « Russie de la déprime », où la jeunesse se drogue et se suicide à tour de bras.
La cinéaste espagnole Ainara Vera nous conte l’histoire de deux sœurs, Hayat et Leila, dont les vies opposées vont se réunir à la naissance d’un enfant.Polaris une histoire de famille et de résilience tournée entre l’Arctique et la France.
C’est à Arles que Fanny Molins a rencontré Nathalie, la patronne de l’Atlantic Bar un lieu où on chante et danse, un lieu de lien social qui va fermer après la décision du propriétaire de céder le fond de commerce… Atlantic Bar, un film qui raconte l’histoire des gens ordinaires…
Enfin, le superbe film de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova, La Colline nous plonge au cœur de l’enfer dans une décharge à ciel ouvert près de Bichkek, capitale du Kirghizistan.
ANNIE GAVA
Reprise Acid Cannes 2022
Du 6 au 9 octobre
Cinémas La Baleine et Le Gyptis, Marseillelacid.org
Le son feutré, boisé, élégamment duveteux du saxophone ténor de Jean-Marc Larché nimbe les univers de son quartet d’une atmosphère propice au mystère. À l’éclosion de mélodies d’emblée évidentes, portées par des phrasés ostinato, étoffe moirée de songes où éclosent les souvenirs de contes et de récits. Voici le Casanova de Fellini, le saxophoniste sourit : « je l’imagine particulièrement dans la scène au cours de laquelle il danse avec une poupée, j’aime beaucoup cette petite valse ». Il y a quelque chose de malicieux dans l’introduction du récit mélodique, un petit sourire espiègle. Saxophone et violon se mettent à l’unisson, puis dévient de leur route commune, le piano rêveur s’empare d’une comptine, change de mode pour une interrogation réitérée et inquiétante. Les percussions (Michele Rabbia) soulignent de leur légèreté inventive les développements d’une intrigue qui se trame… Les quatre musiciens sont de subtils conteurs qui nous embarquent à la découverte des personnages qui les hantent, Barbe Bleue, le diable (ou plutôt les « narines du diable », fontaine à deux ouvertures accordée par la bonne fée d’une vallée de Franche-Comté où habite Jean-Marc Larché), Johannes Kreisler en souvenir de Schumann, le Titan de Malher… Il n’est plus de frontières entre les genres musicaux, les citations « classiques » ou « contemporaines » nourrissent le jeu. Piano aérien de François Couturier où l’on se plaît à retrouver quelques accents de Philip Glass, mais aussi de Schumann ou Debussy, violon (Régis Huby) qui sait s’envoler mais aussi exploiter la matière de ce qui le compose, bois, cordes, saxophone ténor dont la voix se meut en souffle, avant de s’emporter en rêveries fantasques, percussions enfin qui scandent des routes oniriques. On gardera longtemps en mémoire la composition de François Couturier en hommage au cinéaste Andreï Tarkovsky (auquel il avait emprunté son nom pour son Quartet, sans doute en raison des mots de Bergman, « Tarkovsky se déplace dans l’espace des rêves avec évidence », formation où jouait déjà un certain Jean-Marc Larché) et la sublime Pavane au rythme lent qui nous emporte hors du monde alors que le chant des baleines (scie musicale de Michele Rabbia) anime de ses respirations la coulée du piano et que le saxophone forge de nouvelles et pourtant déjà familières harmonies. MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 1er octobre au Moulin à Jazz (invité par Charlie Jazz), à Vitrolles.
À Marseille, le jazz invité par l’association quadragénaire Le Cri du Port, est passé, dans les années 80, par le Théâtre Toursky, l’Opéra de Marseille, la Salle Saint-Georges, La Criée et dans les années 90, par l’Espace Julien et la Cité de la Musique. À l’affiche de ces 20 premières années de programmation : Stan Getz – Chet Baker Quintet, Lionel Hampton Big Band, Dizzy Gillespie Quintet, Art Blakey Jazz Messengers, Archie Shepp, Didier Lockwood… ! Puis, en 2004, l’association trouve demeure au Parvis des Arts, ancien temple protestant du quartier Saint-Lazare, devenu théâtre. Dans l’ancienne salle de culte (135 places) elle invite Jacky Terrasson Trio, Wallace Roney Quintet, John Abercrombie Quartet, Ray Lema, une pléaide de jeunes guitaristes de la scène new-yorkaise, et, pour ses débuts professionnels, la jeune diva Cecil Mc Lorin Salvant !
