jeudi 6 novembre 2025
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Ulysse s’échoue à Porquerolles

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Le Songe d'Ulysse Villa Carmignac Porquerolles Jorge Peris Héroes boca a bajo 2022 © Jorge Peris coproduction Fondation Carmignac et lartiste. Courtesy de l'artiste - Photo : Marc Domage

Créée en 2000, la Fondation Carmignac s’articule autour de deux axes principaux : une collection d’art contemporain, qui comprend actuellement plus de trois-cents œuvres, et le Prix du photojournalisme soutenant annuellement un reportage d’investigation. Il fait aussi l’objet d’une exposition et d’un catalogue. Depuis juin 2018, en partenariat avec la Fondation, la Villa Carmignac, sur l’île de Porquerolles, est un lieu d’exposition accessible au public, qui propose des expositions temporaires, un jardin habité par des œuvres spécialement créées pour le lieu, ainsi qu’une programmation culturelle et artistique.

Homérique

Ulysse serait-il échoué sur l’île de Porquerolles au cours de son épopée vers Ithaque ? Y-a-t-il combattu et terrassé l’Alycastre, ce monstre envoyé par Poséidon (et sculpté par l’artiste Miquel Barceló à l’entrée de la Villa Carmignac) : la question reste ouverte. Ce qui est sûr, c’est que l’Odyssée d’Homère, et une balade sur l’île en compagnie du romancier-aventurier Sylvain Tesson, ont inspiré au directeur général de la Villa, Charles Carmignac – ex musicien du groupe Moriarty, – cette nouvelle exposition. Un parcours esthétique et mythologique, peuplé de femmes, de monstres, de héros, d’êtres fabuleux et divins, d’animaux, dont le commissariat a été confié à Francesco Stocchi (conservateur du musée Boijmans van Beuningen à Rotterdam). Soixante-dix œuvres modernes et contemporaines, issues des collections de la Fondation (Roy Lichtenstein, Cindy Sherman, Louise Bourgeois, Martial Raysse…) ou conçues spécialement pour l’exposition. À parcourir dans une scénographie imaginée par la Milanaise Margherita Palli, faite de couloirs et de croisements, de pièges et de trompe-l’oeil. À l’image du long retour d’Ulysse, avec ses bifurcations, ses impasses et ses pièges, les visiteurs sont confrontés à des choix : prendre cette voie ou lui tourner le dos, voir une œuvre et pas une autre.

MARC VOIRY

Le Songe d’Ulysse
Jusqu’au 16 octobre
Villa Carmignac, île de Porquerolles
04 65 65 25 50 fondationcarmignac.com

La Villa Arson désoriente le présente

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Luca Vitone – Panorama (Pisa), 2006 , Telescope. Courtesy of Gianni Garrera collection, Roma. Credit Jean Christophe Lett

Trois expositions cet été sont proposées par la Villa Arson. Celle de l’artiste portugaise Carla Filipe, Hóspede [hôte], imaginée dans le cadre de l’année du Portugal en France. Celle du collectif Clusterduck, Meme Manifesto, et celle consacrée à l’art italien depuis les années 90 Le futur derrière nous. Elle même reliée à l’exposition Vita Nuova au Mamac, consacrée à la scène artistique italienne entre les années 1960 et 1975.

Née en 1973, Carla Filipe vit et travaille à Porto, et s’intéresse, dans une esthétique qualifiée de lo-fi et punk, associée à des panneaux de signalétique, du graffiti et des publicités politiques pré-numériques, aux transformations politiques, économiques et sociales qui façonnent les tensions et les contradictions de notre présent. Dans son installation-exposition en 28 drapeaux, Hóspede [hôte], elle questionne les notions d’hospitalité et d’Europe.

