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De toutes les Europe choisirons-nous la pire ? 

L’Europe, avant d’être une construction politique, est un fantasme culturel, un mythe, une princesse phénicienne amie des nymphes, une idée. Le silence obstiné des candidats aux élections européennes, de toutes les nations, sur les politiques culturelles qu’ils veulent mettre en place, témoigne de leur cécité historique, et ouvre la porte au pire des scénarios possibles : celui d’une Europe qui revient à sa féodalité, une Europe forteresse s’érigeant contre le monde, ses circulations, ses impuretés, ses migrations, contre la diversité sociale et d’origine des citoyens qui la composent, et contre sa propre histoire de progrès social et de lumière des esprits.

Une Europe de progrès

Pourtant l’idée d’une Europe politique affranchie des monarchies autoritaires et des féodalités est née sous des plumes littéraires. Montesquieu rêve d’une « nation composée de plusieurs » qui irait jusqu’à « la Moscovie », et dont l’unité reposerait sur le « doux commerce », source d’échange et de prospérité. Une vision que l’on nommerait aujourd’hui libérale et qui a prévalu à la construction européenne de Jean Monnet et Robert Schuman, fondée sur le commerce, le charbon, l’acier et la politique agricole commune. 

À cette vision s’opposait dès le XVIIIe siècle Rousseau, qui imaginait une Europe politique qui garantirait « une paix perpétuelle et universelle » en se dotant d’un nouveau contrat social liant non les gouvernements, mais « les Peuples ». Victor Hugo et son lyrisme, qui imaginait des États-Unis d’Europe fondés sur la « fraternité », s’inscrit dans cette idée d’une construction par les peuples d’un système de gouvernement commun, fédération ou confédération, qui les préserve de la guerre menée par les monarques et autres autocrates. 

Ces idées sont aujourd’hui encore à l’œuvre dans les gauches et les droites européennes, qui semblent pourtant avoir oublié que leurs fondements profonds sont culturels et philosophiques.

Au nom des Pères

L’extrême droite quant à elle ne l’ignore pas, et oppose à ces Europe de paix, libérale ou sociale, l’Europe des Patries, celle que nos États nations, nos Républiques, nos démocraties, croyaient avoir vaincue : celle du souverainisme chrétien, enraciné, reposant sur un ordre familial qui reproduit en son sein l’autocratie par la domination du père, et sur l’inégalité des « patrimoines », mot qui désigne à la fois la fortune et la culture, et établit des hiérarchies entre les peuples et les classes sociales. 

Cette Europe, tenue loin des représentations et des désirs par l’effroi post-nazisme, se redéploie aujourd’hui sans retenue, reposant sur l’échec du « doux commerce » qui a triomphé dans l’espace européen, en exploitant les colonies et les travailleurs jusqu’à rompre le contrat social. 

C’est pourtant en affirmant les droits culturels de tous·tes contre les patries, les patriarcats et les patrimoines qu’un nouvel universalisme pluriversel pourrait faire renaître l’idée d’Europe. Fraternelle, égalitaire et sororale.

AGNÈS FRESCHEL

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