mardi 15 juillet 2025
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La beauté bien gardée des chambres

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Claire-Marie Le Guay au Foyer de l'Opéra de Marseille © Marseille Concerts

C’est à Entraigues-sur-la-Sorgue, au bout d’une route à peine indiquée. La Courroie, dans une ancienne fabrique, accueille « son » public sans communiquer, fidélisé par la qualité d’une programmation exceptionnelle et le renom des ensembles invités.

Le Carteto Casals, indéniablement un des meilleurs du monde, y enregistre en public l’intégrale des Quatuors de Chostakovitch. En commençant, le 6 octobre, par les trois premiers. 250 habitués se pressent sur les chaises qui s’étalent en longueur. On ne voit rien après le quatrième rang mais l’écoute est portée par une acoustique miraculeuse : le son circule, rond et sans réverbération, précis, et permet toutes les nuances. On entend le moindre pizzicato, les harmoniques décollent, les pianissimi se dégustent. Et quand le son enfle et s’emballe, chaque ligne instrumentale reste audible et distincte.

On nous a prévenu : Harmonia Mundi enregistre en direct, il faut retenir ses raclements de gorge, sa toux, ses bruits de chaises. Le silence dans les rangs est religieux, on réajuste sa position entre les mouvements, on applaudit à tout rompre au terme de chacun des quatuors. 

Les trois premiers quatuors de Chostakovitch, composés en 1936, 1944 et 1946, semblent écrits pour le Carteto Casals : la fougue remarquable de Vera Martinez – premier violon –  donne le ton à l’ensemble, alternant des moments d’une légèreté comme factice, des mélodies tourmentées accompagnés d’accords douloureux, et des cavalcades tragiques, où les cordes se relaient, se répondent, se chevauchent, comme dans une bataille de désespoirs. Car la forme classique des œuvres y apparaît comme un paradoxe, leurs quatre mouvements lents et rapides, leurs fugues, leurs thèmes et variations, leur harmonie qui dérange à peine la tonalité, s’agitent de matière, crissent et s’entrechoquent, comme dans une musique de timbre. Slave dans ses mélodies, retenue par la censure stalinienne qui interdisait l’atonalité, marquée par un optimisme de façade, et un lyrisme noir.

Back to Bach

À l’Opéra de Marseille le décor change : le Foyer Art déco accueille pourtant un public qui ressemble à celui de la Courroie. Connaisseur, plutôt âgé, se pressant pour s’asseoir aux premiers rangs puisque dès le troisième seuls les cheveux blonds de Claire-Marie le Guay sont visibles. Pourtant le même enthousiasme, la même ferveur, accompagneront la pianiste dans son programme Bach admirable dans sa composition et son exécution. 

Prélude et Fugue n° 1, tout simple, limpide, chaque note se détachant dans une dynamique qui lui est propre, chaque phrase de la fugue comme une couche de matière autonome et distincte. La Fantaisie chromatique qui suit, et sa fugue, demandent une virtuosité plus spectaculaire, tandis que les deux Chorals, plus lyriques, transcrits par Busoni pour clavier, font entendre les mélodies comme des traces de la voix humaine. 

Les sept mouvements de la Partita n°1, plus imagés, dansants – gigue, menuet, sarabande… – offrent un autre visage de Bach encore, comme plus ancien et plus populaire, presque figuratif. L’Aria des Variations Goldberg est tendre et déchirante, presque romantique, comme le Concerto Italien qui conclut un concert qui est un moment parfait. La musicalité, les nuances incarnées dans le poids de chaque doigt posé, la vitesse étudiée de chaque élan, ont permis d’appréhender Bach dans toute l’immense variété de son œuvre. Intérieure sans être cérébrale, à l’aube d’une écriture qui allait devenir harmonique et verticale, sa fantaisie encore baroque combinait les émotions, les élans, les grâces. 

