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Un géant et deux puissantes

Herbie Hancock, Anne Paceo et Asa ont fait les belles heures du festival Marseille Jazz des Cinq Continents

Le concert d’Anne Paceo, donné en prélude au set d’Herbie Hancock, a constitué bien plus qu’une charmante mise en bouche. Il faut dire que la batteuse et compositrice, qui s’aventure également sur le terrain du chant, a développé une identité et une esthétique fortes, qui culminent sur son dernier opus S.H.A.M.A.N.E.S. À mi-chemin entre jazz, musiques du monde et répertoires sacrés, sa musique sait abolir la pulsation, élargir les possibles du temps. Les litanies espagnoles entonnées par Isabel Sörling et Marion Rampal sur le très beau Piel se font charmeuses et inquiétantes ; elles dialoguent sur Here and everywhere avec les vocalises du saxophoniste Christophe Panzani et les syncopes ajustées du pianiste Tony Paelemann. De toutes parts, discrètes mais omniprésentes, les percussions d’Anne Paceo, cœur battant à tous les rythmes et sur tous les tons, accompagnent la mutation permanente des lignes et textures avec douceur et bienveillance.

Furie jazz

Herbie Hancock était sans doute l’artiste le plus attendu de tout le festival. Ses fans les plus aguerris auront reconnu le monstre de charme et de technique. Dès l’Overture endiablée, le claviériste navigue d’un thème à l’autre, traversé d’harmonies fulgurantes de richesse. La trompette de Terence Blanchard s’y distingue, tour à tour mélodieuse et tapageuse, de même que la guitare redoutablement funky de Lionel Loueke. Contrepoint idéal au piano rêveur et désarticulé qui se déploie. Sur le classiquissime Chamaleon, son inénarrable keytar se voit talonnée par le bassiste James Genus et ses envolées mélodieuses. La générosité de Hancock l’emporte très largement sur son désir de briller : sa reprise du Footprints de Wayne Shorter, d’une inventivité folle, demeure pourtant très fidèle à son complice de toujours. La furie jazz sait se teinter de mélancolie soul : ravi d’immiscer sa voix passée au filtre du vocodeur, Hancock livre sur Come Running to Me la prestation la plus envoûtante de la soirée.

Afro-folk

C’est sur le doux-amer Ife qu’Asa ouvre un set très attendu. « They tried to tear us apart », premiers mots entonnés par la chanteuse franco-nigériane sont d’une mélancolie tangible. Choix étrange pour une entrée en matière auquel succédera l’amertume de Dead Again, autre balade qui l’avait imposée en maîtresse du genre. Le non moins célèbre Why Can’t We qui suit opère un sursaut de joie : la plus digne représentante de l’afro-folk d’aujourd’hui sait mâtiner ses refrains entêtants d’accents pop, et ses arrangements d’inflexions reggae. Épaulée par une équipe non moins talentueuse – les claviers de Ludovic Fiers en tête– l’artiste teinte les sonorités afro-beat de son dernier opus de couleurs plus instrumentales, notamment sur le très réussi Ocean.

SUZANNE CANESSA

Anne Paceo et Herbie Hancock se sont produits le 19 juillet et Asa le 23, au Palais Longchamp à Marseille, dans le cadre du festival Marseille Jazz des Cinq Continents

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Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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