Le collectif Clusterduck (collectif italien interdisciplinaire d’artistes, activistes, théoriciens et web designers) a décidé d’explorer le monde des « mèmes », partagés à l’infini et quotidiennement sur les réseaux sociaux (qui n’a toujours pas vu Bernie Sanders avec ses moufles ?). Avec leur installation murale associée à une installation vidéo interactive, il s’agit pour ce collectif « d’escorter les visiteurs au cœur d’un voyage dans l’inconscient collectif d’internet et de ses représentations » et de questionner leurs impacts politiques.

Quant à Le futur derrière nous, exposition organisée dans le cadre de la présidence française de l’Union Européenne, il s’agit d’un regard sur les trois dernières décennies de la scène artistique italienne contemporaine. À travers les peintures, installations, vidéos, arts sonores et performances d’une vingtaine d’artistes, résonnant avec les idées utopiques de leurs aînés, regard orienté par « une double hypothèse : d’une part, la désorientation du présent et, d’autre part, la relation avec l’effacement de l’histoire récente ».  

MARC VOIRY

Hóspede [hôte]
Meme Manifesto
Le futur derrière nous
Jusqu’au 28 août
Villa Arson, Nice
villa-arson.fr

Au CAC de Briançon, le concret se fait la belle

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© Anaïs Boileau

Le Centre d’Art Contemporain de Briançon est installé dans les anciennes prisons du palais de Justice de la cité Vauban et permet de découvrir la création contemporaine sous toutes ses formes, lors de rendez-vous réguliers, gratuitement. Des événements qui sont aussi hors-les-murs, comme c’est le cas, tout cet été, au parc de la Schappe, avec le travail d’Anaïs Boileau.

Née en 1992 à Nîmes, cette artiste photographe a déjà dans son palmarès de nombreuses expositions, distinctions et collaborations. On peut citer son projet Plein Soleil (inspirée par les femmes bronzant pendant des heures sur les plages du Sud de la France) qui a été présenté à New York en 2015 et à Photo Katmandou au Népal. Ses deux prix récoltés lors de la 31e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de Hyères. Sa participation au festival photo de Thessalonique en Grèce au printemps 2018 ainsi qu’au festival photo Encontros da Imagen à Braga au Portugal en septembre 2019. Depuis sa première collaboration en 2015 pour M le magazine du Monde, elle travaille régulièrement pour la presse française et internationale.

À la limite du réel

Travaillant en série, inspirée par les cultures méditerranéennes, et par la peinture de Matisse, Gauguin, Neo Rauch, tout comme la photographie de Rineke Dijkstra, elle souhaite proposer une réflexion poétique sur la façon dont le territoire est pensé, vécu et raconté. « En créant des images picturales et en axant mon travail sur la couleur et la forme, j’ouvre une réflexion sur la manière dont nous pouvons représenter les choses simples de la vie quotidienne. Dans une évocation de sensations, j’aborde les différentes expériences et approches que nous avons avec les objets et ce qu’ils nous disent sur nos manières de penser et de vivre. » Des images rythmées, à la limite du réel et de l’abstraction, qu’elle compose intuitivement avec des chutes de papiers, des végétaux, des toiles chinées, des objets et matériaux de récupération.

MARC VOIRY

Anaïs Boileau
Jusqu’au 25 septembre
Centre d’Art Contemporain, Briançon
ville-briancon.fr

Brandon Ballengée : bio-artiste engagé

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©M.VP_

Le Cairn, Centre d’Art Informel de Recherche sur la Nature, invite des artistes qui questionnent notre rapport à la nature, tels que Mark Dion, Delphine Gigoux-Martin, herman de vries, Andy Goldsworthy, Till Roeskens… Une activité menée à travers sa salle d’exposition temporaire, mais aussi, voire surtout, hors-les-murs, avec un parcours ponctué de sculptures sur trois sentiers du parc Saint-Benoît, où le Cairn se situe, et une collection d’œuvres pérennes sur le territoire de l’UNESCO Géoparc de Haute-Provence (plus de 200 000 hectares).