Sans médiation

On ne peut que regretter, devant tant de beauté et d’émotion, le manque de médiation, à l’œuvre depuis 50 ans dans les autres disciplines artistiques : les feuilles de salle, bavardes sur les CV prestigieux des musiciens, ne donnent aucune clef d’écoute des œuvres, le public ne voit pas les musiciens jouer, les tarifs réduits n’existent pas, et les prises de parole avant les concerts se félicitent de la présence du « vrai » public, du « bon » public,  connaisseur et fidèle, sans chercher à l’élargir à d’autres âges ou sociologies. Cette musique est notre trésor commun, et pas un outil de distinction sociale…

AGNÈS FRESCHEL

Concerts donné le 6 octobre à La Courroie (Entraigues-sur-la-Sorgue) et le 8 au Foyer de l’Opéra (Marseille) 

De bruit et de fureur 

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Bivouac250, Out There Festival 2018 © JMA Photography

Les Marseillais se souviennent de leur étonnant Omni Ideal-X, fantasque géant métallique constitué de huit containers assemblés, sorte de totem des temps modernes qui accompagna l’inauguration du Mucem au printemps 2013 sur l’esplanade du J4, toisant les flots du haut de ses 19 mètres. Une ambiance industrieuse, quelques pieds de nez narquois au grand capital, un attrait sans modération pour l’énergie rock : un condensé du savoir-faire de Générik Vapeur, parmi les pionniers du théâtre de rue dans les années 1980, qui fait chauffer l’asphalte des rues d’ici et d’ailleurs depuis quatre décennies. Dans leurs faits d’armes, citons l’inoubliable Bivouac (1988), déambulation effrénée pour 102 bidons de 200 litres et une cohorte de quinze comédiens peinturlurés de bleu, ou encore, une décennie plus tard, la pétaradante chevauchée de Taxi (1997) et ses véhicules jaune citron, retournant une ville par la grâce d’une parade motorisée où présidaient l’urgence, l’euphorie collective et une certaine fièvre dans la nécessité de réveiller les villes, faisant de la rue un singulier « pôle désirant », ainsi que le conceptualisaient alors certains théoriciens de l’espace public. 

Machineries monumentales 

Chez Générik Vapeur, la machinerie est à l’origine de toute chose : que leurs formes soient pensées à l’échelle d’une ville – voitures attachées à des pinces à linge monumentales, appareil vintage géant  pour photo de groupe – ou plus intimistes – escapade à vélo ou montage de Deuch en kit – c’est bien l’auto proclamé « trafic d’acteurs et d’engins » qui en constitue l’essence. Tel un véritable patrimoine (im)matériel, l’ensemble de cette mémoire est célébrée à la Cité des arts de la rue, une structure atypique que Pierre Berthelot – cofondateur de la compagnie en 1983 avec Caty Avram – a contribué à conceptualiser dès les années 1990, aux côtés de feu Michel Crespin. Inaugurés en 2013 en pleins quartiers Nord de Marseille, ces 36 000 m² exclusivement dédiés à la création en espace public rejouent la typologie d’une ville – avec ses préaux, places et coursives, mais aussi broussailles et espaces verts. La Cité héberge désormais une dizaine de structures professionnelles, qui y expérimentent quotidiennement la création destinée au hors les murs. Ce vendredi 13 donc, place au bruit et à la fureur sur les hauteurs des Aygalades. Dès 18 h, les amis et complices de longue date de la compagnie se réunissent : Sud Side & Cowboys From Outaspace, le Mur du Fond, Ilotopie, Mr Culbuto, la 10e promotion de la FAI-AR et le Laboratoire d’Imagination Insurrectionnelle, les Cavaliers de l’aventure, Marla Singer, Caramantran, Red Plexus, Bob Passion et Les Imperturbables, BelpheGorZ, Ta Mémé Cowboy… L’occasion aussi de saluer collectivement la publication, aux éditions Deuxième époque, de l’ouvrage Générik Vapeur, 40 ans de théâtre de rue – Trafic d’acteurs et d’engins, en présence des auteurs Bertrand Dicale, Michel Peraldi et Sara Vidal. 

JULIE BORDENAVE

40 ans de Générik Vapeur 
13 octobre
Cité des arts de la rue, Marseille 
generikvapeur.com 

La Côte bleue fête le cinéma

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«Richiamo del vuoto» de Nora Trebastoni, est présenté lors de cette nouvelle édition du festival

Un voilier à coque verte très stylisé surfe sur des vagues qui ne le sont pas moins. Des bouts de pellicules, rectangles rouges et noir, sur un fond uniment bleu, figurent ses voiles : voilà l’affiche de la 9e édition du Festival de Courts Métrages de la Côte Bleue qui se déroulera à Carry le Rouet, du 13 au 15 octobre, au cinéma Fernandel. Un petit festival qui suit son cap depuis sa création, navigue fièrement aux côtés des grands et peut déjà se flatter d’avoir repéré dans ses éditions précédentes, de jeunes talents, consacrés depuis, comme Bastien Dubois ou la jeune Léa Mysius. 1500 films reçus cette année. Et comme d’habitude, pour choisir les meilleurs, un jury classique et un jury jeune (issu d’un travail en amont dans les collèges et lycées du territoire). Le public est quant à lui appelé à désigner son « coup de cœur ».