À suivre
Si vous avez loupé tout ça, tant pis pour vous, mais néanmoins pas d’inquiétude, ça continue ! Le samedi 17 septembre, un Concert sous la langue (entrée libre sur réservation) organisé dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, réunit trois musiciens issus du jazz, du rock, des musiques arabo-andalouses et des arts électroacoustiques (Chems Amrouche au chant, guitares acoustiques, Xavier Saïki à la guitare électrique, Serge Sana au Piano Wurlitzer, synthé basse, voix, percussions) pour des compositions brassant langues cosmopolites, musiques d’aujourd’hui et musiques du monde. Le 30 septembre, c’est le trio que le bassiste Stéphane Kerecki forme avec le pianiste new-yorkais Marc Copland et le batteur Fabrice Moreau. Un concert autour d’Out of the silence, son dernier album sorti chez Outnote Records, nourri de références au jazz lyrique des années 70. En octobre (le 20), le groupe Shijin (Laurent David, basse, Stéphane Guillaume, saxophone, Ivo Neame, piano et Fender Rhodes, Stéphane Galland, batterie) jouera les morceaux de Theory of everything, dernier album conciliant électrique et acoustique, improvisation et écriture, musique contemporaine et jazz traditionnel. Le mois suivant, deux concerts dans le cadre du festival Jazz sur la ville : le 13 novembre, le trio d’Antonio Farao, pianiste virtuose, accompagné de Yuri Goloubev à la basse et Vladimir Kostadinovic à la batterie, pour un post-bop très libre, privilégiant la musicalité et les couleurs. Le 24 novembre, un autre trio, celui de Baltazar Montanaro (Elsa Lambey, flûte traversière et voix, Adrien Channebault, batteries, percussions), en résidence les jours précédents au Cri du Port, propose un concert qui va dévoiler un volet de leur création en cours Exils, entre musiques improvisées et musiques traditionnelles. Clôture du trimestre avec le Charley Rose Trio, le 8 décembre, un jazz contemporain sans contrebasse, à l’inventivité acrobatique et facétieuse, lauréat du dispositif Jazz Migration #7.
MARC VOIRY
Le Cri du Port, Marseille
04 91 50 51 41
criduport.fr
L’effervescence de l’automne anime la 5e Saison aixoise. On se plaît aux hasards, aux rencontres éblouies au détour d’une place, d’un lieu…
Flamboiements
L’ouverture quasi wagnérienne du troisième mouvement de la biennale d’Aix-en-Provence avec « Aix 100 Flammes » reliait symboliquement le théâtre du Jeu de Paume au Grand Théâtre de Provence (GTP). Les auspices sont on ne peut plus clairs : c’est par la culture que la vie s’orchestre et prend son sens. Une culture populaire au noble sens du terme, commune et participative, renouant avec le bonheur des éblouissements collectifs. La compagnie Carabosse, chargée des illuminations, installait tout au long du parcours des milliers de pots de feu. Déposés à même le sol ou architecturés en orbes géantes, globes stylisés aux méridiens articulés. Des chaufferettes géantes, braseros dont le vent parfois disperse les cendres incandescentes, série de « marcels » pendus à hauteur de réverbère que les artisans des feux allument à l’instar du personnage du chapitre 14 du Petit Prince de Saint-Exupéry, « occupation très jolie », s’il en est, et qui est « véritablement utile puisque c’est joli ». Sur ce chemin de lumières, s’égrènent petits kiosques à musique et personnages de métal qui s’animent au gré de la chaleur des loupiotes : incroyables cyclistes funambules, têtes de réveil dont les longs membres prennent le rythme d’une marche sur place, énigmatiquement expressifs. Deux chevaux du théâtre du Centaure amorçaient une promenade sur les terrasses du GTP avant de s’enlacer tendrement dans la cour du théâtre. La foule avait répondu à l’invitation, séduite, étonnée, intéressée, renouant avec le partage d’un regard commun dans une atmosphère joyeuse et bienveillante.