Cet été, c’est l’artiste américain Brandon Ballengée, également scientifique et militant écologiste, né en 1974, qui va occuper les lieux. Il a parcouru la planète pour étudier les espèces naturelles d’amphibiens déformés ou malformés, sentinelles de notre écosystème. Lors de sa première exposition personnelle à Londres en 2006, il avait proposé d’étonnantes photos scannées en haute résolution, des vidéos et des spécimens naturalisés de crapauds déformés. Un artiste qui joue volontiers avec les règles de l’espace muséal, environnement statique et maîtrisé, par l’implantation de structures organiques. En Louisiane où il réside, Brandon Ballengée mène des « éco-actions » hybridant pratiques artistiques et sciences participatives, afin de resensibiliser aux écosystèmes à travers des recherches de terrain. Préparée en juillet 2021 par une semaine de repérage du contexte dignois (exploration de sites, rencontres avec des entomologues de la région et observation nocturne de papillons de nuit…) cette exposition présente le travail d’un artiste inquiet du changement climatique et du déclin accéléré des espèces. Il déclare : « L’objectif sous-jacent est d’accroître la compréhension des problèmes environnementaux localisés tout en étant conscient que chacun d’entre nous, en tant qu’individu, a un impact et peut faire une différence dans notre environnement global ».

MARC VOIRY

Brandon Ballengée
Jusqu’au 30 septembre
Cairn, Digne-les-Bains
cairncentredart.org

Mots pour maux

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Elles ont toutes les deux commencé très jeunes à faire du théâtre, puis des one-woman-show, et de fil en aiguille, les voilà écrivaines et comédiennes éblouissantes. On les avait repérées depuis l’été dernier sur les réseaux sociaux arpentant les rues d’Avignon, faisant des clins d’œil aux internautes, parlant de leur spectacle sans en dévoiler le propos. Cette fois il ne fallait pas les rater. Les voilà sur scène, étendant du linge, tâche ménagère ordinaire et typiquement caractéristique du travail quotidien de la ménagère. Cette corde à linge choisie par le metteur en scène Hervé Lavigne devient le fil conducteur du spectacle. Se succèdent alors une série de scénettes qui exposent des situations de violence faites aux femmes. Une bourgeoise se donne bonne conscience en sauvant une Cambodgienne de l’enfer de son pays mais la réduit en esclavage. Des enfants sont traumatisés par les cris de leur mère battue. Une adolescente raconte à sa mère qui ne veut pas l’entendre le viol commis par son frère. Une fille tente d’expliquer à son père par téléphone son homosexualité… 

Dialogues incisifs

Ces situations traumatisantes, ces dialogues incisifs ont été écrits avec finesse à la suite d’une multitude de témoignages de victimes, de travailleurs sociaux, de membres d’associations. Milouchka et Chrystelle Canals interprètent cette multitude de rôles avec talent, passant d’un registre à l’autre avec une virtuosité remarquable. Parmi le public l’émotion est à son comble. Notamment quand, vers la fin de la représentation, Milouchka s’avance en bord de scène : « Maintenant je vais parler de moi, de mon corps. » Atteinte d’obésité, elle confie les difficultés de sa vie quotidienne puis se met à danser. Cependant ne croyez pas que ce spectacle soit plombant, il y a aussi de l’humour, comme ce moment hilarant où les deux complices abordent le problème des règles qu’elles nomment malicieusement « pâquerettes ». Comme elles le disent, ce spectacle « ne changera pas la face du monde », mais il peut certainement stimuler les consciences.

Les Maux Bleus a été joué du 7 au 30 juillet au théâtre La Luna, à Avignon, dans le cadre du festival Off.
La pièce reçu le prix Avignon Award 2022.