Du beau monde

La sélection 2023 compte 26 films dans la catégorie fiction/documentaire/expérimental et 13 dans la catégorie animation. Des propositions très variées, par leurs sujets et leurs formes. Le E-Wasteland d’Angela Wenyang Hou (qui utilise des techniques mixtes pour recréer un monde englué dans les données numériques) côtoie Au Plaisir des ordures, conte de Noël politique québécois de Romain Dumont où l’on voit trois éboueurs invités chez un premier ministre le soir du réveillon. Paris 2024 de Pierre Larribe, ancré dans la triste réalité des sportives afghanes rattrapées par les diktats talibans, pourra suivre ou précéder Compost, une comédie d’héritage de Johanna Bros. On se retrouvera à Dunkerque, dans une entreprise de routiers (Bitume, de Léo Blandino) ou en Belgique dans la vie d’une drag queen de 60 ans qui prend sa retraite et dont le passé revient inopportunément (Beyond the sea d’Hippolyte Leibovici). On pourra s’émouvoir avec le documentaire d’animation La Mort de Claudette de Gaspard Patoureau faisant vivre le récit terrifiant d’une artiste, ou s’indigner avec Zoé Rose, réalisatrice de Nous sommes la terre. On pourra aussi entrer dans l’univers de Nora Trebastoni qui, dans Il Ricchiamo del vuoto,  capte avec sa caméra-hijab, comme au travers d’un voile, la rencontre fortuite entre une pêcheuse de Mazara del Vallo, Federica et une tunisienne, Fatiha, qui vit dans la même région depuis des années. 

Un weekend d’automne à enrichir d’images, d’idées et d’émotions.

ÉLISE PADOVANI

Festival de Courts Métrages de la Côte Bleue
Du 13 au 14 octobre
Cinéma Fernandel, Carry-le-Rouet
festi-courts-cote-bleue.fr

La ville et des images

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« Et Pierre Jeanneret » est présenté le 12 octobre en ouverture du festival © Acqua Alta

Le Festival du Film sur l’Architecture et l’Espace urbain qui depuis 2003 s’attache à réunir architectes, urbanistes, historiens, géographes, philosophes, artistes et cinéastes pour réfléchir ensemble à notre « urbaine condition », évolue et change de nom. Il devient Les Rencontres d’Image de Ville, articulé sur d’autres propositions annuelles, et se déroule en deux temps : du 12 au 15 octobre à Marseille et du 17 au 19 novembre, à Aix-en-Provence. 

Dans les quartiers populaires

Pour le volet marseillais, c’est Rabah Ameur-Zaïmeche qui sera à l’honneur. Les films de ce réalisateur franco-algérien qui a grandi dans une cité de la Seine-Saint-Denis, s’inscrivent souvent dans le paysage des banlieues à l’instar de son dernier polar Le Gang des Bois du Temple (repris le 13 octobre au cinéma La Baleine). On pourra voir ou revoir trois de ses réalisations antérieures : Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? (2001) Dernier maquis (2008), et le film « historique » Les Chants de Mandrin (2011). Sa carte blanche Le Thé au harem d’Archimède de Medhi Charef,nous ramène encore à la banlieue et aux déshérités.On retrouvera le 15 octobre, le réalisateur dialoguant avec l’architecte bordelais, Christophe Hutin. Nul doute que ce contempteur de la démolition des grands ensembles, partisan d’une mobilisation de l’expertise et de l’expérience des habitants des cités, qui s’installa à 19 ans dans un township de Soweto, ne rejoigne l’humanisme du cinéaste. Entre construction et déconstruction des stéréotypes, la représentation des quartiers populaires au cinéma, sera le sujet de la ciné-conférence de la philosophe Marion Grodner

Pas d’édition d’Image de Ville sans le philosophe de l’urbain, Thierry Paquot qui nous propose un Gai Savoir Urbain sur le thème de la « transition », en trois conversations prolongées par des projections les 13, 14 et 15 octobre. Ne pas rater aussi les petits films sur des lieux architecturaux remarquables de notre patrimoine avec la Collection Destination en collaboration avec la Drac Paca. Ni en ouverture le 12 octobre aux Variétés, projeté en avant première …et Pierre Jeanneret de Christian Barani,en présence du cinéaste et écrivain Emmanuel Adely. Portrait d’un oublié de l’histoire de l’architecture (un peu écrasé par la gloire de son cousin Charles Edouard dit Le Corbusier avec lequel il travailla), et dont « le destin fut une ville » : Chandigarh.