Utopies participatives
Repoussés trop longtemps par la crise sanitaire, des spectacles savaient fédérer professionnels et amateurs autour de créations qui drainaient un public multiple et enthousiaste.
Le propos mené par les Compagnie Anania Danses et Naïno Productions, 100 pas presque, rassemblait sur la place des Prêcheurs une troupe de danseurs (formés lors d’ateliers participatifs) dirigés ou plutôt accompagnés par le chorégraphe et danseur Taoufiq Izeddiou dans une marche dansée sur une centaine de mètres en une heure. Histoire de refuser la trépidation de notre société consommatrice, et de se connecter à un tempo plus intérieur et humain, vers les musiciens sur une composition originale de Pascal Charrier (musiciens pro et amateurs, initiés eux aussi lors d’ateliers en amont). Le résultat en fut saisissant de liberté, d’invention, dans un parcours qui alla jusqu’à une forme de transe dynamique poussant les personnes « sur scène » à convier les assistants à rejoindre la danse. Bonheur des partages !
La rencontre se tissait aussi au Bois de l’Aune (initiateur de 100 pas presque) entre cinq danseurs aixois (Marginalz Crew) et trois danseurs japonais (Strugglez Crew) qui proposèrent avec Voir à nouveau un spectacle de breakdance (création montée en une petite semaine). Les mouvements solitaires, dissimulés sous capuches et vêtements amples, soulignent la singularité de chacun malgré un discours à la grammaire et aux rythmes communs. Chaque danseur présente une facette de son savoir-faire, se mesure aux autres. Rares sont les instants où les pas se conjuguent et s’accordent. Un exercice plusieurs fois ovationné par le public du Bois de l’Aune.
Le même lieu recevait aussi le spectacle maintes fois reporté, Mastory, projet construit avec une intelligente empathie par Paul Pascot, comédien et metteur en scène et Lau Rinha, artiste hip-hop, (cette dernière était aussi cheville ouvrière de la rencontre de Voir à nouveau). Le travail débute en 2021, réunit les jeunes gens sélectionnés sur leurs passions (danse contemporaine, rap, cuisine, flamenco, chant, dessin…). Il les fait participer à des masterclasses, assister à des spectacles, lire la masse de textes proposés par les deux meneurs de jeu, choisir (chaque texte de Musset, Saccomano, Saint-Exupéry, Siméon, Sotteau, Alberoni, Sand… correspond à une émotion, un parcours de vie, évoquant l’intime et le pluriel à la fois), se libérer de l’angoisse de la scène, de se mettre en représentation, cette mise en danger de soi qui, sur scène, est un autre, certes, mais fragilise les êtres. La scénographie reprend le carré tournant de L’Amérique (jouée par Paul Pascot au Bois de l’Aune, il y a quelques années) et utilise de larges cubes de bois brut, qui se transforment en sièges, estrades, support d’un clavier. Le spectacle débute par la recension d’exercices de théâtre, regroupements, cercles, marche aléatoire. Les jeunes acteurs se cachent sous capuches et larges manteaux qu’ils abandonnent au fur et à mesure qu’ils se disent, se jouent, avec une fraîcheur et une sincérité bouleversantes. Les voix sortent, posées, justes, passionnées, modulées par le sens et l’intention donnée, les musiques naissent, slam, mélodies, accompagnées au clavier ou à la guitare, dans une éloquence touchante alors que la danse s’empare de certaines avec une fougue élégante. La puissance du spectacle (on ne peut que regretter qu’il ne soit joué qu’une seule fois !) tient à ce travail libératoire, à cette approche neuve et enthousiaste au sens fort. Le thème c’est l’amour, celui que l’on dit avec un grand A, peu importe s’il s’adresse à des êtres particuliers ou n’est qu’une idée, l’Amour ici est déjà celui du théâtre, une chute dont on ne se relève pas et c’est très bien ainsi !