À propos d’une humanité liée

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Et si la vie n'était qu'un début ?, Jean Testanière, édition XO

On pourrait penser au premier abord que le livre de Jean Testanière, Et si la vie n’était qu’un début ?, n’est qu’une reprise facile de thèmes chers à Marc Lévy (la première de couverture est programmatique) ou d’éditions plus ou moins illuminées pondues par les escrocs et charlatans de tous poils qui exploitent à loisir les foules crédules. Il n’en est rien. Adeptes du paranormal : fuyez, vous seriez déçus ! Le texte tient davantage de la confession, du retour sur soi, dépouillé de toute volonté littéraire. L’auteur parle de lui à la première personne, simplement, énonce, faits, observations, souvenirs, rencontres. D’abord il y a l’étonnement, la peur, face à des capacités qu’il ne comprend pas, ne maîtrise pas : enfant, il subit littéralement des visions qu’il ne saisit pas comme telles. Il raconte ainsi à ses condisciples une remise de devoirs scolaires qui n’a pas eu lieu encore. En proie à la peur de  ce qui lui arrive, objet de suspicion quant à ses affirmations, le jeune garçon essaie toutes les stratégies possibles pour cacher ce qu’il considère alors comme une anormalité.

Auxiliaires de vie

Entre le soutien indéfectible de sa famille, des amitiés fortes, l’intervention de personnes « voyantes », Jean se construit, s’accepte, développe ses dons de clairvoyance. Jamais il n’en fera commerce. Le mystère de ces fulgurances, de cette complicité involontaire avec ceux qui ne sont plus mais qui apparaissent, parlent, toujours dans la bienveillance, reste entier. Le livre tourne aussi autour de l’insondable, de l’impossible, de l’irrationnel. Le scripteur ne ment pas, il expose avec un étonnement toujours neuf ce qu’il ressent, perçoit. Cet émerveillement du monde est particulièrement touchant. La confession devient une déclaration d’amour à l’humanité, à certains êtres précis aussi. Il y a les anonymes, mais aussi des noms connus (fort connus même) qui émaillent le récit, artistes, politiques. Leurs inquiétudes leur redonnent la dimension humaine que la starification leur avait fait perdre. C’est une histoire d’espérance que nous livre Jean Testanière, animé par la certitude de l’existence du monde des esprits. Grâce à ce long retour en arrière à la fois narratif et introspectif, il apprivoise l’idée de la mort qui l’a tant bouleversé : il perd son père alors qu’il n’a que six ans. Dépassant l’opposition traditionnelle entre la connaissance et la croyance, il se sert des verbes que sont « savoir » et « croire » comme « les deux auxiliaires qui (lui) permettent de conjuguer la vie à tous les temps, les couleurs primaires que servent à créer toutes les teintes, (ses) deux piliers fondateurs ». La croyance en un autre univers où les esprits perdurent, « autre forme de vie qui succède à notre existence terrestre », devient le socle d’une déclaration d’amour universel. La collation de témoignages en fin de livre semble être là pour soutenir le petit garçon que personne ne croyait et l’assurer de la pertinence de son propos.

MARYVONNE COLOMBANI

Et si la vie n’était qu’un début ?, Jean Testanière 
Éditions XO
19,90 €

Jour de gloire aux Chorégies

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Missa Solemnis © Gromelle

On sait combien le Théâtre antique d’Orange se prête aux symphonies monumentales. Plus encore peut-être qu’à l’opéra, et certainement plus qu’au récital soliste-orchestre, qui nécessite quasi systématiquement une légère amplification. L’effectif conséquent nécessaire pour la Missa Solemnis de Beethoven semblait ainsi tout indiqué pour les Chorégies et leur 14 juillet. Ce sont donc cinq chœurs qui ont uni leurs forces sous la direction de John Nelson : les formations universitaires du COGE et du COSU, le Chœur de Grenelle, et deux chœurs suisses (Le Motet genevois et le Laudate Deum de Lausanne). Cinq chœurs qui ont fait preuve d’une cohésion et d’une implication à toute épreuve tout au long du concert. Rythmiquement inattaquables, les voix choristes ont également déployé un sens du phrasé et une texture d’une rare richesse. Le mérite en revient de toute évidence aux interprètes eux-mêmes, mais aussi à l’attention toute particulière que semble leur avoir accordée le chef, dirigeant assis et à main nue là où d’autres ne ménagent pas leurs effets. Quitte à délaisser quelque peu l’Orchestre Nexus : la phalange, solide et à l’écoute, et ce malgré les acrobaties successives de la partition, sait retomber sur ses pattes, et mise à raison davantage sur l’expressivité que sur la rigueur.

