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Sur les traces du cheval blanc

Pour l’ouverture du Festival d’Aix-en-Provence, Romeo Castellucci proposait une mise en scène exubérante de la Résurrection de Gustav Mahler. Laissant la musique et son orchestre au second plan

Événement s’il en était, la Symphonie n° 2 en ut mineur, « Résurrection » de Gustav Mahler ouvrait le Festival d’Aix-en-Provence. La symbolique du terme, réponse à deux années sous le boisseau de la pandémie, s’attachait aussi au lieu qui accueillait le somptueux Orchestre de Paris dirigé avec élan et précision par Esa-Pekka Salonen : le Stadium de Vitrolles, bâtiment construit sur les plans de l’architecte Rudy Ricciotti (qui écrivit à son sujet : « ce monolithe noir et poétique ») et destiné à recevoir concerts et manifestations sportives – malheureusement fermé quatre ans après son inauguration en 1994 par la mairie Front National nouvellement élue (1998). L’énorme cube noir posé sur le rouge d’une ancienne décharge de bauxite a été, depuis cette date, saccagé et habité par le monde interlope de la nuit. Des travaux de rénovation ont rendu le site accessible, tout en lui laissant les stigmates de ses années d’abandon. Le titre « résurrection » scellait ici l’union entre une œuvre, une fin de période de restrictions et la renaissance d’un lieu culturel. Bref, entre la revanche des forces démocratiques et la symbolique de la monumentale symphonie, il était aisé d’emplir d’élan et d’enthousiasme les foules. 

Paroxysme sonore

La qualité de l’orchestre, de son chef, des chœurs (Chœur de l’Orchestre de Paris et Jeune Chœur de Paris), des deux solistes, la soprano Golda Schultz et l’alto Marianne Crebassa  s’accordent à l’ampleur de l’œuvre. On ferme les yeux et on se laisse transporter par les vagues sonores. Se dessinent avec force les fresques des premier et dernier mouvements, les éclats tourmentés d’une âme, lumières contrastées, violemment portées par les ombres. Le ländler qui débute le second mouvement apaise l’impétuosité des origines, se pare d’un sublime contre-chant de violoncelles. Les timbales du troisième mouvement dessinent l’entrée de la mélodie des cordes et des vents, opposant légèreté et tragédie. La contralto que Mahler souhaitait entendre chanter « comme un enfant au paradis », soutenue par les cuivres, épouse le chant populaire Urlicht, « O Röschen rot » (Ô petite rose rouge). Le Dies Irae du dernier mouvement souligne la fragilité de l’existence humaine, déchainements des cuivres, chœurs emportés, récitatifs ciselés, martèlements percussifs… la résurrection promise est amenée par un paroxysme sculpté dans la masse sonore. Le temps s’efface…

Résurrection de Gustav Mahler – direction musicale Esa-Pekka Salonen – mise en scène Romeo Castellucci – Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Monika Rittershaus

Une pluie rédemptrice, on ne sait, inonde alors le plateau couvert d’une terre aride, apportant à la touffeur de l’été une fraîcheur bienvenue. Pourquoi les yeux fermés ? Un cheval blanc a d’abord arpenté la scène, image de liberté, de pureté, sans doute, mais sa propriétaire fait une découverte macabre, appelle les secours. Une équipe d’experts vêtus de combinaisons blanches (on se croirait dans E.T.) extrait du sol, durant tout le spectacle, une ribambelle de cadavres, adultes, enfants, bébés, corps déposés sur des sacs mortuaires dans lesquels ils seront ensuite transportés dans les fourgonnettes des légistes. Le bruissement de leur activité (qui trouve un écho dans celui de la pluie finale) se superpose à celui de la symphonie. Il y aura même un tractopelle pour peaufiner le travail ! Les corps découverts et emportés, une femme continuera à s’acharner sur le sol, cherchant encore un possible oubli… Le caractère régulier et attentif des personnages jure avec la luxuriance de la musique. De résurrection il n’y a guère, de transcendance non plus.

Certes, appeler un grand metteur en scène comme Romeo Castellucci pour l’ouverture du festival était un pari réussi (le public s’est précipité en masse pour assister à l’événement), mais on peut se demander pourquoi une telle exubérance morbide et même, en amont, pourquoi avoir voulu à tout prix construire une mise en scène pour une symphonie, la musique est suffisamment éloquente à elle seule pour emplir les imaginaires. Avec ce dispositif, les violons et le chef d’orchestre étaient invisibles. Le plaisir de voir diriger une telle œuvre a manqué, terriblement. 

MARYVONNE COLOMBANI

Résurrection a été donné du 4 au 13 juillet au Stadium de Vitrolles dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence

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