Spectacles nouveaux
Le thème du Japon se déployait aussi au fil des manifestations. Ainsi le Conservatoire Darius Milhaud recevait la nouvelle création conçue par Agence Artistik de Laurence Patermo, Éléments, avec le Bamboo Orchestra de Makoto Yabuki et les danseurs Pierre Boileau-Sanchez et Sinath Ouk, chorégraphe de cet opus, baigné de sublimes clairs-obscurs. Les percussions et la danse trouvent dans la déclinaison des quatre éléments, terre, eau, feu, air, une fusion mise en scène avec brio, les danseurs devenant percussionnistes, les percussionnistes danseurs. Les corps s’animent, écoutent, s’assagissent puis s’élancent en irrépressibles élans allant jusqu’à la transe. La beauté de l’instrumentarium de bambous offre un cadre poétique aux évolutions. Les sonorités complexes passent du rythme à la mélodie portée par une flûte de bambou. La musique de Fauré par ce biais prend des allures oniriques propices à cette cosmogonie élémentaire. Bulle délicate.
La Manufacture se mettait aussi à l’heure japonaise, invitant Mauro De Giorgi pour une intéressante performance de peinture nippone à l’encre sumi-e. Les formes naissent comme par magie d’un effleurement, d’une tache, d’un trait… quelle finesse ! On apprenait aussi pourquoi les œuvres se trouvent sur des formats verticaux : les tremblements de terre incessants ne sont pas étrangers à la fabrication des tableaux : tout se doit d’être dans la légèreté… Suivait une performance réunissant la projection d’œuvres de la plasticienne Hitomi Takeda, la musique électro de Rubin Steiner et les haïkus de Jack Kerouac (le « King of the Beats », en raison de son livre Sur la route), dits et joués par le comédien Nicolas Martel. L’immédiateté du style que Kerouac nommait « prose spontanée » se trouve condensée dans ces poèmes de trois vers. La profondeur se condense en formules lapidaires, « Le son du silence/Est toute l’instruction/Que tu recevras » (« The sound of silence/Is all the instruction/You’ll get »). Le tout dans la cour extérieure de la Manufacture en une atmosphère délicieusement conviviale.
Où l’imagination fait sens
La fantaisie, l’invention, sont aussi les maîtres-mots de cette 5e saison qui se plaît à mailler finement l’espace public. L’Aéroflorale et son équipe de scientifiques parcourt le monde à la recherche de plantes afin d’en étudier l’énergie phytovoltaïque. Les spécialistes décrivent aux passants le projet génial de cette nouvelle source d’électricité, expliquent leurs missions à Madagascar, île pauvre en ressources, et donc fortement intéressée par ce procédé peu onéreux. Ils détaillent les vertus des végétaux, « l’électricité est puisée au racines le plus souvent, mais en ce qui concerne les plantes grasses, on peut récupérer l’énergie dans les feuilles »… Un peu de musique pour améliorer l’humeur des plantes, des ateliers de recherches en cours, des démonstrations bluffantes (ainsi une toute petite plante verte alimente sons et lumières !), l’ensemble sous la construction géante (qui a atterri sur la place des Prêcheurs), imposant assemblage de métal soutenu par des ballons et des hélices sans cesse en action. Les savants sortis d’un roman de Jules Verne s’activent, grimpent sur les hauteurs de cette architecture improbable, en descendent en rappel. Magique simplicité, évidence… Quoi ! Il n’y a pas eu de vol dans les airs à l’instar du Château ambulant de Miyazaki ? Les plantes présentées ne produisent pas grâce à leur électricité les montages ingénieux exposés ? Il n’y a pas de scientifiques dans l’aventure, mais de vrais comédiens de la compagnie La Machine ? Foin de ces rabat-joie ! Le bonheur d’une belle histoire, la beauté du dispositif, réveillent notre appétit de merveilleux, notre besoin d’imaginaire, de magie, de sens aussi, car l’Aéroflorale répond à des questionnements actuels concrets et prégnants. D’ailleurs, certaines recherches, sérieuses cette fois-ci travaillent sur le principe des piles microbiennes : la matière organique rejetée dans le sol par les plantes lors de la photosynthèse sert de nourriture à des micro-organismes qui libèrent des électrons lorsqu’ils se nourrissent. Ces électrons recueillis par des électrodes génèrent de l’électricité. Le dispositif, valable uniquement dans des milieux saturés en eau, est commercialisé par une entreprise hollandaise Plante-e (on arrête la pub gratuite ici !).