Missa Solemnis © Gromelle

Lyrisme redoutable

La Missa Solemnis, interprétée à la suite d’une Marseillaise en tutti aux petits oignons,est en effet d’un lyrisme redoutable. Composée conjointement à sa neuvième symphonie, qui fit entrer à grand fracas la voix humaine dans ce genre jusqu’alors exclusivement instrumental, elle place en son centre le registre vocal. Les voix solistes, traitées à égalité sur différents registres, brillent conjointement et tour à tour : la distribution, idéale, joue des contrastes et complémentarités. La soprano Eleanor Lyons conclut ainsi le Gloria sur un « Amen » puissant et solaire. Ses échanges avec le contralto plus aérien, souple et poignant de Marie-Nicole Lemieux sont d’une beauté à couper le souffle. Le Credo révèle notamment le timbre clair et du ténor Cyrille Dubois sur « Et homo factus est ». L’Agnus Dei révèle un Nicolas Courjal tendre et ancré. Incarnation de l’espoir et de la foi renouvelée en l’humain, le chœur se fait lui aussi soliste le temps du « Quoniam », grand moment du Gloria, et orchestre le temps d’entrées fuguées époustouflantes, jusqu’à l’apaisé et émouvant « Dona Pacem, Pacem ». Qui récoltera une longue ovation bien méritée.

Joué au le 14 juillet au Théâtre antique d’Orange dans le cadre des Chorégies.

Ces reflets qui nous remplacent

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Dalida sur le divan © Julien Truchon

Elle s’apprête à accepter le tournage d’un film, Le sixième jour, à l’invitation de Youssef Chahine. Un vrai rôle, enfin, au cinéma, doublé d’un retour sur la terre de son enfance, l’Égypte. Elle réaliserait un rêve, celui d’être actrice, mais elle hésite, consulte son psy.
Elle, c’est Iolanda Gigliotti que tout un chacun connaît sous son pseudonyme, Dalida. Par ce premier masque se dessine l’écart qui semble hanter toute la vie du personnage. Les chanteurs, interprètes, compositeurs, instrumentistes, Lionel Damei et Alain Klingler, s’emparent du sujet, adaptant, transposant, nourrissant de nouvelles références (extraits de J’envie les morts qui n’ont pas à mourir de Bernard Noël, textes de Pavese, interview radiophonique de Dalida) l’essai du psychanalyste Joseph Agostini, Dalida sur le divan.
Lionel Damei se glisse dans le rôle de Dalida, ou plutôt son écho. Mimiques, gestes, démarche, sourires, intonations, tout y est, jusqu’à l’évocation de la chevelure abondante du personnage. Les décalages (Lionel Damei a le crâne rasé), loin d’être parodiques, ne font que souligner avec une infinie tendresse les fragilités, les fêlures d’un être complexe et tourmenté.
D’emblée, l’ambiguïté se noue grâce au premier couplet de la chanson de Léo Ferré Nuits d’absence (paroles Jean-Roger Caussimon), murmuré par Lionel Damei : « Il est des nuits où je m’absente / Discrètement, secrètement…/ Mon image seule est présente / Elle a mon front, mes vêtements…/ C’est mon sosie dans cette glace / C’est mon double de cinéma…/ Á ce reflet qui me remplace / Tu jurerais… que je suis là ». Est mise en évidence avec une sensible pertinence la relation entre l’être et sa représentation, les mots et ce qu’ils recouvrent. L’irréductible distance qui les sépare devient abîme dans lequel l’artiste finalement sombre.

