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G.R.O.O.V.E. : la fiction précède le réel

Le Festival d’Avignon s’est ouvert avec G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé. Créé le soir même de la mort de Nahel au Festival de Marseille, le spectacle avait eu une résonnance particulière

En 2019 avec Les Indes galantes, la chorégraphe Bintou Dembélé avait marqué les esprits en introduisant l’esprit insurrectionnel à l’Opéra de Paris. À Marseille, et dès ce soir à Avignon, G.R.O.O.V.E. est une clef pour comprendre pourquoi notre réel s’embrase.

Le spectacle est déambulatoire. Il veut nous déplacer, nous emmener avec lui vers une conscientisation, peu à peu, durant trois heures. Il commence au cinéma, par la projection de trois courts métrages explicites qui marquent le contexte social et historique des danses hip-hop, ou plus généralement groove, et populaires. Contre l’apartheid, la misère, l’homophobie, issues de traditions millénaires comme en Inde du Sud, ces danses telluriques, ancrées dans le sol, le rythme, la performance, affirment toutes la présence physique, et niée, des « intouchables », des racisés. Dans chaque culture.

Après les films, le public sort de la salle. Bintou Dembélé présente les artistes, dédie le spectacle à Nahel, reçoit de très longs applaudissements. Une communion de vue s’installe, et les parcours commencent. On s’assied en rond autour d’un chant suspendu, d’un solo de danse, d’une cithare. Les installations d’un public très nombreux, autour de chaque forme, sont un peu laborieuses, pour des interventions parfois anecdotiques. Le doute vient.

Puis il y a cette scène, frappante, d’un corps assassiné qu’un groupe silencieux traine longuement à terre, puis suspend, soulève, tandis que tout autour du public des dizaines de costumes vides s’élèvent, comme autant de victimes anonymes des violences et ségrégations racistes.

Le poing levé

Il est temps alors de réunir les groupes et de cheminer, en procession, vers le théâtre. D’y assister aux Indes galantes. L’opéra de Rameau et sa célèbre « Danse des Sauvages » boucle le parcours, et inscrit la danse dans l’histoire coloniale de la France. Les danseurs entrent sur scène comme des robots asservis, indifférenciés, souffrants. Puis ils relèvent la tête, frappent des pieds, exécutent des soli d’une virtuosité folle, se démembrant, tournant sur la tête, renversés. Le groupe fait corps autour des individus, éclatants de talent et de force. Et lorsqu’ils lèvent le poing, libérés, l’insurrection est là…

C’est pourtant au partage qu’ils invitent le public, qu’ils viennent chercher un à un pour danser avec eux. Pour que la fête succède à l’oppression. Pas sûr que, pour cette fin-là, la fiction précède le réel. À Marseille, le 30 juin, c’est la violence qui attendait le public à sa sortie du spectacle. Trop tard pour se comprendre ?

AGNÈS FRESCHEL

G.R.O.O.V.E.
Du 5 au 10 juillet à 17 h, relâche le 7
Départ cinéma Utopia
festival-avignon.com
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