ÉLISE PADOVANI

Les Rencontres d’Image de Ville
12 au 15 octobre à Marseille
17 au 19 novembre à Aix-en-Provence
imagedeville.org

Hors-cadre

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© M.V.

On entre et on se retrouve en face d’un grand panneau peint en gris (3 m x 2 m) dressé à la verticale dans l’espace, comme une sculpture, maintenu par des tasseaux de bois sur l’avant et sur l’arrière, avec sacs de sable en contrepoids. La partie supérieure de la peinture accueille une trame serrée de petites formes oblongues, trame que l’on retrouve sur la moitié inférieure de la peinture, avec les mêmes formes, moins nombreuses et plus grosses. Entre les deux trames, à l’horizontale, une rainure. Bref, il semblerait qu’on soit en train, bon an mal an, de contempler une râpe à fromage… 

Sur quel pied danser ?

Cette tonalité d’ouverture mêlant peinture, sculpture, figuratif, abstrait et espièglerie donne le la de cette exposition des travaux les plus récents (une bonne vingtaine, grands et petits formats) de Carlos Kusnir (1947 – Buenos Aires, vit et travaille entre Marseille et Paris). Ainsi, on aperçoit sur les murs de Vidéochroniques d’autres « clowneries » : des gants en caoutchouc dépassant de chaque côté de petits tableaux informels et crouteux semblant peints à la truelle. Sur un autre, différent, a été enfilé une petite culotte à pois colorés. Ailleurs, une sandale ruinée pendouille au bout d’une ficelle, faisant pencher le tableau. Peinture, sculpture, objet ? Dada, support-surface, informel, conceptuel, figuratif, décoratif ? Ça dépasse des cadres. On aperçoit des pigeons des villes perchés à l’extérieur de toiles informelles crapoteuses ou aux éclaboussures explosives. On visite un accrochage d’une série de serpentins géants. On rencontre un teckel interrogatif sur fond blanc souillé de virgules oranges, un rat reniflant dans de l’ornemental vétuste. De la dentelle peinte. Des dégoulinures et des tâches crados, des éclaboussures somptueuses sur des emblèmes aux consonnances totalitaires. Le tout à l’acrylique sur des supports fait souvent d’assemblages bricolés de découpes de bois. Du léger et du massif, du mouvement et du figé, de la désinvolture et de la précision. Et beaucoup de vitalité chez cet artiste dont les dernières expositions à Marseille ont eu lieu en 2018, rétrospective au Frac Sud, et en 2020 chez Patrick Raynaud aux 7 clous.

MARC VOIRY

Sans contrefaçon, de Carlos Kusnir
Jusqu’au 18 novembre
Vidéochroniques, Marseille
videochroniques.org 

Littérature et profondeur

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Anne Terrier © www.giraudou.com

Zébuline. Vous êtes l’âme de ces rencontres littéraires depuis leurs débuts. Aviez-vous alors conscience du formidable événement annuel qui était en train de s’installer, pas une « foire » aux livres « ornée » d’entretiens mais une rencontre profonde avec des auteurs de premier plan ?

Annie Terrier. Vous avez prononcé le mot qui me plaît le plus : « profonde » ! Il y avait dans toutes les rencontres, je pense ici particulièrement à Kenzaburo Oé décédé en mars dernier, une profondeur et une tendresse que je ne pouvais pas imaginer au départ ! La création des Écritures Croisées se situe dans le prolongement de deux fêtes du livre conçues dans un esprit très militant, réponse à la fermeture du Relais Culturel d’Aix-en-Provence en 1980 par le maire de l’époque, Alain Joissains. En 1981 un autre regard était porté sur la culture et nous avons bénéficié du soutien fort de la Région. Avec Gil Jouanard, notre premier président, l’idée était de réinstaller les saltimbanques au cœur de la ville. Ce fut d’abord au cloître du collège des Prêcheurs, puis à l’école des Beaux-Arts et au Palais de Justice, c’était la prise de la Bastille par des saltimbanques ! C’est là qu’est apparu le thème de l’étranger : je dois le titre « l’épreuve de l’étranger » au grand traducteur Antoine Berman et son livre publié en 1984, je voulais absolument ouvrir cette manifestation au monde. Et les Écritures croisées, allusion au livre d’Italo Calvino, Le château des destins croisés,ont vraiment commencé ; un merveilleux public s’était constitué et nous a suivi quelques années plus tard à la Méjanes, autre lieu-clé. J’ignore si je peux affirmer que ce travail m’a presque dépassée, mais je le portais en moi et j’ai toujours été totalement libre si ce n’est une fois où il m’a été demandé de présenter la Roumanie, moment que je ne regrette pas. Je ne savais pas toujours qui j’allais inviter, mais certaine de qui je n’inviterai pas. 