À la rencontre d’elle-même

Paradoxe de la perception que l’on a pu avoir de cette chanteuse populaire, symbole d’une certaine légèreté de vivre, et la profondeur que la pièce lui accorde. Les termes des chansons prennent alors un autre relief, on a l’impression de les entendre vraiment pour la première fois. Le duo Paroles, paroles avec Alain Delon dépasse le badinage amoureux pour réinterroger l’essence même de la communication. Prise dans les rets des reflets, Dalida se perd. Où trouver une adéquation avec elle-même alors que tout fuit. Les mots à l’instar des paillettes de ses costumes voient leur sens se déliter tant rien ne se superpose : le langage, vague reflet d’un réel aux contours flous, est mis en doute.

Dalida sur le divan © Maire-Paule Santini

La perspective du film pousse Dalida à aller à la rencontre d’elle-même. Youssef Chahine lui a demandé un douloureux exercice d’introspection destiné à raviver ses chagrins, ses blessures profondes afin de les transcrire dans son jeu. La voici, accompagnée de l’écoute et des questions de son psy (Alain Klingler, tout en finesse) qui la place face à ses contradictions, la met en garde contre les dangers de faire ressurgir les moments les plus difficiles de sa vie et, parfois un peu diabolique, la pousse jusqu’aux limites qu’elle se refuse d’éclairer. La mort rôde, celle des hommes qu’elle a aimés, fantasques, confondant souvent la vie et les exacerbations du langage, la sienne, à laquelle elle fait allusion dans une chanson : « Moi qui ai tout choisi dans ma vie / Je veux choisir ma mort aussi » (peu de temps après le tournage du film de Chahine, elle se suicidera en laissant un dernier message : « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi »).

« Y a pas d’Eros sans Thanatos »

Un florilège des morceaux interprétés par celle qui a passé toutes les modes, de la pop au yéyé, du swing au disco, retrace le parcours de la diva, de ses attaches italiennes à ses aventures amoureuses, ses rencontres avec les plus grands artistes de son époque. Par exemple, elle chantera Avec le temps de Léo Ferré.
Soleil de cendres que Lionel Damei a écrit à son propos pour ce spectacle rend hommage à cet être de passions : « Puisqu’il me faut les armes rendre / Que ce soit un soleil de cendres / Qui m’accompagne jusqu’à la noce / Ma robe blanche et sans guirlande / Mon âme seule pour toute offrande / Y a pas d’Eros sans Thanatos / Et dites à ceux qui veulent l’entendre / Que je suis libre mais plus à vendre / Show must go on dans le cosmos ».
En bis, les deux complices dédient une dernière chanson à ceux qui survivent dans des pays où il est interdit de chanter, danser désormais. Laissez-moi danser ! prend alors un relief révolutionnaire et c’est glaçant. Ce qui nous faisait sourire, que l’on considérait comme allant de soi, et dont on pouvait donc se moquer gentiment, était l’affirmation d’une liberté précieuse. Poétiquement magistral !

MARYVONNE COLOMBANI

Dalida sur le divan a été donné du 6 au 30 juillet au Verbe Fou, à Avignon, dans le cadre du festival Off.

À venir en août… Et en Corse

Samedi 13 : auditorium de Porticcio à 21h.