Rêver le monde, quelle entreprise fantastique ! Ce rêve se concrétise au cœur de l’église de la Madeleine grâce au Museum of the Moon de Luke Jerram. Avec un diamètre de sept mètres, cette lune conçue à partir d’images détaillées de la NASA et éclairée de l’intérieur semble flotter dans les airs, comme portée par les sons surround concoctés par le compositeur Dan Jones avec un parfum de Debussy. Les mythologies se refondent dans cette représentation tangible et onirique.
Museum of the Moon, église de la Madeleine jusqu’au 8 octobre Banquet, Haïku et Cie, bibliothèque Méjanes-Allumettes, 23 septembre Performance de peinture japonaise, Fondation Saint-John Perse, 23 septembre Éléments, Conservatoire Darius Milhaud, 25 septembre Voir à nouveau, théâtre du Bois de l’Aune, 27 septembre Mastory, théâtre du Bois de l’Aune, 27 septembre 100 pas presque, place des Prêcheurs, 21 septembre L’expédition végétale, place des Prêcheurs, 23 au 26 septembre
Le cinéma de langue allemande se porte bien, et avec lui le festival qui lui est dédié, KinoVisions. Pour sa septième édition, le temps fort marseillais fait une fois de plus découvrir des cinéastes et leurs œuvres au public des Variétés mais aussi de La Baleine. L’emblématique salle du cours Julien accueille ainsi le 29 septembre Helena Wittmann pour échanger autour de Human flowers of flesh. Très remarqué au festival de Locarno, le second long-métrage de la réalisatrice est donné en avant-première, en partenariat avec le festival actoral. Les autres séances sont proposées au cinéma Les Variétés, avec au premier plan des avant-premières. La soirée d’ouverture le 28 septembre propose une projection très attendue : Corsage de l’Autrichienne Marie Kreutzer, variation autour du personnage de Sissi incarnée par l’immense Vicky Krieps. L’actrice est également à l’affiche du dernier opus d’Emily Atef, Plus que jamais : le film la réunit à Gaspard Ulliel dans son ultime rôle. Le festival se clôture sur une dernière avant-première le 2 octobre : Axiom, de Jöns Jönsson. D’autres films sortis en 2022 sont à (re)découvrir : Exil de Visar Molina le 29 septembre, Rabiye Kurnaz contre George W. Bush d’Andreas Dresen et A Piece of Sky en présence du réalisateur suisse Michael Koch le 30 septembre ; et enfin la comédie amoureuse berlinoise de Nicolette Krebitz A E I O U – Un Rapide Alphabet de l’amour le 1er octobre.
SUZANNE CANESSA
KinoVisions
Du 28 septembre au 2 octobre
Cinémas Les Variétés et La Baleine, Marseille
Au Chantier de Correns, le jeune duo – elles ont commencé à travailler ensemble il y a deux ans – Nawal et Catherine Braslavsky proposait un cheminement inspiré entre l’Afrique et l’Europe nourri des traditions soul et soufi : Roses des vents.
Les instruments disposés sur scène offraient un raccourci des univers abordés : gambusi, guitare, daf, halo pan, bols tibétains, sanza, grand dulcimer des Apalaches, tanbura de voyage, bendir, grand tambour, bobre. Les époques se mêlent aux géographies, faisant coexister objets du XVIIIe siècle comme du XXIe. Le concert rassemblait quasiment exclusivement des créations des deux musiciennes, certaines composées avant leur rencontre, d’autres, conçues ensemble.