Quels ont été vos critères ? Souvent on dit que vous n’invitez que des Nobel ou des auteurs en passe de le devenir… 

Certes, il y a eu beaucoup de Nobel ! Je me suis battue pour Toni Morrison, Günter Grass. J’ai voyagé parmi mes lectures : quand j’ai lu Wole Soyinka, il n’avait pas le Nobel, pas plus qu’Octavio Paz ou Toni Morrison. Ce qui me motive c’est la rencontre avec une œuvre forte et la possibilité de tisser des liens entre l’auteur et le public. J’ai la chance de pouvoir me fier à mon intuition littéraire dans ce long travail d’amour qui n’a cessé de croiser et d’entrecroiser les mots et les lecteurs. Des liens forts se sont noués avec les écrivains, Oé, si prévenant, Tabucchi, formidable, Toni Morrison qui nous dit en partant « je vous menace de revenir » !  J’ai toujours tenu compte de l’environnement des auteurs, ajoutant à leur venue des expositions, l’intervention d’artistes, – cette année reviendra le pianiste et compositeur Fabien Ottones qui va clore les rencontres après une lecture de Nicole Garcia. Chaque portrait est au plus près des écrivains. Ils ont tous été invités parce qu’ils écrivaient ce qu’ils écrivaient et qu’ils étaient ce qu’ils étaient, généreux, humains, peu importe qu’ils soient homme ou femme. C’est un peu la parole du monde qui tend à aller vers un universel à partager grâce à la rencontre avec la singularité de chacun d’entre eux. Est particulièrement appropriée la formule de Carlos Fuentes (en 2011 aux Écritures Croisées) : « nous sommes tous périphériques, ce qui est peut-être la seule façon d’être aujourd’hui universels ». 

Il y a l’influence de Bourdieu derrière tout cela ?

Sans doute, dans sa manière d’habiter la Terre. Mais c’est aussi une pensée politique de l’humanité qui m’anime, la manière de concevoir l’humanité littéraire, intellectuelle : des gens qui ont une voix et la font entendre. Salman Rushdie qui devait revenir le dit : « il faut toujours prendre parti ». Un homme comme Jacques Lacarrière m’a beaucoup influencée, portée, avec ses colères, ses engagements, sa façon d’appréhender la planète.

Vous invitez cette année, outre Wole Soyinka et JM Coetze, deux immenses auteurs, tous deux prix Nobel, une libraire incroyable, Henriette Dax et la journaliste Florence Noiville qui parlera de Kundera…

Kundera fait partie de mes grands regrets. Le titre de Florence Noiville, Écrire, quelle drôle d’idée ! est si programmatique… La libraire Henriette Dax a accompli un travail merveilleux qui inclut la culture dans l’universel dans sa quête à travers le monde d’ouvrages rares. Une quête que rien n’arrête. Pour revenir aux 40 ans, je ne les ai pas vus passer. Le terme ferveur pourrait les évoquer. Rien ne s’achève vraiment quand il s’agit de littérature… 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Les Écritures Croisées
Du 12 au 14 octobre
Cité du Livre, Aix-en-Provence
04 42 26 16 85 
citedulivre-aix.com 

En octobre, Arles fait sa révolution numérique 

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Alice Bucknell, The Alluvials, 2023

Que raconte le numérique de notre vie quotidienne, et comment les artistes s’en emparent-ils ? Les questions sont vastes, le programme d’Octobre Numérique l’est aussi. Après s’être questionné sur le métavers l’an dernier, le rendez-vous arlésien interroge cette année l’intelligence artificielle, au cœur du programme, dans une approche qui se veut plus ouverte sur l’échange direct et le partage. Ainsi, du 11 octobre au 10 novembre, le festival propose une multitude de rencontres, expositions, performances dans plusieurs lieux d’Arles et de ses alentours. Une fascinante exploration des mondes virtuels, à travers le regard des artistes.