Dimanche 14 : mairie de Lecci à 21h30  

Mardi 16 : La Fabbrica culturale Casell’arte de Venaco à 19h

Mercredi 17 : médiathèque de Folelli à 19h30

Vendredi 19 & samedi 20 : collège de Saint-Florent à 21h30

Dimanche 21 : Maison des vins de Patrimonio à 21h

Harmonies du soir

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Chamayou & Modigliani © Valentine Chauvin

Mêlant récital pour piano et musique de chambre, le concert du premier août du Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron offre un plateau d’exception. Au piano de Bertrand Chamayou se joignent les archets du Quatuor Modigliani. En ouverture, les Variations en fa mineur de Haydn, ou Andante con variazioni « Un piccolo divertimento » (dernière œuvre pour piano du compositeur) dont les deux thèmes sont issus de son opéra L’anima del filosofo, met en lumière la subtilité du jeu de l’interprète, nuancé, précis, délicat, délié, laissant entendre les transparences, sachant s’effacer devant la partition. Le dialogue entre les thèmes mineur et majeur s’accorde à une mélancolie tendre qui soutient la clarté d’une renaissance, tandis que la toccata finale éblouit par sa liberté qui ferait croire que le passage est improvisé. La fluidité et l’élégance du piano trouvent un interlocuteur à sa taille avec le Quatuor Modigliani dans le Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur opus 44 de Robert Schumann, œuvre fondatrice dans l’histoire de la musique car première de la période romantique écrite pour cette formation. Les quatre instruments italiens, violon de Guadagnini de 1773 (Amaury Coeytaux), violon de Guadagnini de 1780 (Loïc Rio), alto de Mariani de 1660 (Laurent Marfaing), violoncelle de Matteo Goffriller « ex-Warburg » de 1706 (François Kieffer), sonnent comme s’ils avaient été taillés dans le même arbre. Instrument unique aux voix multiples qui émergent du tronc central, large, profond, aux couleurs somptueuses.

Chamayou & Modigliani © Valentine Chauvin

La brillance du piano sait s’entrelacer aux respirations des cordes frottées, les écoute converser, reprend le thème, donne le ton. Les effets sont ménagés, cèdent à la théâtralité du moment, se ressaisissent, espiègles, s’amusent avec le public, miment, archets levés, une fin susceptible de convoquer les applaudissements, un regard malicieux, et les voilà qui reprennent le fil lumineux de leurs propos.
Tarentelle macabre
Les pages du Quatuor à cordes n° 14 en ré mineur D.810, « La Jeune fille et la Mort » de Schubert soulignent la cohésion de l’ensemble, soudé dans un climat spirituel charpenté par la figure de la Mort qui hante les quatre mouvements. La lutte menée contre la Mort, la course folle qui entraîne les deux personnages dans un tourbillon implacable, danse macabre terrifiante sur un rythme de tarentelle, la tension sensible de ce cauchemar peuplé d’ombres, s’achèvent en deux accords qui scellent le destin. La puissance de l’œuvre, orchestrée en cinq variations autour du thème extrait du lied Der Tod und das Mädchen écrit en 1817 sur un poème de Matthias Claudius, est transcrite dans ses moindres nuances, bouleversante de justesse.  
Face à l’ovation d’un public transporté, le Quatuor offre un bis, « ce qui est à l’encontre de nos habitudes », sourit Loïc Rio. Le deuxième mouvement Andante con moto du Quartet n°4 en do majeur de Schubert (le Quatuor Modigliani a enregistré chez Mirare l’intégrale des quatuors de Schubert dans un coffret de cinq disques intitulés respectivement Harmonie, Art du chant, Classicisme, États d’âmes, Clair-obscur) décline ses harmonies rêveuses dans la douceur du soir. Accord parfait !

MARYVONNE COLOMBANI

Bertrand Chamayou et le Quatuor Modigliani se sont produits le 1er août, à la conque du parc de Florans, dans le cadre du Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron.

Haendel sur un plateau

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Le Consort et Eva Zaïcik © J.Benhamou

Les Musicales du Luberon ont le talent de trouver des lieux qui s’accordent aux concerts programmés. L’église de Bonnieux recevait la mezzo-soprano Eva Zaïcik et le délicat ensemble Le Consort (composé de jeunes musiciens aux parcours brillantissimes et aux carrières déjà internationales), dirigé par le claveciniste Justin Taylor.

