mercredi 2 octobre 2024
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Avec les Voyageurs

L’exposition Barvalo, réalisée par le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, met à l'honneur la richesse des cultures romanis

Barvalo : en langue romani, le mot signifie « riche ». Matériellement, certes, mais aussi culturellement, voire spirituellement. Il prend également le sens de « fier » dans de nombreux dialectes romanis contemporains, d’après le comité d’experts de la nouvelle exposition du Mucem. Et c’est exactement le sentiment qu’éprouve le visiteur, lorsqu’il émerge, légèrement ébouriffé, de ce parcours empreint d’une vitalité détonante. Deux cents œuvres et documents, issus des fonds du musée, étoffés par une recherche-collecte conséquente, complétés par les prêts de nombreuses institutions à travers l’Europe, cela ne s’avale pas en trois-quarts d’heure. Prévoyez une demi-journée pour rendre honneur au fruit du travail, sept ans durant, de ses concepteurs.

Pas de représentation sans représentés

Dans le sillage de l’exposition VIH/Sida, qui avait marqué les esprits en 2021, la méthode muséale s’est faite collaborative, faisant appel à la participation des personnes concernées. « Trop souvent, ceux qui étaient représentés étaient exclus du processus de représentation, explique Jonah Steinberg, co-commissaire de Barvalo avec Julia Ferloni et Anna Mirga-Kruszelnicka. On a voulu réparer cela. » C’est ainsi que le processus de création a été développé avec l’Eriac (European institute for arts and culture), organisation transnationale œuvrant pour la reconnaissance de la culture et des arts romanis. Une équipe de 19 femmes et hommes, Roms, Sinti, Manouches, Gitans ou Voyageurs ont contribué à l’entreprise.
Et le résultat est là. La scénographie est faite pour impliquer émotionnellement le public, invité à suivre quatre « guides », vraies personnes issues de communautés romanis, dont le propos filmé ponctue le parcours. Il s’agit de faire éprouver la force nécessaire pour faire face aux stéréotypes pesant sur les gens du voyage depuis leur arrivée sur le continent européen, après avoir quitté l’Inde, il y a plus de sept siècles. Dès l’entrée, un bel arbre réalisé par une plasticienne, Marina Rosselle, symbolise ce qui unit les différentes populations romanis, de l’Atlantique à la mer Noire : leur langue. Des racines communes jusqu’à un bourgeonnement contemporain éclatant, représenté par les mots de la poétesse Papusza (1908-1987) inscrits sur ses feuilles.
Le choix des œuvres met en évidence la fascination/répulsion dont le mode de vie nomade a fait l’objet dans les pays de culture sédentaire où les roulottes des « Bohémiens » circulaient. D’une petite estampe sur papier, L’Oriental et sa femme, signée Albrecht Dürer en 1496, au détournement, par l’étoile montante de l’art contemporain Małgorzata Mirga-Tas, de celles d’un peintre et graveur français, Jacques Callot (1592-1635), empreintes de stéréotypes. Son patchwork monumental, Out of Egypt, a été acquis à raison par le Mucem : cousu à partir de tissus récupérés auprès de familles Roms, il représente en féérie le cliché du peuple voyageur, trop souvent dépeint comme voleur de poules ou d’enfants.

Retourner les préjugés

L’humour est un moyen efficace de se révolter contre l’ostracisme, mais il est rare que les cimaises lui fassent une place importante. Ce n’est pas le cas de Barvalo : l’un des clous de l’exposition est le Musée du Gadjo conçu spécifiquement par Gabi Jimenez. Une pièce dédiée à l’évolution de l’ « Homo Gadjo », des origines à nos jours, calquée sur les préjugés des musées d’ethnographie du XXe siècle, en les renversant. On y trouve par exemple des boules de pétanques préhistoriques, une figurine de Rahan (blond, bien-sûr), et l’on y apprend que vers 7 520 avant notre ère, il se sédentarise, substitue l’échange monétaire au troc, pour acquérir des biens (nourriture, armes, partenaires sexuels, territoires…), devenant ainsi radin, misogyne et capitaliste.
Indéniablement, la grande réussite du propos, à mettre au crédit d’un musée de société tel que le Mucem, est l’accent mis sur l’histoire. Les peuples romanis ont subi siècle après siècle des persécutions, qui ont culminé avec l’Holocauste. Samudaripen, le « meurtre de tous » commis par les nazis, entraîna la disparition quasi-totale des communautés dans certains pays sous leur coupe. Une carte pointe les camps d’extermination (un demi-million de disparus, selon les estimations des historiens) et la trentaine de camps d’internement de gens du voyage disséminés sur le seul territoire français. Leur engagement dans la Résistance est souligné, à travers notamment le récit de Sylvie Debart, dont le grand-père s’engagea. Une capacité de contestation face à l’oppresseur qui se poursuit aujourd’hui : en témoigne une grande banderole rouge, réalisée par des femmes vivant sur une aire d’accueil insalubre, exposée aux pires pollutions industrielles, comme c’est bien trop souvent le cas : « On bouffe de la poussière, nos poumons sont du béton ».
Pour prolonger et approfondir l’effet de la visite, le catalogue de l’exposition est à recommander. Bilingue français / romani, il explicite chaque angle de ce travail collectif, sa méthodologie, met en lumière le détail des œuvres, et permet d’emporter chez soi un peu de Barvalo.

GAËLLE CLOAREC

Barvalo
Jusqu’au 4 septembre
Mucem, Marseille
04 84 35 13 13
mucem.org
À lire
Barvalo Roms, Sinti, Gitans, Manouches, Voyageurs...
Coordonné par Françoise Dallemagne, Julia Ferloni, Alina Maggiore, Anna Mirga-Kruszelnicka, Jonah Steinberg
Éditions Mucem/Anamosa, 35 €
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