En guise d’ouverture, du 11 au 15 octobre le festival « questionne les interventions de l’intelligence artificielle dans la fabrique des mondes virtuels, jeux vidéo et expériences immersives » dans une série de rendez-vous. Comme par exemple le 13 octobre à la librairie Actes Sud, où une rencontre avec Valentin Schmite est organisée. Spécialiste de l’intelligence artificielle dans la culture, l’enseignant-chercheur pourra répondre à la question que beaucoup se posent : l’I.A. va-t-elle écrire les romans de demain ? 

Une grande expo 

C’est à l’église des Trinitaires que se tient l’exposition Intelligence des mondes, le principal temps fort du festival. Elle se présente comme un parcours ludique, composé d’« œuvres jouables » qui évoquent « toutes les facettes de l’IA, et déploie une vision élargie de la notion d’intelligence. » Parmi les œuvres exposées, on a hâte de voir The Alluvials d’Alice Bucknell, un jeu vidéo dans lequel l’artiste américaine dessine un « gigantesque projet de géo-ingénierie urbaine » sur le fleuve de Los Angeles. Ce travail, qui fait échos aux enjeux liés au Rhône, est présenté en première mondiale. 

Au programme également, l’exposition I.A. Générative & image des deux artistes-geek Thomas Pandelieu et Aurélien Meimaris, qui questionnent ensemble le rapport complexe et ambiguë de l’art à l’image. Notons aussi la grande Game Jam, où des étudiants de plusieurs universités et des artistes devront ensemble créer un jeu-œuvre, en seulement 40 heures… 

NICOLAS SANTUCCI

Octobre Numérique
Du 11 au 10 novembre
Divers lieux, Arles et alentours

Cinémanimé, et l’automne s’anime

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Mon ami robot © Wild Bunch

Au moment où s’envolent les hirondelles, apparaissent sur les écrans de notre région les films d’animation. À Aix-en-Provence, Vitrolles , en passant par Cucuron, Forcalquier, La Ciotat, Marseille, Veynes et bien d’autres… des films, en court ou long métrage, pour petits et grands. En tout, 31 salles du réseau des Écrans du Sud accueillent la 24e édition de Cinémanimé. Ce ne sera pas moins de 21 films, avant-premières, œuvres qui ont marqué l’histoire du cinéma qui seront présentées, sans oublier six ateliers animés par des professionnels : atelier doublage, Flip Book, carte-postale musicale, gif, ciné-philo-conte et praxinoscope en écho aux films présentés.

Des avant-premières

Ainsi on pourra voir en avant-première, une belle histoire d’amitié avec le premier film d’animation de Pablo Berger, adapté de la bande dessinée de Sara Varon, Mon Ami Robot à Martigues et au Pradet. Dans sept salles de la région dont l’Alhambra et Les Variétés de Marseille, ce sera Sirocco et le royaume des courants d’air de Benoit Chieux, Prix du public à Annecy : deux sœurs de 4 et 8 ans, découvrent un passage entre leur monde et celui du livre Le Royaume des courants d’air et devront trouver Sirocco, ce personnage terrifiant capable de contrôler le vent. Primé aussi à Annecy (Cristal du long métrage), Linda veut du poulet  de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach : comment trouver un poulet un jour de grève générale ? On pourra suivre la quête de Nina, prête à tout pour que son père retrouve le sourire, dans le troisième long métrage d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli, Nina et le secret du hérisson.

Des films à (re)découvrir

Quelle chance de pouvoir (re)voir La Sirène, ode à la résistance de la réalisatrice iranienne, Sepideh Farsi que le public de Saint-Rémy-de-Provence et de Six-Fours-les-Plages pourra rencontrer. Ou encore Contes et silhouettes de Lotte Reiniger,un programme de quatre courts-métrages réalisés entre 1954 et 1956 et adaptés des contes de Perrault, des frères Grimm et d’Andersen. Sans oublier deux films présentés dans le cadre des 100 ans de la Warner, Les Noces funèbres de Tim Burton, et Le Géant de fer de Brad Bird

ANNIE GAVA

Cinémanimé
Du 11 octobre au 7 novembre
Divers cinémas, Région Sud
seances-speciales.fr