Dans l’ombre des commencements, pépient des oiseaux, une onde ruisselle, le souffle du vent doucement glisse ses vibrations que nouent les percussions légères. Pressée contre le plexus solaire de Nawal, la calebasse du bobre (arc musical de la Réunion) fait corps avec son instrumentiste. La matière devient spirituelle, le chant se coule dans un Kyrie eleison, scellant l’accord entre les êtres et le monde, tandis que retentit l’appel à la paix, « en particulier la paix intérieure », Aman, au cœur des harmoniques larges du tanbura unies à celles plus sèches, de la kora qui porte la mélodie, reprise par un sublime duo vocal.
« La scène est un espace sacré »
Nawal s’indigne de l’usage guerrier des religions qui sont pourtant porteuses de messages de paix et de concorde, les deux artistes s’élancent vers « le neuf » souhaitant une liberté qui se déploie avec leurs chants en un émouvant duo a cappella. Les oiseaux sont invoqués dans un texte en grec d’avant la koinè – langue liturgique grecque –, découvert en 1945 parmi les manuscrits de Nag Hammadi en Égypte, « plus proches du ciel que nous ».
La voix de Catherine Braslavsky se meut sur les hauteurs dans des volutes qui évoquent celles de la grande chanteuse grecque Savina Yanatou. Les souffles soufis s’abreuvent des accents de la musique traditionnelle de l’Inde, tandis que l’appel à la mère Terre, sublime invocation des racines et des mémoires communes de l’humanité, croise les rythmes des Indiens d’Amérique. Le mysticisme de l’ensemble dépasse le cadre strict d’une croyance monolithique mais développe un humanisme empathique : « Dieu ne peut être ni “ il ”, ni “ elle ” puisqu’il est le tout, il ne peut avoir de genre » … Une berceuse pour la Terre clôt cette parenthèse d’harmonie.
« La scène est un espace sacré, on y est autre. Elle est comme un temple, il faut que chacun s’y oublie afin que l’on ne soit qu’un. La présence du public permet d’exister, de donner du sens au terme “ ensemble ”, sourient les deux musiciennes après le spectacle. Avant la virtuosité, nous recherchons d’abord la plénitude de chaque note, et de leurs résonnances, parfois le son se joue de nous et se met à exister sans le support des instruments ou des voix, seulement par les harmoniques. C’est là qu’il devient intéressant, dans sa qualité vibratoire, car c’est cette vibration qui nous emmène. C’est pourquoi la polyphonie est essentielle : elle nous conduit sur tous les étages de l’être… »
MARYVONNE COLOMBANI
Roses des vents, création née au Chantier, a été jouée le 23 septembre à la Fraternelle de Correns
Durant vingt ans, le Best of International Short Films Festival a proposé à La Ciotat le meilleur du court. Du 29 septembre au 2 octobre, l’aventure continue mais sous une nouvelle forme. Cet automne à l’Eden Théâtre, Le Best of et Ça arrive près de chez vous lancent avec énergie leur premier Le Cri du court. L’occasion de voir cinq programmes compétitifs de films primés durant l’année dans les plus importantes manifestations internationales. Parmi lesquels The Headhunter’s Daugther de Don Josephus Raphael Eblahan, Grand prix de Sundance ; Les Mauvais Garçons d’Elie Girard, César du meilleur court ; Paloma de Hugo Bardin, meilleure musique au Music & Cinéma de Marseille, ou encore Les Tissus blancs de Moly Kane, Poulain d’or fiction court métrage au Fespaco de Ouagadougou. En partenariat avec Itinéraire Danse Festival de l’association Arts Oseurs / Arts Osés, est présentée une séance cubaine. Le cinéaste Geordy Couturiau, invité, présente son diptyque, Lucienne mange une auto et Lucienne dans un mondesans solitude ainsi que son dernier film, La Flute enchantée avec le musicien Muddy Monk. Comme chaque année, la tâche du jury qui attribue les prix Or, Argent et Bronze ne sera pas facile, mais le jury jeunes et le public pourront aussi pousser leur cri du cœur. ANNIE GAVA
Le Cri du Court Du 29 septembre au 2 octobre Au cinéma Eden-Théâtre, La Ciotat 06 87 57 76 56 lecriducourt.com