Le programme consacré à Haendel est joué sur instruments anciens ou copiés sur des modèles du passé. Le clavecin de Justin Taylor a été construit d’après un instrument de 1728, Sophie de Bardonnèche joue sur un violon Antonius & Hieronymus Amati de 1596, Roxana Rastegar, un violon de 1741 signé François Vaillant. Les instruments de belle facture d’Hanna Salzenstein (violon), Mathurin Bouny (alto) et Michele Zeoli (contrebasse), apportent leurs couleurs à cet ensemble remarquablement homogène de magnifiques solistes. Nous voilà transportés aux premières heures de la Royal Academy of Music, compagnie fondée en février 1719 par un groupe d’aristocrates qui souhaitaient par ce biais assister régulièrement à des représentations lyriques. À cette époque, un certain Georg Friedrich Haendel résidait à Cannons après avoir passé quatre ans en Italie. Il devint le directeur musical de cette académie et fut chargé de se rendre sur le continent pour y engager les meilleurs chanteurs (il paraît qu’il devait ramener à tout prix le célébrissime castrat Senesino). Ainsi furent commandées aussi des œuvres aux plus grands compositeurs de l’époque, Haendel bien sûr – qui composa quatorze opéras pour la Royal Academy – mais aussi Attilio Ariosti et Giovanni Bononcini.

Haendel, Zaïcik et Consort

Sans nul doute, le subtil et prolifique compositeur eut ramené en Angleterre Eva Zaïcik tant la voix de la jeune interprète est ample, souple, élégante. Après une vive entrée en matière avec l’ouverture orchestrale de Rinaldo (Haendel, 1711), dont la menée magistrale nous ferait douter de notre envie d’écouter une voix humaine, la mezzo-soprano entre en scène sur le Sagri Numi (Caio Marzio Coriolano d’Attilo Ariosti, 1723, Vetturia implore les dieux de défendre son fils innocent) et soudain le sublime devient évident. La mélodie coulée dans le bronze de la voix prend une éloquence nouvelle. Colonne parfaite, le souffle se sculpte, épouse les ornementations, aborde avec une confondante égalité notes suivies et écarts impossibles, se meut théâtral dans Svegliatevi nel core (Giulio Cesare in Egitto, Haendel). Bouleverse avec Lascia ch’io pianga (Rinaldo, Haendel), brosse un tableau guerrier imagé sur L’aure che spira (Guilio Cesare in Egitto), graves superbes, expressivité, allant. Chaque œuvre se dote d’un relief neuf. Eva Zaïcik campe ses personnages, voici Matilda sœur du roi Ottone, amoureuse de Adalberto bien qu’il l’ait trahie (Ah tu non sai), le cœur meurtri de Bononcini de Strazio, scempio, furia e morte (Crispo), ou encore Déjanire qui vient de se rendre compte de sa méprise tragique qui lui a fait tuer Hercules (Haendel) et qui sombre dans la folie. Son air Where shall I fly est un sommet du concert, les furies s’abattent sur le personnage qui, à l’instar d’Oreste, voit les serpents qui sifflent sur les têtes des déités des Enfers. La variété des morceaux choisis, leur pertinence, offrent une palette d’une infinie richesse, jusqu’à la reprise « arrangement maison », sourit Justin Taylor de la Passacaille de Haendel, qui se joue avec espièglerie du style grandiose que le XIXe siècle lui a souvent imposé. Le public se précipite à la sortie sur le deuxième disque d’Eva Zaïcik et du Consort, baptisé Royal Haendel, une pépite parue récemment chez Alpha.

MARYVONNE COLOMBANI

Eva Zaïcik et Le Consort ont joué le 19 juillet à l’église basse de Bonnieux, dans le cadre des Musicales du Luberon.