Automne en Librairies, un festival à la page

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Automne en Librairie © Yann Gar

L’association Libraires du Sud fête en 2023 ses 25 années d’existence. Ce réseau de libraires indépendants, qui a tissé sa toile d’Arles à Nice et de Marseille à Gap, anime chaque année de nombreux événements ou rencontres et notamment Automne en Librairies, qui fête son huitième anniversaire cette année. 32 librairies et des médiathèques partout dans la région accueillent rencontres, ateliers, exposition dédicaces, du 11 au 14 octobre ; un événement d’autant plus réjouissants qu’il sera entièrement gratuit.

Un gros accent sera mis comme chaque année sur la littérature jeunesse. On retrouvera notamment l’illustrateur Bruno Salamone, qui animera à Hyères, Noves, Nice et Vitrolles des ateliers de créations de monstres rigolos. Laurine Roux présentera elle son dernier roman jeunesse Le Souffle du Puma à Laragne-Montéglin ; elle sera rejointe pour deux rencontres croisées à la librairie Vauban à Marseille et à la librairie les Parleuses à Nice par Camille Monceaux qui présentera sa trilogie jeunesse japonisante Les Chroniques de l’érable et du cerisier.

La bande dessinée Oliphant, signée par la scénariste Loo Hui Phang et le dessinateur Benjamin Bachelier, sera également à l’honneur lors de trois événements à Arles, Toulon et Marseille. La rencontre à Marseille le 13 octobre à 19h30 à la Fabulerie mettra en scène le percussionniste Dominique Mahut et le violoncelliste Frédéric Deville pour une présentation en musique de la bande dessinée, plongée dans une terrible expédition en Antarctique. Justine Niogret présentera quant à elle Quand on eut mangé le dernier chien, roman également inspiré par une expédition sur le continent glacé, à Nice, Châteauneuf-Grasse et Embrun. 

Littérature de proche

L’écrivain Marin Fouqué qui s’est également distingué dans la performance rap partagera les découvertes de son reportage littéraire À la terre à Manosque, Cadenet et Château-Arnoux-Saint-Auban. L’autrice Daphné Ticrizenis évoquera la parution de son anthologie féminine de littérature, Autrices : ces grandes effacées qui ont fait la littérature, lors de rencontres à Cavaillon, Gap et à la librairie Pantagruel à Marseille. Julia Kerninon évoquera d’autres figures féminines fortes dans son dernier roman, Sauvage, présenté à Salernes et à Aix-en-Provence. 

La jeune autrice Joséphine Tassy présentera à Aix-en-Provence, Salon et Istres son premier roman L’Indésir, publié aux éditions de l’Iconoclaste. L’auteur de romans policiers Caryl Férey présentera son dernier roman Okavango à Carpentras et à la librairie Maupetit à Marseille. L’auteur marseillais Didier Castino présentera à la librairie Prado Paradis son dernier opus Boxer comme Gratien. Enfin l’essayiste américain Eddy L. Harris évoquera son œuvre de voyage Le Mississippi dans la Peau lors d’interventions à Aix, Sainte-Cécile les Vignes et Brignoles. Le voyage ne fait que commencer !

SUZANNE CANESSA

Automne en librairies
Du 11 au 14 octobre
Dans 32 librairies membres du réseau Libraires du Sud
Région Sud
librairesdusud.com

Angelin Preljocaj et la jouissance de la torpeur

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Spectacle: Torpeur, Chorégraphie: Angelin Preljocaj, Interprètes: Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat-Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua, Compagnie Ballet Preljocaj, Musique: 79D, Costumes: Elenora Peronetti, Lumière: Eric Soyer, Dans le cadre du Festival Montpellier Danse, Lieu: Opéra Berlioz, Le Corum, Montpellier le 19/06/2023

Zébuline. Pourquoi reprendre Noces, créé en 1989, et Annonciation, créé en 1995 ? Quel intérêt prenez-vous à réinvestir ce répertoire ancien ? 

Angelin Preljocaj. Le thème de Montpellier Danse 2023, « Répertoire et création », recoupait une de mes préoccupations anciennes. J’ai toujours eu besoin de mettre en perspective ce que je suis en train de faire avec des répertoires, le mien ou d’autres. Et puis, une œuvre n’existe que si elle est donnée, et je pense qu’il est dommage de laisser mourir tant de pièces qui ont été créées avec de l’argent public, et donc lui appartiennent. Diffuser le patrimoine est important, et donne à la danse une épaisseur historique qui lui manque souvent. Les diffuseurs veulent avoir des créations, des premières… Cela n’est pas très écologique, cela coûte cher en décors, costumes, lumières, il faut s’interroger aujourd’hui sur ce mode de production et de diffusion du spectacle vivant, pour des raisons écologiques et budgétaires. 

En dehors de ces raisons de directeur de ballet, vous avez sans doute des motifs plus artistiques, plus personnels, pour reprendre ces deux pièces…

Bien sûr. J’aime mes interprètes, qui apportent beaucoup à mes œuvres. Le sens d’une pièce s’épaissit des différentes incarnations qui viennent l’habiller, la transformer. Un pianiste aujourd’hui qui jouerait Bach comme Glenn Gould aurait l’impression de bégayer, mais un qui jouerait sans connaître Glenn Gould passerait à côté d’une vision désormais essentielle à sa compréhension. Il en est de même pour la danse, mais on le sait moins. Chaque interprète lui apporte une inscription dans le temps, dans l’époque. Et rien ne marque mieux l’époque que le changement des corps.

Justement, concrètement, qu’est-ce qui a changé dans Noces ?  

C’est très étrange. La pièce est exactement la même, je n’ai pas changé un pas. Mais dans le rapport homme-femme, la violence est encore plus forte. La pièce met en scène un rapt sur la musique très tellurique de Stravinsky. L’assujettissement des femmes en est le sujet. J’y suis très sensible, cet état de société me révolte, j’ai une mère, quatre sœurs, une femme et deux filles, comment ne pas l’être !

Aujourd’hui, par rapport à 1989, ces sujets des violences faites aux femmes sont médiatisés et combattus. Mais l’assujettissement continue, la sauvagerie est toujours là. Les danseuses aujourd’hui s’en emparent avec encore plus de panache.

« Je cherche une grammaire de l’hébétude, un rythme, une dynamique de l’indolence »

Est-ce du même ordre pour Annonciation ? Le duo est plus intime et plus intemporel… 

Annonciation c’est une forme à habiter qui dépend davantage encore des interprètes. Les Annonciations sont toujours peintes dans des jardins clos, qui symbolisent la virginité de la Vierge à qui l’Ange vient annoncer qu’elle porte l’enfant de Dieu. Cet espace est scénographié avec un tapis rouge, qui symbolise le ventre, le sang. Lorsque l’Ange pénètre cet espace réduit, contraint, intime, il a la forme d’une femme. Je ne voyais pas un homme pénétrer cet espace.

L’ambiguïté de genre de l’Ange est-il le même aujourd’hui ? Vous avez eu des interprètes très intergenres, à l’époque on disait androgyne. Comment cela résonne-t-il ? 

L’Ange a une gestuelle immédiatement martiale. Son arrivée est une déflagration, qui s’entend dans la musique. L’espace ne peut pas contenir un tel être, il vole en éclat. Comme le temps. On est dans une réalité quantique, dont la durée varie selon les protagonistes, une éternité, un instant. Tout est dans les mains, les corps, les gestes des danseuses. Tout cela est très précis, et doit être extrêmement habité. Bien sûr, pour chaque duo, c’est une création.

Vous avez également créé une autre pièce, Torpeur, qui vient compléter le programme… 

Torpeur est une petite forme sans décor qui explore un état de corps. J’ai toujours aimé chercher de ce côté-là. Ma danse est plutôt vive, j’aime bien chercher ce qui peut contrer cela, explorer le poids dans Gravité, l’extase dans Near Life Experience. Là j’ai cherché une grammaire de l’hébétude, un rythme, une dynamique de l’indolence. J’ai besoin de tracer les choses dans les corps, que l’émotion surgisse de la forme et pas de l’affect. Les corps de la danse peuvent parler directement aux corps des spectateurs si on parvient à cela. Alors j’alourdis, je ralentis, j’épaissis. Je vois ce que cela donne, l’effondrement d’un corps. Un effondrement volontaire, consenti, une jouissance de la torpeur. Celle qui nous saisit quand il fait très chaud, que l’on n’a pas envie de bouger, et que le plaisir qui en découle est immense … 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

Noces, Annonciation, Torpeur
Par Angelin Preljocaj
Du 11 au 15 octobre
Pavillon Noir, Aix-en-Provence